Voilà un moment que nous sommes couchés. D'un commun accord, nous avons décidé de nous reposer un maximum car la bataille qui nous attend demain sera rude. Pourtant je n'arrive pas à trouver le sommeil. Les yeux clos, je tente vainement de vider mon esprit de toute pensée parasite. Rien à faire. A chaque fois, j'entends mon cœur battre, je le sens frapper dans ma poitrine si fort que j'en ai presque mal. A chaque fois, la boule qui s'est formée dans mon ventre se durcit, et j'ai l'impression de suffoquer. Alors j'ouvre à nouveau les yeux, j'observe la lumière des lampadaires filtrée par les rideaux.

Je n'ai pas voulu l'admettre jusque là car j'ai voulu jouer les dures, mais j'ai peur. Devant ce constat je serre les draps de mes mains avec force. Et si je n'avais pas assez progressé? Et si je le gênait au lieu de l'aider? Et si je n'étais qu'un poids qui n'allait que ralentir le groupe? Et si... Comme la dernière fois... Mon partenaire perdait la vie...? A cette idée, je sens des larmes perler aux coins de mes yeux, puis rouler pour enfin s'écraser contre la housse de mon oreiller. Je ne me suis jamais pardonné la mort de Blast et reste d'ailleurs persuadée que j'aurais pu l'évider d'une façon ou d'une autre. Demain... Je ne veux pas que ça recommence. Je ne veux plus être inutile, je veux le protéger... Et...



A cette pensée je me recroqueville sur moi-même en soufflant un peu. Puis, profitant de la faible lueur me permettant de voir, j'observe les cheveux de mon ami qui est allongé dos à moi. Je ne veux pas le déranger dans son sommeil, d'un autre côté... J'aimerai tellement qu'il soit réveillé...

Ma main droite s'en approche et fait mine d'attraper son t-shirt, de le saisir et de ne plus le lâcher alors même qu'elle reste à quelques centimètres de lui, avant de retomber sur le matelas.

Devons-nous vraiment nous battre? Pourquoi ne pas attendre que les autorités de l'autre côté ne nous libèrent? Pourquoi ne pas rester en sécurité dans un palier calme au paysage merveilleux? Ici... Je me sens vivante, je me sens libre, je suis heureuse... Je ne veux pas tout perdre... Je ne... Veux pas te perdre...


Fronçant les sourcils, je me recroqueville plus encore, ma peluche entre les bras. Je n'ai pas le droit de l'empêcher de se battre, de l'empêcher de prendre des risques, d'aider les autres, de vouloir retourner là-bas... Je n'ai pas le droit de lui dicter sa conduite... Tout ce que je souhaite... C'est parvenir à le protéger.

- Dis... Tu dors...?

La fatigue, dans Sword Art Online, peut s'exprimer de bien des manières. Si le manque de sommeil forcené et répété ne peut pas entraîner un déclin du corps comme de l'esprit à l'instar de l'autre côté, elle n'en demeure pas moins dangereuse car les effets secondaires négatifs sont nombreux.

Dans tous les cas, ils ressemblent à ceux ressentis là-bas.
La fatigue peut donc être psychologique et s'accompagner d'une lassitude pesante qui augmente le risque de commettre des erreurs dans les pires moments. Elle peut être mentale, et empêcher de penser tout simplement. Si elle est physique, alors c'est le système qui intervient pour forcer l'endormissement de l'utilisateur suffisamment longtemps pour régénérer sa conscience.
Ce troisième cas-là, du moins, est ce que Lacaion m'a confirmé un peu plus tôt, lorsque j'étais à sa boutique il y a quelques heures à peine.

Mes pérégrinations dans les étages six, trente, vingt-six, puis un et encore six pour mener à bien notre entreprise commune m'ont éreinté, et cette fatigue s'est clairement ressentie lorsque j'ai regagné mon logement où Ayura semble m'avoir attendu depuis plusieurs heures. J'ai bien évidemment préféré taire nos intentions, seulement que l'alchimiste est actuellement en train d'oeuvrer d'arrache-pied comme nous allons le faire le lendemain.
Peut-être que je n'aurais pas du dire ça. Depuis, j'ai l'impression que le visage de ma colocataire s'est assombri.

Allongé de mon côté du lit, tourné face au mur, je n'ai eu qu'à fermer les yeux pour m'endormir immédiatement et sans aucune assistance système. Pourtant, je me suis réveillé tout aussi facilement vingt minutes plus tard à peine: je sens un nuage peser sous le toit de notre appartement, et il provient tout droit de la jeune fille. Sa tension est palpable près de moi; j'ignore si elle avait pour habitude ailleurs de jouer des rôles - car elle m'a surpris plus d'une fois par des comportements parfaitement contraires à son caractère - mais parfois elle ne cache pas très bien son jeu. Soit c'est délibéré, et j'essaye d'être une oreille suffisamment attentive pour l'écouter, soit c'est le programme tout entier qui agit à son insu.
Bâillant derrière mes dents serrées, encore somnolant, je souffle par le nez et mes paupières papillonnent pour tenter de s'acclimater à la lumière sans retomber; si elle a besoin de parler, je dois être là pour elle.
Si elle est là, avec moi, c'est parce qu'elle s'est attiré des problèmes il y a quelques mois dans lesquels elle m'a plongé avec elle. Et si elle a peur, c'est parce qu'elle a décidé de me suivre pour affronter les Bosses des étages à débloquer. J'ignore depuis combien de temps on renvoie ainsi la balle dans le camp de l'autre, s'impliquant fatalement dans nos ennuis respectifs.
Mais en fin de compte, c'est peut-être ça: "être une équipe".

Je dois finir par suffisamment bien la connaître pour anticiper ses réactions. Alors lorsqu'elle m'interpelle, je m'en étonne à peine. Sans doute a-t-elle perçu - ou espéré - que j'étais éveillé moi aussi. Sans répondre, je tourne la tête pour lui faire face et me met à détailler son visage en quête d'indices; si je peine à distinguer toutes ses nuances dans la pénombre, j'y lis au moins son inquiétude. Elle est dessinée là, sur son front plissé par ses sourcils courbes et ses grands yeux brillants dans la clarté nocturne.
Prenant une inspiration, je finis de me tourner et replis un bras sous ma tête.

- Tu as peur, n'est-ce pas?

Peut-être que mettre le doigt sur ses craintes n'est pas la chose à faire. Peut-être au contraire qu'elle aimerait que je lui parle d'autre chose, que je lui change les idées. Mais c'est précisément ce sur quoi, en parallèle, mon esprit s'attèle déjà. Et puis elle me connaît tout aussi bien, à force.
Esquissant un faible sourire, je lui adresse une expression probablement fatiguée, certes, mais qui se veut rassurante - ou du moins apaisée.

- Moi aussi.

Ayura a une volonté qui ferait bien des envieux. Lorsqu'elle s'est connectée la toute première fois, elle était néophyte dans le combat comme dans le jeu vidéo. Neuf mois plus tard, elle fait partie des conquérants de l'Aincrad. Mais elle n'en reste pas moins une adolescente particulièrement jeune pour la moyenne d'âge ici; si elle a franchi le seuil de l'enfance, elle est juste de l'autre côté de la porte. Avant je me suis même demandé si elle ne faisait pas partie de ces joueurs plus jeunes qui n'avaient pas l'âge minimum recommandé pour jouer à SAO. Puis elle a démontré parfois une maturité qui m'échappe encore et qui m'a fait douter. Mais dans tous les cas... Je crois que je me serais inquiété de ne pas la voir appréhender une aussi grande bataille. Je suis moi-même angoissé à l'idée de la voir participer en s'exposant directement au danger au lieu de rester en arrière pour occuper les potentiels minions de notre adversaire.
Posant une main entre nous, je prends appui sur mon bras pour me redresser et me reposer sur mon coude. Si je consulte d'abord ses yeux clairs, je finis par détourner la tête en direction de la fenêtre derrière moi.

- Il est peut-être tard, mais... J'aimerais te montrer quelque chose.

Cela fait presque cinq mois que j'habite dans cette ville. L'été dernier, lors de la Beta-test, personne n'avait réussi à atteindre le quinzième étage, que j'ai probablement découvert parmi les premiers. Quand une dizaine de paliers se libère, j'ai jusqu'ici eu pour habitude de quitter la salle du Boss pour aller découvrir les nouveaux paysages en commençant par le dernier: l'environnement permet d'ores et déjà d'en apprendre beaucoup sur l'adversaire, surtout lorsqu'il est de taille. Ainsi, quand je suis allé au Palier 30 et découvert que l'atmosphère était chargée de soufre et le sol imprégné de magma, d'abord j'ai songé que le gardien possédait des attributs de type [Feu]. Puis mon esprit a eu du mal à croire qu'on allait devoir combattre dans un environnement aussi hostile. Car si l'on semblait proche d'un volcan, il ne faisait aucun doute pour moi que l'affrontement allait avoir lieu en plein coeur.

Dans un tout autre genre, le Palier 15 a son lot de surprise. Les étages à l'inverse particulièrement pacifiques sont rares - surtout quand le seul adversaire repose dans la zone labyrinthique. C'est peut-être pour cette raison précise que j'ai choisi de vivre ici d'ailleurs: passant une large partie de mon temps sur le terrain, j'avais éprouvé le besoin de couper avec toute activité dangereuse. Et dès que je rengaine mon épée, c'était avant tout le repos que je cherche.
Pas le luxe de nos appartements dans les quartiers généraux des Lames d'Argent.
Moins encore la possibilité de croiser des gens désireux de discuter, même si cette guilde ne rassemble pas les plus bavards d'entre les joueurs.
Juste... Un endroit où je peux être seul pour me détendre.
J'ai donc acheté cet appartement le premier avril; mais le plus gros prank de cette histoire de solitude demeurera Ayura, qui a emménagé peu de temps après.

Je pense d'ailleurs que cet endroit est devenu d'autant plus idéal qu'il l'est pour elle aussi: c'est peut-être en fin de compte la meilleure cachette pour elle depuis ces incidents. Elle n'a de comptes à rendre à personne car personne ne sait où elle est; ses persécuteurs ne peuvent pas l'atteindre car le bâtiment est loin des sorties de cette immense Safe Zone infranchissable, le terrain hostile de l'étage est dérisoire comparé à cette ville fortifiée. Et où peut-elle être mieux cachée que dans une métropole, perdue au milieu de la foule?

- On y est presque.

Pourtant, hormis les commerces, je doute qu'elle connaisse grand chose ici. En fin de compte, elle s'est improvisée comme ma partenaire la plus fréquente, me dérobant chaque fois un peu plus de ma propre solitude. Le jour elle m'accompagne, le soir je la retrouve. Quand elle va mal, je la réconforte.
Et quand il est question de lui faire découvrir la beauté de ce monde...

Je n'ai pas voulu lui dire où on allait. Malheureusement je manque un peu de chance dans la période, car les ciels d'été sont plus beaux lorsqu'ils ont encore un goût de printemps ou lorsque l'automne en a largement grignoté les minutes pour les étendre des heures durant. Mais... Il y a des choses qui sont intemporelles. Et chaque soir de chaque saison, c'est un tout autre panorama qui colore cette ville aux allures médiévistes et aux couleurs un peu ternes des bâtisses du quartier.

Au pied d'une maison mitoyenne dépassant largement de ses comparses, j'adresse un regard furtif à Ayura et active [Acrobatie] pour courir trois pas sur le mur, sauter, réceptionner le rebord de fenêtre du premier étage avec le bout des doigts puis me hisser sans difficulté. Mes jambes fléchies se détendent et, une main sur la paroi, je me retourne pour m'adresser à la jeune fille à voix basse.

- A ton tour!

Si je ne la savais pas capable des mêmes prouesses, j'aurais du trouver un autre chemin. Mais à vrai dire je l'attends à grimper bien plus habilement que moi jusqu'à ma hauteur. Sans vérifier si elle me suit car je ne pense pas un seul instant qu'elle pourrait avoir le vertige sur une corniche aussi mince, je saute à nouveau pour accéder au toit. Une fois debout et une main au-dessus de mes yeux pour scruter l'horizon, j'esquisse un sourire en apercevant notre destination: l'un des postes de contrôle qu'utilisent les NPC pour sécuriser la ville sans motif valable, puisqu'elle ne peut pas être assiégée si elle n'est même pas menacée.

- Et voilà. Que dis-tu de... ça?

Après nous être frayé un chemin depuis les toits, je désigne du menton le panorama qui se dresse désormais, puisque le poste de garde n'est plus qu'à portée d'un saut pourvu du skill. J'ai eu beau m'être déjà promené ici, il est rare de voir d'autres joueurs - et moins encore des habitants du système - affronter les hauteurs pour profiter d'un tel paysage. Mais c'est bien connu: plus on gagne de l'altitude, plus l'air est purifié.
C'est précisément ce dont a besoin Ayura pour se ressourcer.
Alors à défaut du plus beau ciel étoilé de l'Aincrad que je soupçonne être pour l'heure celui de l'hiver éternel du sixième étage, que j'ai quitté un peu plus tôt dans la journée, c'est une mer de lumières urbaines qui s'étend à l'horizon. Pas celles baignées de LED artificielles comme Tokyo en est pourvu entre les feux de circulation et les affiches publicitaires, ni mêmes celles de Kawagoe City, bien plus modeste, où les lampadaires profilent des ombres blanchâtres.
Ce sont des lumières chaudes, vivifiées par les bâtisses en bois qu'elles éclairent. De temps en temps, des rires retentissent depuis les tavernes les plus proches et qui ne viennent perturber le silence et la sérénité que par des interventions ponctuelles de quelques secondes.

Et parmi ce tumulte respirant la plénitude, notre appartement à quelques dizaines de mètres en contrebas que je désigne furtivement d'un doigt à Ayura.

Dans la pénombre, j'observe le corps probablement endormi de mon ami. Sa respiration est calme, il ne bouge pas. Pourtant à mon appel, il se tourne doucement vers moi. Je serais incapable de déterminer depuis quand, mais le fait est que Kirito sait lire en moi comme si mes pensées n'avaient plus aucun secret pour lui. Sa remarque en est la preuve. Il faut dire que je ne fais rien pour lui cacher ce que je ressens car si je peux me confier à une personne dans ce monde, c'est lui.

La joue contre mon oreiller, je hoche doucement la tête. Il a raison j'ai peur, je suis même terrifiée. Pour moi, pour les autres, mais peut-être encore plus pour les autres. Tous ces gens qui ont une vie là-bas et qui veulent la retrouver, je les envie autant que je les plains d'être là. L'enfermement est si cruel... Et Kirito... Est-ce qu'il veut vraiment rentrer? J'ai vu de nombreuses personnes tristes, avoir le mal du pays, avoir des proches qui leur manquent... Ils n'en parlent pas parce que c'est tabou, mais leurs visages, leurs regards ne trompent personne. Il n'a jamais eu ces expressions ni aucune remarque allant dans ce sens. Simplement parfois il semble un peu lointain, perdu dans ses pensées qui restent indéchiffrables de par leur neutralité mais jamais je n'ai remarqué ne serait-ce qu'une pointe de nostalgie dans ses prunelles. J'en suis venu à me demander si comme dans mon cas, le monde réel n'est pas un endroit qu'il voudrait fuir à tout jamais. Je ne veux pas y retourner, d'ailleurs s'il était possible de transférer mon âme ici quitte à ce que mon corps là-bas disparaisse je le ferais. Pourtant un jour nous serons obligés d'y remettre les pieds à moins que personne ne réussisse à battre le dernier boss. Quel genre de vie j'aurais dans ce cas? Est-ce que mes parents me laisseront un peu de répit? Est-ce que je devrais immédiatement retourner au manoir Jameson et reprendre mes leçons en plus des heures de rééducation? Est-ce qu'ils donneront une immense réception en l'honneur de mon retour? Est-ce que... D'ici là... Ils auront trouvé un homme à qui me fiancer? Toutes ces perspectives m'effraient et je crois... Que je préférerai encore perdre la vie ici en étant libre plutôt qu'y retourner. Quand j'ai commencé à m'entraîner pour devenir plus forte j'y ai longuement réfléchi. A ce moment-là, Thelos m'avait prise sous son aile et je venais tout juste de rencontrer Kirito. J'en étais venue à la conclusion que si je voulais à la fois aider les joueurs et ne pas retourner là-bas, je n'aurais qu'à laisser le centième boss faucher mes derniers points de vie, si d'aventure j'arrivais jusque là. Cette pensée m'a un peu réconfortée mais à présent... Je suis sûre de trois choses. La première est que je ne veux pas y retourner, la seconde que je ne souhaite pas mourir non plus et la troisième... Que je ne veux pas infliger ça aux gens que j'aime ici. Quand nous sortirons de cette lutte acharnée, je devrai faire face à un nouveau combat. Mais comme ici, je sais que je pourrai compter sur mon équipe pour m'aider.

Cette peur de mourir s'est donc ajoutée à celle de voir mes amis disparaître. Je veux les protéger, le protéger mais... En suis-je vraiment capable? Kirito... Son honnêteté me surprend autant qu'elle me fait du bien. Mon coéquipier est sans doute l'un des meilleur joueur de tout l'Aincrad et malgré ça il ne rechigne pas à avouer qu'il a peur. En réalité tout les combattants doivent être angoissés en ce moment car tous autant que nous sommes allons jouer notre vie dans un combat acharné.

- D'accord je te suis.

Je m'attendais à ce qu'il me parle pour me rassurer mais c'est mal connaître mon colocataire qui se trouve être bien plus doué avec les gestes qu'avec les mots. Curieuse je me lève et le suis à l'extérieur de notre appartement sans même prendre le temps de me changer. C'est en robe de nuit que je traverse les rues de la ville sous un ciel nocturne. Notre balade se stoppe devant une maison non loin de la notre. Bien que j'essaie, je n'arrive pas à comprendre les intentions de mon ami, même quand je le regarde prendre de la hauteur. Est-ce qu'il souhaite me montrer un panorama de la ville? Il est vrai qu'à cette heure-ci avec les illumination ce doit être un joli spectacle!

- J'arrive!

Souriant faiblement, j'active à mon tour le compétence [Acrobatie] couplée à [Sprint]. Avec l'élan je rebondis sur le mur assez haut pour m'accrocher au rebord de fenêtre. De là je me balance pour atterrir sur mes pieds. Un dernier saut me permet de rejoindre mon ami sur le toit de la maison. Avant de relever la tête je fais un pas pour me rapprocher de lui et me stoppe sur le second quand le paysage s'offre à ma vue. Les bâtiments et les ruelles sont caressés d'une douce lumière dans les tons jaunes contrastant merveilleusement avec la nuit noire bordée d'étoiles scintillantes. Les lèvres entrouvertes, je ne peux décrocher mes yeux de ce spectacle.

- C'est... C'est vraiment magnifique...

De chez moi de l'autre côté il m'est impossible de voir autant d'étoiles. Le voile de lumière crée par les milliers de lampadaires et par la pollution m'empêchent de discerner correctement les petits astres que j'aime tant. Pour apprécier la voie lactée, je n'ai d'autre choix que d'aller me perdre dans les montagnes d'Amériques.

Ce n'est qu'après quelques minutes que mon regard daigne enfin se tourner vers mon ami et c'est de la reconnaissance qu'il exprime. En retournant la tête pour observer le paysage, je m'installe confortablement, les jambes ramenées contre ma poitrine.

- Dis... Est-ce que... Tu crois qu'on est assez préparés pour demain...? Je veux dire... La quête précédente était d'une telle violence... Et... Le Chevalier était tellement fort que même toi tu as eu du mal à encaisser ses coups... Je ne veux pas que ça se passe comme la dernière fois... Et... Je ne veux pas que tu te surmènes...

Je ne sais pas s'il l'a remarqué mais moi je n'ai pas pu passer à côté. Tous les joueurs comptent sur les combattants du front pour les sortir d'SAO mais... Beaucoup, même parmi les membres du front comptent sur Kirito pour ça. Malgré eux, les gens lui mettent de la pression, un poids sur les épaules qu'un adolescent normal de son âge ne devrait pas subir. Pour autant je les comprends car sa maîtrise de l'art de l'épée, sa maîtrise du système et sa façon de se l'approprier sont des éléments qui le distinguent des autres joueurs. Kirito n'est pas qu'un combattant c'est un stratège qui utilisera tous les outils que le système a à offrir et même ceux qui ne sont pas là pour ça pour parvenir à ses fins. C'est comme si un habitant de ce système cherchait à en venir à bout. Seulement on a tendance à oublier qu'avant d'être un épéiste intelligent, c'est un adolescent. Sous cette pression tenace, j'ai peur qu'il finisse par prendre des risques inconsidérés.

Les yeux rivés sur l'horizon puis vers le ciel, je resserre mon étreinte sur moi-même sans oser le regarder.

La voix lointaine, le regard perdu; Ayura, devant l'immensité du lieu qui paraît s'étendre à l'infini, témoigne d'une poésie toute particulière. Ses yeux bleutés reflètent le ciel nocturne où luisent des milliers d'étincelles et ses joues claires, baignées de noir et d'or, sont éclairées d'un contraste chaleureux. C'est à peine si elle cille, comme si elle s'était figée sur place, semblable à une poupée; mais même reproduit à la perfection et criant de réalisme, un jouet, aussi beau soit-il, ne pourra jamais délivrer un tel message.
Une larme crée un reflet supplémentaire dans ses prunelles avant de se frayer un chemin le long de son visage. Tandis que mes yeux s'écarquillent, mon coeur se serre malgré son sourire - l'a-t-elle seulement remarquée? Alors que j'avais perçu son angoisse, je n'arrive plus, maintenant, à comprendre la raison de cette tristesse - ou... d'autre chose.
J'aimerais la réconforter, mais je ne sais pas comment.

Ma main, qui s'était éloignée de ma taille, revient vers moi avant d'atteindre celle de ma coéquipière et se serre en poing. Les choses avec elle sont devenues simples et pourtant complexes. Je n'aime plus la voir en colère, triste, désespérée, et je ne peux m'empêcher de me remettre en question quand elle est de mauvaise humeur. J'ai conscience que ce ressenti néfaste est illusoire, et qu'il est aussi la conséquence de cette une routine jumelée qu'on partage ensemble. Après tout nous passons la plupart des journées en pérégrinations aux côtés l'un de l'autre, et le soir venant nous retrouvons un foyer commun. Alors... Je crois pouvoir dire que son bonheur m'importe; si je peux faire quelque chose, je n'hésiterais pas à essayer.
Pourtant j'étais seul au commencement de Sword Art Online. Mon unique objectif étant ma propre survie, j'ai rejoint les groupes des plus forts pour espérer pouvoir contribuer à précipiter les Boss dans la tombe afin de voir ce qu'il y avait au-delà. Une solitude qui ne pesait que partiellement; l'avantage que j'y trouvais était que je pouvais m'octroyer gains et expérience sans avoir à partager avec qui que ce soit. Puis j'ai croisé la route de ce joueur fort aux aspirations grandioses, celui qui aurait pu être le leader le plus puissant de ce monde, et j'ai souhaité devenir un engrenage pour l'aider à rallier la communauté à sa cause. J'ai rejoint la guilde des Lames d'Argent puisqu'il m'a garanti ma propre indépendance. Mais entouré de ses membres que je voyais au quotidien, j'ai à nouveau souhaité me retrouver seul lorsque je pouvais prendre du repos.

Pourtant... Avec elle c'est différent. Sa présence ne pèse pas sur ce besoin de solitude - j'aimerais dire que je m'y suis habitué, mais elle ne m'a, en fait, jamais semblé contraignante.
Ayura est une véritable amie, une coéquipière à part entière. Plus le temps passe moins je la guide car nos maniements de l'arme se valent peu à peu et plus elle en devient mon égale au combat.
Mais... Paradoxalement, plus elle devient forte et plus je ressens le besoin de la protéger.

Je m'assois à mon tour, l'avant-bras appuyé contre mon genou replié. Le regard incapable de se décrocher de l'océan de lumière. Sa question est légitime, mais qu'en savons-nous vraiment? N'ayant aucune réponse directe à lui apporter, je conserve le silence tout en réalisant que face à cette splendeur qui se dévoile à la nuit tombée, nous sommes des entités de ce monde insignifiantes.
Et pourtant partie de celles qui seront décisives dès le lendemain.
C'est tout aussi vrai pour nous que pour les gens qui nous accompagnerons. Lors des deux précédents affrontements, les groupes formés étaient hétéroclites et certains de leurs membres avaient à peine le niveau. La présence demain de ce player à la faux avec qui ont s'est entraîné contre un Boss intermédiaire confirme que les choses en seront de même cette fois encore. C'est une conséquence plausible quand on placarde des annonces dans les lieux les plus fréquentés par la communauté. Certes je ne le cautionne pas pour autant. Mais si je trouve leur décision dangereuse, leur ambition, quant à elle, est admirable. Je n'arriverais probablement jamais à le dire à l'un d'entre eux, mais prendre les armes avec la conviction de remporter la victoire malgré la difficulté et la peur... C'est peut-être ça, la quintessence de la volonté humaine.
Rien à voir avec des données chiffrées qui déterminent, seulement dans cet univers, ce que le système impartial considère comme la force.

Prenant une inspiration, je hausse faiblement les épaules tout en esquissant un sourire adressé à la jeune fille à ma droite.

- On ne le sera jamais assez, tu ne crois pas?

Lors du dernier affrontement, Ayura a perdu son partenaire sur le chemin du retour. Je n'ai jamais voulu aborder directement le sujet avec elle - et je n'avais aucune raison de le faire. J'étais là-bas moi aussi, au cours de cette bataille. Tout comme lorsqu'on a appris pendant les célébrations que l'un d'entre nous avait péri malgré notre victoire. Je n'ai cependant jamais pu déterminer si son malêtre est d'une manière ou d'une autre emprunt de culpabilité. Elle ne pouvait pas le savoir, personne ne le pouvait. Peut-être est-ce l'une des raisons qui la freinent, malgré ses compétences, à rejoindre une guilde. Car la perte d'un de ses membres est douloureux, même si on le connait à peine. Je ne le sais que trop bien...

- Ayura... Je...

Mon sourire s'est fané en songeant que dans ce tumulte interne qu'elle traverse à cause de la peur, c'est pour moi qu'elle s'inquiète. Sous ses airs princiers Ayura est quelqu'un de bien, j'ai cessé d'en douter depuis longtemps - alors elle peut penser un peu à elle avant de s'en faire pour les autres.
Mais je crois que je suis incapable de le lui dire, car en connaître la raison me rassure.
Détournant les yeux pour contempler le ciel, je sens que je n'arrive plus à être imperméable à ses doutes; j'ai moi aussi mes propres craintes à combattre pour aller sereinement me battre.
Peut-être que... Cette fois, je peux lui en parler.

- Je n'ai pas l'intention de mourir. Mais qu'en est-il de tous les autres? Je l'ignore et... Et pourtant, je veux les voir survivre.

Je masque ce paysage mystique en fermant les yeux et reprends une inspiration plus lourde.

- Ca va peut-être te sembler risible, mais... Au départ, je ne me préoccupai que de ma propre sécurité. Maintenant l'idée de perdre l'un des nôtres me terrifie.

Inconsciemment je me mords la lèvre inférieure en gardant le silence et ne réalise que trop tard que ma voix s'est trouvée déformée par l'inquiétude.

- Ayura... Promets-moi que tu vas survivre. Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour te protéger alors... Promets-moi que tu survivras à la fin de ce monde.

Marquant un silence, je tente de sourire mais cette fois je n'y arrive pas.

Les mains encore crispées posées sur mes épaules, je continue à observer les lumières tout en l'écoutant. Il a raison, on ne sera jamais assez préparé. Comme dans la réalité, tout peut arriver, le bon comme le mauvais et bien que l'on soit prudent, on ne peut pas aller contre le destin. Cependant, SAO est un monde virtuel et ce simple statut fait que les lois changent un peu. Nous pourrions continuer à monter nos niveaux, à améliorer nos équipements jusqu'à obtenir des stats bien plus élevées que celles du boss à combattre... Enfin... C'est le raisonnement qu'aurait tenu la newbie que j'étais il y a encore quelques mois. Aujourd'hui je sais que c'est impossible bien que j'aurais adoré que ça puisse être le cas. Les joueurs forts finissent par ne presque plus prendre d'expérience en frappant les monstres, et les équipements seront bien vite obsolètes dans les paliers suivants. Pour évoluer, nous sommes donc obligés d'avancer dans les étages. Ce système est un peu trop bien fait à mon goût.

Lorsqu'il m'interpelle, je tourne les yeux puis la tête, portant toute mon attention sur lui. Sa voix semble plus hésitante, comme si cette fois ce n'était pas Kirito mais son coeur qui s'exprimait. Et à vrai dire ses paroles me surprennent. Si j'avais dû imaginer les débuts de mon ami, s'aurait été entouré de personnes. Je sais bien qu'il est devenu un Solo Player pourtant, malgré ses maladresses évidentes et son manque de tact, c'est quelqu'un de gentil qui se soucie des autres, de leur bonheur comme de leur sécurité. Il se serait crée un réseau de connaissances assez vaste, aurait aidé des nouveaux à prendre leurs marques sur le jeu, et aurait continué à s'entraîner jour et nuit, inlassablement, jusqu'à devenir bien plus fort que ses amis. A ce moment-là, il aurait fini par les quitter pour tracer sa propre route. J'aurais eu tort. Kirito a toujours été seul dans ce monde alors qu'il est évident qu'il recherche le contact bien qu'il ne sait pas toujours le montrer. En réalité, je suis presque sûre que s'il s'est ainsi éloigné des autres dès l'annonce, ce n'est pas pour survivre comme il aime à s'en persuader, mais par peur de subir la perte d'un être cher. Sa solitude a dû lui peser tellement fort sur la conscience... J'ai parfois l'impression qu'il doit porter le monde sur ses épaules, et tout ça, il a dû le supporter seul. Je ne veux plus ça pour lui, il mérite d'être aidé, il mérite d'être protégé. Lui aussi reste un enfant dans un monde d'adulte, un garçon qui a été forcé de grandir trop vite. Je veux réussir à épargner cette part juvénile qu'il garde en lui, la faire ressortir et en prendre soin car l'enfance est un trésor que l'on perd bien trop facilement.

- Kirito...

Mon regard croise le sien pour ne plus le quitter. Il est sincère mais là encore il s'oublie. Je lui sourie alors le plus tendrement du monde avant de détourner les yeux pour observer l'immensité merveilleuse qui s'étend devant nous.

- Tu sais... J'ai longuement réfléchi ces derniers jours et... Je pense que je vais entrer dans la guilde des Lames d'Argent. Je ne voulais pas au début parce que c'est bien trop de responsabilités mais... Je veux être sûre de pouvoir faire équipe avec toi demain. Kirito...

Avant de prononcer le moindre mot de plus, je baisse la tête en mordillant doucement ma lèvre inférieure.

- Je veux être près de toi demain... Ma lame sera à ton service plus que jamais parce que... Moi aussi je veux te protéger. Tu agis toujours pour le bien des autres, tout le monde compte sur toi... Mais... Je veux que tu puisses t'appuyer sur moi... Je veux te protéger. A-Alors... Je vais te rejoindre dans cette guilde!


Les joues légèrement teintées, je me décide enfin à tourner les yeux vers lui, attendant sa réponse avec appréhension.

La première impression que l'on se fait sur les gens est souvent fausse. C'est pour cette raison que, dans l'idéal, mieux vaut dissiper la moindre appréhension afin de ne pas influencer son propre jugement futur. Quand j'ai rencontré Ayura, j'ai vu d'elle une fille gâtée, égoïste et capricieuse; puis en apprenant à la connaître, j'ai découvert que si c'était cet aspect-là que j'avais connu en premier, certes en partie dans le vrai, c'était à cause de la superbe infortune de notre situation. Puis nous avons été forcés de rester ensemble, et dès que j'ai commencé à gratter cette surface, j'ai pu apercevoir une personnalité plus complexe.
On pourrait le dire pour beaucoup d'entre nous: Ayura n'a pas sa place dans ce monde.
C'est tout d'abord ce que j'ai pensé, tandis qu'après s'être mise en danger pour la beauté de la gloire, elle s'est trouvée guettée par des assassins. Mais plus je la vois manier son arme, plus j'ai l'impression de perdre mes propres repères. Les choses ne sont peut-être pas si simples en fin de compte; j'ai le sentiment de ne pas être le même que celui que j'ai été, pourquoi en serait-ce différent pour les autres? Et si c'était Sword Art Online qui la révélait?
C'est peut-être pour cette raison que je veux la voir survivre: je veux être témoin de son accomplissement. Y contribuer d'une manière ou d'une autre n'est qu'un bonus car tout le mérite lui revient. Elle est partie de rien ici, ne connaissait que le strict minimum des jeux vidéo - et encore - et elle se prépare pour la deuxième fois à une bataille majeure. Peu ont la capacité de se vanter de tels exploits.

Les yeux ouverts en grands, je perçois son sourire étonnamment paisible. Quelques instants plus tôt encore, Ayura avait peur. De tout, du danger, du Boss, d'aller de l'avant. Et maintenant elle sourit. Contrairement à ce que beaucoup pourraient penser à son sujet et sous ses airs enfantins, ce n'est pas de l'inconscience. Sa résolution de contribuer à la libération de nos chaînes est palpable, je la sens faire vibrer le sol à chacun de nos pas ensemble.
C'est un courage que j'admire. Car même ignorant tout, même aveuglée par son manque de connaissances, elle prend les choses en main pour orienter sa destinée.
Et ça, c'est la raison qui me fait vouloir la protéger. Rien ne doit l'atteindre tant qu'elle avance.
Mais il y a peut-être plus encore.

Je referme les lèvres en cherchant à ne pas témoigner mon embarras. Alors que je ne voulais plus être seul j'ai rejoint d'autres gens, mais une fois mêlé à un groupe j'ai souhaité à nouveau la solitude. Peut-être qu'en fin de compte, c'était la complicité que je cherchais vraiment. Dans le cas d'Ayura, elle n'a jamais vraiment souhaité être seule; tout ce qu'elle voulait était la liberté. Pour moi c'est ce désir qui l'a fait demeurer Solo Player malgré toutes ses qualités humaines qui l'auraient faite s'intégrer à une guilde en un temps record. Pourquoi perdre ce statut, pourquoi maintenant? Si je suis la cause de cette décision à l'encontre de ses convictions, je crois qu'on se ressemble plus que je ne l'aurais imaginé.

Et je n'ai pas honte de dire que j'ai peur de l'impliquer d'une manière ou d'une autre dans ma propre sécurité. Je la connais assez pour savoir que s'il m'arrivait quelque chose un jour, elle ne pourrait pas se le pardonner même si elle n'y était pour rien.


- Haha...

Mes épaules se soulèvent et je baisse la tête en esquissant un sourire. Puis, marquant un silence, je redresse le visage pour rire doucement.
Je crois qu'il n'y a pas que de la peur qui se laisse submerger par ce soulagement. Quelque chose de bien plus puissant que le pire des dangers qui pèserait sur ma conscience.
Je me sens en sécurité. Pas parce que nous sommes en Safe Zone, mais parce que j'ai quelqu'un sur qui m'épauler. Quelqu'un que je pourrais suivre en aveugle dans le noir sans éprouver la moindre menace.
J'ignore depuis combien de temps il en est ainsi, ni depuis combien de temps ce sentiment m'habite déjà. Car là... Si je ferme les yeux et que je songe à la première personne que je ne veux pas voir mourir ici, c'est le visage de Sachi qui apparaît dans ma mémoire. Sa sécurité m'obsède et dès que nous ne sommes plus ensemble, je crains pour sa vie.
Mais dès que j'en viens à penser à celle entre les mains de qui j'ai laissé ma survie... Une rapière pourfend l'obscurité de ces sombres tourments.


- Tu n'auras pas à le faire.

Je tourne les yeux vers elle pour lui rendre son sourire.

- Quand j'ai vu que malgré tout ça... Tu as quand même souhaité participer à la bataille, j'ai demandé à ce que notre équipe prenne le pas sur la guilde des Lames d'Argent.

Prenant une inspiration pour oxygéner mes pensées, je décèle ma propre assurance. Taire cette décision était une erreur car elle serait partie au combat avec des états d'âme qui n'ont pas lieu d'être sur le champ de bataille.
Je lève une main vers elle, les doigts repliés à l'exception de l'auriculaire.

- Alors... Je compte sur toi demain. Fais-en de même, parce que je veillerai sur toi en retour.

Dévisageant ma main depuis un moment comme une bête curieuse, je suis ses yeux avant de grimacer en détournant les miens.

- Euh... T'es censée serrer mon petit doigt, là. Sinon c'est plus un serment.

Inconsciemment, ma voix diminue jusqu'à ce que j'en vienne à marmonner tout en lui adressant un regard en coin embarrassé.

- Ah oui?

Penchant légèrement la tête sur le côté, je l'observe interloquée. Depuis mon émancipation d'avec Rin, je n'ai jamais souhaité rejoindre de guilde car je voulais mon entière liberté. Cette idée m'obsédais. C'était en fait tout ce que je voulais. Quand je l'ai obtenue, j'ai alors pris la décision de devenir plus forte pour aider les joueurs, et ce à mon rythme car j'entendais bien profiter de l'Aincrad aussi. Puis j'ai rencontré Kirito. Ma routine de Solo Player a évoluée vers celle d'une équipe. Je ne saurais d'ailleurs définir le moment précis où je suis passée du statut de "newbie" à "coéquipière", mais les faits sont pourtant là. Nous combattons côte à côte en comptant l'un sur l'autre, nous n'avons plus vraiment besoin de parler quand il s'agit d'agir, nous fonctionnons ensemble comme les rouages d'une machine bien rodée. C'est la raison pour laquelle je ne veux actuellement pas intégrer de guilde. Ce quotidien qui ne devait pas durer me plaît et j'avoue ne pas avoir hâte qu'il prenne fin. Alors si je peux repousser l'échéance au plus loin possible... Malgré ça, j'étais prête à sauter le pas parce que sa sécurité doit passer avant cet attachement pour notre style de vie, avant cette obsession de liberté, avant tout le reste. Je veux qu'il se sorte indemne de ces mois passés en immersion, qu'il retrouve une vie normale et... Le retrouver là-bas. Sans m'en rendre compte, j'ai soupiré de soulagement en l'écoutant car ce choix aurait sans doute été l'un des plus difficiles à faire depuis mon arrivée dans l'Aincrad.

- Kirito... Tu as vraiment pensé à tout, pas vrai?

Malgré moi je me prends à sourire encore, bien plus détendue que jamais. Cette conversation m'a véritablement enlevé un poids conséquent des épaules. J'ai parfois cette drôle d'impression qu'il est capable de lire en moi comme dans un livre ouvert - et parfois pas du tout si bien que dans ces moments-là des panneaux lumineux ne suffiraient pas. Dans ce cas précis, il avait un coup d'avance que je ne soupçonnais pas mais qui pourtant m'a réellement touchée. Pour se présenter contre le Boss, il me veut en tant qu'équipière à ses côtés. De cette façon nous pourrons veiller l'un sur l'autre mais pas que, cela signifie aussi qu'il nous place sur un pied d'égalité de ce point de vue-là et c'était l'une des choses que je souhaitais par dessus tout.

Devant tant d'enthousiasme et de détermination, je lui offre un sourire plus sincère que jamais tout en scrutant ses prunelles assombries par la nuit. Ses mèches rebelles tombant sur son visage pâle mais éclairé par les douces lueurs de la ville lui donnent un aspect mystique presque intimidant si je ne le connaissais pas. Alors que je l'observe encore, il lève une main qu'il approche de moi, le petit doigt en l'air, sans dévier le regard. Je n'en suis pas certaine, mais je crois qu'il attend que j'en fasse quelque chose. Allez savoir pourquoi j'ai d'abord pensé à lui souffler dessus comme on le fait avec les pissenlit quand on a un vœu à faire -mais heureusement j'ai eu la présence d'esprit de ne pas passer à l'acte. Un peu gênée, je lui souri faiblement lorsqu'il brise enfin le court silence qui s'était installé.

- O-Oh!

Mon regard s'illumine lorsque je comprends et dans un même temps je saisis son petit doigt avec le mien. J'avais déjà vu ce genre de promesse en regardant des séries mais j'avais pensé que ce n'était pas quelque chose qui se faisait dans la réalité. Il ne s'en doute certainement pas, mais nous venons de sceller mon premier Pinky Swear.


Un sourire encore collé sur les lèvres, je détourne les yeux pour observer l'immensité du monde et ses contrastes. Les lumières de la ville n'ont rien à envier aux constellations célestes. D'ici, je crois en distinguer une similaire à celle présente le soir dans le palier numéro neuf. Lorsque nous avions dormi sous le ciel nocturne, nous les avions longuement observées. Souriant pensivement, j'aperçois une étoile filer à toute allure vers l'Ouest. Alors qu'elle n'a pas encore tout à fait disparue, je la pointe du doigt et me tourne vers mon ami, un grand sourire aux lèvres.

- Regarde !  Une étoile filante !

De l'autre côté, il n'était pas rare que je l'observe en pensant à des histoires que j'avais lues. J'avais l'impression d'être ridiculement petite par rapport à l'immensité que représente cette voûte brillante. Cependant, en plein milieu de Tokyo, il était extrêmement rare que tout soit assez bien dégagé pour voir des étoiles filantes. En voir ici en sa compagnie me rend vraiment heureuse. En y pensant, je détourne à nouveau les yeux du ciel pour me tourner vers lui, l'air particulièrement paisible.

- Fais un voeu, Kirito.