Rin m'avait soulevée comme si je ne pesais rien. Ce corps n'était qu'un amas de pixels et pourtant j'aurais juré pouvoir sentir mon coeur battre de plus en plus fort. Beaucoup de choses s'étaient produites depuis notre arrivée dans Sword Art Online. Les deux adolescents si complices que nous étions ne se comprenaient plus. Les chemins que nous avions empruntés étaient tout à fait incompatibles, ce qui rendait l'instant particulièrement désagréable. Rin avait dit qu'il m'emmenait en sécurité, pouvais-je seulement lui faire confiance à présent ? Et si c'était vrai, ne risquait-il pas de changer d'avis en cours de route ? Je n'étais pas idiote, mon ami était devenu un criminel et le propre de ceux-ci était de se faire discret, de ne pas risquer d'être attrapé. Maintenant son secret était découvert... Certes nous avions été très proches pendant de longues années, mais cela suffirait-il à me garder en vie ? Même si j'avais peur, je cherchais à me contrôler. De temps en temps, mes prunelles bleues fixaient le visage de mon porteur. Sa coupe de cheveux ainsi que sa couleur avaient changés, il semblait avoir opté pour quelque chose de plus discret. En effet, en matière de design d'avatar, Rin avait toujours eu des goûts particuliers. Celui-ci était attiré par le tape-à-l'oeil, les armures pimpantes, les airs de grands chevaliers over-powerd ainsi que par tout le rôle-play qui allait avec. Aujourd'hui il en était bien loin. Ses cheveux habituellement châtains étaient teints en brun,coupés très courts. Dans le monde réel, arriver à le confronter à un coiffeur était un véritable combat, une guerre qui pouvait s'étendre sur des semaines entières... Il avait tellement changé... Tout avait changé, à l'exception de ses traits fins.

Des tas de questions traversaient mon esprit, aucune ne fut posée.Je ne voulais pas parler, tout ce que je souhaitais était d'arriver dans une safe-zone pour pouvoir m'enfuir et me cacher. Ne plus sortir pendant quelques jours s'il le fallait. J'avais besoin de me sentir en sécurité, entourée et protégée. C'était peut-être un peu égoïste, mais l'enfant qui sommeillait en moi venait de se réveiller. La combattante était redevenue une enfant apeurée.
Et si les autres les avaient laissés en pensant qu'il allait en finir avec moi ? S'ils partaient à ma recherche pour me faire taire avant que je ne les dénonce ? Pourrais-je encore être en sécurité à l'extérieur des villages ?

Après une longue marche nous arrivions enfin à destination. Une vague de soulagement me submergea alors qu'il me déposait au sol. Le symbole de paralysie ne mit pas longtemps à disparaître, ma prison corporelle n'était plus. Doucement, je me relevai, bougeant mes membres un par un comme si j'en avais perdu l'habitude. Rin s'éloigna, de plus en plus jusqu'à disparaître sans que je ne réponde. Je n'avais pas su quoi dire. Allait-on vraiment se revoir ? Et si c'était le cas, dans quel genre de contexte ?
A présent j'étais seule. Le réalisant, je m'empressais de retourner dans le village, trouvant un coin sombre pour m'y planquer. De là, j'ouvris mon interface pour y chercher la position de Kirito. Il se trouvait au palier 14. Il ne m'en fallait pas plus. Tous deux nous étions beaucoup rapprochés depuis notre rencontre, si bien qu'il était devenu la personne en qui j'avais le plus confiance ici. Certes, Thelos aurait également fait partie de ces personnes mais... Etant injoignable, le choix entre les deux était plutôt vite fait.
Pour plus de discrétion, je plaçai la capuche de ma cape sur ma tête avant de me mettre à courir jusqu'au portail de téléportation. Arrivée au quatorzième palier, je me rendis vers l'une des sorties de la ville, m'installant contre un mur. Ne pouvant sortir de la safe-zone, j'allais l'attendre ici. Recroquevillée sur moi-même, j'observais les passants, le regard vif, prête à m'enfuir si cela devenait nécessaire. Mes doigts se crispèrent sur mes jambes tandis que je réalisais ce qui venait de se produire.

-Kirito, je t'en prie... Dépêche-toi...

J'avais murmuré, supplié comme s'il pouvait m'entendre... Cela ne m'était encore jamais arrivé mais cette fois, j'étais vraiment désespérée. Sous ma capuche les sentiments qui se bousculaient devaient être inscrits sur mon visage. Ma peau devait être blafarde, mon regard empli d'effroi, donnant au tout une expression traumatique. Tout mon être était sous le choc.

Les yeux fermés, le dos courbé, et un large soupir expulsé du plus profond de mes poumons. Mes doigts tapotaient ma cuisse dans un rythme effréné depuis cinq bonnes minutes déjà. Mais lassé, je repliai un coude et mes doigts supportaient désormais ma joue. Est-ce que je devais attendre encore longtemps comme ça...? Cela faisait près de quatre heures que j'étais ici. Je redressai un regard fatigué jusqu'au bout de ma ligne qui faisait à peine onduler l'eau à sa surface. Rien à voir avec le courant perpétuel, bien plus fort. Sans doute était-ce ambitieux, pour un si faible niveau de [Pêche], de vouloir commencer par une rivière. En dehors des combats j'étais un parfait novice, et cette réalité implacable prise en plein visage faisait un peu mal.
Je soupirais bruyamment une seconde fois, mais ça n'avait bien sûr aucun effet - et surtout pas l'invocation d'un poisson friand d'appât. [Pêche] était la dernière compétence que j'avais choisie. Je n'avais encore jamais eu l'occasion de l'expérimenter, mais suite à tous ces événements récents il était temps de souffler un peu, de m'aérer l'esprit. En conséquence positive, je serai plus alerte en combat, donc plus prudent et plus efficace. Grave erreur de penser que ce hobby en était aussi un pour moi: rien de paisible, tout de frustrant. Soit c'était calme - beaucoup, beaucoup trop calme - soit je ne ferrai pas ce que j'espérais. Résultat: mon épée encore neuve jonchait à mes côtés, prête à être libérée de l'entrave que représentait son fourreau.
Je ne comptais plus le nombre de visites de Saumons Rose que j'avais déjà reçues. La raison première de ma présence à l'étage 14, c'était l'apparition espérée d'un Ours Brun en quête de poisson. Et après cette chasse infructueuse, j'avais décidé d'imiter les plantigrades et m'étais mis à pêcher à mon tour. Quel succès... Je leur souhaitais d'en avoir plus que moi.

Un nouveau Saumon agressif apparut depuis le côté de la rive, narguant sans scrupules ma ligne qu'il venait de contourner. Sourcils froncés, je tiquai bruyamment et me levai d'un bond.

- Dis donc toi!

Fourreau en main, je faisais paraître la lame sombre qui devenait aveuglante une fois exposée aux rayons du soleil. Alors que son aileron dorsal approchait, je le pourfendais d'un geste net dès que sa face parut hors de l'eau. Ce spécimen-là était escorté de deux compères: à moins qu'ils ne s'alignent, je ne pouvais pas être efficace de la même manière. Je choisissais mentalement celui que je frapperai en premier - celui qui s'approchait de la berge le plus vite - lorsque je vis, à mes côtés, un fil à peine visible se mettre à vibrer. Le vent ne s'était pas levé, ce qui ne signifiait qu'une seule chose: on avait mordu à l'hameçon.

- C'est pas vrai...!

Je taillai hâtivement l'un des monstres et me ruai sur ma canne à pêche que je saisis à une main, épée dans l'autre. Pas même le temps de rengainer puisque son étui avait quitté mon dos! Mais à peine avais-je voulu tirer pour rameuter ma proie que je vis une fine silhouette ombragée par la surface étincelante de l'eau s'éloigner, dans la direction littéralement opposée. Bilan: un heureux - le poisson et un frustré. C'était moi.
Dans un soupir plus rauque, dépité, le cri étrange du Saumon Rose me rappela que je n'étais pas seul pour autant et je laissai mollement ma canne sur le bord du courant pour planter ma lame dans son corps dès qu'il atteignit la terre ferme. Cette journée s'était donc résumée à beaucoup de chair de poisson, mais pas du tout celle que j'espérais et de la manière que j'espérais.

J'étais là depuis la fin de matinée, et mon horloge m'indiquait que j'avais dépassé 16:30. Inutile de rester me torturer ici, il y avait des jours meilleurs que d'autres... J'y songeais en soupirant une nouvelle fois, sans même m'en rendre compte. Mais pas d'Ours Brun et pas de pêche fructueuse pour aujourd'hui. Je rangeai ma canne à pêche dans mon inventaire et équipai à la place mon manteau que j'avais préféré quitter sous le soleil. J'enfilai la lanière de mon fourreau en marche; au moins après tout ça je pouvais me consoler par la splendeur du paysage du 14e et en songeant à un bon repas chaud que je prendrais en ville. Un [Aigle de Guerre] m'avait chargé sur le chemin, et je m'étais rué sur lui dans une [Charge] puissante. C'était une technique que je tentais depuis quelques temps pour porter le premier coup; elle consistait à décaler son centre de gravité vers la direction de l'assaut - souvent droit devant soi - afin de donner l'illusion de mettre plus de poids dans l'attaque, et donc plus de Force. Mais l'équilibre corporel couplé au système faisaient le plus gros du travail. Le bras tenant l'arme n'avait qu'à glisser dans une taille diagonale et le tour était joué. Le pauvre oiseau de proie se désintégra dans un son strident qui s'étouffa peu avant de s'évanouir définitivement. Satisfait de voir que l'entraînement apporté à cette seule technique portait ses fruits, je rengainai calmement: devant moi se dessinaient déjà les bâtiments en pierre du village le plus proche.

Je saluai d'un hochement de tête les PNJ qui gardaient l'entrée - sans réponse attendue, évidemment - et m'avançai vers le café le plus proche. Alors que j'y traînais les pieds malgré moi dès que je songeais à ce jour malheureusement mémorable, je distinguai une silhouette recroquevillée contre le mur adjacent de l'entrée, côté ombre. Je n'étais pas le seul à avoir passé une sale journée, voulus-je me consoler; mais quelque chose tinta en moi dès que je regardai cette silhouette un peu plus longtemps. Je la reconnaissais maintenant.

- Ayura?

Beaucoup de questions fusèrent et se bousculèrent dans mon esprit. La première fut de savoir ce qu'elle faisait ici, contre ce mur extérieur et pas à l'intérieur de la bâtisse. Il nous arrivait relativement souvent de nous croiser par hasard comme cela, une chance sur trente étages. Mais c'était la première fois que je la rencontrai avec une mine aussi terrible. Sa peau naturellement blanche était cette fois blafarde, son regard exorbité. La première question ne fut donc plus la plus importante, et je considérai la joueuse avec tout le sérieux du monde.

- ... Que s'est-il passé?

Note pour la modération:

Les avatars passaient et repassaient toujours plus rapidement tandis qu'ils finissaient par me donner mal au coeur. Ou peut-être était-ce le stress qui n'arrivait pas à redescendre depuis que nous nous étions quittés. Alors que j'étais recroquevillée, personne n'avait pris la peine de me parler. C'était comme si je n'existais pas, comme si tout d'un coup, j'avais disparu. Si seulement je pouvais être invisible... Si seulement tout cela ne s'était jamais passé... Si tout ne pouvait être qu'un cauchemar improbable... Si seulement je pouvais me réveiller... Parfois la réalité était bien trop dure à encaisser. De l'autre côté, j'en faisais souvent les frais... Mais ici était censé être une nouvelle vie, un endroit où j'aurais dû m'épanouir aux côtés des personnes qui comptaient pour moi. Au lieu de cela, le destin m'avait mis une belle raclée. Pourquoi étais-je si confiante ? C'était comme si mon monde venait de s'écrouler. Tout ce en quoi je croyais s'était évanoui dans un nuage de brume, me laissant dans l'obscurité la plus totale, désarmée.

Depuis combien de temps étais-je assise ici ? Devrait-on compter cela en minutes ou en heures ? Une chose était sûre, je n'étais pas ici depuis plusieurs jours. Le temps semblait n'avoir aucune prise sur moi, j'étais figée. Les derniers événements repassaient en boucle dans ma tête sans que je ne puisse l'en empêcher. Voir et revoir ces instants ne faisait qu'accroître l'ouragan de sentiments qui me submergeait toujours un peu plus.
Tous les passants se ressemblaient, ils n'étaient pas Kirito. Mais enfin une silhouette attira mon attention. Elle était sombre et calme, c'était lui. Doucement je redressai la tête, les lèvres entrouvertes. il m'avait vue et reconnue.

-Kirito...

Alors que mes yeux le fixaient, deux larmes glissèrent sur mes joues. Il était là, je n'étais plus livrée à moi-même, ayant pour seule compagnie l'effroi et les images des événements récents qui passaient en boucle dans mon esprit. Celui-ci s'était avancé vers moi, l'air grave. Sans doute avait-il compris que quelque chose clochait. Mes doigts s'étaient un peu crispés tandis que je me relevai, encore tremblante. Autour de nous, des gens riaient, d'autres parlaient forts... Ils allaient et venaient dans la taverne sans faire attention à ce qui se passait autour d'eux. Il me serait impossible de lui parler ici. Et puis, mieux valait éviter de montrer le bout de mon nez pendant quelques temps, je devais me faire oublier.

-Kirito... Est-ce qu'on pourrait parler... Dans un endroit plus calme... ?

Mon regard, aussi effrayé que vide balaya les alentours, ayant toujours cette crainte d'être retrouvée par le petit groupe. Leurs cristaux étant verts, cela signifiait que je pouvais les croiser n'importe où. Cette perspective était d'autant plus effrayante. Cela signifiait que je n'étais en sécurité nulle part. Mes bras se croisèrent dans un attitude de malaise.

-Il... Il vaudrait mieux aller dans une chambre d'auberge... Rester dehors... Ce n'est pas très prudent...

Je crois qu'avant que je l'interpelle, Ayura ne m'avait même pas vu. Son regard m'avait paru tellement troublé... C'en aurait été déroutant pour n'importe qui; mais c'était pire encore quand on la connaissait. Ayura était tout sauf le genre de joueur à se laisser abattre, elle était persévérante et courageuse. Se retrouver ici, cachée par ce grand tonneau qui la dépassait lorsqu'elle était assise, une cape pour la dissimuler... Tout semblait évident. Non seulement il s'était passé quelque chose, mais quelque chose de grave. Ou du moins de très important pour elle.
La petite fille avait levé les yeux, et il ne fallut que prononcer un seul mot pour craquer. Je grimaçai d'effroi, redoutant d'avoir fait quelque chose ou que ce que j'imaginais de la situation était pire que prévu. Maintenant debout son état semblait encore plus critique: à cet air si effrayé, la comparaison avec une souris cherchant un trou pour se terrer se força dans mon esprit. Je secouai légèrement la tête lorsque je remarquai quelque chose: son regard. Maintenant il n'était plus si vague et absent - au contraire. Elle regardait partout autour de nous et je m'étais mis à l'imiter quelques secondes avant de froncer les sourcils quand je la dévisageai de nouveau, stupéfait. Cette peur que je décelai... Avait-elle fait quelque chose? Elle était recherchée? Elle semblait vouloir fuir, partir très loin... Se cacher ne semblait plus suffisant.

Mon cerveau carburait à cent à l'heure. Aller quelque part d'accord, mais où? Je pouvais lui proposer de retourner près de la rivière mais si nous n'allions pas croiser de joueurs alors ce seraient des monstres qui remplaceraient ce décor. Était-elle seulement en mesure de se battre? Un autre endroit alors... Une ruelle que peu de gens fréquentent, il y en a dans toutes les villes et tous les villages. Une Safe Zone en dehors de la ville, et je me tenais prêt à la protéger le temps du chemin? Ayura répéta sa question après un énième coup d'oeil apeuré et soudain toute ma tête se vida, à l'exception d'une seule image. Comme un zoom, elle s'agrandit suffisamment pour me faire comprendre que c'était une évidence. Je ne voyais plus qu'elle désormais. Pourquoi hésiter? Parce que c'était une fille ou parce qu'elle était la première personne que j'emmenai dans cet endroit? Pas le temps pour des questions si futiles, je voyais bien qu'il y avait plus important! Je hochai une fois la tête, convaincu, et scrutai son regard avec insistance.

- ... Viens chez moi.





- Voilà, c'est ici...

A ma suite, la silhouette de la joueuse qui butait sur ses propres pas. Je n'avais rien trouvé de mieux à lui dire, sans doute par pudeur. Je n'étais pas habitué à emmener quelqu'un d'extérieur chez moi depuis le temps de l'autre côté déjà, c'était réservé aux personnes les plus intimes - la famille. Alors c'était dans ce sourire nerveux que je l'avais accueillie et que je m'étais approché d'un rideau pour le tirer et laisser paraître plus de lumière, comme tout bon hôte aurait voulu que son invité se sente à l'aise. Il perçait à travers la fenêtre plus large que longue une lumière chaleureuse de fin d'après-midi, le soleil ne commencerait à faiblir que deux heures plus tard. Dès que j'entendis ses pas avancer dans la pièce je fis volte-face pour m'assurer de fermer derrière elle. Être plus seuls que ça était désormais impossible: on n'entendait plus à l'extérieur le PNJ ivre qui avait cessé de délivrer sa quête pour la journée. M'inquiétant de l'état d'Ayura, je passai près d'elle en observant furtivement son visage: il semblait vaguement plus apaisé. Vu comme j'étais parti de loin, c'était un bon début, pensais-je en tirant une chaise pour m'y installer. Lui désignant le lit d'un mouvement de tête, je roulais des yeux, confus, en songeant qu'elle pouvait aussi très bien prendre la chaise en face de moi, de l'autre côté de la table. Difficile de savoir comment se comporter, c'était tellement inhabituel, peu naturel - et surtout improvisé.

- Euh... Fais comme chez toi.

Je n'en savais plus où poser mon regard, mais je me décidai à considérer de nouveau mon invitée avec sérieux, lui laisser le temps de se détendre un peu avant de parler. Je ne pouvais l'aider si elle ne parlait pas - mais pouvais-je seulement encore l'aider?

Debout face à lui, je n'étais à cet instant que l'ombre de moi-même. Quelque chose semblait s'être brisé, c'était du moins l'image que je devais renvoyer à cet instant. J'avais perdu mes moyens, si bien que des larmes avaient réussi à franchir la barrière émotionnelle que je m'étais efforcé à poser. Suite à ma demande, Kirito resta silencieux quelques instants, réfléchissant très certainement aux différents endroits sûrs qu'il connaissait sur SAO. Etant un grand vadrouilleur, cela ne faisait aucun doute qu'il trouverait l'endroit idéal où se rendre pour être tranquille. Tandis que son cerveau travaillait, je laissai mon regard voguer autour de nous, m'assurant de ne pas être repérée. Kirito captiva alors mon regard, l'air très sérieux tandis qu'il me proposait de nous rendre chez lui. Sans plus attendre, je hochais la tête en signe d'approbation. S'il avait un chez lui, alors ce serait à cet endroit que nous serions le plus tranquille, pensais-je.

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Le jeune épéiste ouvrit une porte en bois, me présentant son appartement. J'entrais en observant l'endroit sans vraiment prêter attention à ce qui m'entourait. Le choc m'avait complètement perturbée. L'endroit n'était pas très grand et peu meublé, voilà les seules pensées qui m'avaient traversées alors que je pénétrais davantage dans la pièce.

-Je ne savais pas que tu avais un appartement...

Cela ne m'arrivait pas souvent, mais je venais de penser à voix haute. M'en rendant compte, je préférais regarder ailleurs, m'installant sur le lit, comme si rien ne s'était passé.

-Merci...

Doucement, mes yeux remontèrent vers mon ami, sentant qu'il se posait de nombreuses questions. Mieux valait ne pas le faire trop attendre... M'héberger était vraiment très aimable de sa part alors... Il avait le droit de savoir. Et... J'avais terriblement besoin de me confier.

-Je... Kirito... J'ai à nouveau croisé sa route... J'ai pu... Mettre un visage sur une voix...

Il allait comprendre le message, l'allusion au PK, je le savais. Pour le moment, je ne voulais pas lui parler de Rin, personne ne devais savoir... Je devais l'aider, trouver un moyen de l'arrêter par moi-même... J'étais responsable, d'une certaine façon.

-Je... J'étais au palier 19... Je marchais seule... J'avais besoin de prendre l'air... La disparition de Thelos m'inquiète beaucoup... Je voulais réfléchir et... C'est là que... J'ai été prise au piège... Je marchais et tout d'un coup mon avatar est tombé... Je ne contrôlais plus rien... C'était une paralysie temporaire... Ils étaient plusieurs... Et cette fois je l'ai vu... Kirito... J'ai vu le visage de plusieurs PK et je suis encore vivante... Je... Je ne suis plus en sécurité nulle part... Je ne sais pas s'ils me cherchent mais je me doute que ça doit être le cas... On ne laisse pas partir un témoin... Ce serait parfaitement illogique... Je ne sais pas quoi faire ni où aller...

D'autres larmes avaient coulées tandis que mon débit de parole s'accélérait. J'étais terrifiée par mes propres paroles. A cet instant précis, tout ce dont j'avais besoin, c'était que l'on me rassure, peu importe la façon de le faire. Et même s'il était maladroit, je savais qu'il y parviendrait. Kirito y parvenait toujours.

"Sûrement oui... En fait personne ne le sait." C'était ce que j'avais répondu alors qu'elle découvrait l'endroit dans lequel je venais de l'emmener. Ou plutôt ce que j'avais voulu répondre: mais Ayura avait l'air tellement à côté que je n'avais pas tenu à la perturber davantage avec des futilités ou des traits d'humour - et je m'étais contenté d'un rictus amusé. Elle semblait tellement ailleurs que la moindre chose, même insignifiante, aurait été capable de la chambouler. Si je la trouve d'ordinaire forte, elle ne m'avait jamais paru aussi fragile. J'aurais donné n'importe quoi pour qu'elle se sente plus en sécurité désormais, et ce toit semblait faire l'affaire. D'ailleurs elle me paraissait plus en confiance ici: sa peau n'était plus aussi blanche, ses yeux moins figés - et je n'y lisais plus le même effroi quand je m'essayais à les décrypter.

Maintenant j'avais rivé mon regard droit sur elle afin de mieux comprendre la situation, mais je n'avais pas dit un mot. Ce récit était difficile à comprendre, son état de choc en était la cause évidente. Mais soudain un déclic, après quelques instants dans le vague: mon regard s'était illuminé lorsque j'avais compris - mais c'était une lumière plutôt funeste. Elle avait revu la dernière personne qu'elle aurait souhaité revoir sans aucun doute. Lorsqu'Ayura s'était retrouvée en proie à des Player Killers quand je l'avais laissée seule, sa capuche lui avait permis de dissimuler son visage; en contrepartie elle avait tout entendu, mais rien vu. L'avait-on reconnue en retour? Je préférais ne pas le lui demander... Elle aurait pu replonger dans ce traumatisme apparemment passé.

Ce que moi je redoutais était désormais confirmé: Ayura n'avait pas seulement été en danger, elle s'était trouvée face à des PK, seule. Si cette fille avait de la chance, cette fois sa survie semblait avoir tenu du miracle. Mais même si je bouillonnais, je me forçais à ne rien dire. J'ignore l'expression d'angoisse, ou d'inquiétude, ou même de rage que je devais renvoyer, mais je pense que de toute manière elle n'avait pu y prêter attention. J'entendais enfin ma jambe qui battait discrètement mais nerveusement le sol du talon. Je fermai les yeux une seconde, tête basse, pour tenter de me calmer et de réfléchir, aussi vite que possible. Ayura pleurait et tremblait, et je comprenais enfin pourquoi. Alors je me levai, et d'un pas un peu traînant je m'approchai du lit pour m'asseoir près d'elle. Je ne sais pas si ce geste a servi à quelque chose, lui n'a pas été calculé et mesuré. J'attendais simplement. Il fallait qu'elle sente que dans cet endroit et tant que j'étais avec elle ici, elle n'avait rien à craindre. Comment le lui dire avec tant de calme et de détachement alors que moi-même je craignais pour elle? Combien de temps encore serait-elle en sécurité alors qu'elle ne resterait pas éternellement ici? Elle l'avait dit clairement - aussi clairement que possible, dans la confusion de sa voix butant sur ses propres mots - mais elle s'était enfuie. Et ces types ne la laisseraient pas filer éternellement, ils se mettraient à la chasser...
Elle s'était enfuie, vraiment? En y réfléchissant, je ne me rappelais pas qu'elle l'avait expliqué. Alors que je tentais au mieux de rassembler mes souvenirs récents, je saisis le moment où elle se calma un peu, essayant au mieux de prendre une voix rassurante et maîtrisée.

- Ayura... Pardon de te demander ça, mais... Tu te rappelles comment tu as réussi à leur échapper, n'est-ce pas?

Son visage hésitant l'instant qui suivit me confirma que pendant tout ce récit, il y avait quelque chose qu'elle avait tenu à ne pas me dire. Et je regrettais déjà d'avoir posé cette question.

Kirito ne m'avait pas interrompue une seule fois, comme s'il craignait que je me perde dans mes propres pensées. Cela aurait pu arriver d'ailleurs. Tout se bousculait en moi, tout était effondré, je marchais sur des ruines mentales, recollant les morceaux petit à petit pour former des phrases cohérentes. D'une main, j'ouvris mon interface pour enlever mes chaussures, m'installant contre le mur, les jambes rapprochées de mon torse. J'aurais très bien pu poser mes chaussures sur les draps, rien n'aurait été sali, mais je n'étais plus en état de réfléchir, cela faisait partie des réflexes qui m'étaient restés de l'autre monde.

Alors qu'il me parlait, Kirito était venu s'installer à côté de moi. Mes larmes m'empêchaient de le voir correctement, mais il avait l'air grave. Sa question, je l'attendais comme je l'avais redoutée. Comment lui parler de Rin ? Avais-je seulement le droit de le faire ? Quelles autres options avais-je ? Si je me taisais, alors je risquais de mourir. Mon ami d'enfance n'était plus le même, je ne pourrais pas l'aider toute seule, même avec toute la volonté du monde.

-Je... Je ne t'ai pas tout dit... Je ne voulais pas en parler... A personne... Mais... On est obligés pas vrai... ? Dans le monde réel, je n'avais qu'un seul ami. Un vrai ami. Il... Est entré dans ma vie alors que j'étais très jeune... Lui avait deux ans de plus que moi et il semblait... Il n'avait peur de rien. C'était un sale gosse pleins de bêtises mais c'est aussi celui qui a le plus fait pour moi... Il... M'a montré des choses que je n'aurais jamais cru voir un jour... Il... M'a fait faire des choses que je n'aurais jamais pu faire sans lui... Il m'a... Il m'a rendu une grosse partie de la liberté dont j'étais privée... Pendant près de deux mois je ne le voyais presque plus... Et un jour il est revenu avec deux NerveGear et deux jeux dans les mains... Il avait fait des heures supplémentaires tous les soirs pour qu'on puisse se connecter ensemble dès la sortie du jeu... Il disait que si je voulais être libre pour de vrai, alors il fallait que j'essaie ça... On s'est connectés ensemble, et on a entendu l'annonce ensemble. Il... Il était si... Dévasté... Il s'en voulait profondément de m'avoir entraînée là-dedans... Il voulait me protéger à tout prix... Il est... Sans le vouloir il est devenu... Une nouvelle prison pour moi... Je n'avais pas le droit de quitter la safe-zone, c'était lui qui allait faire des missions, moi, je devais me contenter d'attendre... Au bout de quelques semaines j'ai craqué... J'ai essayé de lui parler mais il ne voulait rien savoir... Il ne voulait pas entendre... Alors je... Alors... Je l'ai abandonné. Tout ce que je lui ai laissé était un misérable message... Je m'en veux tellement...

Raconter cette histoire était particulièrement difficile. Ca l'aurait déjà été en temps normal, là c'était encore pire. Tous les événements s'accumulaient comme une montagne insurmontable de choses horribles. D'un revers de main, j'essuyais une énième larme qui coulait sur mon visage avant de reprendre.

-Depuis ce jour, nous n'avons plus eu aucun contact, aucun message, rien. On ne s'est pas même croisés une seule fois par hasard... Et puis... Là... Il... Kirito... Il avait tant de valeurs... Un honneur qu'il voulait préserver à tout prix... Il n'aurait pas été capable de la moindre violence... Je ne peux pas croire qu'il... Qu'il soit devenu un criminel...

A ces mots, mon corps se recroquevilla davantage, mes mains s'étaient crispées sur mes bras dans un lourd sanglot.

-Ils comptaient voler ce qu'il y avait dans mon inventaire et me laisser en pâture aux monstres alors que j'étais paralysée et désarmée... Mais il les a empêché de faire ça... Si j'avais été n'importe qui d'autre ils m'auraient tuée... Les autres sont partis et on est restés seuls... Il m'a emmenée près d'une safe-zone avant de s'en aller...

Doucement, mon regard se tourna vers Kirito tandis qu'une question me brûlait la langue.

-Dis... Est-ce que... Tu crois que c'est ma faute ? Est-ce qu'il est devenu un criminel par ma faute.. ? Parce que je l'ai abandonné... ?

D'autres larmes troublèrent ma vision alors que je tentais de fixer mon ami, l'air probablement désespérée.

Si quelques fois auparavant j'avais brûlé d'envie de poser toujours plus de questions pour comprendre, plus que jamais parler était la dernière des choses que je voulais faire. Je voulais avant tout savoir. Jusqu'alors je lui aurais assuré qu'elle n'était pas obligée de m'expliquer si elle n'en avait pas envie, mais cette fois je ne fus pas capable de le nier. Beaucoup de choses s'éclaircissaient, d'autres devenaient un peu plus obscures. Cette partie de moi intriguée - et fascinée - par la joueuse qui se tenait là confirmait ses théories en silence, les autres étaient partagées quant au ressenti à éprouver à son égard. De la compassion, de l'empathie, de la pitié... Non pas de la pitié, mais cela restait très difficile de trancher. Je comprenais un peu mieux la présence d'Ayura ici. Ce garçon devait être un joueur averti, contrairement à elle; et il avait voulu sous l'emprise d'un enthousiasme que trop compréhensible lui faire partager son univers. D'une manière ou d'une autre, cette fille était captive de quelque chose, et lui était venu la délivrer. S'ils avaient su... Dévastés on l'avait tous été, désemparés pour certains, et d'autres... Avaient sombré dans la folie et le désespoir. Mais comment aurions pu ne pas l'être à sa place? Rongé par le remord, il avait perdu la raison. La retrouverait-il? Je me surprenais à chercher une solution pour y parvenir, quitte à prier si c'était ce qui pouvait le lui ramener.

Les lèvres tremblantes, je gardai la tête basse, conservant le silence. De toute façon je ne trouvais rien à dire, et je n'avais rien à dire. Mais je tenais plus que tout à la soutenir pourtant; c'était étrange mais à sa place, j'aurais fait la même chose. Et à la place de son ami... Il en aurait été de même. Si ma petite soeur s'était retrouvée là par ma faute, je ne peux pas dire que j'aurais gardé la tête froide. J'aurais sans doute paniqué, et je ne me le serais pas pardonné. En revanche j'aurais été animé d'un besoin irrépressible de la protéger coûte que coûte; que quitte à être enfermée, au moins j'aurais du faire en sorte qu'elle vive et survive. Et si elle était partie de son propre chef, comme Ayura l'aurait fait? Alors j'aurais été sous l'emprise de ma propre démence, incontrôlable, où j'aurais remué ciel et terre virtuels pour la retrouver et la remettre en lieu sûr.
Enfin je pense ainsi mais en fait... Je n'aurais pas eu de soucis à me faire pour elle car elle aurait été forte - plus que moi. Mais je connais son potentiel, en était-il de même pour son ami? La pensait-il capable de se débrouiller seule dans ce monde? Elle qui semblait dépendre de lui là-bas...

Je redressai le visage pour regarder le plafond, droit devant moi, et je posai une main sur l'épaule fébrile de la petite joueuse. Mes phalanges parcoururent son bras dans un mouvement chaleureux descendant, et une fois en bas, elles remontèrent pour renouveler le geste. Aussi délicatement que possible, et tant que c'était nécessaire.

- Suite à cette fameuse soirée... - pourquoi hésiter encore? Elle ne le savait sans doute pas. Je prenais une lourde inspiration douloureuse. -- Suite à cette fameuse soirée, beaucoup de joueurs sont morts. En premier les ex-beta-testers, car le niveau de jeu actuel est sans aucun doute plus élevé que ce qu'ils ont pu connaître. Ils ne se sont pas méfiés, et... Les monstres ont eu raison de leur assurance. Les autres... Ce sont tous ceux qui ont cédé au désespoir et à la peur. De ne plus pouvoir partir d'ici, de perdre leurs proches, leur vie, ... Mais lorsqu'on dresse le bilan des pertes, on a tendance à oublier les Players Killers. Tous ces joueurs ne peuvent pas avoir été des criminels là-bas, sinon ils auraient été moins nombreux car en prison, et donc incapables de se connecter.

Je marquai une courte pause, hésitant à poursuivre alors que je ne formulais là que des hypothèses qu'Ayura ne voulait peut-être pas entendre. Mais son plus grand ami et son allié le plus stable avait enfilé un manteau d'assassin, et elle vivait une véritable tragédie. Il était même devenu Monster Player Killer, profil des plus lâches - ou des plus calculateurs. Ceux qui tendaient une embuscade sans se salir les mains comme le faisaient les génies du crime pour ne pas avoir à redouter la justice. Alors si je parvenais à lui apporter le soutien dont elle avait besoin... C'était un risque à prendre.

- Je pense que ceux-là n'avaient pas tous un mauvais fond caché, endormi au plus profond d'eux-mêmes, que Sword Art Online a révélé au grand jour. Certains ne prennent pas la menace au sérieux et nient que tout ceci est réel. Et... D'autres ont perdu la raison et ne contrôlent plus ces limites entre réel et virtuel. Ton ami est quelqu'un de bien, j'en suis persuadé. Et cette gentillesse n'a peut-être pas disparu. Mais... Il ne pourra pas rester impuni, tu comprends?

Je parlais depuis quelques temps d'une plus petite voix, comprenant qu'elle avait déjà pris conscience de ce que j'avançais, et combien ce devait être terrible à admettre. Tout était de sa faute? Peut-être bien, difficile à dire. Mais je ne pouvais surtout pas la laisser penser ainsi, elle en serait dévastée.

- Tu n'y es pour rien, Ayura. N'en doute jamais. Peut-être qu'il ne savait déjà plus ce qu'il faisait depuis ce soir-là, et que ce n'était plus qu'une question de temps. Ce n'est pas ta faute.

Je marquai un silence bien plus long, écoutant ses sanglots sans savoir quoi dire pour les faire cesser. J'avais déjà exprimé tellement de choses que j'avais en tête et j'avais du tellement croire à tout ce que j'avançais avec tant d'assurance que mon esprit s'embrumait par mes propres mots. Le tout annoncé avec toujours ce même calme et cette même douceur... J'étais détestable.

- Ayura... Tu aimerais le retrouver pour essayer de le raisonner? Le convaincre de se rendre...

"... Sans quoi je devrai le faire, et par la force s'il le faut." Parce que tous les joueurs n'ont pas à subir cette démence avec lui.

Kirito m'avait écoutée en silence, la tête basse, prenant peu à peu la mesure de ce qu'il s'était produit. J'aurais tellement voulu lui parler de Rin en d'autres circonstances... Ils se seraient si bien entendus tous les deux. Ce chemin était-il vraiment celui qu'il avait voulu choisir ? Depuis combien de temps était-il un criminel ? Etait-ce à cause de mon départ ou bien ces idées l'avaient déjà traversé alors que j'étais encore à ses côtés ? Combien étaient-ils ? La simple idée que mon ami d'enfance soit devenu un meurtrier me souleva le coeur encore une fois. Mes larmes ne voulaient pas cesser de couler, rares étaient les moments où je me trouvais si désemparée. Alors que mes doigts et mes mâchoires s'étaient crispés dans l'espoir de ravaler un énième sanglot, je sentis les doigts de Kirito parcourir mon bras. C'était un contact apaisant, mais il ne suffirait pas. Je pris ce geste de tendresse comme une invitation et me réfugiai dans ses bras, me laissant aller contre lui en le serrant comme si ma vie en dépendait. Le jeune homme brisa le silence que j'avais instauré durant quelques secondes, m'assurant que tous les joueurs qui avaient mal tournés sur SAO n'étaient pas forcément de mauvaises personnes à la base. Je n'en doutais pas une seconde. Cela signifiait, d'une certaine façon que c'était ce jeu qui avait fait ressortir ce qu'il y avait de pire en eux... Etait-ce vraiment mieux ? Une fois sortis, pourraient-ils reprendre une vie normale ? Est-ce qu'ils iraient en prison ? Est-ce qu'ils... Continueraient leurs activité dans le monde réel ? Le monde réel importait peu pour le moment. Kirito avait raison, il fallait les arrêter, ce groupe de joueur ne pouvait pas rester impuni, ils ne pouvaient pas continuer à attaquer des innocents ainsi. Comment les arrêter ? N'était-ce pas le travail de certaines guildes ?

Même si je le voulais, pour le moment je ne pouvais lui répondre. Beaucoup de choses se bousculaient dans ma tête, et mes sentiments n'en faisaient qu'à leur tête. Tout ce que je souhaitais, c'était rester contre lui un moment, ne pensant plus à rien d'autre que ce contact agréable qu'il m'offrait. Cette étreinte était rassurante, j'en avais tellement besoin... Pourtant sa question attira mon attention. Doucement, je redressai la tête, les joues mouillées, les cheveux tombant n'importe comment sur mon visage.

-Je... Je ne sais pas... Je ne suis pas sûre qu'il m'écouterait... Je pourrai peut-être t'aider mais... Le raisonner... On verra plus tard d'accord... Laisse-moi un peu de temps pour y réfléchir... S'il te plaît...

Baissant le regard, je retournai dans ses bras. Avions-nous seulement le luxe de prendre notre temps ?

Une main posée sur son épaule, près de sa nuque, je sentais les sanglots soulever le petit corps d'Ayura à chaque inspiration comme à chaque tentative d'inspiration. Il avait suffi que je l'effleure pour qu'elle s'ébranle, et tandis que je l'écoutais, tandis que je cherchais mes mots, je n'en avais ressenti qu'un malaise bref, quelques secondes le temps de réaliser qu'il y avait à se préoccuper de plus important. Je consolais une amie, une petite soeur, difficile de situer ce lien à ce moment-là. Mais un lien il y en avait bien un. Je tenais à cette joueuse comme je tenais à une poignée comme elle à peine dans ce monde, peut-être de l'autre côté mêlé. Alors la voir mouiller ses joues faisait mal, mais plus pour elle que pour moi encore. Si certaines avaient paru lorsque j'avais croisé son regard inerte, c'était sans aucun doute une accumulation bien plus grande encore qu'elle avait conservé. La face visible de l'iceberg: mais peu à peu elle se calmait.

Ayura avait perdu son soutien le plus tangible dans ce monde virtuel, il fallait bien une soirée pour encaisser la nouvelle et certains l'auraient pris de manière bien plus dramatique qu'elle. Hésitant à savoir si j'avais bien fait de lui dire au plus vite qu'il fallait le retrouver et l'arrêter, elle sembla ne pas m'en avoir tenu rigueur et s'était contentée d'approuver mes mots. J'opinai une fois, acquiesçant d'une petite voix, puis détournais les yeux vers la fenêtre: le soleil commençait à montrer quelques signes de faiblesse, mais l'été approchant l'empêchait de se coucher pour encore quelques heures.

Le calme revenait peu à peu, non sans peine, mais ses tremblements commençaient à cesser. Je n'avais pas osé m'éloigner d'elle et, par manque d'assurance ou par compassion, j'avais décidé d'attendre qu'elle se redresse d'elle-même. Elle était seule à cet instant, il lui fallait quelqu'un, j'étais là. Et elle était en sécurité chez moi. J'affichai mon interface qui tinta faiblement et en tirais le Mirage Sphere qu'elle avait tant apprécié, la dernière fois que je lui avais montré. C'était lors d'une occasion comme celle-ci, en fait le contexte était sensiblement similaire - mais jusqu'ici, elle ne connaissait personne parmi ses assaillants. Je posais en silence l'item sur les draps à côté de nous, il lui suffirait d'appuyer sur son sommet pour déclencher l'hologramme, si elle en avait envie. Alors que je lui avais déclaré un discours long et lourd de sens, j'étais désormais incapable de trouver des mots qui n'auraient pas paru forcés ou trop décalés pour que ce soit décent. Alors j'attendais qu'elle reprenne ses esprits et que la douleur passe - si elle pouvait passer. Son ami n'était pas mort mais pour elle c'était sans doute tout comme. J'espérais sincèrement qu'une seconde altercation, à défaut de le changer et de le faire expier, pouvait le ramener suffisamment à la raison pour qu'elle le retrouve. Et d'un autre côté, j'avais l'intention de ne pas lâcher mon épée tout au long du contact. Enfin, c'était le scenario plausible si elle décidait de m'accompagner. Si je devais le retrouver seul...

- Ayura...

Je mesurais ma voix plus que jamais. Alors que je la sentais plus apaisée, je craignais que lui parler la fasse craquer à nouveau. Reculant légèrement les yeux pour capter son regard - que je n'avais pas trouvé, elle ne s'était pas relevée - je fixai le mur d'un air un peu perdu.

- Tu peux rester dormir ici si tu veux. Euh... Ce n'est pas très grand pour deux mais c'est confortable, je t'assure.

Chassez le naturel, il revient au galop. Une main nerveuse s'était glissée dans mes cheveux avant d'avoir baissé la tête, réfléchissant à toute allure au fait d'y avoir ou non quelque chose d'indécent dans ma proposition. C'est toujours plus compliqué quand c'est une fille... Je soupirais intérieurement de mon manque d'aisance, puis soupirais de manière audible une seconde fois pour laisser tomber ce nouveau détail futile. Après tout, c'était quelque chose qui se dissipait peu à peu à son contact.

Sa respiration calme m'apaisait alors que j'étais enfouie contre lui. Les battements de son cœur m'auraient sans doute fait le même effet si j'avais pu les entendre. Quel genre de rythme avait-il ? Plutôt rapide, plutôt lent ? Sans doute était-il rapide. Kirito semblait être du genre à réfléchir sans cesse, son cerveau comme son corps devait tourner à grande vitesse. Alors que mon regard s'était posé dans le vague, l'un des bras du jeune homme avait bougé. Lorsque mes yeux tombèrent sur sa main, je découvris un objet que j'avais vraiment apprécié la première fois qu'il me l'avait montré. Cette boule bleue à la luminosité agréable, amusante à toucher me donnait envie de l'allumer à nouveau. Ce que je fis alors que mon ami brisa le nouveau silence que j'avais instauré. Mes yeux n'étaient plus troublés, seuls les vestiges de larmes trônaient sur mes joues et certaines mèches de mes cheveux qui s'étaient mouillées à leur contact, ce qui, il fallait le noter, était particulièrement réaliste.

- Merci beaucoup... J'aimerais bien rester un peu ici... Je n'ai... Pas encore d'endroit... A moi dans ce monde. Thelos m'avait donné l'accès à son appartement en illimité mais... Tu sais... Je ne veux pas y aller... Je crois... Je crois que j'ai peur que l'accès me soit refusé... Ca voudrait dire... Qu'il... N'a pas seulement disparu.

C'était lâche de ma part, mais au fond je préférais encore vivre dans le doute plutôt que dans la certitude que mon ami était mort. Perdre deux proches en si peu de temps serait trop dur à supporter. Au fond, je n'avais jamais été confrontée à de tels problèmes. Ceux que j'avais dans l'autre monde étaient vraiment... Des problèmes de riches. Je me plaignais d'un manque d'attention de mes parents, et après ? Jamais je n'avais vécu le moindre drame. J'avais été protégée de tout. D'une certaine façon, mes parents m'avaient même protégée de la vie elle-même, ce qui semblait plutôt paradoxal. Jamais je n'avais eu à subir la moindre perte, le moindre abandon d'un ami, la moindre dispute... Simplement parce que tout cela ne faisait clairement pas partie de mon environnement. Personne n'avait le droit d'élever la voix sur moi, personne n'avait le droit d'être trop proche de moi parmi les personnes qui travaillaient pour mes parents. Ce qui me laissait donc un panel de choix restreint en terme de relation, car dès le plus jeune âge, j'avais exclu la possibilité de me lier aux autres gosses de riches pourris et inintéressants. Il ne me restait qu'une personne... Que je pensais ne jamais perdre. Raté. Et puis je m'étais retrouvée dans un jeu qui m'offrait la liberté sur un plateau. En jouissant de celle-ci, et au détour d'une mauvaise expérience, j'avais rencontré Thelos, qui était devenu la seconde personne la plus importante à mes yeux. Il incarnait la personne que j'aurais voulu devenir en étant adulte, il était un modèle, un grand frère. Et lui aussi, je le perdais. Peut-être. Restait Kirito. Et si... Et s'il venait à disparaître lui aussi ? C'était à cet instant que j'avais compris... Oui, j'avais compris ce qu'avait ressenti Rin. Maintenant, je voulais protéger Kirito. Il était... Il était tout ce qu'il me restait du cercle que je m'étais formé. La petite île qui avait survécu au tsunami.

Mes doigts se posèrent sur l'objet bleus, doucement, trahissant une certaine crainte de l'abîmer. C'était sans doute l'un des plus beaux items que j'avais pu voir sur ce jeu. Le simple fait de le regarder avait cette tendance à me calmer, comme s'il jouait le rôle de la veilleuse d'un enfant effrayé par le noir. Si ce monde était cruel, alors je devrais m'endurcir. Et moi qui pensais être forte... Je deviendrai plus forte, et je protégerai mes proches pour ne plus jamais en perdre. Je veillerai sur eux pour les garder dans le droit chemin, pour ne plus jamais les égarer. C'est sans doute ça, être libre... Trouver des buts, veiller les uns sur les autres... Je ne veux plus perdre personne, plus jamais.

Mes joues étaient sèches à présent, pourtant je restais encore silencieuse. Tout ça, je ne pouvais lui en faire part. Mes doigts se contentaient de faire tourner cette sphère aux allures de petite planète.

- Je viendrai avec toi.

Je ne pouvais pas dire que le chemin que Rin avait choisi était lié à ma disparition, c'était même plutôt nombriliste de le penser. S'il l'avait fait, c'était qu'il ne voulait pas se battre. Rin avait tout misé sur la sécurité, ne faisait que des missions qu'il était certain de réussir, et rentrait ensuite en safe zone. S'il avait trouvé un moyen de survivre sans craindre le moindre monstre et le moindre joueur, sans manquer d'argent, alors sans doute avait-il foncé. La peur pouvait faire perdre la tête, s'en était certainement le parfait exemple. Maintenant, c'était moi qui avait peur, et qui souffrait. Seulement je l'avait fait souffrir la première, alors même si je n'étais pas entièrement fautive, je devais lui faire retrouver la raison, et surtout je devais le stopper. C'était lui qui avait choisi son avenir, mais si j'étais restée... J'aurais pu le protéger, et il n'aurait pas eu besoin de passer par cette extrémité. Alors même si je ne pouvais me blâmer, je ne pouvais pas non plus m'exclure totalement de l'équation. C'était donc maintenant que je devais me ressaisir, prendre mes responsabilité, et choisir à mon tour le chemin que je voulais emprunter.

L'hologramme bleu avait illuminé la pièce, contrastant avec la lumière extérieure qui commençait à prendre des teintes crépusculaires. Dans une heure ou deux ce contraste aurait été total. Je baissai les yeux, observai du coin de l'oeil la joueuse contempler les villes du Premier Palier. Cet item avait un effet particulièrement apaisant sur elle, je ne m'étais pas trompé lorsque j'avais eu l'idée de la laisser me l'emprunter. D'une voix calme mais encore un peu trouble à cause des sanglots passés, elle venait d'accepter ma proposition et je hochai faiblement la tête une seule fois. C'était sans doute la meilleure chose à faire et la meilleure chose à lui offrir - car c'était la première fois que je la trouvais aussi perdue. Même lorsqu'elle s'était trouvée en proie à ces PK, Ayura avait témoigné de la peur et de l'angoisse, mais pas une tel égarement. Mais elle venait de viser juste: si son ami avait disparu, elle avait trouvé refuge auprès de mon supérieur hiérarchique. Disparu également. Qui lui restait-il maintenant? Je savais qu'elle me comptait parmi ses alliés - ses amis, nous étions amis après tout. Mais qui d'autre était là pour elle désormais? C'était à moi de la protéger, de veiller sur elle et de la rassurer. Je n'allais pas disparaître aussi. Tout en me mordant légèrement la lèvre inférieure, je réfléchissais à un moyen de le lui dire pour l'apaiser tout de suite; mais aucun mot, aucun geste ne vint aider mes pensées et je resserrai ma main sur les draps en silence, incapable de trouver quoi dire ou quoi faire pour elle. Je trouverai, il me fallait seulement un peu de temps.
Je roulai des yeux dans la pièce et m'entendis sur le fait d'aller acheter un sac de couchage avant la nuit tombée pour lui laisser le lit. Il était confortable et pas aussi sommaire qu'il ne le semblait, j'étais certain qu'elle l'apprécierait à sa juste valeur. La deuxième note d'une liste de courses mentale fut de songer aux repas. Soit ma nouvelle invitée n'aurait pas faim, soit elle serait affamé et je devrais puiser dans des ressources suffisantes pour deux... Mieux valait s'armer d'avance. Alors que je songeai à ces choses futiles, la voix d'Ayura devint enfin plus ferme, plus sûre, et je détournai le regard pour la fixer. C'était la même conviction que je pensais percevoir, bien que l'instant d'après elle hésita. C'était courageux de sa part; et comme à chaque démonstration de courage, on ressent inéluctablement de la peur. Mais au moins c'était un état que je lui connaissais et que je savais gérer. Serrant les dents derrière mes mâchoires, je conservai ce même sérieux dont elle faisait preuve pour la considérer.

- Ça risque d'être dangereux. Je ne sais pas encore comment pourrait se passer l'échange, s'ils sont forts ou faibles, et si... Si on n'arrive pas à les raisonner. Réfléchis bien Ayura, je ne te demande pas de me donner une réponse tout de suite.

Il se pouvait même que cette décision soit l'une des plus difficiles à prendre de toute son existence. Elle allait devoir trahir un traître, et s'opposer à celui qui était son ami - ou qui l'avait été: à elle de choisir si elle voulait en voir ses mains salies. Si l'issue de cette rencontre tournait au drame, il fallait se préparer à sortir les armes et adviendrait que pourrait... Et ce n'étaient pas de simples joueurs mais des criminels. Les plus imprévisibles à appréhender pour nous, j'étais le premier à ignorer si j'allais ou nous allions être capables de leur parler sans avoir à croiser le fer. Mais je ne devais pas lui montrer cette angoisse, pas maintenant. Il fallait au contraire que je m'y prépare car je n'aurais pas la même chance qu'elle de leur échapper. Etait-ce vraiment une bonne idée qu'elle m'accompagne? Ayura me permettrait de les identifier rapidement, mais en contrepartie ils l'identifieraient en retour. A partir de là... Serait-elle vraiment en sécurité? Moi qui voulais la protéger, en serais-je vraiment capable?
Je venais de sentir mon coeur battre, pourtant mon avatar en était dépourvu. C'était probablement la première fois que je craignais autant pour la vie de quelqu'un dans ce monde - et la deuxième de toute ma vie. Cette sensation dont j'avais commencé à me déshabituer était dérangeante, pesante, comme un nouveau poids qui se partageait entre la conscience et les épaules, un peu trop frêles pour le tolérer. Soupirant aussi discrètement que possible, je me levai et m'approchai de la fenêtre pour réfléchir. Si j'avais espéré qu'elle veuille m'accompagner, j'hésitais désormais à la refuser. Pour sa sécurité et peut-être la mienne. C'était pourtant mon alliée...

- Je dois passer en ville acheter ce dont on va avoir besoin pour ce soir, et tous les jours que tu voudras passer ici. Peut-être que tu as faim ou que tu aurais besoin d'une couverture supplémentaire.

Me changer les idées. Il fallait que je me change les idées, car son inquiétude passée semblait être communicative. Pourquoi m'inquiétais-je tant pour elle, alors qu'elle m'avait prouvé à de multiples raisons qu'elle se débrouillait très bien d'elle-même? Parce qu'on était devenus amis? C'était absurde, je ne craignais pas autant pour le mercenaire que je respectais. Et je la respectais tout autant, mais d'une différente manière.

Même si j'avais cherché à dissuader Ayura dans sa prise de décisions, lui conseiller encore de réfléchir, elle semblait en réalité avoir déjà tranché. Je ne savais pas quoi penser de ce choix, mais à sa place j'aurais probablement fait la même chose - mais je n'étais pas à sa place, ce n'était pas à moi que revenait cette décision éprouvante. Se battre dans le camp opposé, contre l'un de ses alliés les plus fidèles, et l'arrêter car son comportement avait dégénéré de façon tragique. Non, ce n'était pas à moi de vivre avec un tel fardeau. Ayura était quelqu'un de bien, quelqu'un de fort. Mais c'était quelque chose de lourd à porter seule... Car seule, elle devait l'être plus que jamais. C'était donc à moi, peut-être l'un de ses soutiens les plus tangibles, qu'il incombait la tache de veiller sur elle et de l'aider dans sa noble entreprise. Si l'idée de me laisser gérer cette menace la culpabilisait, je n'aurais pas pu me pardonner de la voir sombrer dans la démence car elle aurait manqué d'appuis au moment le plus crucial.

Hochant une fois la tête, je commençai à m'avancer vers la porte, désormais plus capable de sourire. Il fallait pourtant que j'y parvienne pour l'aider elle à sourire à nouveau de manière plus détendue. Mais c'était au-delà de mes forces dès que je songeai à ce qui se tramait. Et pourtant, la remarque de l'adolescente me tira de mes songes obscures, pour des choses bien plus futiles. Dormir ensemble? Était-ce une bonne idée? Ce qu'il me fallait pour dormir n'avait rien d'excessif et je pourrais m'en resservir lorsque je dormirai à la belle étoile. Décontenancé, je m'étais retourné sans répondre, gêné, nerveux, hésitant à accepter. Un rictus crispé s'était d'abord formé sur mes lèvres puis - contrairement à ce que j'avais pensé quelques secondes auparavant à peine! - un sourire.

- Si Thelos l'apprenait à son retour, il m'achèverait sur place et ma belle épée n'aurait aucune chance contre sa Claymore en colère.

Souriant encore tandis que je faisais volte-face, je quittai l'appartement en refermant la porte lentement pour faire clairement entendre à la petite joueuse effrayée le cliquetis métallique du battant. Elle était désormais en sécurité. Les mains dans les poches, marchant en ville d'un air perdu, je prenais mon temps pour expirer aussi longuement que possible. Impossible de traîner la patte en chemin, je voulais revenir auprès d'elle au plus vite afin de ne pas la laisser seule trop longtemps. Si on la savait sauve tous les deux, elle avait besoin d'une présence à ses côtés. Valsant d'une boutique à l'autre, je choisissais mes destinations par proximité - et j'avais commencé par ce qui me semblait l'essentiel. Ayura avait été vue avec une cape rouge par ces assassins, il lui faudrait donc une autre cape pour dissimuler son visage sans se faire identifier en un regard. Je la choisissais grise, une teinte sobre et uniforme que même quelques PNJ portaient. Et avec elle une tenue civile pour ne pas être identifiée une fois en ville avec les mêmes vêtements. A vrai dire je trouvais la petite porteuse de rapière plutôt coquette et soignée, je doutais que comme moi elle portait tous les jours ses tenues de combat qui servaient également d'habits au quotidien mais mieux valait anticiper. C'était bien connu: les filles n'avaient jamais trop de vêtements. Venaient alors la nourriture et le linge de maison; mais sur le chemin du retour, la vue d'une autre boutique m'avait interpellé et, hésitant, j'étais entré.

- Pardon de t'avoir fait attendre... Je ne bouge plus d'ici maintenant.

J'avais fait au plus vite, et mes emplettes avaient tenu dans l'heure. J'ouvrai mon inventaire pour retirer mes chaussures et ma cape, et retournai m'installer sur une chaise tout en le laissant ouvert pour énumérer les plats que j'avais à lui proposer. Si elle avait faim, ne serait-ce qu'un peu, elle serait sans doute satisfaite de manger quelque chose qu'elle aime. Et sinon, j'espérais qu'elle puisse trouver l'appétit. Regardant furtivement le lit, je me demandai comment lui donner tout ce que j'avais pour elle.

Note pour la modération:

Première relance Ayura.

Sa réponse m'avait décroché un faible sourire. Thelos était protecteur envers moi, il m'avait appris à me battre contre des monstres et à ne pas avoir peur de lever mon arme contre des joueurs si cela s'avérait nécessaire. Mais Kirito n'était pas le genre de type qui pourrait avoir des pensées, voire pire, des gestes déplacés. A force de le côtoyer, je finissais par bien connaître le jeune garçon, ou du moins mieux que bon nombre de personnes. Et même s'il me restait encore énormément à découvrir sur lui, je pouvais affirmer les choses suivantes :
- Kirito était une personne droite et loyale.
- Il avait des valeurs.
- Et... Bien qu'il se trouvait être de sexe masculin, il ne semblait pas plus intéressé que ça par la plastique des joueuses, et à fortiori, par les relations hommes/femmes autres qu'amicales.
Ce que le bretteur aux cheveux rouges devait savoir aussi car ils se connaissaient bien également. Alors... Pourquoi Thelos aurait pu être en colère si nous dormions ensemble ? Après tout, nous l'avions déjà fait une fois. Pas dans un lit, certes, mais l'un contre l'autre en pleine nature, ça oui. Etait-ce vraiment différent ? Thelos lui avait-il fait des remarques par rapport à cette nuit-là après que je lui en ai parlé ?

Perdue dans mes pensées, je n'avais pas répondu. Je n'avais pas même entendu la porte se fermer lors de son départ. Quand je relevai enfin les yeux pour lui répondre, je ne le vis nulle part. Me rendant compte de mon temps de traitement des informations particulièrement élevé, je me laissais tomber mollement sur le lit, observant la seule porte d'entrée. Tout était fermé, personne ne pouvait entrer sans avoir de le code. C'était rassurant. J'aimais cet endroit, je m'y sentais particulièrement en sécurité. Comme lorsqu'une personne sur le point de se noyer peut enfin monter sur un bateau. A l'intérieur, rien ne peut arriver. Le "camp", pour les enfants jouant au loup. Cette sensation m'était tellement agréable...

Sur cette pensée, je pris l'oreiller près de ma tête pour le serrer contre moi. Mon regard restait cependant fixé sur la porte. C'était plus fort que moi, je me devais de surveiller cette entrée, aussi sécurisée fut-elle. Alors je restais ainsi allongée sur le lit, en position fœtale, ma peluche de substitution entre les bras et la tête face à la porte, délicatement posée sur le matelas. J'avais l'impression que toute cette agitation m'avait vidée de toute énergie. A présent, je n'aurais bougé de cette place pour rien au monde. Mes yeux piquaient mais je ne voulais pas m'endormir avant son retour. Je me sentais bien ici, seulement pour être entièrement détendue, j'avais besoin qu'il soit là. Pas uniquement pour mon propre ressentis, mais parce qu'il n'était plus à l'abris des attaques lui non plus. En m'accueillant ici, il pouvait lui aussi devenir une cible.

- Dépêche toi Kirito...

Malgré tous mes efforts pour lutter, le lit se faisait de plus en plus confortable et mes yeux étaient de moins en moins coopératifs. Contre mon gré, je sombrais dans un sommeil bien mérité.

La porte claqua, ce qui me fit immédiatement sursauter. Je levai alors mes yeux ensommeillés vers la porte d'entrée, le coeur battant. La vision de mon ami me rassura immédiatement. N'ayant pas plus à m'inquiéter, je me laissais à nouveau tomber, toute molle, sur le matelas, écoutant ce qu'il me disait.

- T'en fais pas, le temps est passé vite je trouve. Hum... Ca donne faim tout ça ! Je te laisse choisir pour nous deux, je n'ai pas de préférence, mais j'ai faim. Tu n'as pas eu d'ennuis en chemin au moins ?

A l'idée de manger, mon ventre se mit à gargouiller. Je me rappelais cependant que la situation était loin d'être amusante, et m'inquiétais pour mon ami qui avait pris le risque de sortir pour faire tous ces achats.

- Tout s'est bien passé.

Moi qui tenais à lui faire plaisir et lui proposer quelque chose d'appétissant dans ce que j'avais acheté, voilà que je me retrouvais à choisir pour nous deux. Je haussai les épaules pour examiner cela d'un air moins distrait, songeant qu'Ayura n'était pas quelqu'un de difficile dans ses goûts, du moins n'avait-elle mangé - ou dévoré - que des choses qu'elle aimait jusqu'ici, lorsque je m'étais trouvé à partager un repas avec elle. Mais les événements récents ne l'avaient pas chamboulée: ils l'avaient anéantie. Elle reprenait des couleurs, elle parvenait malgré tout à trouver le sommeil comme me l'avait confirmé sa présence endormie lorsque j'étais entré; mais son regard témoignait encore de son émoi et de son état perturbé. Lui demander quelque chose d'aussi simple et sommaire était peut-être plus compliqué pour elle que je ne l'aurais imaginé. Glissant les doigts sur une entrée de l'hologramme, je sélectionnai un plat chaud de viande mijotée dans une sauce difficilement descriptible, qui n'avait pas d'équivalent réel auquel j'eus pu goûter un jour.
Il fallait que je la rassure. Il fallait que j'apaise la jeune joueuse au sujet de cet endroit, de sa situation, de ce qui l'entourait. Si elle avait confiance en moi alors j'étais peut-être la seule chose dont elle était certaine dans ce palier et cette ville. Maintenant que l'incident était passé, elle devait se reposer le temps de reprendre ses esprits, mon appartement semblait être le seul lieu approprié et que je pensais être le plus sûr. Comment pouvais-je veiller sur elle et la protéger mieux que chez moi? Essayant au mieux de lui adresser un sourire avenant, je finis par me lever d'un bond.

- Bien. Je meurs de faim pas toi? Ne me dis pas le contraire.

Je sortais mon réchaud de mon inventaire et le disposai sur la table pour réchauffer le plat qui se transforma en une marmite contenant deux portions. Observant le processus avec attention, je tournai les yeux vers Ayura pour l'inciter à me rejoindre mais je constatai à son regard qu'elle ne bougerait pas du lit. C'était sans doute devenu une nouvelle forteresse pour elle en quelques minutes. Je ne voulais pas la sortir de cette bulle sécurisante, elles devaient être rares autour d'elle... Songeant à ce qu'il me restait à faire, je tirai de mes items le sac de couchage que je disposai sur le sol, près du lit, puis approchai une chaise pour manger en face à face. Et j'esquissais une grimace: elle m'avait invité à dormir avec elle mais s'il était possible de procéder autrement, autant éviter d'attirer des ennuis à l'un ou à l'autre plus tard, je sentais son regard perplexe étudier les mouvements en silence. Non, la véritable raison était que je tenais à ce que son sommeil soit réparateur et que je ne voulais pas la déranger. Voilà un joli paradoxe: j'en venais à me faire aussi insignifiant et minuscule que possible dans mon propre appartement.

Terminant le repas, j'avais migré de la table à la chaise, puis de la chaise au lit pour parler avec elle des étoiles. Les premières se profilaient dans le ciel et nous les désignions ensemble. J'avais déjà constaté que c'était un sujet qu'elle affectionnait et qui l'apaisait, idéalement ce dont elle avait besoin. Tant et si bien que je voyais ses yeux fatiguer au fur et à mesure de nos pérégrinations nocturnes lorsque nos regards passaient d'un astre à l'autre. Dans l'Aincrad pas de pollution atmosphérique ou lumineuse possible: le jeu n'était pas axé cyberpunk ou steampunk. Pas de fonderie imposante ou d'odeur de poudre à canons. L'époque plus moyenâgeuse de Sword Art Online nous laissait apercevoir des ciels ouverts et scintillants même dans les villes les plus grandes. Désormais, l'agitation récente allait avoir raison d'elle d'un instant à l'autre, et j'attendais patiemment le moment où elle s'endormirait enfin pour ne plus être réveillée - et à ce moment-là, j'allais pouvoir me détendre à mon tour.
Sa journée prendrait fin là où la mienne s'allongerait encore de quelques heures. Je devais chercher ces tueurs sur ma carte, m'assurer qu'ils ne changeaient pas d'étage, qu'ils restaient groupés, telle une meute de loups, pour pouvoir les appréhender tous en même temps. Que, déçus de ne pas avoir mis la main sur une cible de qualité, ils ne s'en prenaient pas à quelqu'un d'autre et qu'un nouveau nom serait rayé sur le tableau funeste du château de fer. Et après tout cela j'allais pouvoir me reposer avec elle.

Seulement voilà... Sa tête alourdie s'était appuyée contre mon épaule et ne l'avait plus quittée depuis de longues minutes déjà. Et risquer de se déplacer de plus de dix centimètres l'aurait probablement réveillée. Inquiet de ne pouvoir vérifier tout ce que j'avais planifié, peut-être même de ne pouvoir aller à leur rencontre pour épargner à Ayura ce calvaire supplémentaire, je devais cependant admettre avoir accompli ma mission journalière la plus importante. J'avais souhaité qu'elle soit enfin en paix? Avec brio. Je roulai des yeux, me raclai discrètement la gorge sans avoir aucune réponse, et d'un mouvement aussi minime que possible j'affichai mon interface pour en tirer quelque chose que je posai près d'elle. C'était une peluche que j'avais trouvée pour elle lors de mon excursion urbaine et mon ultime achat de la journée. C'était ridicule, oui, sans doute n'en voudrait-elle pas. Mais il y avait aussi eu un instant de doute dans mon esprit qui m'avait décidé: c'était peut-être au contraire précisément ce dont elle pourrait avoir besoin pour trouver du réconfort. M'assurant que l'animal en peluche ne tombe pas sur ses genoux et la tire de son sommeil, je souriais, basculai la tête en arrière jusqu'à ce qu'elle touche le mur derrière nous pour enfin fermer les yeux.

Le dos contre le mur, les jambes repliées contre moi et le visage posé sur mes genoux, je l'observais préparer notre repas. La marmite, une fois sur le réchaud, faisait un bruit de ragoût en train de mijoter, et dégageait une délicieuse odeur. Mes yeux ne pouvaient se détacher de ce spectacle et mon ventre, lui, se régalait d'avance. Tandis que j'observais chacun des gestes de mon ami, je me pris à penser que je me sentais chez moi ici. C'était paradoxal. D'abord parce que cet appartement n'était pas le mien, ensuite parce que la raison de ma venue d'avait rien d'une visite de courtoisie et enfin... Parce que nous étions coincé dans un autre monde, loin de celui que l'on appelait communément "monde réel", ou plutôt, de celui dont on ne parlait plus.

- Si, je meurs de faim ! Ca fait un petit moment que je n'ai pas mangé il faut dire !

J'avais répondu avec un léger décalage, mais je savais qu'il ne m'en tiendrait pas rigueur. Je n'étais pas au mieux de ma forme, il en tenait compte.
Quand mon ventre de pixel se mit à nouveau à grogner, je posai une main dessus, me demandant pourquoi Kayaba avait rajouté cet aspect dans un jeu. Etait-ce pour la gourmandise des joueurs ? Avait-il pensé que manger pourrait manquer aux personnes enfermées dans son jeu? Si c'était le cas, alors cet homme était vraiment un génie. Jamais je n'aurais pu rester enfermée si longtemps sans avaler de bonnes choses. Je serais devenue folle, pensais-je tout en observant Kirito installer un sac de couchage à côté du lit. Pourquoi faisait-il cela au juste ? Ma proposition de dormir ensemble était-elle trop étrange à son goût ?
Pour déguster mon repas, je m'étais approchée du bord du lit sans en sortir. Kirito, en face de moi s'était installé sur un chaise. De ce fait, il était un peu plus haut que moi, et je devais lever la tête pour le regarder. Ce n'était pas un problème, car je ne comptais pas l'observer plus longtemps. Le repas était prêt, c'était à présent ce qui attirait toute mon attention.

- Bon appétit, et merci pour le repas !

Je lui avais souri avant de commencer à manger. La sauce était absolument délicieuse, un peu relevée mais pas assez pour me faire grimacer. C'était un équilibre parfait. Cela ressemblait à un plat oriental, mais je n'aurais su dire s'il existait vraiment ou s'il avait été crée pour le jeu.
Une fois mon repas terminé, je retournais m'installer au fond du lit, laissant mon ami vaquer à ses dernières occupations avant qu'il ne me rejoigne, s'installant à côté de moi. Celui-ci me proposa d'observer les étoiles qui commençaient à se profiler dans le ciel. Instantanément, mon regard se tourna vers le ciel que l'on pouvait observer par la fenêtre. Même s'il s'agissait d'un faux monde, de fausses étoiles, d'une fausse voie lactée... Cela n'en était pas moins beau. Les graphismes étaient magnifiques, et si les constellations avaient été les mêmes que dans le monde réel, alors je n'aurais sans doute pas été capable de différencier le vrai du faux.

- Est-ce que tu crois que ces constellations ont un nom ?

Si elles n'en avaient pas, alors ce serait à nous, joueurs, de leur en trouver, pensais-je en observant une suite d'étoiles qui formaient quelque chose qui ressemblait à un bouclier. Existait-il des PNJ astronomes qui pourrait nous donner plus de détails sur celles-ci ? Leur histoire liée à une certaine mythologie ou à une croyance ? J'étais curieuse. Mais toutes ces pensées me fatiguaient. Si bien que je sentais peu à peu mes yeux se fermer. Ainsi posée contre l'épaule de Kirito, j'étais confortablement installée. Assez pour sombrer sans même m'en rendre compte, sans même pouvoir lutter, ne serait-ce qu'un peu.

La lumière du jour passait à travers la fenêtre, ce qui commença à me tirer doucement du sommeil. Mais ce qui m'en tira définitivement fut un vacarme insoupçonné. Ces cris m'avaient fait sursauter, si bien que j'avais serré contre moi... Une peluche ? Je ne savais pas d'où venaient ces cris, mais il était certain qu'il s'agissait d'un homme, et qu'il était complètement ivre. Je ne m'en souciais plus maintenant, quelque chose de plus important se trouvait sous mes yeux. C'était un superbe petit chien en peluche, tout doux, et il était entre mes bras. Est-ce... Est-ce qu'il était à moi ? Je n'osais pas poser la question, me contentant de le serrer contre moi; Peut-être était-il à Kirito ? Non, je l'aurais vu dans le lit, pensais-je en me tournant doucement dans le lit. Au fond, je mourrais d'envie de lui poser la question, mais celui-ci n'était pas encore réveillé. Surprise, j'arquais un sourcil. L'ivrogne hurleur ne l'avait pas réveillé ? Vraiment ?! D'abord surprise, mon regard s'était attendri, j'avais faiblement souri. Il était plus vieux que moi, et sans aucun doute bien plus mature, mais quand il dormait, il ressemblait à un adorable enfant, pensais-je, sans me détacher de cette peluche que j'adorais déjà. Bambou, de son petit nom.

'Est-ce que les constellations ont un nom?'. C'était la question sur laquelle j'avais médité tout en me laissant porter par le sommeil. Bonne remarque d'ailleurs. J'avais déjà cherché les étoiles existant de l'autre côté et leurs formations connues et officielles. Elles n'étaient pas les mêmes ici: Sword Art Online avait une galaxie qui lui était propre, et son système solaire se résumait probablement à la Terre, au Soleil et à la Lune. Et tout autour d'eux, des milliers d'étoiles. La texture choisie, peut-être par la distance, donnait une illusion crédible de l'ensemble une fois la nuit tombée: on distinguait faiblement une 3D même perçue d'aussi loin. Et, à vrai dire, le ciel virtuel semblait aussi lointain que son original - ce qui signifiait que ses concepteurs avaient simulé des millions de kilomètres. Je ne cessai d'en être impressionné; si en plus ils avaient nommé des constellations... Je songeai alors que, dès le lendemain, je prendrais du temps pour observer les étoiles et commencer à y chercher des formes suggestives. Là, je pourrais baptiser les premières constellations de l'Aincrad. J'aurais aimé m'y atteler dès l'instant, mais Ayura appuyée contre moi m'empêchait de garder la tête tournée trop longtemps sans risque de la réveiller.

Alors que j'avais sombré la tête dans les voûtes célestes, le soleil avait repris ses droits lorsque j'avais rouvert les yeux. Il m'avait fallu quelques instants avant de reprendre mes esprits, rassemblé quelques fragments de mémoire pour me mettre à la page. Cligner des yeux une fois me permit de me rappeler que j'étais dans mon appartement. Une seconde fois qu'Ayura était avec moi. Je me redressai pour bâiller tout en m'étirant, et en baissant les bras, je remarquai qu'elle me faisait face, une peluche dans les mains. Je fixai l'animal factice une seconde, et, par pur réflexe, je reculai la tête comme si j'étais sur la défensive.

- J'ai... Euh, j'ai pensé que tu pourrais en avoir besoin...

A la façon particulièrement enfantine - et assez adorable - que la joueuse avait de tenir l'animal en peluche, mes quelques doutes concernant mon achat se turent, et je commençai à penser que je n'avais pas à le regretter. Déviant le regard, j'observai le sac de couchage installé sur le sol qui, en fin de compte, avait été parfaitement inutile. Ayura s'était endormie contre moi avant que je ne ferme les yeux à mon tour et... Quoi ensuite? - Oh non par pitié, rien d'embarrassant... Je m'exclamai d'un simple son rauque un peu crispé avant de passer une main sur ma nuque, et lui adressai un sourire qui se trouva naturellement forcé.

- Tu as bien dormi? Je vais voir ce qu'on a pour le petit déjeuner.

Machinalement j'affichai mon interface, espérant qu'elle ne dise rien concernant la nuit passée l'un contre l'autre. Le repas était un bon moyen de focaliser son attention sur autre chose, à condition d'avoir plus de chance que la veille. Mais à son air reposé, elle semblait avoir véritablement dormi et avait pu prendre un peu de temps pour se remettre de toutes ses émotions. Il fallait seulement que j'en ai le coeur net, restait à trouver comment aborder le sujet avec elle... Je baissai la tête, préférant ne rien dire, mais cherchai déjà à déterminer quel serait le bon timing pour savoir ce qu'elle comptait faire de toute cette histoire. On devrait en reparler elle et moi, dans la journée. Et elle devrait me dire tout ce qu'elle savait à propos de son ancien ami. Il ne pourrait pas courir dans la nature indéfiniment, et comme tout le reste ici, le temps était crucial. Je lui accordai au moins le petit-déjeuner de répit pour ne pas la brusquer de bon matin.

- Tiens j'y pense... Il est déjà 8h15... J'espère que le PNJ nain ne t'a pas réveillée ce matin...

... Ah oui. J'avais complètement oublié de la mettre en garde à son sujet. Je me mis à rire nerveusement en détournant le regard, imaginant que son réveil avait été moins paisible que le mien. A force de dormir ici, je ne l'entendais plus; mais aussi fatigué qu'on soit impossible d'en faire de même sans la force de l'habitude.

Première relance Ayura.

Doucement, Kirito ouvrit les yeux, la lumière semblant le gêner un peu il cligna des yeux et s'étira de tout son long. Quand nous avions dormi ensemble à d'autres reprises, c'était toujours lui le premier debout, alors ce spectacle ne m'était pas familier. Serrant la peluche contre moi, je savourais cet instant paisible car je savais que cela ne durerait pas. Mieux valait ne pas trop y penser cependant.
Quand mon ami posa ses yeux sur moi, je lui avais gentiment souri, sans desserrer les bras qui tenait mon petit animal en peluche. Sans le savoir, Kirito m'avait fait un très beau cadeau. Dans le monde réel, j'adorais les peluches, j'en avais des tas sur mon lit... Ici, ce n'était pas facile d'en trouver, mais surtout, je n'avais jamais osé m'en acheter une. En effet, l'Aincrad forçait les gens à grandir. Nous devions nous battre contre des monstres, gagner notre propre argent pour survivre, acheter des équipements toujours meilleurs pour assurer notre sécurité, acheter des potions de soin pour ne pas prendre de risques... Il fallait être un adulte, même si nous n'avions pas encore l'âge d'en être de l'autre côté. Mais Kirito semblait loin de toutes ces considérations et m'avait fait me sentir comme chez moi... Comme si ce monde virtuel était ma réalité.

- Kirito... Merci.

J'avais souri plus franchement et m'étais légèrement caché le visage derrière le petit chien. J'étais ravie, et mon regard devait le lui hurler. C'était exactement ce dont javais besoin pour aller mieux !
Lorsqu'il parla de manger, mon ventre gronda avec un manque d'élégance certain, et mes joues se colorèrent en l'entendant. Pour le faire taire, j'avais posé l'une de mes mains dessus, mais cela n'avait pas eu plus d'effet que si j'avais jeté un verre d'eau pour éteindre un brasier.

- Je ne suis pas contre manger quelque chose... Héhé...

Mon regard se posa un instant sur le sien avant que je ne me mette à rire. C'était ridicule, alors mieux valait en rire. Avec lui, je n'avais aucune honte à avoir, je pouvais être moi-même. Et le cri de famine de mon ventre faisait indéniablement partie de moi, bien que j'eus préféré que ce ne soit pas le cas.
Soudain, il évoqua les cris que j'avais entendu, et mes sourcils se froncèrent un peu.

- Un... PNJ ? Ca veut dire... Qu'il hurle comme ça tous les matins ? Et il ne te gène pas pour dormir ? Avec tout le vacarme qu'il fait à lui tout seul ?!

Je l'avais regardé après m'être un peu redressée et je m'étais à nouveau mise à rire. Il avait un don pour l'incongruité, et même lors de l'achat de son appartement, il avait trouvé le moyen de ne pas faire comme tout le monde. Je ne savais pas si cela relevait de la malchance ou d'une certaine forme de génie, mais en tout cas cela faisait partie de sa personnalité, tout autant que mes cris de famine. Vraiment, nous formions une drôle d'équipe, pensais-je en commençant à prendre le petit déjeuner. Mais au moins, c'était une équipe qui fonctionnait bien, et je ne l'aurais changée pour rien au monde. Les jours qui allaient suivre seraient probablement difficiles, autant pour lui que pour moi, mais je savais que je pouvais compter sur lui, et j'espérais tout au fond de moi qu'il savait qu'il pouvait compter sur moi aussi.

Pseudo : Ayura
Nombre de messages : 10
Cols gagnés : 1390
Cols dépensés : /
Objets utilisés : /
Objets obtenus : /
Compétences gagnant des points : /
Niveau début du rp : 39
Niveau(x) gagné(s) : +1
Réputation : ¤8
Remarques : Rien à dire, c'est mignon, plein d'émotions et poignant. On sent l'attachement et l'inquiétude ^^



Pseudo : Kirito
Nombre de messages : 9
Cols gagnés : 1485
Cols dépensés : 302 cols
Objets utilisés : /
Objets obtenus :
Viande d'aigle x1
Saumon Rose x1
Sac de couchage X1
Couverture X1
Plats et desserts divers X10
Cape grise (sans stats) X1
Tenue civile pour filles X1
Peluche de Chien X1.
Compétences gagnant des points : Pêche +1
Charge +1
Épée à 1 main +1
Niveau début du rp :65
Niveau(x) gagné(s) : Bloqué
Réputation : +8 ¤3
Remarques : Idem que pour Ayura, même si l'inquiétude est légèrement plus ténue et contenue ^^