Étage 6 - Ephemeral Salvation [feat. Lacaion]

Ephemeral Salvation

- 15 août 2023, 00:01 -

"Peut-on fabriquer des feux d'artifice?"

Allongé sur les draps, les bras croisés derrière la tête et le regard dirigé vers le plafond de mon appartement du quinzième étage, cette question tournait dans ma tête encore et encore. Je fronçai les sourcils pour les défroncer l'instant d'après, me tournai sur le côté et après avoir adressé un regard à ma petite colocataire endormie depuis peu, je retrouvai ma posture initiale pour croiser les jambes. De l'autre côté l'Histoire n'était pas vraiment mon domaine de prédilection - ni là où je plaçai le plus d'intérêt parmi les matières scolaires, je devais bien l'admettre - mais si ma mémoire était bonne, on était capable de produire cette pyrotechnie depuis au bas mot quelques centaines d'années. Sword Art Online plaçait son contexte au Moyen-Âge, certes plus européen, mais les époques coïncidaient. La période historique s'étendant sur près d'un millénaire, je pouvais cependant avoir tort et je tentai maladroitement d'aligner quelques dates approximatives dans mon esprit pour écarter la piste de l'anachronisme. Il était déjà arrivé de repérer quelques-uns de ces faux raccords dans l'Aincrad d'ailleurs, mais connaissant le génie de Kayaba, j'avais toujours douté que ce soit involontaire.

Une fois, lors d'une soirée tardive au Palier 7, j'étais presque certain d'avoir aperçu la fin d'un feu d'artifice dans ce village habité par les NPC que les joueurs ne pouvaient atteindre. Depuis cette question était revenue de temps à autre: mais pour la première fois, elle avait un contexte. L'horloge gravée dans mon champ de vision m'indiquant qu'il était plus de minuit, nous étions donc tout juste la veille de la troisième plus grande bataille livrée contre le système - ou la plus grande, en terme de statistiques. Dans moins de vingt-quatre heures, l'étage de lave et de cendres allait redevenir le théâtre d'un affrontement qui m'inquiétait, comme à chaque fois. Parce qu'Ayura avait l'intention de participer, à l'instar de Laz que j'avais aidé un peu plus tôt dans la journée, Yagi récemment rencontrée et, naturellement, Shade et Shukuro avec qui je partageai l'emblème de guilde. C'était peut-être pour cette raison qu'à cette heure-ci je ne dormais pas encore, trop concentré sur cette réponse qui, peut-être, importait peu.
Ce que je savais de source sûre, cependant, c'était que les deux premières soirées célébrant la victoire des combattants avaient tourné au drame lorsque l'on avait commencé à compter les morts. Il fallait pourtant que ce moment de détente pure et dure en restât un; alors pour mettre un peu de baume au coeur des joueurs, j'avais songé à reproduire un feu d'artifice. J'avais conscience que ce geste était à double tranchant: si certains allaient peut-être voir là-dedans que ce monde n'était pas qu'une prison hostile, d'autres se rappelleraient sans doute la raison de notre combat. Le spectacle pouvait tout autant susciter une vague de nostalgie douloureuse aux teintes aigre-douces qui toucherait certaines esprits et, à l'issue, l'autre côté allait fatalement leur manquer. Cette possibilité avait beaucoup freiné mon désir, pourtant je ne pouvais m'empêcher de voir plus de positif que de négatif. De toute façon, si jamais j'avais eu tort et que, d'une manière ou d'une autre, la soirée de festivités suivant l'affrontement allait encore être une souffrance supplémentaire, je m'étais juré de ne même plus essayer de mettre les pieds à toutes les autres.

Cette nostalgie ne m'avait d'ailleurs pas épargné. N'étant pas un chimiste expert mais un simple collégien, je ne savais pas avec exactitude comment étaient fabriqué les feux d'artifice, mais j'étais certain de la présence de soufre. Tout celui que j'avais respiré au trentième étage, à l'odeur si particulière, avait ravivé les songes des festivités de Hanabi qui se déroulaient tout près de chez moi, à Saitama.
Mes parents n'ayant pas pu nous y emmener, j'avais accompagné ma petite soeur, parée d'un joli yukata, visiter les stands et rester jusqu'à une heure un peu déraisonnable pour des enfants pour profiter du spectacle nocturne. J'approchai des dix ans et sur le chemin du retour, je lui avais promis de l'y escorter l'année suivante.
Mais prenant mes distances quelques mois plus tard, je ne l'avais jamais fait. Au fond elle me l'avait peut-être secrètement reproché, alors que je ne me rappelai de cette promesse que des années plus tard.

Refoulant un soupir, j'affichai mon interface et tournai les yeux vers Ayura qui ne s'était heureusement pas réveillée. Je sélectionnai aussitôt ma liste de contacts que je faisais défiler pour voir qui pouvait me répondre.
Aussitôt, mon regard se stoppa sur un nom dont le profil me semblait parfaitement adapté, un peu trop peut-être: un alchimiste informateur. Qui de mieux qu'un artisan capable d'en produire tout en ayant comme réelle ambition de glaner le plus d'informations possible pour la communauté? Satisfait, je cliquai sur son nom puis retenais mon geste lorsque je voulus afficher sa position sur la map: le voyeurisme n'était pas mon genre, savoir où il se trouvait dès maintenant ne m'apportait rien. Emballé j'avais souhaité aller le visiter la nuit mais je venais de me convaincre à temps que c'était la dernière des bonnes idées. En plus de le trouver probablement endormi, il m'aurait à juste titre reproché des heures supplémentaires. Je tiquai contre ma curiosité piquée au vif maintenant que j'avais un début de piste et, un peu frustré, je dissipai l'UI pour fermer les yeux.

Ma dernière pensée, jusqu'à trouver le sommeil, avait été le joli yukata coloré que Suguha portait durant cette soirée.

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Ephemeral Salvation

- 15 août 2023, 13:48 -

Tout en contemplant la plaine enneigée qui se profilait déjà au-delà de la zone d'habitations principale du sixième étage, j'expirai doucement et en inspirant, j'eus l'impression que la morsure du froid gelait déjà mes joues et ma gorge. C'était une vision panoramique particulièrement revigorante à chaque fois alors que l'on n'avait pas même fait un pas sur le palier - et l'air hivernal contribuait largement à cette sensation. Je ne craignais pas particulièrement le froid ambiant, pas plus que le chaud, depuis que je tentais de m'y habituer pour supporter mon équipement par tous les temps; pourtant je ne pus m'empêcher de remonter le col de mon manteau avant de quitter le portail de téléportation. Nous étions au beau milieu de l'été, la température avait gagné un cran dans la majeure partie des étages en plein air. Quant à moi, j'arpentais depuis des semaines le volcan qui abritait Volcanos, le boss contre qui le front de libération allait croiser le fer dès le lendemain. Par conséquent, l'écart entre ces deux décors, le brasier et la glace, devait sans exagérer dépasser les cinquante degrés Celsius.

La map de mon interface affichée devant moi, je quittai la Safe Zone pour commencer à traverser la plaine. Grâce à la demande d'ajout dans la liste de contacts, je pouvais vérifier la position des gens qui constituaient la mienne à tout moment, et d'après la carte, c'était ici que Lacaion se trouvait. Pour être sûr de ne pas manquer l'informateur, j'avais checked son emplacement deux fois dans la journée - les deux seules fois tout court en fait. D'abord j'avais songé qu'il était plongé dans une simple escapade en quête de loots lorsque je prenais mon petit-déjeuner après mon réveil tardif le matin, et je pensais que discuter avec lui tout en l'aidant nous permettait de faire d'une pierre deux coups. Mais en vérifiant à nouveau vers treize heures, j'avais pu constater qu'il s'y trouvait encore. Ma théorie s'était alors basée sur le fait que l'alchimiste n'aimait pas vraiment la chaleur estivale et qu'il la fuyait en choisissant un étage contre-pied. En outre, quand j'avais quitté mon appartement il m'avait semblé que même si l'atmosphère était bien moins suffocante qu'au trentième palier, elle était plus torride qu'à son habitude. Et en gagnant la zone de téléportation, un NPC sur mon chemin s'était plaint de la chaleur, ce qui avait fini de confirmer ce pressentiment.

Bref, le mystère de Lacaion retrouvant la neige disparue depuis des mois semblait peu à peu se préciser dans ma tête. Du moins l'aurais-je pensé; car lorsque je vis, dans la steppe à l'orée d'un bois et à l'écart des cavernes rocailleuses, une bâtisse surmontée d'un écriteau indiquant Lux Phiala, j'admettais mentalement m'être complètement planté avant de me remettre en marche.
J'ignorais qu'il avait un commerce statique et je pensais que le personnage était plutôt un nomade, qui arpentait les étages accessibles pour glaner des infos - comme les bons spots de plantes pour concilier ses deux occupations majeures. Du moins le pensais-je également concocter des potions, ce qu'il ne m'avait, à ma connaissance, jamais confirmé.

Le bâtiment était assez sommaire, majoritairement en bois et je lui souhaitais sincèrement avoir de quoi le chauffer s'il y séjournait quotidiennement. L'origine du nom qu'il avait choisi me semblait être du latin, mais j'en ignorais la signification. Tout en pensant que je devais lui demander pour étancher cette curiosité un peu puérile, je poussai la porte en bois. Une clochette tinta immédiatement, et je me tournai la tête vers la gauche pour apercevoir puis approcher le comptoir. Il n'y avait personne dans la pièce, pas même le gérant de l'endroit. Tout en admettant qu'il était parfaitement inutile de revérifier une troisième fois sa localisation sans tomber dans le voyeurisme, je m'adossai au bois, un coude appuyé, pour détailler un peu l'agencement: les vitrines exposées confirmaient que son statut d'alchimiste était exploité. Je remarquai aussi un banc bien en évidence face à la porte d'entrée que j'avais manqué et qui me fit grimacer, mais mon impatience m'avait immédiatement fait chercher le tenancier.

- C'est... Je sais pas trop comment dire..., murmurai-je en levant légèrement les yeux vers le plafond.

Sobre? Mature? Classe? Les trois adjectifs qualifiaient bien l'espace, son propriétaire aussi d'ailleurs. C'était à se demander si de l'autre côté il ne travaillait pas dans le business.

Perdu dans mes pensées, je n'entendis pas tout de suite les bruits de pas. Mon regard venait de tomber sur l'horloge holographique et je me mis immanquablement à compter les heures nous approchant de la bataille du lendemain.

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"C'est pas vrai !" cria Lacaion en envoyant par terre ce qui se trouvait sur l'établi, faisant apparaître une myriade de fenêtres violettes indiquant [Immortal Object] un peu partout.

Il était déjà 13h passée et le trentenaire n'avait rien mangé à part un petit pain rond dur comme une pierre il y avait plus de douze heures maintenant. Il venait de rater une autre expérience en tentant de mélanger trois [Corydales solides] avec les deux [Plumes de Corbeau] qu'il avait pu ramasser il y a deux jours. La fiole contenant un liquide gris-noir dégageait une fumée opaque assez clichée avant de disparaître suite à l'échec du craft.

A part sa trouvaille sur les potions anti-brûlures, il n'avait rien concocté de viable. Il avait passé un week-end chargé, ne prenant qu'une heure pour dormir dans la matinée de dimanche. Depuis, il avait alterné sans relâche les expériences sur papier et en pratique, allant parfois récupérer ce qu'il avait dû utiliser dans certains paliers inférieurs. Sa longue suite d'expérimentations ratées avait pris fin le lundi matin, vers 11h. Il avait alors décidé de s'accorder une pause pour chercher un cuisinier disponible pour le repas de fête qui suivrait la victoire sur Volcanos. En vain. Peu de joueurs perdaient du temps et des ressources pour acquérir et monter une compétence aussi triviale, mais cela contrariait grandement les plans de l'alchimiste.

Il était donc rentré bredouille et de mauvaise humeur la veille au soir, et avait repassé une nuit blanche à expérimenter et récolter pour compenser les pertes. Il ne s'attendait pas à trouver une potion d'invincibilité ou de résurrection, mais au moins quelque chose d'utile. Il venait d'essuyer son dix-septième échec consécutif sans dormir, d'où son accès de violence envers son matériel innocent.

Respirant profondément pour se calmer la tête entre les main, il se leva et ramassa les éprouvettes et autres outils pour les ranger. Il venait juste de remettre le dernier mortier en place quand la sonnette de l'entrée tinta, le faisant sursauter.

*J'en avais oublié que je tenais un magasin, quel idiot... Heureusement que personne ne m'a vu.* soupira-t-il intérieurement. Il alla d'un pas légèrement traînant vers la porte menant à la boutique, se passant une main dans les cheveux pour se coiffer un minimum. *Heureusement que la barbe ne pousse pas ici, j'aurai l'air d'un ours sortant d'hibernation...* se dit-il, maussade.

"Bonjour, bienvenue au Lux Phiala, la lumière qui guide vos p-" commença-t-il d'une voix parfaitement commerciale, mais un peu rauque.

Il s'interrompit en voyant la silhouette de l'adolescent accoudé au comptoir, les yeux légèrement écarquillés. Il ne s'attendait pas à revoir l'épéiste noir aussi vite, et surtout pas ici.

"Kirito-kun ! Si j'avais su que tu passerais, j'aurais passé un coup de balai ! Qu'est-ce qui t'amène dans mon humble boutique ? Besoin de potions ?" demanda-t-il sincèrement enjoué, dissimulant sa fatigue derrière un sourire affable.

Récap':

Ephemeral Salvation

La sensation que je n'étais plus seul était la première chose à m'avoir ramené à l'instant; la seconde, la voix que je reconnaissais et qui provenait de ce qui était manifestement l'arrière-boutique. Un ton détaché et professionnel, étrangement un peu plus caverneux que dans mes souvenirs. Je tournai lentement la tête quand l'alchimiste parut, et j'étirais naturellement un sourire avant de m'écarter du comptoir. Une main d'abord tendue devant moi, je haussai les épaules en déviant le regard.

- Bah, c'est pas comme s'il y avait de la poussière par ici... Ou que je m'étais annoncé.

Je refoulai un soupir sans avoir besoin d'expliciter davantage: dans SAO il était impossible de voir l'endroit se salir à cause de particules, mais surtout, Lacaion ne devait pas être installé depuis très longtemps. J'avais entendu dire qu'il avait vendu en ville ses potions fabriquées dans un atelier loué et qu'il proposait son stock de manière particulièrement sommaire.
Réalisant qu'avoir un endroit fixe, servant aussi de logement, était aussi pratique que confortable, je parcourais à nouveau l'endroit du regard pour détailler un peu plus attentivement l'espace aménagé. Et pour ce faire je n'avais pas hésité à quitter mon post afin d'aller contempler le contenu de la vitrine la plus proche, face au comptoir à quelques mètres.

- C'est donc ici que tu te caches au beau milieu de l'été?

Quand je croisai à nouveau son regard, je fronçai aussitôt les sourcils. Les traits liés à la lassitude ou à la fatigue étaient peu reproduits sur les avatars; ainsi impossible d'avoir des cernes exacerbées même après des nuits blanches. en suivant une logique similaire, on ne pouvait d'ailleurs pas gagner de poids après des repas copieux.
Pourtant, ses yeux semblaient distants. Je reconnaissais ce regard lointain car j'avais moi-même eu des jours sombres où j'avais été incapable de trouver le sommeil. La dernière fois que j'avais vu Lacaion, c'était le jour de notre rencontre. Il s'était montré craintif des monstres de l'étage, mais il ne se laissait pas distraire - bien au contraire. J'avais salué sa concentration malgré la peur; peut-être avais-je eu la chance de le croiser un jour plus propice, ou qu'au contraire je tombais au mauvais moment.
Emballé par cette question qui me taraudait, je n'avais pas pensé un instant pouvoir déranger - en outre, la plupart des commerçants n'hésitaient pas à fermer leur boutique jusqu'à quatorze-heures pour déjeuner. Mais s'il semblait pourtant de bonne humeur, j'ignorais s'il allait vraiment être disponible ou s'il valait mieux repasser - mais quand? La bataille était le lendemain.
Applaudissant mentalement mon sens du timing restreint, je soupirai lourdement avant de redresser la tête que je hochai de droite à gauche.

On verra bien.

- A vrai dire... J'ai une question à te poser.

C'était comme si, jusqu'à rejoindre le comptoir, mon enthousiasme s'était envolé. Pourtant, lorsque j'y reposai une main à plat et que je levai les yeux jusqu'à ceux de l'indicateur, au profil parfait pour me répondre, je n'avais pu m'empêcher d'esquisser un rictus.

- Peut-on créer des feux d'artifices?

Lacaion était autant alchimiste qu'informateur - soit les deux profils types que j'avais imaginés être capable de répondre à cette requête un peu random. Retenant mon souffle, je n'avais pas décroché ses yeux jusqu'à ce qu'il me délivrât le verdict.

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Souriant à la remarque sur sa piètre résistance à la chaleur, il hocha la tête en suivant le jeune homme du regard qui était allé voir une des vitrines. La joie de voir un visage familier avait légèrement balayé la fatigue qui pesait sur son esprit, mais un pop-up apparut devant lui de façon tout à fait impromptu.

Nous n'avons pas détecté de période de sommeil depuis plus de 48 heures. Veuillez prendre du repos immédiatement sous peine de déclencher la mise en sommeil d'urgence.

Lisant le début du message en diagonale, Lacaion ferma la fenêtre sans y prêter trop attention. Il avait eu droit à une alerte similaire hier matin, avec pour seule différence qu'elle avait été déclenché à partir de 24h sans dormir. Il pourrait toujours régler ce problème ce soir après tout.

Il reporta son attention sur Kirito lorsque celui-ci parla d'une question à poser. Son air d'abord grave fit froncer les sourcils de l'alchimiste, mais le léger ricanement qui suivit les arqua aussitôt.

"Peut-on créer des feux d'artifice ?"

L'informateur mit quelques secondes à comprendre la phrase. Il crût d'abord que la fatigue lui avait encore joué un tour et ria doucement, mais le regard vrillé au sien ne laissait paraître aucune touche d'ironie ou d'humour. Il se mit donc à réfléchir, forçant ses neurones à se réveiller.

"Mmh... Difficile à dire. De l'autre côté, il suffirait d'aller dans un magasin spécialisé pour acheter tous les ingrédients déjà prêts. Mais ici... Il faudrait tout d'abord fabriquer de la poudre noire, l'ingrédient principal. Rien que là, ce ne serait pas une partie de plaisir... Il faut principalement du salpêtre, du soufre et du charbon, le tout mélangé dans certaines proportions assez précises pour obtenir la poudre à canon la plus adaptée normalement. Il paraît qu'on peut avoir du soufre au palier 30, mais pour le reste, je ne sais pas." commença-t-il à réciter.

Pour une fois, il était reconnaissant de l'éducation que lui avait donnée son père. Etre l'unique héritier d'une multinationale spécialisée dans l'armement et la guerre lui avait au moins permit d'apprendre beaucoup de choses. Et son amour pour les héros d'antan, dans de vieilles guerres peu connues du grand public, l'aidait aussi à retenir des détails insignifiants comme ceux-là. Mais inutile de raconter l'histoire d'un sombre daimyō japonais de l'ère Sengoku qui aurait fabriqué du salpêtre avec des méthodes pour le moins sujettes à débat... L'épéiste noir demeurait un adolescent après tout.

"Même en partant du principe qu'on arrive à réunir les ingrédients et que je fabrique de la poudre, il faudra encore fabriquer les tubes de lancement et les fusées. Au XXIe siècle, un peu de papier kraft et une mèche suffiraient, mais je doute qu'on ait quelque chose d'aussi pratique que du carton ici." plaisanta-t-il.

"On pourrait y pallier en forgeant des tubes en métal, je suppose... Il faudrait qu'ils soient parfaitement lisses, afin de bien diriger la bombe, mais c'est faisable avec un forgeron assez compétent." réfléchit-il à voix haute en reprenant son sérieux. Il était épuisé mentalement, et son cerveau avait donc basculé en économie d'énergie : il triait ses souvenirs et en ressortait les informations les plus utiles de façon mécanique et méthodique.

"Enfin, quitte à faire des feux d'artifice, autant que ce soit beau, pas vrai ? Il faudra donc des colorants bien spécifiques et qui existe dans ce monde. Généralement, on utilise des métaux en poudre qui produisent une réaction chimique particulière à la chaleur ou à la poudre, comme du cuivre pour du bleu, du sodium pour du jaune ou encore du baryum pour du vert... Mais ici, je ne sais pas si l'on peut réduire en poudre un morceau de minerai. Il faudrait demander à un forgeron pour ça. Peut-être que des composants très colorants peuvent faire l'affaire, comme du piment pour le rouge, ou des baies..." marmonna-t-il en se grattant le menton.

"Voilà tout ce que je sais sur le sujet. Ce qu'on peut faire, si tu as le temps pour ça, c'est commencer par rassembler les ingrédients dont on est sûrs, à savoir du soufre et des colorants. Je pense que si on y arrive, je pourrai fabriquer la poudre ainsi que la bombe elle-même. On verra pour le système de lancement plus tard." conclut-il.

Etant à l'aube d'un combat mortel pour les conquérants, Lacaion devinait sans mal la raison de la demande du jeune homme. Vaincre un boss n'était pas de tout repos, et la récompense matérielle n'était qu'une satisfaction de courte durée. Il fallait entretenir le moral des troupes, aussi bien par la nourriture que par la fête. Et en parlant de nourriture, il se souvint de ses recherches qui avaient fait chou blanc la veille.

"Je suppose que tu voulais en faire pour demain soir, après votre victoire ?" demanda-t-il en souriant et en affirmant sans l'ombre d'un doute le succès du combat à venir. "De mon côté, j'ai mis la main sur un stock de viande assez conséquent, et je voulais organiser une petite fête, mais je n'ai aucun cuisinier sous la main. Tu n'en connaîtrait pas un, par hasard ?" demanda-t-il en grimaçant un peu, craignant la réponse avant même qu'elle n'arrive.

Récap':

Ephemeral Salvation

Cette fois, j'aurais volontiers donné un peu de mérite au monde d'où on venait. Quand on ne savait pas quelque chose, il suffisait de taper quelques mots sur internet pour trouver des milliers - si ce n'étaient des millions - de réponses à notre recherche. Mais nous étions complètement coupés de l'extérieur depuis plusieurs mois, et pour assouvir ce genre de requêtes, on ne pouvait compter que sur sa mémoire, ses contacts, son environnement. Dans le cas d'une recette qui me semblait davantage relever de l'alchimie, j'avais pensé que Lacaion par sa double casquette, puisse me répondre.
Mais pas qu'il savait déjà autant d'informations sur le sujet.

La bouche béante, je l'écoutais déblatérer tout ce qu'il se remémorait avec une facilité déconcertante. Il m'avait d'ailleurs fallu quelques secondes avant d'admettre qu'essayer d'en retenir un maximum était une bonne idée: du soufre, d'accord. J'avais pensé à la même chose grâce à l'odeur si particulière des feux d'artifice lorsqu'ils décollaient dans le ciel. Des colorants, logique. Après tout il y avait souvent des compositions complexes - non, uniques - de bleu, rouge, vert, ... Du charbon parce que la poudre était noire, éventuellement... Mais sur le reste, il commençait à aller un peu vite pour moi.

J'aurais été un piètre artisan...

C'était la conclusion à laquelle j'étais arrivé en le découvrant si renseigné sur la concoction des substances chimiques. Pour me consoler je me rappelais avoir choisi une classe plus adéquate - même si je devais reconnaître que c'était celle qui consistait à user d'une arme et non de sa tête, plus ou moins savamment certes, mais quand même - avant de serrer enfin les lèvres. Tout en hochant pensivement la tête, une main appuyée sur le menton, je décidai de saisir cette occasion rêvée pour me documenter un peu mieux et commençai à réfléchir aux différents objets à rassembler. Au moins je le rejoignais sur le fait qu'étant dans un jeu vidéo, le système allait forcément nous aider à faire les choses de manière plus simpliste. Par conséquent, commencer par rassembler les ingrédients qui nous semblaient être une valeur sûre et se répartir la recherche semblait être le plan le plus optimisé. En outre, celui qu'il avait proposé.

- Impressionnant... soufflai-je en ignorant s'il m'avait entendu.

Je relevai la tête pour le regarder dans les yeux, mais mon regard se mit à fuir. Nous n'avions pas encore engagé le combat que déjà je me réjouissais de son succès... C'était précipité, j'en avais conscience. Seulement voilà... J'avais déjà essuyé deux bad ends consécutives et ma motivation à ne pas me demander qui serait les prochains était cette sortie improvisée qui conclurait l'affrontement du lendemain. Je n'avais pas le temps de me poser ce genre de questions individuelles, pas en représentant une communauté toute entière. Expirant l'air factice emmagasiné dans mes poumons, je levai les yeux pour constater qu'il songeait à la même chose sur une note plus légère.

Il a raison, c'est aussi trop tôt pour le mélodrame.

A sa requête retour, un visage avait instantanément fusé dans mon esprit, peut-être parce que je la côtoyais quotidiennement. Mais en repensant à ces biscuits trop petits et trop cuits qu'elle avait préparés en y mettant toute sa volonté, je songeai que l'embarrasser d'une si lourde responsabilité allait l'inquiéter et elle allait davantage appréhender la fête en elle-même que son motif.

- Je connais bien quelqu'un. Elle s'appelle Sora, et pour avoir goûté ses tartes aux fraises, je peux t'assurer que c'est une valeur sûre...

Je soupirai quand mes papilles me remémorèrent cet agréable moment et j'en salivai par procuration. Haussant les épaules, je tendais une main devant moi pour afficher mon interface. Section inventaire.

- Si tu préfères faire les choses de manière plus conventionnelle qu'un message, je crois que tu la trouveras à l'église du première étage. C'est là que je l'ai rencontrée, mais je peux aussi la contacter et lui parler de toi.

Je glissai dans les titres en cherchant quelque chose de spécifique, et mon constat me désola un peu. Sans me laisser décontenancer, j'envoyais les ingrédients d'alchimie que je possédais. Je n'avais pas grand chose à en faire, alors que l'informateur allait en faire bon usage, je le savais.

Kirito vous a envoyé:
[Sang de Gangr'Elfe] X3.

Accepter?

- Considère ça comme... Euh... Un cadeau d'emménagement, ou une avance sur les ristournes que tu me feras. J'ai bien l'intention de faire partie de ta clientèle la plus fidèle!

Un sourire en coin accompagna cette remarque tandis que j'adressai un signe de main à l'alchimiste. Puis tout en poussant la porte de la main droite, la gauche remonta le col de mon manteau pour affronter le froid que j'avais perdu l'habitude d'éprouver à force d'arpenter le trentième étage - ma prochaine destination. Mais avant de passer le seuil, je m'arrêtai une dernière fois, le visage à demi-tourné vers le comptoir.

- Je me charge du soufre comme je sais déjà où en trouver, et je devrais pouvoir nous dégoter un minerai de forge ou deux.
Je... Merci de m'aider. Je te revaudrai ça.

Le coeur plus léger, je quittai Lux Phiala - dont j'ignorai toujours la signification malgré l'indice qu'on avait du me donner.
Qui était Lacaion, avant? Comment avait-il fait pour en savoir autant sur un sujet pourtant si spécifique que j'étais naïvement venu lui demander? J'avais simplement attendu un 'oui' ou un 'non', et s'il voulait m'aider nous aurions cherché ensemble quoi rassembler. Sur ce coup-là il me faisait gagner un temps précieux.
La bataille approchait et du temps, j'aurais du en manquer.

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Kirito donnait l'impression d'emmagasiner les informations comme une éponge, si bien que Lacaion ressentit une gêne à la fin de son explication. Mais la crainte d'avoir égaré son jeune interlocuteur avait cédé la place à une profonde satisfaction d'avoir réussi à transmettre ses maigres connaissances, ainsi qu'une certaine admiration pour ce garçon à l'esprit vif. Ses souvenirs retournèrent dans les limbes de son esprit embrumé, laissant un arrière-goût amer dans sa bouche et un poids dans sa poitrine. Il détestait vraiment ressentir de la reconnaissance envers son père ou ce qu'il lui avait appris, malgré l'utilité qui en ressortait aujourd'hui.

L'alchimiste écarquilla les yeux de surprise lorsque son ami lui donna un nom susceptible de correspondre à ses recherches. Il le nota dans un coin de son cerveau ralenti, et n'avait nul doute sur ses compétences culinaires en voyant la lueur qui traversa les prunelles du jeune homme lorsque celui-ci se remémora le souvenir sucré d'une tarte aux fraises. Son cerveau recréa sans difficultés l'odeur des tartes et des gâteaux que préparait sa mère autrefois, si bien qu'il avait l'impression de sentir son ventre gargouiller. Il s'empressa donc de répondre pour cacher son embarras.

"Oh, ne t'embête pas ! Je ferai un crochet par l'église pendant mes achats pour voir si je la trouve, je dois passer au palier 1 de toute façon. Merci pour le renseignement !" répondit-il en agitant une main devant lui.

L'informateur tressaillit légèrement lorsqu'un pop-up apparut devant lui. Il s'apprêtait à la refermer en pensant que c'était un nouveau message système inutile, mais il en lut le contenu et accepta l'échange à sens unique d'un index aussi hésitant que sa voix lorsqu'il remercia l'épéiste.

"Merci ! C'est un matériau rare, c'est la première fois que j'en ai sous la main... J'ai hâte de m'en servir en tout cas. Et j'ai le plaisir de t'annoncer que tu es le premier client à mettre officiellement les pieds dans ma boutique, et à me faire un cadeau par-dessus le marché ! Tiens, prends ça comme cadeau de fidélité, ça pourrait t'être utile, surtout si tu retournes au dernier étage. Oh, mais motus pour l'instant s'il-te-plaît, c'est un de mes petits secrets de fabrication." dit-il en faisant un clin d’œil.

Lacaion vous a envoyé :

[Potion de soin niv.6] x1
[Potion anti-brûlures niv.1] x2

Le gérant regarda ensuite la frêle silhouette de l'adolescent se diriger vers la porte afin de suivre leur plan d'action. Il semblait très reconnaissant, et Lacaion compris qu'il ne s'agissait pas d'un simple caprice d'enfant. Ils devaient réussir.

"Fais attention à toi ! Je vais partir faire des emplettes de mon côté, envoie moi un message si jamais je ne suis pas revenu ici avant toi. Et tu le fais déjà, va !" dit-il d'une voix forte en agitant une des fioles de sang qu'il lui avait offert.

Une fois la porte refermée, Lacaion se sentait plus léger. Une nouvelle expérience, avec un but précis et le joueur le plus fort de ce monde pour l'aider : voilà exactement ce qu'il lui fallait pour effacer toute cette frustration accumulée par la série d'échecs fumants des derniers jours. Il ferma la porte de l'atelier, équipa sa cape rembourrée et se dirigea lui aussi vers la sortie. Mais son entrain fut stoppé net par un nouveau pop-up.

ALERT

Attention, mise en route du système de repos d'urgence imminente.

Le trentenaire lut la phrase sans comprendre avant de sentir ses pieds glisser et son champ de vision s'obscurcir rapidement. La dernière chose qu'il vit était la vitrine sur laquelle il avait voulu se rattraper se rapprocher dangereusement de son crâne. Il ne sentit aucun choc, son cerveau déjà plongé de force dans un sommeil profond et sans rêve.

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Un timide rayon de soleil passa par la fenêtre et éclaira les paupières encore closes du vendeur. Ce dernier ouvrit un œil avec difficulté, tentant de retrouver ses repères. Puis le souvenir de sa discussion avec Kirito revint d'un bloc, insufflant un stress aussi soudain que fort à son corps qui reprit son activité dans un sursaut désagréable. Il regarda rapidement son interface pour voir qu'il venait de perdre un peu plus d'une heure à rester étalé sur le plancher de sa boutique. Décidément, entre ça et sa crise précédente, il avait vraiment de la chance que personne ne l'ait vu.

Il se releva en s'appuyant sur la vitrine, se passant une main sur le front à l'endroit qui avait tapé le verre. Aucune trace visible, et aucun point de vie perdu puisqu'il se trouvait en SafeZone. Il nota les informations obtenues malgré lui sur ce "système de récupération d'urgence", et surtout de bien l'éviter en plein combat. Une telle mesure partait sûrement d'un bon sentiment - à savoir, forcer les joueurs à prendre des pauses pour retourner dans la réalité -, mais maintenant que ce jeu était devenu mortel, cette sécurité pouvait l'être tout autant.

Il se promit d'en parler à Kirito à son retour, car l'épéiste noir devait sûrement une partie de sa réputation à des heures de farm intensives. Il ne fallait pas qu'un tel incident lui arrive en zone dangereuse. Frémissant à cette idée, Lacaion sortit enfin du Lux Phiala et se dirigea vers le téléporteur de la ville souterraine afin d'aller au palier 1 chercher ce qu'il lui fallait pour leur quête auto-assignée.

Récap':

Ephemeral Salvation

- 15 août 2023, 20:18 -

Le souffle court, je foulai la neige au pas de course, le regard rivé droit devant moi en direction de la boutique de l'alchimiste. La dernière fois que je l'avais fait remontait à quelques heures, mais j'avais en fait l'impression que je n'étais pas venu ici depuis quelques jours. Un bref regard m'avait confirmé que mes propres traces de pas avaient disparu; le froid m'avait accueilli de plus belle alors que je venais de traverser respectivement un territoire de magma, une plaine tellurique désolée, et, plus chaleureuse, la steppe verdoyante du premier palier.

Faisant un détour vers les quartiers généraux de la guilde des Lames d'Argent, j'avais accédé à notre coffre en essayant de me faire aussi furtif que possible. J'avais eu du remord à l'idée de dépouiller nos denrées à des fins personnelles, mais je partais du principe que mon entreprise égoïste ne l'était peut-être plus si elle était en fait destinée à la communauté.
Mais dans tous nos loots, impossible de mettre la main sur le moindre minerais coloré dont se servaient les forgerons pour craft des armes ou des armures. Je l'avais beau fouillé encore et encore, impossible de mettre la main sur la moindre roche.
Baissant la tête pour chasser la déception, j'étais parti du principe que Shade les avait récupérés pour créer de l'équipement aux combattants du lendemain et que ses intentions étaient manifestement plus utiles que les miennes.
Un bref regard à mon horloge m'indiquant combien cet après-midi m'avait échappé me rappela à l'ordre: je m'étais remis en route aussitôt en direction de Lux Phiala sans perdre cette allure.

Si après tout ça je n'ai pas fini de monter [Sprint] à son maximum...

C'était sur cette pensée que, courant toujours à vive allure, j'apercevais le toit de l'atelier d'alchimie. Puis la silhouette longiligne installée plus ou moins confortablement à même le sol. Il m'avait semblé qu'il n'avait pas remarqué d'emblée ma présence même en ayant ralenti, et par réflexe inconscient, j'avançais plus doucement jusqu'à lui.
Une chance que dans Sword Art Online, nous ne pouvions pas être littéralement à court de souffle puisque l'oxygène n'y était que factice. Pourtant je n'avais pas pu m'empêcher d'inspirer et expirer à plusieurs reprises une fois - enfin - à l'arrêt.

- Je... Pardon de t'avoir fait attendre.

Je détournai les yeux en esquissant un maigre sourire confus, et j'invoquai mon interface pour envoyer à l'indic' tous les drops que j'avais pu récupérer. Tout ce qui devait l'intéresser pour concocter des feux d'artifices était désormais livré, mais pas en temps et en heure. J'avais conscience de ce manque de professionnalisme, et Lacaion avait, contrairement à moi, un commerce à faire tourner.
Tout en espérant qu'il n'attendait pas là, les fesses et les pieds dans la neige tassée, depuis le message que nous nous étions envoyés dans l'après-midi, je me risquai à lever les yeux. Mais très vite, ils roulèrent à nouveau.

- Je n'ai pas réussi à trouver de minerais dans mon coffre de guilde.

Prenant une inspiration plus lourde, je fis un pas vers lui et pivotai pour observer le même paysage que lui. Inconsciemment, je me penchai en avant, les mains sur les genoux, et me redressai aussitôt pour étirer mon dos. Sans doute était-ce du à ces pérégrinations endiablées, mais mon épée reposant contre mon omoplate me sembla soudain bien lourde. En le constatant, je fis rouler mes épaules entre mes doigts, puis mon cou dans un axe latéral.
Mes muscles enfin plus détendus, j'esquissai un sourire plus carnassier - quoiqu'un peu amer.

- Il n'est sans doute pas trop tard pour aller en acheter auprès d'un commerçant NPC. Tu n'as qu'un mot à dire et je m'y remets.

Codage: Libella; Image: tumblr.

Note pour la modération:

Le crissement de la neige tira lentement Lacaion de sa semi-torpeur. Voyant son jeune camarade approcher et le souffle court, il se releva tranquillement et épousseta la neige sur ses habits avant de lui répondre d'une voix calme.

"Ne t'en fais pas, j'étais en train d'entraîner un skill en t'attendant. Et comme tu peux le voir, c'est le calme plat ici. Je n'ai peut-être pas choisi le meilleur palier pour ouvrir un commerce." dit-il en riant doucement.

L'adolescent semblait intact, du moins en apparence. Mais il avait l'air épuisé et sa journée avait sûrement été bien plus chargée que celle de l'alchimiste. Le fait que leur coffre de guilde était exsangue de tous minerais était en fait très logique à la veille de la bataille, mais aucun d'eux n'y avait pensé avant. Au final, ils pouvaient toujours commencer leurs expériences dans un ordre différent, Lacaion pouvait acheter des minerais au marché sans embêter Kirito après tout. Contrairement aux composants que l'épéiste a dû aller chercher Dieu sait où.

"Beau boulot en tout cas. On va faire sans pour le moment, je dois en avoir un ou deux qui traînent dans l'atelier. Repose toi un peu va, quelque chose me dit que tu l'as bien mérité." dit-il en tendant une banane à son partenaire et en continuant à fixer l'horizon comme lui. La liste de drop était très conséquente, et bien que l'informateur sache que le jeune homme à ses côtés était parmi les joueurs les plus forts de ce monde, il n'osait même pas imaginer ce qu'il avait dû traverser pour en récolter autant en aussi peu de temps.

Le regardant s'étirer, il sourit et lui proposa plutôt d'aller à l'intérieur pour tenter les premiers mélanges et se reposer. Il avait fait sa part du travail, maintenant c'était au tour de Lacaion. Ouvrant la porte le premier, il invita le combattant à sa suite en laissant la porte ouverte, avant de filer dans l'atelier. Il tira la chaise en face de l'établi pour laisser le jeune homme s'asseoir, et en fit le tour tout en examinant attentivement les drops obtenus. Il ouvrit un des deux coffres en bois présent dans la pièce, en fouillant la liste du contenu. Il poussa une petite exclamation satisfaite quand il parvint à retrouver des minerais Gris Acier. Si c'était bien le composant clé, cela devrait donner un bel argenté. Du moins, en théorie.

L'alchimiste entreprit alors de sortir tout les composants ramenés par son fidèle client, et les tria sur son espace de travail. Il déséquipa son armure, le laissant en chemise simple, et il se retroussa les manches avant de se mettre au travail. La nuit allait être longue, mais c'était le meilleur moyen de participer à la bataille de demain pour le trentenaire. Son seul moyen.

Récap':

Ils disposaient donc en tout de vingt-et-un [Soufre] et de douze [Salpêtre], soit une dizaine de tentatives si Lacaion respectait les quotas de l'autre monde. L'alchimiste se concentra, réfléchissant au meilleur procédé à suivre. Le moindre gâchis réduirait d'autant l'effet positif du feu d'artifice, si tant est qu'il existe. Mais quelque chose au fond de lui le poussait à essayer et à y croire, coûte que coûte.

Il prit devant lui deux morceaux de [Soufre] et un bloc de [Salpêtre]. Les deux composants, l'un jaune canari et l'autre blanc, semblaient relativement friable et Lacaion commença donc par les réduire en poudre à l'aide de son mortier, dans des gestes lents et précautionneux. Il ne savait pas à quel point le système avait rendu ces cristaux semblables à ceux de leur monde natif, mais là-bas, la moindre étincelle provoquée par une friction trop brusque dans cette opération pourrait faire sauter l'établi entier ainsi que sa modeste personne en un clin d’œil.

Une fois les deux tas de poudres obtenus et séparés dans des petits bols en terre cuite, l'artificier du dimanche sortit un [minerai Gris Acier] avant de se gratter le menton. Comment procéder ? Il prit son burin et son marteau pour commencer par débiter le caillou en plus petits morceaux afin de les réduire en poudre eux aussi par la suite.

"Au fait, il m'est arrivé un drôle de truc quand tu es parti ce midi. Est-ce que le "système de repos d'urgence", ça te parle ? Le mien s'est activé après plus de quarante-huit heures sans dormir, ça te plonge de force dans une sorte de sommeil profond. Je me suis dit que tu devais pas mal farmer dans ton coin pour être à ce niveau, donc fais attention quand même à ce que ça ne t'arrive pas en zone hostile... Le sommeil forcé est d'environ une heure minimum, il me semble. Je ne veux pas jouer les parents surprotecteurs, mais ne te surmène pas trop." conclut-il sur un ton léger mais sérieux en regardant brièvement le jeune épéiste entre deux coups de maillet.

Une fois le minerai débité en une dizaine de petits morceaux, l'alchimiste les regarda un moment en réfléchissant à la meilleure manière de les mélanger aux poudres. L'instant fatidique approchait.

Roulant des épaules pour détendre un peu son dos, il se concentra afin de ne pas trembler. Il versa tout d'abord les deux poudres explosives dans un récipient plus gros, et écarta vivement les bras en reculant d'un pas, fixant le mélange comme s'il menaçait de sauter à tout instant. Heureusement, aucune explosion n'était à déplorer. Soupirant discrètement de soulagement, Lacaion voulut prendre les blocs de minerai, mais ceux-ci se mirent à trembler avant de disparaître dans une petite explosion de pixels. Réussir du premier coup était complètement présomptueux de sa part, il le savait, mais cela aurait laver ses innombrables échecs du week-end.

Soufflant lourdement tout en posant les mains sur l'établi, la tête baissée, l'alchimiste respira profondément pour avaler ce premier raté.

"Evidemment, ça n'allait pas marcher du premier coup. En tout cas, la réaction semble confirmer deux choses : tout d'abord, le mélange de [Soufre] et de [Salpêtre] semblait bon, car le système n'a pas réagi pour le détruire. Deuxièmement, je peux pratiquement affirmer que les minerais ne servent bien qu'aux forgerons. Je me souviens lors du dernier camp d'entraînement qu'un autre alchimiste avait tenté de mélanger un minerai à sa potion sans succès apparemment." dit-il avec un sourire à moitié déçu vers son partenaire nocturne tout en levant un doigt à chacune de ses énumérations tirées de ce premier échec cuisant.

Il sortit son inséparable petit carnet noir et retrouva la page sur laquelle il avait griffonné des idées de mélanges susceptibles de répondre à la requête de son client et ami. Il annota ses conclusions sur la page de droite et raya la première hypothèse qui s'était révélée infructueuse, avant de regarder les suivantes.

"Mmh... On peut retenter le coup avec des gemmes, ou bien des colorants alimentaire ou animal. Qu'en penses-tu, betterave ou améthyste ?" demanda-t-il au jeune garçon en riant doucement, aussi sérieux qu'excité par leur entreprise.

Récap':

Ephemeral Salvation

- ... Je crois que sur ce coup-là je vais accepter la proposition. Sankyuu. répondis-je d'un air ennuyé en tendant la main pour récupérer la banane que mon ami me tendait généreusement.

Les gens ont tendance à suivre le gré des saisons, et par conséquent surtout après le premier hiver dans l'Aincrad, les plages sont bien plus fréquentées que les pics enneigés. Si je ne lui souhaitais pas de manquer de clients, sur l'instant je n'avais pas pu m'empêcher d'être soulagé de savoir que même si personne n'était passé dans l'après-midi, personne n'allait passer dans la soirée - en outre, la grande majorité des commerces étaient fermés après dix-neuf heures. Maintenant que j'étais dans le froid, à l'arrêt, je réalisai que ma tête tournait comme si j'allais faillir et que j'en avais sans doute un peu trop fait. A défaut d'être pourvu de véritable système immunitaire m'isolant bien des maladies inexistantes, mon corps avait atteint des limites que mon ambition des dernières heures avait sans doute caressées d'un peu trop près.
Mais si l'item qui nous faisait défaut était celui dont nous allions avoir besoin, mon repos du soir impliquait de contre-balancer l'activité de Lacaion du lendemain.

Je lui donnerai les Cols gagnés lors de la quête pour lui permettre d'acheter des minerais.

En le suivant docilement à l'intérieur de l'échoppe, j'avais adressé un regard particulièrement insistant au sofa mis à disposition pour ses clients dans la pièce principale. Si je m'étais volontiers projeté sans mal, je m'en étais détourné vivement en songeant que je voulais assister à la création de ma propre commande. Etrangement j'avais l'impression que l'alchimiste n'était pas vraiment embêté par l'heure tardive à laquelle je le faisais travailler et que cette demande avait piqué sa curiosité au vif - ou peut-être était-ce ce que j'avais souhaité m'imaginer pour ne pas culpabiliser.
Mais dans ce cas-là, nous étions deux.
Je jetai un oeil à l'horloge numérique et décidai d'envoyer un message à ma colocataire pour ne pas l'inquiéter, même si je n'aimais pas vraiment l'idée de la laisser seule la veille d'une bataille au cours de laquelle je lui avais promis de la laisser jouer le beau rôle dans notre tandem. Elle n'avait pas eu cette chance la dernière fois, et rien ne pouvait être pire que se sentir inutile.
Mon manteau encore couvert de fines particules de neige retiré, assis sur la chaise gentiment proposée, je croquai dans le fruit qu'on épluchait comme là-bas en l'observant déballer les ingrédients sur son comptoir. Je n'avais pas souvent l'occasion de passer voir un laboratoire d'Alchimiste, et le matériel à disposition pour les artisans n'avait rien à envier à celui des Forgerons, pourtant Lacaion avait choisi de simples bols pour récipients et j'étudiai ses gestes en conservant le silence pour le laisser se concentrer.
Mais il engagea le dialogue de lui-même et redressant la tête, j'arquai les sourcils avant de les plisser pour y réfléchir.

- Hmm... Ch'est bon à chavoir mais -

J'avalai la bouchée de banane avant de lever des yeux intrigués.

- Ce serait plutôt à moi de dire ça. C'est toi qui n'as pas dormi pendant plus quarante-huit heures.

Je le dévisageai encore quelques instants, et en le réalisant je m'empressai de baisser la tête vers ses mains. Je n'avais pas à être indiscret avec lui, d'autant qu'il était là pour me venir en aide. Accepter sa mise en garde et la prendre en considération étaient, pour l'heure, de meilleures choses à faire que le sermonner.
De toute évidence même si je me donnais à fond sur le champ de bataille, j'aimais trop le sommeil pour m'en défaire si longtemps. A cette pensée, je bâillai derrière ma main et me redressai pour m'assurer de ne pas somnoler pendant les expérimentations de mon ami artisan.

Le minerai avait pu être broyé, et j'avais pensé - non sans la redouter - que cet instinct avait été le bon. Si c'était un acte possible alors peut-être que l'item normalement destiné à la forge pouvait embrasser un tout autre intérêt. Mais en le voyant plus précautionneux que jamais avec le [Salpêtre] et le [Soufre], jusqu'ici séparés, sans être chimiste je saisis sans mal que - littéralement - il allait jouer avec le feu. Il recula d'un pas et, de concert, je bloquai mon souffle et blottissais mon dos contre le dossier de la chaise en équilibre sur les deux pieds arrières.

Avec toute cette quantité d'explosif, c'est peut-être bien son bâtiment tout entier qui va sauter.

avais-je pensé, non sans appréhension, en réalisant que nos réflexes communs étaient particulièrement vains.

Mais les deux s'étaient mêlés. Je me risquai un regard vers le visage concentré de l'alchimiste: c'était bon signe.
Pourtant, les minerais réduits se dissipèrent instantanément sous nos yeux et je fronçai les sourcils. Le mélange disparut sans même laisser le moindre grain de poudre.

Cherchant à ne pas être déçu et me consolant en admettant que si j'avais autant voyagé pendant l'après-midi, c'était précisément pour nous offrir cette marge de manoeuvre quant au surplus de loot conçus pour la session de test. Une main appuyée sur les lèvres, le pouce sur le menton, je me mis à fixer le sol en réfléchissant à ce à quoi nous venions de témoigner.

Je redressai vivement la tête pour interroger du regard l'alchimiste qui venait juste de marquer une page de son carnet sur la marche à suivre après cette première tentative infructueuse. Sa question m'amusa et si j'étirais un sourire face à l'improbabilité des mélanges proposés, j'étudiai en silence la question quelques secondes avant de répondre. Je préférai fonctionner par probabilités pour préserver au maximum nos drops d'essai, même si la plus plausible de nos hypothèses venait de s'envoler sous nos yeux.

- Du rouge... On va commencer par du rouge. C'est sans doute la couleur la plus représentée dans les loots avec le vert des plantes. La question est: sang, grenat ou tomate?

Reprenant une attitude concentrée à mon tour, je hochai la tête d'un air entendu, et me mis pourtant à soupirer.

- En espérant que ce ne soit pas le sang d'un monstre particulier... Partons sur la gemme. C'est encore ce qui se rapproche le plus du minerai de forge - et de la véritable formule je présume?

Voyant l'expression aussi joviale qu'enfantine de mon ami qui me décrocha un autre sourire, je confirmai ma propre théorie quant à son humeur. Peut-être que son caractère d'ordinaire peu affirmé et prudent masquait en fait un goût aussi certain que paradoxal pour l'expérimentation avec facteurs inconnus, ou était-ce parce que je lui avais donné l'occasion de se lancer ainsi à formule ouverte en partant de zéro. En y songeant, mon corps se détendit un peu et je sentis le poids de la fatigue commencer à s'estomper.

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Grimaçant en entendant l'hypothèse du sang d'un monstre particulier, Lacaion reprit vite son sourire en s'imaginant tenter de colorer un feu d'artifice à la tomate. Mais quelque part, l'idée de gâcher de la nourriture ne l'emballait pas beaucoup, donc autant garder cette hypothèse en dernier recours.

"En effet, ça reste une forme de minerai. Je vais tenter la même opération mais avec une gemme, j'en ai acheté quelques-unes aujourd'hui et un contact m'en a vendu de son stock. On a de quoi faire." répondit-il en hochant la tête suite à la suggestion de Kirito.

Il sortit donc, de son inventaire cette fois, toutes les gemmes qu'il avait à disposition sur un coin de l'établi, soit quatorze pierres plus ou moins précieuses. Regardant la panoplie de choix dont ils disposaient, il tiqua en remarquant qu'il n'avait aucune pierre rouge, et une seule bleue. Son regard se porta sur le trio d'améthystes dont il préleva un exemplaire pour le regarder à la lumière.

"Ca devrait faire l'affaire. Autant essayer avec un item que j'ai en plusieurs fois, on va déjà voir si je peux en faire quelque chose ou non." dit-il avec entrain. Sa fatigue semblait s'être momentanément effacée, probablement remplacée par la curiosité et l'excitation. Il avait vraiment l'impression d'être un alchimiste cette fois, et ce rôle lui plaisait de plus en plus.

Il déposa le petit bloc de roche comprenant la pierre précieuse devant lui, et repris son burin et son maillet. Il mit plusieurs petits coups secs et précis, en prenant bien soin d'extraire au maximum la gemme brute de son carcan de pierre. Le travail était probablement très loin de valoir celui d'un joaillier comme Sneaker, mais c'était de moindre importance, car il ne comptait pas la sertir dans un bijou après tout. Il voulait simplement la transformer.

Une fois les petits cristaux violets mis sur le côté, l'alchimiste attendit un instant et les tapota de l'index. La fenêtre qui s'ouvrit affichait toujours [Améthyste], ce qui était plutôt bon signe. Soupirant de soulagement, Lacaion se redressa en se passant l'avant-bras sur le front par réflexe. La dernière fois qu'il s'était autant investi pour fabriquer quelque chose, c'était pour tenter de refaire le cocktail phare du bar dans lequel il travaillait.

Chassant ces lointains souvenirs qui ne faisaient que s'estomper un peu plus chaque jour, il rebaissa la tête sur l'ingrédient possiblement salvateur. Il ne pouvait pas le fondre comme un forgeron ou le tailler comme un joaillier, il devait donc trouver une autre solution. Il rapprocha la petite meule dont il se servait habituellement pour broyer certaines plantes, et déposa la poignée de cristaux dedans avant de s'en servir lentement, les sourcils froncés aussi bien par la concentration que par la perplexité.

Tandis qu'il répétait ce geste assez physique, il était reconnaissant envers ce monde qui n'avait pas implémenté la notion de transpiration. Il aurait sûrement fait peine à voir sinon, lui qui ne supportait pas d'avoir chaud.

Au bout d'un moment, qui paru assez long à cause du crissement quelque peu désagréable de la pierre contre la pierre, Lacaion récupéra la poudre violette dans un autre petit bol qu'il avait à proximité, et attendit de nouveau, retenant son souffle. Le gong de l'horloge à côté indiquant qu'il était désormais 21h sonna et le fit sursauter. Il leva rapidement la tête avant de la rebaisser vers sa poudre, toujours en train de rutiler sur l'établi.

Tournant lentement la tête vers son complice, les yeux pleins d'espoir, il prit le bol pour le verser délicatement dans le mélange explosif.

*Allez... Allez.... ALLEZ*

Une brève lumière apparut et emporta les composants, laissant place à un lot de trois fusées simples dans le récipient en terre cuite. L'alchimiste les regarda avec des yeux vides, les lèvres entrouvertes, lorsqu'un popup apparut devant lui.

Nouvelle recette acquise : feu d'artifice

Feu d'artifice de couleur violette.
Part vers le ciel 5 secondes après allumage.

"On a réussi..." murmure-t-il en en prenant une dans la main pour la montrer à l'épéiste noir. "On a vraiment fabriqué des feux d'artifices..." répéta-t-il sans y croire tout à fait.

Récap':

Ephemeral Salvation

Aïe...

Quand Lacaion sortit de son inventaire les gemmes, je n'avais pu m'empêcher de grimacer: en outre, j'avais proposé, là encore par pourcentages de faisabilité, de choisir des matériaux aux couleurs largement représentées dans l'Aincrad car le panel était fatalement plus large. Mais dans les items posés sur le comptoir, je distinguai du orange, du violet, du vert, un peu de bleu... Et aucune trace de rouge. Cet évident manque de tact - soit pile le choix de ce qu'il n'avait pas - aurait pu embarrasser l'alchimiste mais il ne sembla pas s'être laissé décontenancer, probablement trop concentré. Une chance qu'il avait pu faire un stock conséquent de gemmes car c'était là sans aucun doute un ingrédients qu'il nous était impossible de récupérer par nous-mêmes. Sans dire un mot de plus, je l'écoutai suivre le raisonnement le plus rationnel en prenant ce qu'il avait en plus grandes quantités.
Et répéter la manoeuvre.
Mon réflexe naturel aurait été d'utiliser ce petit marteau pour tailler les pierres, mais il avait semblé préférer choisir ce qui était d'ordinaire usité pour réduire les plantes, les graines ou encore les carapaces d'insectes. Son instinct était meilleur - après tout c'était lui, l'artisan - et la pierre brute, cette fois, se laissa écraser non sans résistance.
Relevant les yeux timidement vers le visage de mon ami, je retenais mon souffle en comprenant que nous venions de gagner une step par rapport au précédent essai. L'instant fatidique avait paru s'éterniser car si cette appréhension tendait mes muscles, j'aurais parié sans mal que Lacaion redoutait tout autant le verdict. Sans doute que l'idée de jouer les artificiers - ou les scientifiques fous - avait définitivement fini de le séduire. A s'y prendre au jeu.

Une lumière bleutée annonça l'apparition d'une pop-up système. J'entrouvrais les lèvres en voyant ses yeux parcourir le texte.

- C'est pas vrai...! murmurai-je à mon tour sur le même ton.

Je me levai de ma chaise d'un bond et elle tomba en arrière tandis que je me penchai sur le comptoir pour mieux voir le fruit de nos brefs essais, les deux mains appuyées sur le bois, en retenant mon trépignement digne d'un enfant. Quand je vis la petite fusée entre les doigts de mon ami, je cillai et, peu à peu, un large sourire redessina mon expression hébétée.

- Good job! Notre théorie était la bonne!

Pas de feux d'artifice au sang ou à la tomate pour cette fois.

pensais-je ironiquement pour faire écho avec nos spéculations improbables.

Je me retournai pour m'appuyer contre le rebord du comptoir, les doigts serrés sur l'angle boisé, et expirai de soulagement en baissant la tête. Reprenant une inspiration, je me tournai à nouveau vers Lacaion. L'information lui était peut-être - sans doute - exclusive, mais j'avais l'impression qu'à cet instant son rôle d'alchimiste reprenait le dessus sur l'indic' qu'il était aussi. Quand je croisai son regard, j'esquissai un sourire plus timide et arquai les sourcils.

- Pardon de t'avoir fait travailler aussi tard, je te revaudrai ça. Euh... Est-ce qu'on pourrait en tester un?
Autant ne pas provoquer d'accident demain, tu ne crois pas? Même si tu les tireras probablement depuis une Safe Zone, on ne doit pas faire virer la fête au drame.

Il m'était devenu particulièrement difficile de contenir mon impatience maintenant que nous avions embrassé notre objectif de la journée. Mais mon ami alchimiste était un homme sage et mature - en outre, tout sauf l'adolescent que je cherchai à ne plus être, surtout en présence de players au profil similaire au sien.
Toute la fatigue accumulée, comme une vague présente par marées, avait pour l'heure complètement disparu. Mais revint à la place la conscience que la bataille du lendemain devait être une victoire totale pour que les joueurs aient le coeur à la célébration.

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Le sourire enfantin du joueur le plus redouté de ce château ambulant était contagieux, et rapidement, Lacaion le lui rendit jusqu'aux oreilles. Un bref pincement au cœur lui serra la poitrine lorsqu'il ressentit un lien qui commençait à se créer entre lui et le jeune homme. Un lien similaire à celui qu'il avait avec Kawasuki, et qui lui manquait depuis plusieurs mois. Se secouant mentalement, il se concentra sur la prochaine étape - la plus importante - : le test.

"Tu plaisantes, j'espère ? C'était un réel plaisir, j'ai fait beaucoup d'expérimentations ratées ce week-end, ça m'a fait du bien d'avoir de la compagnie. Si tu as d'autres idées aussi lumineuses que celle-ci, n'hésite pas à venir m'en parler surtout. Je suis prêt à te les acheter comptant !" plaisanta-t-il en souriant.

"Et c'est exactement ce que j'allais te proposer, si tu es encore disponible malgré le combat de demain ? Tu as raison, mieux vaut ne pas mettre le feu à ma boutique, ça m'embêterait." conclut-il en se dirigeant vers la sortie du Lux Phiala en compagnie de Kirito.

L'air frais et revigorant lui fouetta le visage, ravivant ses sens et son corps mentalement endolori. Respirant profondément, il avança un peu pour se placer à une quinzaine de mètres de l'entrée, la fusée toujours dans la main. Il planta le pied de l'explosif dans la neige et tassa un peu les flocons autour afin de la maintenir bien droite. Il n'avait jamais fait ça auparavant, mais il était évident que si la fusée tombait malencontreusement vers le bâtiment en bois ou leurs humbles personnes, le résultat serait folklorique pour d'autres raisons...

Une fois la fusée stable et en place, il prévint l'épéiste qui semblait un peu plus sensible au froid que lui qu'il allait l'allumer afin qu'il reste près du bâtiment pour mieux voir le résultat. Une fois cela fait, il se retourna vers le feu d'artifice et tapota la mèche qui en dépassait de l'index. Un simple choix de bouton lui permettait d'allumer ou d'annuler son action, et il pressa sans hésiter le cercle bleu avant de rejoindre son camarade au trot pour admirer le spectacle, un sourire lui barrant le visage d'une oreille à l'autre.

Il dérapa et fit volte-face une fois à hauteur de l'adolescent, et fixa des yeux la petite lumière produite par la mèche qui se consumait.

*3...2...1...*

Une petite détonation retentit, brisant le silence de la nuit et suivie d'un long sifflement aigu tandis que le projectile montait à toute vitesse vers la voûte céleste de l'étage. Un très bref silence s'installa, pour laisser soudainement place à une détonation lourde et forte qui résonna dans les tripes virtuelles de l'alchimiste, à plus de cinquante mètres de hauteur. Cette sensation grisante, propre aux feux d'artifices ou aux tirs de blindés, était comme un caisson de basse allumé à fond et coller au ventre. Une magnifique sphère d'un violet tirant sur le rose éclata et illumina la plaine pendant quelques secondes, laissant une myriade d'éclats lumineux se disperser sur un rayon d'environ quatre mètres avant de retomber lentement avant de se fondre dans l'obscurité.

Le bruit résonna encore contre les arbres voisins pendant un moment avant de s'estomper à son tour. Lentement, comme sortant d'un songe, Lacaion tourna la tête vers Kirito, la bouche entrouverte et un sourire béat sur le visage.

"Mission accomplie ! Qu'est-ce que ça m'avait manqué d'en voir un ! La fête sera à la hauteur de votre victoire avec ça !" dit-il d'une voix assez forte et enjouée à cause de l'émotion et du volume de la détonation.

Récap':

Ephemeral Salvation

La proposition de mon ami alchimiste était séduisante, mais j'avais le sentiment que veiller tard après une journée aussi chargée allait devenir dangereux: en manquant de sommeil, mes gestes seraient plus incertains, mon cerveau fatigué, et le risque de faire des erreurs en plein combat était considérable. Il n'y avait pas de place aux états d'âme sur le champ de bataille - moins encore en étant causés par un souci de bien faire tout sauf offensif. Cherchant à une façon de décliner poliment l'offre, je suivis Lacaion hors de sa boutique en équipant mon manteau. Je n'avais pas pu m'empêcher de songer non sans ironie que si les choses dégénéraient, j'avais pensé à la sécurité des players avant tout. Lui, à celle de sa boutique.

Un vrai commerçant.

Plaisantais-je sans le penser vraiment.

Je m'arrêtais à quatre pas du seuil du chalet et frottai mes mains l'une contre l'autre avant de souffler au creux d'entre elles en louchant, puis les laissai retomber en redressant la tête pour suivre des yeux la silhouette élancée de Lacaion. L'artifice posé sur le sol particulièrement meuble la maintenant, j'attendais la détonation à défaut de pouvoir voir. Une main passée sous mon manteau au niveau de la taille, Le demi-sourire que j'avais aux lèvres par excitation retenue se détendit en voyant que l'alchimiste partageait allègrement mon empressement.

Psshh...

- Ah!

La petite étincelle précédent le départ de la fusée mauve me fit malgré moi penser à cette fois-là où j'avais emmené ma petite soeur voir les feux d'artifice d'été. Elle s'élança enfin sans bruit, telle une étoile filante, mais sa trajectoire visa les hauteurs plus verticalement.

Et si le ciel étoilé, délimité par l'étage supérieur, était trop bas pour accueillir un feu d'artifice?

Cette appréhension affadit un instant ma jovialité alors que je la suivais des yeux. Je m'étais très souvent demandé où étaient les limites de la voûte céleste des paliers de l'Aincrad car elle semblait infinie. Mêmes les zones labyrinthiques, démarquant les étages, semblaient totalement submergées par les étoiles. En outre, j'avais déjà essayé d'escalader l'une d'elles depuis l'extérieur et avais failli mourir suite à la chute: je n'avais même pas atteint les premiers nuages. Mais contrairement à là-bas le ciel avait forcément une fin puisque l'immensité de l'espace l'englobant n'existait pas. Les données auraient été bien trop nombreuses à gérer.
Le trail laissé par notre comète artificielle disparut avant d'accéder aux étoiles, puis explosa de plus belle en s'éparpillant dans les airs, éclairant le ciel nocturne quelques secondes alors que ses fragments retombaient vers la neige.

C'est magnifique.

Je cillai pour ne pas laisser paraître la nostalgie qui venait de me vriller le coeur en plein centre.

- J'aurais pensé que ce feu d'artifice se devait d'être à la hauteur de la victoire, je commence à penser l'inverse. On se donnera à fond, c'est une promesse faite à tous!

J'aurais été bien incapable de déterminer l'émotion ressentie à ce moment-là, mais suite à la détonation, ma voix m'avait semblé plus basse que celle de mon ami. De la peur? De la motivation - non, de la détermination? L'Aincrad était trop souvent marqué au fer rouge par des jours funestes, il était temps de prouver que c'était un monde aussi beau que dangereux.
Et, quelque part, proche de ce monde que nous connaissions tous.
Réajustant le col de mon manteau, je redressai à nouveau le regard vers le ciel: la couleur lactée laissée par l'explosion s'était totalement consumée dans l'obscurité. Je fronçai aussitôt les sourcils.

- Tu penses qu'il est possible de créer des explosifs? Si c'est le cas il faudrait trouver l'ingrédient manquant à la recette: le [Soufre] et le [Salpêtre] mélangés n'ont pas réagi avant que tu n'y ajoutes la pierre.

Je grimaçai en réalisant que je ne savais peut-être pas vraiment de quoi je parlai, et sachant que je remettais ces théories à un connaisseur bien plus expérimenté, je haussai pensivement les épaules.
Mais dès que mon regard croisa celui de Lacaion, je me mis à sourire.

- C'est sur cette théorie que je vais devoir te laisser, sinon je vais me faire mettre en pièces. Je passerai te voir demain avant le lancement des feux d'artifice.

J'avais songé à lui serrer la main, mais le geste, trop cordial, m'aurait semblé manqué de naturel pour nous deux. A la place, je levai une main en guise de salutation, les yeux à nouveau levés vers le ciel. Puis je m'arrêtai à quelques mètres pour me retourner une dernière fois, un rictus au coin des lèvres.

- Je compte sur toi! Switch!

A chacun son rôle. Le mien prend fin ici mais je lui fais entièrement confiance.

Codage: Libella; Image: tumblr.

Entendre le jeune épéiste énoncer à voix haute sa détermination à remporter le combat du lendemain réchauffa le cœur de l'alchimiste. Celui-ci faisait de son mieux pour enterrer ses inquiétudes, préférant ne pas déranger davantage les gens incroyablement plus courageux que lui. Lui n'allait pas se battre et risque sa vie demain. Lui ne ferait pas avancer les choses pour tous les libérer. Mais lui ferait ce qu'il peut, à sa manière. Pour eux.

La question de son ami le tira de ses pensées, et son esprit pragmatique repartit aussitôt en conjectures.

"Mmh... Des explosifs hein ? Effectivement, comme tu l'as si bien fait remarqué, le [Soufre] et le [Salpêtre] ne suffisent pas. Je pense donc que des explosifs standards sont à bannir. Mais peut-être qu'en ajoutant du poison... En tout cas, je vais explorer ces pistes une fois l'attraction principale prête !" reprit-il plus haut en relevant la tête.

Un peu triste de retourner à sa solitude, Lacaion se sentait très gêné d'avoir monopolisé l'attention et le temps du héros de l'Aincrad. Il se sentait privilégié de pouvoir fréquenter quelqu'un d'aussi exceptionnel, car pour arriver à avancer dans ce monde, il fallait l'être. Ce n'était probablement pas le seul, et il pourrait enfin rencontrer toutes ces âmes plus vaillantes que la sienne lors de la fête. Peut-être comprendrait-il alors ce qui les différencie ? Ou peut-être qu'il réaliserait que sa lâcheté n'est qu'en fait une tare dont lui seul est victime. Il le saura demain soir.

"Le temps file en effet, désolé de t'avoir retenu jusqu'à maintenant. Repose-toi bien et... restez prudents. Je n'arriverai jamais à tout manger tout seul après tout..." dit-il en se forçant à sourire.

Une hésitation, semblable à celle d'un premier rendez-vous ou d'une première rencontre, sembla traverser Kirito. Lui rendant son signe de la main, l'artificier répondit d'une voix assurée qu'il pouvait compter sur lui et se concentrer sur son prochain combat. S'il pouvait au moins assurer les arrières de quelqu'un, ce serait déjà formidable. Le Switch, qu'il n'avait plus entendu depuis très longtemps, résonna en lui et sembla éveiller quelque chose.

Regardant la frêle silhouette qui ne l'était qu'en apparence s'éloigner, il fit demi-tour et s'arrêta sur le palier avant de tourner une dernière fois la tête vers le ciel étoilé. A défaut de combattre, il allait panser leurs plaies. Physiques comme morales. Il en fit le serment.

Retournant d'un pas décidé vers son atelier, l'alchimiste rangea tous les ingrédients inutiles à la préparation qu'il prévoyait, gardant les [Soufre] d'un côté, le [Salpêtre] de l'autre et les gemmes en face. Il connaissait désormais le procédé, il n'avait plus qu'à le répéter à la lettre. Il calcula mentalement les quantités dont il disposait. Dix-neuf [Soufre] et onze [Salpêtre]. Le composant volcanique allait donc être le facteur limitant ici. Tiquant en maudissant une fois de plus son inaptitude à combattre, il rangea le [Soufre] et les deux [Salpêtre] en excédent dans son inventaire. Il allait donc pouvoir fabriquer neuf lot de feu d'artifice, et il lui restait treize gemmes réparties en quatre coloris. Idéalement, il faudrait donc faire deux lots de chaque couleur et opter pour un dernier en supplément. Son absence de rouge l'ennuyait beaucoup, mais il était trop tard, désormais.

*Tant pis, ce sera pour le prochain monstre sanguinaire qu'ils abattront...* se rassura-t-il mentalement avant de se stopper net.

*Pourquoi ils ? Pourquoi pas on ?.. Ils vont sûrement mettre pas mal de temps avant de l'atteindre, je peux peut-être...*

Une pensée folle, qu'il pensait impossible pour lui, traversa son esprit fatigué. Celle de rejoindre le front. De soutenir l'effort de guerre aussi bien en coulisse que sur place, comme Sneaker. Personne ne savait si les altérations d'état fonctionnaient sur les boss, personne n'avait probablement pris le temps d'essayer. Mais lui pourrait, à défaut d'infliger de gros dégâts, tester toute sa panoplie de potions nocives et peut-être trouver une faille ? Il pourrait également servir de healer, gardant un gros stock de potions de soins à portée et les donnant aux nécessiteux en plein combat. Et dans le pire des scénarios, sa quantité non-négligeable de points de vie lui permettrait peut-être d'encaisser un coup mortel à la place de quelqu'un.

Tandis que son esprit s'emballait, il se rendit compte que ses mains serraient l'établi suffisamment fort pour que ses jointures blanchissent et tremblent. Il fallait absolument qu'il rencontre un maximum de conquérants demain soir pour déterminer ce qu'il devait faire et s'il pouvait faire partie d'un groupe aussi élitiste.

Secouant vivement la tête de droite à gauche, il se reconcentra sur sa tâche actuelle que lui avait confié son ami. Il prit évidemment le seul [Lapis-Lazuli] dont il disposait pour le bleu, ainsi qu'une [Améthyste]. Il ajouta à ça les deux [Ambre] et les deux [Olivine] dont il disposait, pour un total de six pierres.

*Encore trois possibilités...* pensa-t-il en se grattant le menton. Il opta de façon subjective pour la [Malachite], un [Oeil-de-Tigre] et une dernière [Améthyste] avant de ranger les autres dont il ne se servirait pas. Il recommença à réduire en poudre les blocs de [Soufre] et de [Salpêtre] avant de les mélanger, puis de broyer une gemme avec l'aide de sa meule avant de mélanger le colorant à la poudre noire qui n'en avait que le nom.

~~~~~~~~~~

Lorsque Lacaion releva la tête, beaucoup plus débraillé et moins coiffé qu'en début de soirée, il venait de terminer le dernier lot de fusées. Regardant la vingtaine d'items étalés sur l'établi, il remercia intérieurement le système pour avoir ajouté une petite bande colorée sur le corps des engins, lui évitant de sélectionner chaque feu d'artifice pour se rappeler la couleur qu'il contenait. Il rangea le tout dans son inventaire, et son regard dériva sur l'horloge intégrée dedans. Il était désormais 1h12 du matin du jour fatidique, et l'alchimiste venait de finir sa commande. Il éteignit l'atelier qu'il avait grandement rentabilisé ce soir, et alla se passer de l'eau sur le visage avant d'aller se coucher. Une fois sous les draps, il regarda par la fenêtre qui trônait au-dessus de sa tête. Toutes les émotions de la journée et la fatigue du week-end revinrent d'un bloc, lui donnant le tournis. S'il n'avait pas été allongé, il aurait fini comme ce midi, face contre terre. Fermant les yeux et fronçant les sourcils sous la douleur qui lui lancinait la tête, il posa une main sur son front pour se calmer.

"Revenez tous en vie... Et laissez moi le temps de me racheter."

Epuisé, le sommeil l'emporta avant même qu'il ne s'en rende compte, laissant la clarté lunaire se refléter dans les larmes qui parcourait ses joues.

Récap':

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