Little mouse in a cat land

Les festivités d'après bataille ont eu un goût de magie, de monde réel agrémenté d'une ambiance paisible. Tout le monde est heureux d'avoir de nouveaux paliers débloqués et bien entendu, la joie est décuplée par le fait que personne n'ait perdu la vie durant le combat. Ainsi, ce soir,  aucune zone d'ombre n'est venue entacher la fête, sauf peut-être deux crétins qui avaient fini par se mettre à dos tous les membres du front. A cette heure-ci, le rassemblement n'est pas encore terminé, pourtant nous avons décidé de rentrer à la maison. Du moins je l'ai décidé en retrouvant un Kirito assis sur un banc, les bras croisés sur la table, la tête dedans et le tout posé à côté d'un verre d'alcool vide. J'ai longtemps pensé que les joueurs ne pouvaient pas être ivre en buvant avant de me rendre compte que, je ne sais comment, mon ami a trouvé le moyen d'en ressentir les effets. Malgré ses dires, cet idiot à moitié endormi ne marche ni droit ni rapidement. Je me cale alors sur son rythme de marche, prête à le soutenir s'il bascule trop à gauche ou trop à droite.

Si on m'avait dit que je devrais le traîner ivre jusque chez nous... Tsss...


Le retenant par le col je l'empêche de prendre l'intersection et le force à me suivre malgré ses râles. Je ne veux pas lui montrer mais à vrai dire, je suis plus amusée qu'agacée de le voir ainsi. C'est peut-être la première fois que je le vois se laisser aller ainsi, ne pas réfléchir et juste... Se laisser porter par l'instant. L'alcool doit sans doute en être la cause mais j'espère au fond de moi qu'il y a aussi une part de bien être qui joue dans cet état. Inspirant profondément l'air factice mais agréable d'une nuit d'été, je m'étire tout en marchant, particulièrement satisfaite. Bientôt je me laisserai lourdement tomber sur le lit pour ne plus en bouger et cette idée, aussi alléchante qu'attirante guide mes pas qui se font de plus en plus rapides.

Le voyant ralentir, je continue à marcher devant lui tout en gardant un œil sur son avancée. De toute façon nous sommes bientôt arrivés alors ce n'est pas grave s'il traîne un peu.

Un rire me stoppe net.

                                                               

                                                                                               


Les yeux écarquillés je n'ose plus bouger une oreille, fixant le groupe de joueurs rassemblé devant l'appartement de mon ami. Ce dernier en revanche ne semble pas avoir mesuré l'ampleur de la situation... Non... Pire... Il n'a rien remarqué. Alors qu'il me passe devant je saisis vivement sa manche pour l'empêcher d'avancer davantage.


Ma voix, ce murmure brisé et à peine audible trahit l'effroi qui raisonne en chacun des pixel composant mon avatar. J'aurais voulu bouger, réagir, le prévenir, m'enfuir en courant avec Kirito mais... Je suis paralysée.

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Il y a deux choses primordiales qui me laissent songeur, alors que j'emboite le pas d'Ayura.

La première est que je n'ai jamais bu d'alcool. J'ai été tenté plus d'une fois, mais préférant être raisonnable, je me suis toujours juré d'attendre encore au moins quelques années avant de prendre mon tout premier verre. Je suis l'ainé d'une petite soeur, je dois être une figure décente à suivre pour elle. J'ai échoué, et même lamentablement depuis quelques années; mais sur ce plan, je n'ai pas entraîné Suguha dans une forme ou une autre de débauche qu'elle n'a manifestement pas déclenchée d'elle-même.
Puis lors de cette fête, porté par l'euphorie de la bataille et des feux d'artifices de fin de soirée, j'ai remarqué comme un appel les différentes bouteilles laissées à disposition et qui ont fini par me séduire. C'est le deuxième point qui m'a convaincu de me servir un verre.

L'ivresse dans Sword Art Online est impossible. Kayaba Akihiko semble tenir une importance particulière à laisser les joueurs totalement libres de leurs moyens, capables d'être réactifs face au danger, et ce à tout moment. Je n'aime pas devoir l'admettre dans un tel contexte, mais celui qui nous retient captifs n'a pas seulement créé un monde virtuel; mais aussi un jeu. Nous allons vers l'ascension tant que nous suivons la route tracée, ou que nous trouvons un moyen d'exploiter son système pour converger à un même résultat. Il serait pourtant possible, avec une technologie FullDive capable de décoder et interpréter les transmetteurs sensoriels neuronaux, d'en créer de nouveaux faits de toutes pièces. C'est d'ailleurs le cas quand nous marchons, respirons, nous baignons par exemple. De fait, si l'état d'ébriété ne figure pas dans cette liste, c'est un choix assumé par les développeurs.

Alors... Pourquoi mes pensées sont-elles obstruées par ce nuage trouble?


Le regard lointain, ma concentration est intensément dirigée vers cette question simple. Je n'arrive pas à comprendre comment c'est possible. A l'instar de la douleur, à moins de s'imaginer des choses elles ne peuvent arriver. Peut-être qu'une part de ma conscience, coupable à force de se répéter 'je suis en train de boire de l'alcool', un verre en main, l'a véhiculé en quelque chose de désagréable dont je subis les conséquences.
J'ai depuis beaucoup plus de mal à réfléchir, car le moindre détail me distrait. Par exemple je n'ai pas fait attention à la présence d'Ayura jusqu'à ce qu'elle me secoue doucement l'épaule. Relevant la tête vers elle, j'ai réalisé que je me suis endormi sans même m'en rendre compte.

D'une démarche peu assurée, je la laisse mener. Même si l'orientation n'est pas son fort, nous avons déjà fait ce chemin à l'aller et à force d'arpenter les mêmes étages, je suis sûr qu'elle les connaît.
Elle connaît d'ailleurs très bien les raccourcis de la grande ville du quinzième palier. Je m'en rappelle parfaitement; au départ elle refusait de passer par des endroits éloignés et peu éclairés de la rue principale alors qu'ils mènent plus directement à notre appartement.

Cette fois, elle aurait eu raison.

Avançant en me fiant à mon corps qui se souvient lui aussi du chemin, je reste à méditer sur cet état second et le temps - indéterminé - que va demeurer ce debuff. Sans lui, j'aurais décelé cette présence en même temps qu'Ayura; du moins elle n'aurait pas eu à me la faire remarquer.
Comme si elle me tirait d'un mauvais rêve, je cille plusieurs fois et quand ma vision se précise, je plisse les yeux. Devant notre logement sont rassemblées deux, non trois - non, quatre! - silhouettes. La première est adossée au mur, la seconde assise près de l'entrée.

Sans prendre le temps de détailler les autres, je me tourne vers la jeune fille: son expression livide est figée dans la terreur et depuis qu'elle m'a appelé, elle semble mutique.


Sans réfléchir davantage, je saisis son poignet alors qu'elle a cessé de bouger et l'emmène vers la fin de la ruelle que nous venons de quitter. A l'ombre du bâtiment, le dos contre la pierre, je penche la tête pour tenter de mieux voir en activant [Dissimulation].
Que font-ils ici? Pourquoi? Ils ne sont pas là par hasard, c'est certain. Si j'ai choisi cet appartement, c'est précisément parce qu'il est, sur la carte de l'étage, le plus éloigné de l'agitation urbaine et ses alentours dénuées d'un intérêt notable pour les players.

Ils cherchent quelque chose. Peut-être même qu'ils nous cherchent, nous.


J'ai d'abord hésité à y aller, redevenir bien visible et avancer en ligne droite pour le leur demander directement. Mais révéler ma position entraînerait celle d'Ayura avec moi, et j'aimerais qu'elle reste à l'abri.
Contraint, je parle à voix basse, même si ce constat me déchire le coeur.


A ces mots, je me tourne vers elle en serrant doucement son poignet. Mais...

- Ça, je te l'fais pas dire.

Toute l'assurance emmagasinée pour deux retombe aussitôt.

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Je ne sais pas ce qui m'a effrayé en premier.
Une voix moqueuse vient de raisonner dans mon dos. Je suis certain de ne jamais l'avoir entendue. L'instant d'avant encore je regardais dans cette direction et je n'ai pourtant vu personne! [Dissimulation] est pourtant encore actif; est-ce qu'il a été capable de nous déceler malgré tout en palliant avec d'autres sens?
Dans ce cas, il n'est pas le seul. Car face à moi se tient un joueur que je n'ai jamais vu, plus haut et plus large, qui esquisse un sourire alors que son visage est à moitié dissimulé par l'ombre du bâtiment plus sombre que la nuit. Et surtout, ce qui couronne le sommet de sa tête, bien visible dans la pénombre: un cristal orange.
Je ne laisse pas à mon esprit le temps d'analyser la dangerosité de la situation quand je recule d'un pas, le bras tendu, pour forcer Ayura à rester derrière moi. Lorsqu'un deuxième se profile, j'active [Vision Nocturne] pour essayer d'engranger le plus d'informations possible.

Désormais en sécurité, je tente de comprendre comment c'est possible. Près de notre appartement, c'étaient bien quatre cristaux verts qui guettaient. En outre, c'est la raison pour laquelle je n'ai pas tout de suite compris l'effroi d'Ayura. Dans une Safe Zone, un joueur ne peut perdre de vie, les attaques ne sont là que pour surprendre et - au pire - knockback la silhouette. Les Red Players n'y ont pas leur place car aux abords des entrées de chaque zone habitée, des NPC gardent l'entrée et les pourchassent.

Alors comment ces types considérés par le système comme des criminels en fuite ont pu arriver jusqu'ici? S'ils ne peuvent blesser d'autres joueurs au sein de ces murs, leur présence relève déjà de l'exploit. Je n'ai qu'une seule possibilité en tête, et elle accuse un bug. Mais gagné par un mauvais pressentiment, je relève les yeux vers l'une des tours de garde: l'homme a quitté son poste.


Quelqu'un a servi de leurre pour permettre à ces joueurs de s'infiltrer en ville. Dans mon dos, je devine la peur d'Ayura, demeurée tétanisée. Et même si je tente de rester calme, je sens la mienne monter.

- HAHAHAHAHAHA! Tu devrais voir ta tête mon gars!


Je me retourne en essayant de maîtriser ma voix tandis que le type, hilare, passe une main dans ses cheveux. Son visage est bien visible dans la clarté nocturne; mais c'est un Green Player lui aussi, peut-être même un simple mercenaire venu aider ces gens contre une somme conséquente. Gardant un sourire aux lèvres, il appuie sa main sur sa taille.

- C'est p'têtre plutôt à nous de poser des questions, non?

Je serre les dents. Réalisant que nous sommes en territoire sécurisé, je redresse un peu la tête.


Son visage adopte une expression indéchiffrable qui me fait redouter de manquer d'une information cruciale provoquant une faille dans le raisonnement.

- Haha! Parce que tu crois vraiment qu'on ne pense qu'au meurtre?

Je me tourne à nouveau vers l'un des deux orange qui avance d'un pas tandis que je recule pour conserver la même distance, amenant presque ma partenaire contre le mur. Je ne comprends pas ce que sa remarque implique, mais toutes les possibilités me glacent: le vol? La torture? Le rapt?
Alors que je songe aux pires éventualités, je vois l'un d'eux avoir un bref regard pour la jeune fille avant de le remonter vers moi.


A ces mots, je tire mon épée de son fourreau. Je vois distinctement que l'un d'entre eux ne me prend pas au sérieux, tandis que le corps d'un autre se raidit. Le troisième hausse les épaules.

- Et tu feras quoi, avec ton épée?

En pensant déceler dans sa question une lueur de sincère interrogation, je décide de jouer la carte de l'assurance. Esquissant un sourire railleur, je la place en garde diagonale.


Je suis 'l'épéiste noir'. Je suis un membre récurrent du front de libération. Un vétéran du combat. Le seul à avoir vu tous les monstres bloquant l'accès aux nouveaux paliers.
C'est ainsi que les inconnus me perçoivent sans même me connaître.
Ces faits, j'ignore encore comment avec précision, se sont répandus comme une trainée de poudre dans tout l'Aincrad. Mais cette-fois encore, cette réputation me fait profit: car si ces informations sont avérées, elles impliquent que je peux savoir des choses que les autres ignorent.
Encouragé par ce tour de bluff, je serre la fusée de mon épée.
Visiblement provoqué, l'homme tire son épée à son tour et se penche pour charger.

- C'est bon, laisse tomber.

Approchant de lui, le type au curseur vert tapote son épaule et tout en regardant le ciel, il finit par adopter un ton étonnamment las.

- De toute façon on est pas v'nu pour nous battre.


La réponse se trouve dans les regards parfaitement accordés. Installant un silence insupportable, tous baissent les yeux.
Et tous regardent l'escrimeuse.


Tout est allé très vite.
J'ai rangé mon épée tandis que j'ai pivoté sur mes jambes en perdant de la hauteur pour m'approcher du sol. Un genou à ras des pavés, j'ai croisé les doigts près de son pied et dès qu'elle le pose, je l'envoie aussi haut que possible en direction des toits.
Elle s'en sortira.
Elle a les capacités de s'en sortir.
C'est un membre du front après tout.
C'est ma partenaire, j'ai vu de quoi elle était capable!

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Les doigts crispés sur le tissu, mon corps ne répond plus, glacé par les frissons d'effroi. Mon ami se retourne vers moi et il semble à son tour comprendre qu'à présent, notre lieu de repos est devenu une source de danger. Inutile de lui en dire davantage car l'instant d'après, il saisit mon poignet et me force à nous éloigner. Et ce n'est que maintenant, sous l'impulsion donnée par Kirito que mon corps se remet enfin en mouvement.

Pour le moment, il est encore difficile de déterminer les intentions des hommes qui nous attendent, mais une chose est certaine : ils sont là pour nous. Je n'ai pas envie d'y croire, je n'ai pas envie de l'envisager mais... Cette voix que j'ai entendue me fait douter.

Rin... Qu'est-ce que tu as fait... ?

Mon ami d'enfance devenu un Monster Player Killer est parfaitement imprévisible, si bien que si je le connaissais par coeur avant, maintenant je ne suis plus capable de le cerner, de comprendre ses intentions et... Cette nouvelle personne qu'il est, les fréquentations douteuses qui l'entraînent probablement davantage encore dans les méandres de la criminalité me font terriblement peur.

Arrivés dans l'ombre d'un bâtiment non loin de chez nous, nous stoppons notre course. La lumière jaunâtre des lampadaires donne à la scène une ambiance assez glauque, presque suffocante. Les ombres semblent plus noires, plus effrayantes, et les zones éclairées ne me rassurent pas davantage. Tout comme Kirito, j'active [Dissimulation] afin de disparaître de la vue de nos potentiels poursuivants. Puis, sans un mot, je relève la tête vers mon coéquipier. J'avoue ne pas savoir comment réagir, quoi faire. L'endroit le plus sécurisé de tout l'Aincrad, l'endroit dans lequel je me sentais en confiance totale vient d'être pris d'assaut... Dans ce cas, que devons-nous faire? Nous enfuir? Mais pour aller où? Rester et nous battre? Ils sont bien trop nombreux et de toute façon, pour leur faire subir des dégâts il nous faudrait sortir de la Safe Zone ce qui est parfaitement hors de question. Préférant m'en remettre à son jugement, j'acquiesce d'un signe de tête quand il m'intime de partir.

Oui... Nous enfuir... C'est encore la meilleure des solutions... On trouvera bien un...

Une nouvelle voix tranche le fil de mes pensées. Relevant vivement la tête, je recule d'un pas en voyant un type puis un autre et un troisième nous barrer la route. Ils sortent de toute part et leurs sourires lugubres à peine éclairé rajoutent quelque chose de terrifiant à la scène déjà digne d'un film d'horreur... Mon coeur s'emballe alors que je ne devrais pas le ressentir, pourtant la vue de ces cristaux oranges ne me laisse pas de marbre. Kirito non plus, je le sens bien. Ici, nous sommes en ville, en Safe Zone, nous sommes sensé être en parfaite sécurité alors... Comment des hommes aux curseur orange ont-ils pu se faufiler jusqu'ici alors que normalement le système les chasse pour protéger les joueurs ? C'est impossible... Impossible... En y pensant je recule encore un peu, restant derrière mon ami qui semble vouloir prendre les choses en main. J'aurais voulu l'y aider, j'aurais voulu le protéger... Mais... Mais je n'y arrive pas... J'aimerais... J'aimerais qu'on me fasse disparaître là, maintenant...

Non... Non... Je dois... Je dois faire quelque chose...

Ma main tremblante vient se poser sur la garde de mon arme, prête à la dégainer. Après tout nous ne sommes pas de petites choses sans défense... Nous sommes des combattants du front, nous avons appris à nous défendre et à attaquer des monstres, peu importe leur forme, ou leur taille... Et... Et Thelos m'a aussi entraînée à me battre contre des hommes...


Réalisant que ce qu'il vient de dire ne s'adresse pas à moi mais à mon ami qui a eu la même idée que moi, je me rends compte après coup que nous défendre avec des armes est parfaitement inutile ici. Profitant d'être dans le dos de mon ami et donc un peu cachée, je tente de me calmer pour chercher une solution à cette situation. Pour commencer, quatre types nous attendent près de chez nous et trois nous entourent. Cela signifie que tout l'étage est probablement infesté. Fuir dans cette ville et s'y cacher n'est donc pas une option. La meilleure serait sans doute de récupérer un cristal de téléportation et de nous enfuir. L'ennui c'est que pour cela, nous devons énoncer à haute voix l'étage dans lequel nous devons nous rendre. Ils pourraient donc nous suivre s'ils ont la possibilité de pénétrer dans les villes. Fronçant les sourcils et serrant les poings, une autre solution se profile dans ma tête. Si c'est bien Rin qui les envoie alors Kirito ne risque rien... Si je m'enfuie maintenant... Si je disparaît... Alors il ne sera plus en danger...

M-Mais... Je n'ai... Je n'ai pas envie de rester toute seule...

Ravalant cette idée comme un sanglot en me sentant parfaitement égoïste, je remarque que tous les regards sont braqués sur moi. Figée, je ne comprends pas ce qui se passe quand tout à coup, Kirito se baisse en criant mon nom. Instinctivement, je pose mon pied entre ses doigts et l'instant d'après, je suis propulsée dans les airs. Comprenant que cette fenêtre de sortie sera probablement la seule que nous aurons, j'active [Acrobatie], ce qui me permet de me réceptionner sans mal sur le toit de la maison se trouvant juste au dessus du tumulte. Une main et un genoux encore sur les tuiles, je tourne vivement la tête afin de vérifier la position de Kirito. Il est hors de question de m'enfuir sans lui!

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Le soulagement ressenti en entendant les pas, discrets mais perceptibles, d'Ayura se réceptionnant sur le toit n'est pas feint. Si je m'étais à ce moment-là retrouvé seul, j'aurais soufflé l'air emmagasiné en laissant mon corps s'avachir. Mes jambes me soutenant grâce aux nerfs auraient succombé et j'aurais reculé de quelques pas pour m'adosser au mur, une main posée pour rester debout. Ou alors je me serais laissé tomber jusqu'aux pavés. J'aurais esquissé un sourire en lui disant qu'on l'avait échappé belle.
J'en mourrais d'envie. Mais la tension demeurait omniprésente autour de moi - peut-être plus encore. Car même si Ayura était la cible de cet assaut et qu'elle était à l'abri, j'étais désormais seul dans la cage aux lions.

Mes yeux balayèrent l'espace pour essayer d'en tirer le plus de données utiles. Il y avait une caisse en bois contre l'un des murs, pas assez haute pour me servir et trop loin car derrière les types. Dans mon dos rien d'intéressant, je connais la vision des bâtiments côte à côte par coeur à force de les voir depuis mon appartement. Autour de moi, trois types plus grands.
Mais mes compétences sont sans doute supérieures aux leurs; pas seulement en combat, mais aussi pour se mouvoir.
Du moins je compte là-dessus.


- Tu ne vas...

Je ne laisse pas le temps au troisième type de terminer sa phrase. Cherchant à réfléchir à toute vitesse, je détermine une trajectoire, recule un pied et m'élance.
Droit vers le mur.

- H-Hey...


L'un d'entre eux est plus réactif - et malheureusement, c'est le plus près. Alors que je le dépasse tout juste et que j'ai sauté de quelques centimètres, je sens mon bras fermement saisi et mon élan aussitôt freiné: maintenant il me tient au sol. Regardant mon bras serré dans sa main, puis son visage, je tire dans un réflexe naturel purement défensif.

- Je pensais que tu voulais te battre, pas nous fausser compagnie.

Comme ayant soudain un mauvais goût dans la bouche, il crache de la salive sur le sol, avant de relever la tête pour me toiser d'un regard médisant qui me laisse penser que je suis à ses yeux particulièrement insignifiant.

- Crevard.

Malgré moi, je ne peux m'empêcher de vérifier la position d'Ayura. Et loin au-dessus de nos têtes, sur les toits, je distingue nettement son cristal vert et ses cheveux blonds dans l'ombre nocturne.


Les deux autres s'approchent.


Le geste est aussi vif que j'en suis capable. J'empoigne dans le dos la tunique du type aussi haut que possible, soit au sommet de son omoplate, et je serre le tissu. Tirant de toutes mes forces pour l'amener à basculer vers l'avant, je fais pivoter par-dessus mon coude sa stature plus importante, comme si elle ne pesait guère plus que la silhouette d'à peine un-mètre-cinquante d'Ayura.
Il vient de commettre une erreur: peu importe la force qu'il avait, peu importe combien il me surplombe. C'est un principe simple - le premier! - qu'il a oublié. Si mes statistiques ici demeurent meilleures que les siennes, peu importe notre carrure, il ne peut me retenir.
Car je suis plus fort. Tout simplement.
Je profite qu'il soit à terre, l'étreinte sur mon bras plus lâche, et ses acolytes stun par la surprise pour reprendre mon plan initial.
L'élan en moins.
Activant [Acrobatie], je saute aussi haut que le skill me le permet pour atteindre les briques apparentes sur la façade. Et une fois accroché d'une main, je m'aide de la seconde, puis d'un pied, pour faire volte-face et sauter plus haut encore, sur le bâtiment où Ayura m'attend depuis le toit.


Ma main manque de justesse le rebord.

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De là où je me trouve, mis à part les cristaux Players je ne discerne pas grand chose car les tuiles bloquent une partie de mon champs de vision. Pour autant, je ne bouge pas dans l'espoir de voir mon coéquipier arriver à ma suite. J'ai conscience qu'ayant déjà usé de la surprise, il aura du mal à les avoir deux fois... Il va donc devoir trouver un autre moyen de me rejoindre. La force probablement, car si la spontanéité ne fonctionne pas à chaque fois, il reste plus puissant que la plupart des joueurs de l'Aincrad, et ça, c'est un fait inéluctable. Fronçant les sourcils, je relève la tête et observe les alentours. Ces trois hommes ne sont pas seuls en ville, il nous est impossible de connaître leur nombre exact... Ce qui fait que nous ne sommes en sécurité nulle part et que nous disposons de peu de temps avant que leurs renforts ne rappliquent.

Allez Kirito... Monte... Dépêche-toi...

Préférant rester discrète, j'ouvre mon navigateur et y récupère une cape à capuche rouge que j'équipe avant de me baisser pour ne pas attirer les regards. D'un geste trahissant mon impatience et ma crainte, les doigts de ma main droite se mettent à tapoter silencieusement les tuiles dont je ne perçois presque plus la couleur ocre tant il fait sombre. Et enfin, après avoir entendu des râles, je vois mon ami bondir contre un mur avant d'assurer un nouveau saut vers moi. Et mon coeur manque un battement une fois de plus. Faisant une utilisation régulière de la compétence Acrobatie, je comprends dès que ses pieds quittent le mur qu'il n'a pas assez d'élan pour me rejoindre.

Il va tomber!

D'un bon je m'élance vers lui et rattrape son avant-bras in-extremis tandis que je tombe accroupie pour tenter de faire contre-poids. Ma crainte était de tomber avec lui, ce qui aurait été le pire scénario possible car nous serions revenus à notre point de départ mais par chance et à l'aide de mes deux mains je parviens à le hisser jusqu'à moi. Relevant un visage livide vers lui, je souffle de soulagement.

Mes yeux affolés scrutent sa jauge de vie quelques secondes avant de fixer ses prunelles sombres. Bien que ces hommes au curseur orange soient en ville, nous ne demeurons pas moins en Safe Zone, ce qui implique que peu importe ce qui se produit, nous ne pouvons en aucun cas perdre de vie ici. Rassurée, je lui lance alors:


Il est évident que nous ne devons pas rester ici, mais j'ignore où nous pourrions aller, où nous serions en sécurité et mes idées sont si embrouillées que je ne parviens pas à réfléchir correctement, objectivement.

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Je me suis vu tomber.

Horrifié, mon regard scrute mes doigts écartés, passant à quelques centimètres de l'extrémité du toit. Pris d'un vertige gelant mes sens, je sens mon corps précipité vers le sol par la gravité, entraînant dans sa chute une sorte de malaise remontant jusqu'à mon esprit. A quelques mètres en dessous de nous, c'est une meute de hyènes enragées qui en ont après ma partenaire, considérée comme une proie. Si j'échoue, alors je deviens le met de substitution.

Heureusement, cette sensation terrible ne dure que quelques instants; car ma coéquipière est plus qu'une créature sans défenses.
Dès que je sens ses mains empoigner ma manche droite avec force, c'est comme une décharge électrique puissante qui réanime tous mes muscles et toutes mes pensées.
Je pose un pied sur le mur pour l'aider, et une fois hissé un peu plus haut, j'agrippe avec la main gauche le rebord et saute aussi verticalement que possible pour atterrir - enfin! - sur les tuiles. Les pans de mon manteau claquent l'air une dernière fois comme pour narguer nos prédateurs puis le mouvement redevient inerte. Je me redresse doucement en regardant derrière moi pour les voir, tête levée, nous observer depuis le contrebas et hurler leur rage.
Si nous avions été séparés, ils auraient gagné, c'est certain; mais rien n'est perdu et nous pouvons fuir, car nous sommes une équipe.

Résolu, je regarde la manieuse de fleuret en hochant doucement la tête.


J'active [Sprint] pour me mettre à courir sur le toit, et [Acrobatie] pour rejoindre le suivant une fois au bout de la trajectoire. La veille au soir, c'est dans une ambiance paisible pour surmonter la crainte que nous nous sommes ainsi promenés parmi les hauteurs et les lumières.
Désormais, l'air de la ville me semble suffocant et hostile.


Atteignant le portail de téléportation plus vite grâce à cette course rapide permettant de nombreux raccourcis sans avoir à longer les bâtiments, j'annonce à voix basse notre destination, l'un des villages du dix-huitième étage. L'endroit est couvert de nombreux hameaux indépendants; si jamais on voulait nous prendre en chasse, il leur faudrait beaucoup de temps pour nous retrouver dans l'un d'eux. Une fois sur place, je me rends vers une chaume où j'ai séjourné l'espace d'une nuit pour réserver l'étage de la maison modeste habitée par des NPC.

J'ignore quoi faire ensuite, je n'ai pas eu le temps d'y réfléchir; mais pour l'heure, nous sommes en sécurité.