Aujourd'hui était une journée merveilleuse. Le soleil brillait haut dans le ciel, l'air était chaud et... Nous étions ensemble. Je fis ce constat alors qu'il croquait avec envie dans une tartine à la crème. Le voir ainsi me fit sourire avant que je ne sente mes joues chauffer. Il n'avait rien fait pour, les pensées qui avaient fusé en revanche... Son air détendu, presque un peu enfantin dans sa façon de dévorer son petit déjeuner m'avait attendrie. J'avais à cet instant une envie particulière de le protéger de tous les dangers de ce monde afin de conserver cette insouciance qui lui allait si bien. C'était cette idée qui avait coloré mes joues. Espérant qu'il n'ait rien remarqué, je mordais à mon tour dans mon pain beurré avant de planter mon regard dans le sien. Une idée lumineuse m'était venue.

– Dis Kirito... Je n'ai pas encore eu l'occasion de visiter les villes du quarantième palier... Est-ce que ça te dirait... Hum... Qu'on aille y passer la journée ?

Sentant mes joues me brûler à nouveau, je détournais les yeux tout en passant nerveusement une mèche de mes cheveux derrière mon oreille. Cette fois j'avais une bonne raison de rougir car je venais de lui demander de façon détournée de passer une journée en tête à tête. Autrement dit... Je lui avais proposé un date. Et il accepta avec engouement, ce qui me ravit instantanément.

Dire que j'avais peur que ça le gêne !

Finalement, Kirito n'était peut-être pas aussi timide que je l'avais pensé et ça avait quelque chose d'un peu attirant. Etait-ce ce que l'on appelait 'être attirée par les mauvais garçons ?'. Probablement pas car sous ce surnom d'épéiste noir se cachait quelqu'un de foncièrement gentil.

Ainsi, après avoir terminé de manger, nous sortîmes afin de nous rendre sur les lieux de notre rendez-vous. Pour cette occasion, j'avais choisi de porter de jolis vêtements qui n'avaient rien à voir avec des équipements de combat. Une robe bleue clair, lassée dans le dos mais d'un style simple fraîchement achetée dans une petite boutique et des chaussures blanches. Kirito lui... Etait un épéiste. Un vrai. Un pur et dur. Même pendant les jours off ses équipements restaient inchangés, ce qui me fit un peu pester.

Il aurait pu faire un petit effort quand même...

Mes joues avaient d'abord un peu gonflé mais je ne lui avais rien dit. Après tout c'était la personne que j'avais choisie et il était hors de question que je lui demande de changer pour moi. Il était parfait tel quel. A nouveau attendrie, je contemplais le paysage en marchant. Après quelques pas, un salon de thé se profila devant nous.

– Oh ! Est-ce que ça te tente qu'on essaie ?

A sa mine perplexe, je compris immédiatement ce à quoi il était en train de penser. Nous avions fini notre petit déjeuner à peine une heure avant. Préférant prendre les devants des fois qu'il tente de refuser, je lui assurais qu'un thé pouvait se prendre à n'importe quelle heure de la journée, et que les petits gâteaux qui allaient avec se mangeaient même sans appétit. Si malgré cela il refusait tout de même, je lui aurais aussi dit qu'on avait la chance de ne pas pouvoir grossir dans ce monde et qu'il fallait en profiter. Heureusement, je n'avais pas eu à en arriver à de telles extrémités. Il avait acquiescé et cela me fit sauter de joie. C'était précisément le genre de choses que les gens faisaient pendant un date. J'étais aux anges. Lorsque nous nous installions, je consultais la carte des mets proposés et choisis une tarte aux pêches de vigne accompagnée d'un thé au jasmin. Mon sourire semblait véritablement impossible à effacer. Même lorsque notre conversation au sujet des combats dévia et que mon cher et tendre mentionna de potentiels affrontement contre d'horribles insectes. Préférant ne pas m'attarder sur le sujet, je contournais habilement la conversation. D'un air un peu lointain, je lui demandais alors s'il connaissait de jolis paysages ou des endroits sympathiques à visiter ici. Le brun sembla hésiter un instant avant de me sourire. Près du port se trouvait immense clocher qui offrait une vue imprenable sur la ville, m'indiqua-t-il, index levé. Il m'avait donné très envie de voir ça de mes yeux, c'était décidé, ce clocher serait notre prochaine destination!

L'air chaud caressa mes joues lorsque je sortis du salon de thé. L'un à côté de l'autre, nous descendions la rue menant au port. Et mes pensées m'échappèrent à nouveau. Et si... Je lui prenais la main? Mon coeur s'emballa, mes doigts se tendirent vers lui mais se crispèrent au dernier moment avant de partir se cacher dans mon dos. Comme s'il ne s'était rien passé, ou comme si rien n'avait failli arriver. J'ignorais encore comment me comporter sans paraître bizarre, trop entreprenante, trop distante... Trouver le juste milieu n'était pas facile et... Trouver le courage aussi !

Al'horizon, je commençais à apercevoir le fameux clocher, qui était bien plus haut que je ne l'avais imaginé. Contemplant son sommet, je manquai de bousculer un garçonnet qui semblait tout affolé. Ses phrases s'enchaînaient à toute vitesse et pour cause! Quelqu'un venait de voler la bourse contenant les cols qu'il devait utiliser pour soigner sa mère malade. Fronçant les sourcils, je contemplait le petit à qui il manquait une dent et dont les yeux était aussi brillants que de jolies pierres précieuses. D'ailleurs, il ne possédait pas de cristal au dessus de sa tête, ce qui indiquait qu'il s'agissait d'un habitant du système. Je fis la moue quelques instants. Aujourd'hui, nous étions en date. Pas de combat, pas de quête, pas de stress... Juste lui et moi qui profitons de la ville... N'est-ce pas? Fermant les yeux, je soupirais faiblement avant de me tourner vers mon ami.

Je sais exactement ce qu'il va dire...

De grands gestes, un débit de parole rapide et une voix aux empreints de panique. Le garçon agitait les bras et avant de lui répondre quoi que ce fût, il avait attrapé un pan de la jolie robe de ma partenaire qui avait failli le heurter. Face à son désarroi, j'arquai les sourcils et m'adressai à la jeune fille avant de virer à nouveau vers l'enfant que je plaignais d'être condamné à ressentir une telle crainte et à supplier qui voudrait bien l'aider.
Mais derrière cet acte de bonté qu'on attendait de nous, je masquai un soulagement aussi étouffé que possible.
J'expirais pourtant seulement quand Ayura me donna son accord.


Je l'avais trouvée étrange depuis le début de la journée. La théorie qui m'avait semblé la plus plausible jusqu'à nous rendre à ce salon de thé était qu'elle avait tout simplement bien dormi; depuis ce petit-déjeuner englouti dans notre maison du trente-troisième étage, elle n'avait pas cessé de sourire. J'avais mentalement tout passé en revue: il ne s'était pourtant rien déroulé de particulier la veille, et nous n'avions rien de prévu le jour-même, ni le lendemain - sans doute la raison pour laquelle elle avait saisi l'opportunité de me proposer une virée en ville. Si j'avais d'abord supposé qu'elle n'avait pu se rendre au quarantième étage pour autre chose que cartographier l'environnement où se présenterait le quatrième Boss décisif et qu'elle souhaitait également s'y détendre, aucune rapière n'avait pendu à sa taille même lorsqu'elle avait atteint l'étage, laissant seule mon épée reposant dans son fourreau dorsal.
A partir du moment où j'avais compris que le combat ne serait pas même une option pour la journée, j'avais senti mon coeur s'emballer.
C'était ridicule. Jusqu'alors, sortir me promener avec elle ne m'avait jamais dérangé, je n'avais jamais eu à paniquer à l'idée de trouver quoi dire ou quoi faire pour la distraire. En outre, rien n'avait véritablement changé dans notre quotidien - nous avions seulement assumé un lit pour deux personnes en rachetant nos meubles, bien plus confortable que celui que j'avais et qu'elle n'avait eu de cesse de m'emprunter dans mon appartement. C'était comme si se confier l'un à l'autre à coeur ouvert avait apposé une pierre en plus entre nous. Une pierre anguleuse et pointue qui, d'un coup, me forçait à adopter une position et un rôle auxquels je ne m'étais pas préparé.
Et en fin de compte, le véritable héros qui allait me secourir, c'était cet enfant qui criait à l'aide.

J'activai [Sprint] pour rejoindre les quais du port, Ayura à ma suite, vite rattrapés par le garçonnet qui nous dépassa en désignant de l'index un bateau. Un regard suivi d'un mouvement de tête accordé avec la jeune fille désormais un peu plus impliquée, et nous suivions le NPC qui montait à bord de ce qui semblait être un bateau marchand chargé de cargaisons de fruits et de céréales.

Mais une fois sur le pont, le gamin esquissa un sourire torve.
A ce moment-là seulement, j'entendis un grincement dans notre dos et me retournais pour voir la planche remontée, les amarres largués et, au-dessus de nous, la voile principale s'étendit en claquant dans le vent.
Le quai semblait déjà s'être éloigné de quelques mètres quand l'enfant suivi d'un marin se permit un ricanement.

Mes yeux s'arrêtèrent sur leurs visages, bien moins effrayants que la colère palpable de l'adolescente qui bouillait à mes côtés.

Je soupirais tout en roulant des yeux.

- C'est entendu, on va l'aider.

Tout en joignant le geste à la parole, j'équipais mon stuff de combattante afin d'être parée à toute éventualité. Et lorsque la dernière pièce apparut ceinte à ma taille, je me sentis instantanément bien. Ma douce rapière était devenue une partie de moi-même. Une fois réunies, je me sentais entière. En fin de compte, tout enlever pour un date ne nous ressemblait pas. Nous étions tous les deux des combattants dans l'âme alors... Nous n'avions pas besoin de changer quoi que ce soit à notre quotidien pour être heureux. Quoi qu'un vrai date comme dans le monde réel m'aurait vraiment fait plaisir. Mais peut-être que cela devrait attendre notre retour de l'autre côté.

C'est pas grave, ça reste un date malgré tout. Mais à notre façon...

Lorsque mon coéquipier activa sa compétence, j'en fis de même pour le suivre et nous arrivions devant un bateau assez imposant que le petit garçon pointait du doigt, les yeux encore tout embués de larmes. Le voleur devait être un brigand à la solde d'un capitaine peu recommandable... De concert nous décidions de pénétrer sur le pont. Une fois dessus, mon regard balaya l'endroit à la recherche du moindre indice mais rien ne me sauta aux yeux. Kirito, qui avait [Détection] aurait peut-être plus de chances que moi de trouver quelque chose ici. Je tournais la tête vers lui en espérant qu'il me dise avoir trouvé une piste, mais il n'eut pas le temps de prononcer le moindre mot. Un claquement puissant retentit juste d'au-dessus de nos têtes et ne manqua pas de me faire sursauter. Mes yeux scrutèrent immédiatement la source de ce bruit. La voile venait d'être abaissée. Devant ce spectacle je fis volte face pour me retrouver vers le quai que nous avions quitté quelques instants avant et je vis avec horreur que ce dernier s'éloignait de nous. Nous étions en train de prendre le large.

- K-Kirito...

Nous étions sur l'eau. Bientôt entièrement entouré d'eau. De l'eau. Absolument partout. Impossible de s'enfuir autrement qu'à la nage. Mais je n'avais pas cette compétence. Et je ne voulais pas la prendre autant que je ne voulais pas plonger dans l'eau profonde. Que se passerait-il si nous étions découverts? Et s'il s'agissait d'un bateau pirate? Et s'il nous faisait subir le supplice de la planche?

- I-Il faut qu'on se cache. Kirito il ne faut surtout pas qu'on nous...

Quand je me tournais enfin vers mon coéquipier, je le vis mains en l'air, la pointe d'un sabre proche de la gorge. En face de nous, un type immense, trapu et barbu nous regardait d'un mauvais oeil -le seul qu'il possédait d'ailleurs. Derrière lui, d'autres marins étaient présents et... Le morveux aussi. Arborant un grand sourire fier que je rêvais de lui faire perdre. Devant ce spectacle, mon sang ne fit qu'un tour. Et lorsque je vis la main de mon ami commencer à remonter vers la fusée de son épée, je le fusillais du regard.

Nous étions déjà dans une mauvaise posture par SA faute et il pensait vraiment que j'allais le laisser en rajouter?! Hors de question. S'il ne bougeait ne serait-ce qu'une oreille, c'était moi qui le jetterai à la mer!

Ma main retomba avant même d'atteindre mon arme, plus que largement encouragée par le regard de ma partenaire que je sentais redessiner mon portrait au fer rouge. Dans son esprit, j'étais probablement le seul fautif de cette situation, et tandis que je regardais, impassible, la rive s'éloigner de nous, mon esprit mit une seconde de plus à réaligner son fil pour assimiler l'idée qu'en fait, c'était nous qui nous en éloignons. Cette pensée ne m'effrayait pas vraiment, bien que le nombre ne jouait pas en notre faveur, mais le statut de NPC de ces hommes armés était préférable à celui des monstres.
La situation aurait pu être encore pire. C'était ainsi que je relativisais en devinant combien la petite blonde à mes côtés m'en voulait.

Ayura, quant à elle, était terrorisée par la mer - ou plus précisément, les larges étendues aqueuses où l'on pourrait se noyer. Je m'en étais douté à de multiples reprises avant qu'elle ne m'avouât ce qu'elle avait elle-même désigné comme sa plus grande crainte. En outre, si ce donjon coupé de tout me semblait être une occasion rêvée de vivre une épopée pirate, songer ne fut-ce qu'une seconde qu'elle pouvait tomber à l'eau devait pétrifier tous ses gestes et toutes ses pensées rationnelles.
Ce n'était qu'une quête, rien de plus.

La notification que nous avions reçue une fois dans les geôles en était la preuve.




Sans consulter ma partenaire, je validai la requête et soupirais. Si j'avais refusé, peut-être que ces braves marins nous auraient relâchés, ramenés sur le pont, conduit le navire sur le chemin retour et installé la planche jusqu'au quai pour nous laisser descendre - mais ce scénario, qu'Ayura avait du défiler dans sa tête avant de m'en vouloir davantage pour l'avoir balayé d'un geste du doigt, me semblait bien trop peu probable pour miser dessus.


Le silence me sembla encore plus écrasant que si je n'avais pas osé le défier. Cette pression qui oppressait l'atmosphère jusqu'à en faire frémir mes épaules trouvait son coeur à ma gauche, de l'autre côté du couloir, dans une prison voisine où la jeune fille dans la disgrâce d'avoir été faite prisonnière gardait la tête droite et le port altier.
Je serrai des poings pour résister à la tentation de présenter des excuses avant d'avoir désamorcé la situation inconfortable et décidai de consacrer du temps à l'observation de la cale où nous étions retenus par de larges barreaux en fer. Même si nous n'avions pas eu le loisir d'explorer le cockpit, les couloirs des parties inférieures semblaient donner sur des pièces propres et luxueuses. Par ce souci d'apparence et l'accoutrement brodé du chef de nos tortionnaires, la piste de la piraterie était pour moi moins plausible que celle de la marine marchande. Restait à savoir, avec moins d'assurance encore, ce qu'ils avaient l'intention de faire des joueurs si nous ne menions pas cette quête comme on l'attendait de nous.

Après avoir été dupés par un sale gamin qui semblait s'être dressé pour ruiner notre date, après avoir été embarqués au large contre notre gré, après avoir été arrêtés comme de vulgaires intrus... Nous nous retrouvions dans des geôles.


En regardant bien, peut-être y trouverais-je un rat ou deux, et pourquoi pas les restes couverts de mousse d'un type oublié au fond de l'une des prisons. La situation était si désespérante que j'avais presque envie d'en rire. Mais c'était nerveux.

Alors que j'étais assise sur les planches de bois qui constituaient le sol, le regard rivé sur un vieux draps déchiré accroché au mur, un tintement retentit. La pop-up de quête avait dû apparaître devant Kirito. Fermant les yeux, je me figurais le bouton rouge orné d'une croix blanche comme si je pouvais appuyer moi-même dessus. Malheureusement, ce n'était pas moi qui avait la main. Je n'avais plus qu'à espérer.

Prends la bonne décision... Allez... Tu vas la prendre... Pas vrai?

Si nous refusions de participer à cette mascarade grotesque, alors ces types nous ramèneraient sur le planchers des vaches et nous pourrions reprendre notre petite vie tranquille sur les quais, pour mieux nous en éloigner.


Je fermais les yeux consternée. Même le titre de la quête semblait se ficher allègrement de moi.

- Bon... Au moins on a encore nos armes.

Mes sourcils se froncèrent, et peut-être aussi mon nez. Il aurait au moins pu me demander mon avis avant d'accepter de m'embarquer entièrement dans cette galère!
Mais dans son élan d'optimisme il avait marqué un point. Nous avions été faits prisonniers, mais on ne nous avait rien confisqué ce qui était particulièrement curieux. Cela induisait que nous risquions de devoir nous battre. Mais pour que cela arrive, il fallait en premier lieu que nous puissions sortir de nos cages respectives. J'observais donc le décors dans l'espoir de trouver une clé ou n'importe quoi capable de nous aider mais à part des toiles d'araignées inhabitées, je ne vis rien.

- Est-ce que tu as une idée de comment sortir de là?

La dernière chose à laquelle je m'attendais désormais, c'était qu'Ayura daignât accepter m'adresser à nouveau la parole. J'avais conscience que ce n'était pas seulement sa fierté qui avait été affectée, car je l'avais déjà défiée quelques fois et ses réactions n'avaient pas été telles. Ma théorie la plus sûre à affirmer était qu'elle avait peur de la mer s'étendant à perte de vue en trompe-l’oeil à l'horizon, bien au-delà des six kilomètres de diamètre approximatifs de l'étage. Et qu'en acceptant de suivre ce mousse qui nous avait pris en traître, j'avais gâché ses perspectives pour la journée et elle n'avait probablement pas fini de me le reprocher.
Sans parvenir à transformer cette escapade au grand large en 'Happy End' pour elle, j'avais peut-être remis en question nos sorties à venir pendant le temps passé ensemble loin du front.
Alors quand sa voix retentit dans le cachot d'en face, je me risquais un coup d'oeil dans sa direction. Même si elle ne me regardait pas, son ton était un peu plus doux que je ne l'avais craint et mon coeur me sembla manquer un battement.


Heureusement que cette brève analyse du décor m'avait permis de trouver une piste.
J'esquissais un sourire et mes doigts claquèrent l'air iodé qui imprégnait les geôles.


Ma compétence de [Détection], trop faible pour un étage si élevé, m'avait simplement confirmé par un appel d'air qu'il y avait bien un accès à trouver dans cette prison, mais tout le mérite revenait à mon ouïe plus affirmée.

Je me mettais sur les genoux pour avancer sur un mètre et empoignais fermement le tapis - tout sauf là par hasard - qui ornait le sol de ma cabine. Après tout, pourquoi encombrer de décorations superflues les cellules des détenus?


Je tirais sur la carpette pour l'éloigner et dévoilai une trappe en bois dans le parquet, puis j'attrapai la poignée de fer avant de me retourner fièrement vers la jeune fille.

J'étais vraiment en colère qu'il n'ai pas même pris le temps de consulter mon avis avant d'accepter cette fichue quête mais quitte à y être embarquée de force, je tentais d'y trouver de bons côtés. Le fait qu'elle soit en plein milieu de l'océan jouait fortement en sa défaveur. Pour autant... Être ainsi coincés dans des geôles avait tout de même quelque chose d'un peu romantique. Devoir travailler main dans la main pour parvenir à sortir de notre prison et se retrouver avant de s'allier à nouveau contre le reste du monde... J'avais en tête la coopération particulièrement efficace que nous pourrions mettre en place pour réussir à trouver un moyen de s'évader à la façon d'un escape game, qui fut cependant balayée aussitôt.

- Huh? Mais... Tu ne pourrais pas être NORMAL?! Juste une fois?!

Ma frustration à son paroxysme, j'avais grogné tout en haussant le ton. Et sans que je ne m'en rende compte, de concert, mes pieds avaient frappé le sol de leurs talons. En même temps... Aujourd'hui il ne faisait qu'enchaîner les mauvaises décisions. Et au moment où on aurait enfin pu agir avec un peu de normalité tout échangeant assez pour se réconcilier il trouvait encore le moyen de tout faire rater. Soufflant par le nez, je me tournais vers lui pour planter mon regard dans le sien mais mon coeur se serra quand je vis sa puppy face emplie de tristesse et d'incompréhension.

Par pitié ne me regarde pas comme ça...

Je détournais alors les yeux puis la tête, gardant un air digne malgré la culpabilité qui me rongeait.

Observant le sol à mon tour, je remarquais qu'il était couvert d'un tapis, ce qui aurait dû me mettre la puce à l'oreille. Ca c'était le genre de choses qu'une personne normale aurait remarqué! Qui s'amuserait à mettre de la déco dans un cachot fait pour les prisonniers et les rongeurs?  

Je soupirais tout en me levant et envoyais valser la déco, avant d'ouvrir la trappe prudemment. Un peu perplexe, je me penchais au dessus pour voir où elle menait sans pour autant réussir à distinguer correctement ce qui s'y trouvait. D'ici, cela ressemblait à un couloir, mais cela pouvait tout aussi bien être une pièce. Si c'était le cas, allions-nous tomber dans la même?

- Je t'attends en bas.

Sans bruit, je me glissais dans le trou tout en me tenant des deux mains. Malheureusement, j'étais trop petite pour atteindre directement le sol, alors je dus me laisser tomber au risque que le bruit de ma chute n'alerte quelqu'un. Les yeux fermés dans une grimace de crainte, je les rouvris doucement en entendant aucun hurlement d'aucune sorte. Soulagée que personne ne m'ait remarquée, je cherchais mon partenaire du regard car je n'avais perçu aucun bruit venant de son côté. Soit il était encore en haut, soit il avait atteint une autre pièce soit... J'avais vu juste à notre première rencontre et c'était un véritable ninja.

Je sentis aussitôt mes traits se tendre face à la réaction hautaine de la jeune fille, mais pourtant je trouvais une maigre consolation dans ce spectacle un peu caricatural: j'avais la sensation étrange que je m'étais engagé dans un pari truqué, et que n'importe laquelle de mes réponses m'aurait ensuite été reprochée. Aussi aurais-je été réprimandé d'un 'tu es trop marginal' pour un 'oui', et d'un 'tu es un incapable!' pour un 'non'. Je baissai les yeux en essayant de deviner une possible réponse tertiaire sous-jacente, mais un 'peut-être' se serait probablement trouvé récompensé par un brusque 'réfléchis plus vite!' prononcé par la jolie voix cristalline avec une sécheresse glaciale. Imaginant que cet affront viendrait s'ajouter au sommet de ma pile de crimes de la journée, je la regardais frapper le sol avec ses bottes avant de tirer le tapis dans une rage excessive.


Quelque part, laisser la manieuse de fleuret prendre les devants allait me permettre de me remettre de cette émotion soudaine, et je la suivis du regard quand elle se hissa souplement au travers de sa propre trappe ouverte. Le son étouffé de ses semelles heurtant doucement le sol inférieur ne témoignait pas seulement de sa faible masse corporelle qui n'était pas à démontrer, mais aussi - plus intéressant dans ce contexte - que la pièce où elle venait d'atterrir comportait un plafond plus bas que les geôles s'étendant sur plus de deux mètres cinquante, barrée par le fer devant chaque cellule de bas en haut sans épargner le moindre centimètre.
Je profitai de ce bref laps de temps pour observer la pièce d'où nous allions nous échapper, mais aucun cordage ou chaîne ne traînait, preuve que nos hôtes étaient plus précautionneux que ce détail flagrant de carpette dans les cachots. Tout ce que je pouvais déplacer dans la décoration minimaliste était ce même pan de tissu, que je tentai de tirer à moi.
M'étonnant de pouvoir le rouler jusqu'au bout, je le soulevai et il se rangea dans mon inventaire.




Un bref regard en direction de la porte, je m'engageai à mon tour en accrochant le rebord, et passant la tête pour m'assurer que je pouvais sauter en réduisant le bruit, je m'aidai d'[Acrobatie] pour amortir ma chute.


Je me redressai et tournai la tête: la jeune fille était là, l'air toujours sévère marquant ses traits délicats, aussi ne m'éternisais-je pas dans mes contemplations plus longtemps pour détailler l'étage inférieur.
Nous venions d'arriver dans un couloir d'environ trois mètres de large semblable à celui qui séparait les cellules au-dessus de nos têtes, et privé de toute décoration. A gauche comme à droite, les murs en boiseries étaient tapissés de portes closes, et je soupçonnai fort que certaines s'ouvrent alors que d'autres resteraient scellées.
En outre, nous avions largement le temps de toutes les essayer - voire de toutes les explorer si aucune ne nous refusait l'accès.


- HAH!!

Je sursautai et un cri manqua de dépasser mes lèvres: à la place, je rentrais instinctivement la tête entre les épaules comme si je venais de me faire sermonner par un adulte.

- Les prisonniers se sont échappés! Retrouvez-les ou je vous jette par-dessus bord!

La voix rauque provenait sans aucun doute de l'entrée des geôles, mais ce qui me laissa songeur était que je n'avais pas entendu la porte s'ouvrir. J'étais pourtant certain qu'elle avait été fermée au départ des marins; après tout, nous étions des otages - et fraîchement fugitifs.
Balayant l'étage du regard une nouvelle fois tandis que les bruits de pas s'affolaient au-dessus du plafond, je murmurai à ma partenaire.


J'avais compris que malgré ses questions courtoises, prendre les devants n'était pas ce qu'elle attendait de moi, alors je la laissai maîtresse de nos décisions.

Le simple fait d'avoir quitté cette horrible cellule m'avait déjà soulagé d'un poids. Si je n'aimais pas être perdue au beau milieu de l'océan, j'aimais encore moins la perspective que des pirates puissent avoir la brillante idée de nous faire subir le supplice de la planche. Cette pensée me fit frissonner mais je me ressaisis en me rappelant que notre évasion avait réduit ce risque à néant. Soufflant par le nez, je croisai malgré moi le regard de Kirito et m'empressai de détourner les yeux pour observer le couloir tout en réfléchissant à sa question.

- Hum...

A l'instar du reste du bateau, il n'y avait que des planches de bois à perte de vue. Pas un tableau, pas une tapisserie. Aucune décoration. Du pratico-pratique. Ou alors nous étions devenus les prisonniers de pirates pauvres. Un fin sourire amusé étira mes lèvres mais laissa place à une grimace tandis que je sursautais.

Juste au dessus de nos tête, nos geôliers s'étaient aperçus de notre disparition et partaient à notre recherche. Pour ne pas y retourner et risquer à nouveau la planche, nous allions devoir nous cacher. Levant des yeux paniqués vers Kirito, j'acquiesçais d'un signe de tête. Pour la première fois depuis notre arrivée ici nous étions enfin d'accord sur quelque chose.

Dans la précipitation, je m'élançai vers le fond du couloir, ouvris une première porte et m'y engouffrai. L'odeur de renfermé me serra la gorge, ne manquant pas de me faire grimacer à nouveau. Sur chaque murs trônaient des couchettes superposées. Les draps étaient défaits, des sacs en toile jonchaient le sol ainsi que quelques chaussettes et autres marcels troués abandonnés à leur sort. Rien qui aurait pu nous être utile.

- On ne pourra pas se cacher ici!

Je la refermais délicatement, avant d'ouvrir celle qui était derrière moi en entraînant mon partenaire à ma suite. La pièce était remplie de tonneaux, cagettes et autres sacs remplis de ce qui semblait être des pommes de terre. Le garde-manger était un lieu idéal pour ne pas être repérés. D'un geste impatient, je soulevai le couvercle d'un premier tonneau entièrement rempli de haricots secs. Soupirant devant ma mauvaise fortune, mon regard se posa sur son jumeau à qui j'ôtai le chapeau. A moitié rempli d'un liquide sombre à l'odeur âcre, je le rayais instantanément de ma liste mentale. Ce n'était pas grave, il restait encore de nombreux endroits à inspecter.

- FOUILLEZ-MOI CE RAFIOT ! DIX PIÈCES D'OR A QUI ME LES RAMÈNERA!

Des bruits de faisaient trembler le sol. Ils seraient là d'une minute à l'autre. Paniquée, je relevais les yeux vers Kirito et lui lançais :

- On peut pas rentrer à deux là-dedans, bonne chance!

Et sans plus attendre je plongeai dans la vinasse, replaçant le couvercle au dessus de ma tête tant bien que mal. A présent, j'avais tout le loisir de regretter mon choix. J'aurais mieux fait de lui laisser la place, pensais-je en faisant la moue. L'acide du liquide me donnait l'impression d'être immergée dans un bain de détergeant entre très froid et chaud, les vapeurs bloquées par ce qui me servait de toit me faisaient presque tourner la tête, et tout un tas de questions existentielles se bousculaient dans ma tête. Le vin allait-il tâcher mes vêtements? L'odeur me collerait-elle à la peau et aux cheveux même après plusieurs bains? Mais aussi... Pouvait-on encore faire pire que ça, comme date?

Oui. Le supplice de la planche. C'était probablement la step d'après.

Refoulant tant bien que mal ma frustration, j'entendis la porte s'ouvrir. C'était le moment de vérité.