Bon. Cette journée allait être énormément longue ! Pendant le camping, j'avais « sympathisé » avec la meuf borgne avec laquelle j'avais failli mourir au dixième étage et on avait décidé de se retrouver aujourd'hui. Merci bon Dieu, j'avais maintenant complètement appris les traits de son visage pas commode. Enfin, je me fiais surtout à son cache-œil mais bon ! Et je n'avais pas à parler de son apparence physique terriblement sensuel et... Bref, je pourrais la reconnaître et c'était la seule chose que je souhaitais vraiment ! En tout cas, j'allais être en retard. D'habitude, j'adorais être ponctuelle, arriver même en avance de quarante minutes mais là... J'avais voulu fainéanter dans mon lit, n'ayant pas envie de m'obliger à faire des efforts pour une personne que je connaissais pas encore vraiment. Mais bon, je lui avais dit que je viendrais, surtout que c'était du donnant-donnant au long terme ! La quête qu'on allait faire devait rapporter beaucoup d'argent, la récompense étant directement proportionnelle au temps passé pour l'obtenir. Au moins, cette dernière me motivait vraiment ! Bref, j'arrivai jusqu'au téléporteur du petit village dans les arbres du huitième étage qui était devenu mon repère.

« Allez, quatrième étage. »

Directement après ces mots, j'arrivai dans la ville sympathique avec mon air blasé. Elle ressemblait carrément au premier étage, celui du malheur. Accueillante, lumineuse et majestueuse, il y avait des bâtiments flambants neufs partout. De plus, bien qu'il fut assez tôt, il y avait tout de même quelques habitants dans les rues. Tellement que je faillis presque m'en aller plus loin sans remarquer que ma partenaire du jour se tenait juste à côté. Mais heureusement (ou malheureusement?), cette dernière était assez haute en couleur pour que je ne la loupasse pas. Je m'approchai d'elle de quelques pas puis la saluai d'un furtif et très léger signe de tête. Voilà, avec ces mouvements, on pouvait éviter de parler et de commencer LA discussion chiante par excellence, j'ai nommé le « salut, ça va ? ». Pour parfaire cette méthode, il valait mieux l'accompagner d'un petit sourire. Mais j'avais pas du tout envie de faire cet effort moteur pour l'instant.

« On y va ? »

Je connaissais pas bien cet étage, bien qu'il fut constitué d'un chiffre pair et je savais très bien que je pouvais m'y perdre facilement : je préférais qu'elle prenne les rennes. En soupirant silencieusement, je tentai de me donner de la motivation et du dynamisme ! Du blé. J'allais me faire beaucoup de blé ! Enfin... Si ce que m'avait dit l'autre meuf était vrai. Je m'étais jamais arrêté à cet étage pour pioncer et je savais même pas quelles boutiques il proposait. Bah !- si j'avais bien compris le déroulement de la mission du jour, j'allais avoir droit à une visite complète de la ville ! Sans attendre plus longtemps la rousse, je me mis à faire quelques dans une direction lambda.

Cette fille trop bonne et trop géniale qu'était la borgne rousse avait pris les rennes et m'avait amenée jusqu'à l'auberge de la quête ! Je doutais qu'elle fut une vraie femme : comment pouvait-elle s'en sortir avec toutes ces ruelles ?! Je la jalousai... Autant pour son physique que pour son sens d'orientation hors du commun, cela allait de soi... Entrées dans le bâtiment, ma partenaire du jour n'avait pas perdu de temps et je lui ajoutai de nouveau des points d'affection. Quelle professionnelle ! La PNJ très coquette ne passa pas par quatre chemins non plus et nous fit sa demande immédiatement. C'était aussi ce qu'il y avait de bon avec ces personnages, ils ne s'entêtaient pas du « bonjour, comment ça va ? ». D'un petit geste, j'acceptai la quête et fis disparaître la fenêtre qui s'était brusquement ouverte. Mais avant que je ne pusse sortir du bâtiment pour chercher à l'aveuglette la maison de... De... Qui déjà ?- un autre message d'alerte s'ouvrit, m'indiquant d'une flèche la maison de la première personne à qui il fallait demander le vase prêté. Bon... Notre mission très longue et sans doute très très chiante allait commencer !

« On se concentre et on regarde bien la carte. »

Ces mots murmurés, je pris une longue inspiration virtuelle avant de jeter un coup d’œil à ma coéquipière pour me dire que mon sérieux était inutile. Devant elle traînait le même plan que le mien et j'imaginai qu'elle l'avait déjà totalement analysé. Ô oui, c'était elle ma direction. Elle était ma carte, ma flèche jaune sur plan bleu et, si j'avais osé lui demandé de me porter comme une princesse, elle aurait peut-être été mon moyen de transport, même ! Elle qui m'avait fessée avec un objet non identifié, moi qui l'avais coursée comme une folle pour lui rendre son geste déplacé... Ah... Bref, j'étais pas si enjouée que ça par rapport à elle en vrai. Elle avait bien trop de défauts qui me bloquaient pour ça : elle était rousse et se faisait passer pour un bout d'infirme avec son cache-œil... Je me demandai si dans la réalité, elle avait vraiment une rétine en moins ou si c'était seulement pour le style. Je notai la question dans un coin de ma tête. Ce jour-ci, peut-être, penserais-je à le lui demander ? En tout cas, elle n'avait pas l'air de vouloir entamer une discussion endiablée. Je la laissai sortir avant moi puis la suivis en restant un peu en retrait : elle savait où aller. Si on avait été un peu plus « intimes », j'aurais pris un pan de ses vêtements, aurais fermé les yeux et l'aurais laissée me guider... En infirme complète, pas comme elle ! Amatrice !

« Déjà ? »

Le parcours n'avait pas été long, cinq minutes à tout péter. Arrêtée devant une petite maison joliment décorée et devant laquelle se tenait une jeune femme PNJ, ma partenaire ne perdit pas encore de temps et l'aborda. Après tout, fallait bien la finir avant la tombée de la nuit !

« Bonjour ! Excusez-nous de vous déranger. Nous cherchons Elora, nous voudrions récupérer le vase que lui a prêté Katryn. »

Quelle politesse... J'avais carrément oublié les deux noms. Est-ce qu'il fallait s'en souvenir pour la suite ? Je me répétai le premier prénom en boucle... Même si je savais très bien qu'il suffirait d'un élément perturbateur pour me le faire oublier.

Ah non là, y avait trop de noms, je pouvais pas retenir tout ça, c'était pas possible !! Bon, l'information la plus importante : fallait sortir du village pour trouver la deuxième personne à qui demander le vase.

"Mais sérieux, qu'est-ce qu'ils peuvent faire de si génial avec un vase ?!"

Après tout, à part mettre une plante permanente dedans, à quoi ça servait ?! Purée... Ça allait vraiment être long. Mettant mes jeux de mots emplis d'insinuations dégoûtantes à part, je décidai de prendre les choses en main. Ma partenaire du jour avait comme rôle de se souvenir des prénoms, des noms de ville et de l'orientation et je... Ben, en fait, si on regardait bien, elle faisait tout quoi et j'servais à rien. Prenant ma mine aussi blasée que boudeuse, je sortis un soupire aussi bruyant que déprimé. Allez, Ritcha !- tu seras utile quand vous serez sorties du village ! Parce qu'il y aura des monstres normalement, hein ?! Perds pas espoir et bouge ton boule ! Bon, fallait au moins montrer qu'on avait la motivation de continuer. Après tout, cette quête permettrait de remplir et même de faire déborder ma bourse !! MOWAHAHAHHAAHA !!! On allait vite fait la finir cette mission, ça allait y aller tranquillou, comme une lettre à la poste ! ... Je détestais cette expression mensongère parce que, dans ma jeunesse, pour trouver la boîte aux lettres de la poste, fallait mettre mille ans à pied et une demi-heure en voiture. Aah, les joies de la campagne !

"Allez, on y va !"

J'avais toujours pas esquissé un sourire mais le ton que j'employai apparut bizarrement plus joyeux que prévu à mes oreilles. L'argent faisait tourner le monde. L'argent faisait tourner ma tête. Et celle de ma borgne aussi non ? Après tout, elle avait voulu faire tout ça pour de la monnaie, pour pouvoir s'acheter sa forge. Forge qui servait à...? Récolter de l'argent ! Hmm... Peut-être que cette femme et moi n'étions pas si différentes que ça, finalement ? Je voulais dire, la taille, l'allure, la beauté, l'élégance, le charisme, la mémoire et les capacités spatiales à part... Haha, j'essayai vraiment de trouver un truc. Mais non, en fait, nous étions comme nos rôles attribués de ce jour-ci : diamétralement opposées. Sans un mot pour la PNJ – qui refilait quand même un objet qu'on avait bien voulu lui prêter à n'importe qui, la grognasse ! - je m'étais détournée du bâtiment pour entreprendre de sortir du village en autonomie. Ma carte de nouveau ouverte, je la scrutai et l'analysai tout en marchant dans des directions aléatoires pour tenter de comprendre. La ville voisine... Mais... Y avait pas plusieurs villes voisines à côté ? J'en savais rien en vrai mais c'était carrément probable n'était-ce pas ? Sceptique, je sentis une petite boule de stress se former dans mon petit bidon blanc et fragile. Ma borgne bonne, prends les décisions spatiales à ma place, il le faut ! D'une façon involontaire, je m'étais tournée vers elle, mes joues gonflées dévoilant mon désarroi. Bah... Sortir du village, ça allait au moins être facile non ? Non ?! J'étais sûre que la rue que je venais de pénétrer allait mener à un cul-de-sac au final... Mais regarde mieux la carte ! Tch...

Ah. Il semblerait que je nous emmenais dans une mauvaise direction ! Sans parler, Yueko prit la tête du petit groupe que nous formions pour nous mener dans la ville avec fluidité et efficacité ! Ouais, j'embellissais grave la chose mais bon... A part faire des métaphores hyper classes dans ma tête et penser à des choses futiles comme idiotes, je voyais pas ce que je pouvais faire. J'étais clairement inutile mais j'en étais persuadée : si un monstre passait, je ferais ma belle gosse pour impressionner ma borgne. Je me voyais déjà en train de faire un mouvement de cheveux à la L’Oréal et de sortir une phrase complètement nian-nian dite sur un ton aussi séducteur que snob. Et elle m'applaudir, me complimenter avec son œil exorbité dans une expression de complètes réjouissance et admiration. Mieux valait vivre dans le fantasme que dans le mensonge, n'était-il pas ?! En attendant, mon premier se fissura bien vite grâce (ou à cause?) de la rapidité de la Sans-Âme. Déjà les portes de la ville ?!

"Tu es vraiment trop forte en orientation... Tu possèdes pas un vagin, c'est pas possible."

Ou alors elle devait être un garçon à la base et ses boules avaient remonté en même temps que son zizi goui-goui avait rétréci ?! Je mis bien vite ces idées idiotes et pourries de côté pour admirer les environs et sortir avec enthousiasme mon arme de mon inventaire. Marteau bien serré en main, je fis un pas en avant et pénétrai la plaine. Je pouvais déjà voir au loin un village vers la gauche et m'y précipitai presque en jouant avec ma longue masse, la faisant gigoter et tourner entre mes doigts. Ah, j'étais grave motivée !! Le seul problème, c'était que... Les monstres n'arrivaient pas. Enfin, y en avait même pas dans mon champ visuel, ce qui était carrément bizarre. Le paysage était carrément semblable à celui du premier étage donc on pouvait voir de très loin les monstres arriver, se prélasser, brouter par-ci par-là... Alors...

Ça sent pas bon en fait. Non. Non... J'ouvris mes informations sur tous les étages et réussis à trouver facilement ce que je savais sur le quatrième. Eh oui... Je m'étais faite bernée, par ma propre personne et mon avarice ! J'avais carrément zappé qu'il y avait pas de monstre au quatrième palier, son boss à part ! Tout ça à cause d'un sentiment refoulé quoi ! J'adorais les chiffres pairs alors pour moi tous les étages pairs étaient géniaux donc possédaient des monstres cool et un paysage magnifique ! Mon inconscient avait voulu oublier le défaut de cet étage à tout prix, juste à cause du numéro qu'il portait. Baah... J'allais être inutile toute la journée alors ! J'allais juste devoir suivre comme un petit chien ma jolie et grande borgne rousse.

"Allez Ritcha, donne la papatte..."

Je soupirai bruyamment en me dirigeant vers la demoiselle pour me mettre derrière elle et la regarder tristement. J'avais dit oui et j'étais venue : je pouvais plus me désister et dégager pour la laisser faire seule sa quête. Pis, fallait penser aux cols à la clé ! Mais j'allais vraiment m'ennuyer si je me décidais pas à engager la conversation. Et comme chacun le savait, l'ennui était la pire chose au monde (merci Pascal) !! Heureusement, le village ne devait déjà plus être qu'à une quinzaine de minutes. Enfin... Avec mes problèmes temporels, peut-être plus peut-être moins ! Je me tournai vers la demoiselle, mes yeux ronds inexpressifs la scrutant.

"Comment tu fonctionnes au niveau des prix de tes crafts ?"

Quitte à parler, autant parler blé !

J'écoutai avec plus d'attention que je pensais les mots de Yueko. Mon cerveau fonctionnait à plein régime pour se mettre à la place de la forgeronne et prendre en compte tous les critères de fabrication. Je ne mis pas longtemps à mettre un nombre final à mon calcul mental – en même temps, avec ce que je devais faire dans la réalité... C'était pas des additions qui allaient me faire peur. Puis les mots sortirent automatiquement de ma bouche, comme des fusées incontrôlables.

"C'est... Raisonnable en fait. Si on prend l'exemple d'une arme à dix améliorations, ça fait cinquante cols pour la location de la forge, cent cols – dix par minerai – pour le temps passé dans les mines et cinquante pour le service, pour que tu vives modestement. Ce qui te laisse avec cent cinquante cols à ta charge au final. Ouais, ça va... Mais c'est toujours mieux quand c'est gratuit."

La dernière phrase m'avait véritablement échappée mais je m'en retrouvai pas gênée. Après tout, à part le temps "perdu", les artisans gagnaient pas mal dans l'histoire ! Ils augmentaient leurs compétences, se faisait des connaissances et donc un réseau de fidèles, et n'avaient même pas à s'inquiéter du danger des monstres. Enfin, dans le cas où les joueurs allaient avec eux pour leur prêter main forte. Ce qui était, de mon point de vue, très logique pour s'amener à faire confiance au forgeron et pour obtenir rapidement son équipement. Sans compter que, selon les améliorations voulues, les artisans pourraient garder tel ou tel minerai pour eux. C'était donc bel et bien tout bénéf' pour ces commerçants-là ! Du coup, à part la location de la forge – et encore, si j'avais bien compris, Yueko allait bientôt s'acheter la sienne – rien ne les embêtait vraiment. La seule chose qui était chiante bien sûr, c'était d'accepter de vivre de façon modeste. Ce qui était faisable par tout le monde !

"Tu as forgé quoi pour le moment ?"

Quelques minutes étaient passées et je pouvais maintenant voir parfaitement le village voisin. On n'allait pas tarder à continuer la quête, à tomber sur un autre personnage qui nous dirait, sans aucun doute, qu'il avait prêté le vase à untel.  

"Qu'est-ce qu'ils peuvent bien foutre avec ce vase...?"

Je soupirai après avoir murmuré dans ma barbe, sans cesser de marcher rapidement pour rester à la hauteur de ma bonne Sans-Âme.

… Elle le savait pourtant, que je pensais très facilement très mal ! Et sa tête d'écrevisse n'avait pas du tout aidé à détruire mon côté pervers. Mettant une main devant ma bouche et roulant des yeux, je lui fis un minuscule sourire invisible plein d'insinuations.

« Des... « partenaires », hein. »

En même temps, avec des nichons pareils, elle avait dû en avoir pas mal des camarades ! Si je continuais sur le côté olé-olé de sa phrase, je pourrais même plutôt dire qu'elle était en contradiction avec les règles nobles de la prost... !- bref, je repris tout de même vite mon sérieux mental. Ça ressemble vachement à un indice tout ça. En effet, si je voulais pas payer ses services, j'allais devoir être hyper gentille avec cette demoiselle et devenir son pilier, son arme, son amie, sa bonne copine, sa super besta, c'était ça ?! J'avais regardé en profondeur son arme tendue sans intervenir plus. Les katana m'avaient jamais vraiment intéressée, ils me semblaient à chaque fois très fragiles par rapport à une épée basique. Après tout, ils étaient hyper fins et très légers... Du moins, c'était ce que j'avais pu remarquer dans la réalité. Et, pour moi, ce qui avait ces caractéristiques finissait souvent par se péter à la moindre chute, comme les portables tactiles.

Sinon, si j'avais bien compris la fin de sa phrase, des gens l'avaient contactée sans plus, avaient passé leur commande et n'étaient jamais venus la relancer ? Quelle belle bande de tafioles. De mon point de vue, un forgeron, fallait le bichonner et le stalker pour qu'il fît correctement son boulot, du début à la fin. Alors lui donner de faux espoirs en l'incitant à aller chercher des minerais pour finalement l'ignorer, je trouvais ça carrément dégueulasse... Mais je ne pus faire gonfler un peu plus ma colère invisible.

« Tomoe-san, des visiteurs sont venus chercher le vase prêté par Elora. »
« Prêté ?! C'était un échange, pas un prêt. Si elle le veut, alors je dois récupérer le coffret pour lequel j'ai échangé le vase. »

…
… Grognasse.

« Vous vous foutez d'qui ?! Je suis sûre que vous vous êtes appropriée son vase comme une voleuse ouais ! »

Clin d’œil à ma classe, je soupirai bruyamment et croisai les bras rapidement pour me calmer et agir de façon mature. C'était une quête, une quête chiante, mais une quête !

« Allez, on s'casse... On doit aller voir l'autre du coup, c'est ça ? »

Mes doigts bougèrent d'impatience et je sortis du lieu en crachant au sol.  

Si jamais on retrouvait ce vase, j’pensais ben qu’j’allais lui casser sa tronche ! S’il passait de main en main à ce point, c’était parce qu’il possédait une caractéristique spéciale, c’était obligé ! Est-ce que je pourrais finir par voler l’objet recherché ? En tout cas, on aurait le temps de le trifouiller après sa capture non ? Cet item m’intéressait de plus en plus mais m’irritait aussi très rapidement. J’étais pas du genre patiente et j’en avais très vite marre de faire mille fois la même chose. Parce que, si j’avais bien tout capté, on allait déjà devoir se taper deux allers-retours ! … Au moins, ça te permettra de connaître le chemin qui relie ces deux villages, hein ! En effet, c’était un point positif… Sauf quand on savait que j’allais PAS retourner à cet étage. Ah, si, peut-être pour me taper son boss ? Debout, les bras de nouveau croisés et le fessier collé à un mur, je vis ma partenaire du jour sortir tranquillement de l’antre de la Grognasse. Sérieux, y avait pas pire qu’une meuf qui râlait pour que dalle ! En tout cas, j’avais bien failli dire à la borgne qu’elle se gourait de direction… Mais heureusement, ma bouche d’idiote sans talent pour l’orientation réussit à rester fermée.

« Bon, je sais que cela ne se fait pas normalement ou qu'en tout cas, la plupart des gens n'en parlent pas, mais que fais-tu dans le monde réel, tu es étudiante ou travailles-tu déjà ? »

Han, comment qu’elle parlait trop bien sa mère ! N’ayant jamais réellement discuté avec quelqu’un ici, j’avais pas pu me demander si j’acceptais ces questions. En tout cas, la demoiselle m’enchantait ! Elle avait compris que j’étais une grande fille d’elle-même, quoi ! Je la regardai d’un coup avec amour avant de répondre… Sèchement, sans le vouloir.

« Étudiante. »

Aah !- pourquoi tu f'sais ça à chaque fois ?! Fallait pas finir la conversation comme ça, meuf ! Déjà que t’étais inutile, t’allais pas en plus faire régner une ambiance pleine de malaises ! Allez, argumente bordel ! Je bredouillai alors rapidement, n’étant pas du tout habituée à parler de moi.

« Mais j’ai déjà fait quelques petits boulots… Enfin… »

En même temps, dans une modeste famille comme la mienne, fallait mettre la main à la pâte si on voulait s’acheter des trucs aussi chers que des jeux vidéo et des consoles… Et comme personne à la maison appréciait ça, je me tapais à chaque fois tout l’achat. Han !- mais c’était à cause de ma famille que j’étais radine !

« … E-et toi ? »

Cette question posée à mi-mot avait laissé un goût amer dans ma bouche. En fait, dès que tu parles pas de blé ou de fesses insinuées, tu te sens mal à l’aise hein ?! C’était faux ! J’avais déjà réussi à parler de plein d’autres trucs avant ça, comme… Comme…? Pfeuh, t’façon, vue sa tronche et son physique, j’étais persuadée qu’elle devait être gérante d’un bar ! Je remis ma tête droite, évitant de montrer ma gêne à cette nouvelle partenaire.

Une question, ça arrivait quelques fois pour un renseignement. Deux questions, c’était rare… Mais alors trois et d’affilée ?! Même dans la réalité, on m’avait pas fait ça depuis dix ans ! Ma tête s’était tournée par automatisme vers la « responsable du service de marketing »… Attends, rien qu’ça ?!

« Médecine. Je finirai neurologue. »

Réponses toujours aussi courtes et explicites : quelle efficacité wesh ! Après tout, je m’étais jamais renseignée sur autre chose et je partais du principe que quand on le voulait vraiment, on le pouvait largement. En revenant dans le monde réel, j’étais persuadée que j’aurais encore ma place dans cette branche de toute façon. La médecine était une filière pourvue de moyens de réadaptation géniaux pis… Je m’étais encore intéressée à rien d’autre, alors il valait mieux pour moi de continuer à prier chaque jour pour que ma vision des choses fût la bonne.

« Le nom de ton métier fait assez classe. Tu as fait quelles études pour ça ? Tu poses dans tes affiches publicitaires ? »

Si j’avais bien capté en m’aidant de tous les composants de la profession, elle créait ces enseignes pleines de messages subliminaux et de pouffes en petite tenue qui vantaient les mérites de tel ou tel maquillage ? Avec sa poitrine imposante, sa belle taille et son visage aussi féminin qu’attrayant, il était certain qu’elle pouvait s’improviser mannequin. Et si en plus, elle était la responsable, elle avait toute la facilité et l’autorité pour ! Je me demandai dans quelle branche elle figurait. J’avais supposé le maquillage parce qu’elle m’apparaissait très fille, mais la vente d’alcool, de préservatif, de vêtement et d’autres produits de beauté m’était venue à l’esprit. Mais l’appellation hyper stylée de son métier m’avait presque fait douter, me conseillant de prendre la rousse au sérieux.

« … D'ailleurs, ça fait longtemps que je me pose la question mais… Pourquoi ce cache-œil ? Ça doit te limiter dans les combats. »

C’était la seule chose à laquelle j’avais pensé qui pourrait l’interdire de poser comme pouffe dans un magazine ou sur une affiche publicitaire. Mais d’ailleurs… Peut-être qu’elle s’occupait pas du tout de ça mais seulement de l’écrit ? Ouais, j’y connaissais vraiment que dalle aux métiers autres que ceux reliés aux hôpitaux… Mon immaturité de petite fille arrêtée dans ses idées me fit presque pâlir tant elle était immense. Je remis de nouveau ma tête droite pour constater que notre marche rapide nous permettait déjà de voir correctement le village dont on venait. Bordel, la meuf avait presque failli me faire oublier toute la frustration et la colère qui provenaient de cette dernière grognasse de PNJ râleuse ! Elle n’était pas que bonne : elle était forte ! Mais moins forte que moi en ce qui concernait les interrogatoires de police. Elle qui avait osé me poser plein de questions, je venais de décider que j'allais la bombarder pendant toute la durée de la quête. Ça m'éviterait de me faire c... de m'ennuyer.

Ma vision de la bonne borgne transformée en cheffe méchante armée d'un fouet m'avait tout bonnement empêchée de répliquer. Vingt personnes alors. Qu'elle dressait et sur lesquelles elle marchait fièrement pour atteindre son objectif : le fric qui maintenait sa future entreprise en vie ! Avec sa mention des arts appliqués, je fis instantanément d'elle une dictatrice avec un drapeau bien à elle, hyper design, super dark, ondulant avec un vent aussi dynamique que menaçant. Woo !! Avec cette vision, moi aussi je voudrais bien devenir son petit chien et créer des affiches qui lui conviendraient... Ou pas, si j'avais été masochiste. Et Chlack !

Mon regard envahi par la vision créée par mon imagination, je me mis un petit coup de phalanges sur la tête afin de finalement me reprendre. Un master, une licence et déjà une place importante à responsabilités énormes dans une grande entreprise ? Elle avait quelle âge ?! Un master prenait pas cinq ans ? Et une licence trois ? Elle avait vingt-six ans minimum ? Nan, nan, j'y connaissais que dalle à ces trucs-là après tout, je pouvais pas deviner comme ça... En tout cas, même si ses seins et sa tronche insinuaient le contraire, elle avait l'air d'en avoir des synapses. Pense pas à ça, la jalousie va t'envahir !!

En même temps, elle avait tout pour elle, comment ne pas l'envier ? Elle possédait la jeunesse, la beauté, le charisme, le mystère, et surtout la classe grâce à son cache-œil de pirate ! Et maintenant, j'apprenais qu'elle avait un cerveau ainsi qu'un super métier d'avenir... et donc du fric ! J'allais en avoir en abondance aussi mais pas avant des années et des années d'étude. Et en plus, je prenais du retard à cause de Kayaba ! Quoique, avec un peu de chance, dans la réalité, sa responsable l'attendrait pas et la virerait ?! Oui, ça ne pouvait qu'arriver. C'est bon Rikka, vous êtes encore égales, elle t'écrase pas, tu peux encore la traiter normalement !

"... Compétition de Kendo... Glaucome... Enucléer... Organes de remplacement révolutionnaires..."

Merci. Merci, cerveau séléctif, d'aller toujours à l'essentiel et de me laisser me concentrer sur autre chose que son blabla. Bon, si je résumais bien, en plus d'être une intello élégante, elle était sportive. Je ressens quand même le petit complexe d'infériorité là... Si en plus, elle faisait pas son âge et qu'elle possédait le mien ou s'en approchait, elle allait fissurer mon égo. En tout cas, niveau chance, on était au même niveau : on était toutes les deux bloquées ici. Sans m'en rendre compte, on avait déjà traversé tout le village et Sans-Âme s'était adressée une nouvelle fois à... Qui déjà ? Peu importe, on devait aller dans une forêt... Et pas de n'importe quel étage !!!

"Huh... Huh... Huh... Attendez-moi mes lycaons, je vais vous enchaîner, vous enfermer, vous n'pourrez vous échapper...!"

A peine téléportée que je m'étais déjà emparée de mon arme et que je sautillais joyeusement dans la ville de ce palier que je connaissais par coeur. Pour la première fois dans cette quête, j'allais être utile !! J'allais pouvoir tabasser des monstres et même guider cette meuf dans la forêt, si elle ne la connaissait pas déjà. Je me tournai vers elle, remarquant son visage dépité. Ma motivation et ma bonne humeur venant de me faire coucou, j'allai jusqu'à lui faire un petit sourire.

"Allez, on aura bientôt fini après ça !"

Je fis tourner mon arme dans l'une puis l'autre main en signe d'excitation en marchant déjà vers cette sortie que j'avais traversée maintes et maintes fois... Autrefois souvent par chance, à présent par habitude et même automatisme.

"Donc, on casse des cornes et des cailloux sur les montagnes, on danse avec les hyènes pis avec les macaques dans la forêt et..."

Ah... Mer... Credi ! C'était un mec qu'il fallait chercher... J'avais aucun souvenir de... Purée... Je... Je... Servirais finalement à rien du coup. Cessant tout mouvement et retenant ma frustration, je laissai échapper une énième question.

"Et du coup... Ton mec t'a larguée parce que la marchandise était plus complète ?"

Un œil en moins, ça peut bien amener à une perte de libido... Non ?