Pourquoi qu'j'étais revenue ici d'jà ? Ah ouais !- parce que la ville sous la ville m'avait vraiment impressionnée et interpellée la dernière fois. J'avais envie d'en connaître les coins et les recoins par cœur, de rencontrer les petits bandits de niveau un des bas quartiers de l'étage un, de leur faire peur avec ma superbe masse, et surtout... De découvrir de nouvelles quêtes. Un quartier aussi "discret" et "complexe" et "pauvre" que celui-là devait bien en avoir, et la plupart des joueurs de haut niveau, sans doute riches et à considérer comme de forts bourgeois, avaient dû l'ignorer. J'étais persuadée que j'allais découvrir quelque chose d'hyper cool et de nouveau par ici, je le savais, j'en étais sûre et surtout, je le voulais, réellement... Et c'était pour ça que je cherchais depuis des heures et des heures et des heures les escaliers que j'avais découverts par (mal ?)chance la dernière fois. A chaque fois que je voulais vraiment trouver un lieu, je me retrouvais toujours à son exact opposé. Toutes les rues se ressemblaient aussi !! Et les quelques marches que j'avais déjà prises m'avaient soit menée vers un cul-de-sac soit ramenée dans les ruelles des jambons, c'était pas d'ma faute ! Aussi énervée que tristement dégoûtée de ma situation, je m'arrêtai d'un coup pour regarder tout autour de moi.

"... Mais qu'est-ce que je fous sur un pont ?"


... Ces nouvelles heures de marche m'avaient pas du tout aidée. J'étais retournée sur le point de "départ", juste devant la porte de sortie et d'entrée de la ville. Génial ! Tentant de me raisonner et surtout de me trouver une excuse pour me déculpabiliser, j'en vins à une conclusion. Si j'arrivais pas à trouver l'endroit, c'était juste parce qu'y aller provoquerait tout un tremblement dans ma vie, et finirait par me faire défaut ! Car le destin jouait forcément en ma faveur, c'était bien connu ! Ça me rappelait ce livre étranger que j'avais lu dont la morale était : "changer son destin le rendra encore pire, ce qui arrive est toujours moins horrible que ce qui pourrait arriver". Cette morale de mes deux ! En tout cas, elle m'avait bien marquée. Je décidai donc de me casser d'ici et de changer de but : il me faudrait d'autres heures pour trouver le portail de téléportation convoité... Alors j'allais passer ma colère sur des monstres faibles, tout simplement !

D'un coup vers le bas, je défonçai le premier Lapin à plume croisé. Le pauvre n'avait rien dû voir venir, trop occupé à sniffer de l'herbe superficielle. Sautillant en gardant un regard blasé, je continuais ma route au hasard, détruisant tout sur mon passage. De deux gestes rapides et harmonieux, j'avais mis un terme à la danse que deux Sangliers menaient autour de moi, réduisant leur groin et le bout de leur queue touffue en pixels n'attisant même pas ma pitié. Je devais juste oublier. Oublier mon but du jour, oublier mon souhait de vouloir rentrer, dégager toutes ces envies et ces besoins soudains. Pour pouvoir trouver de quoi les assouvir, il fallait les remplacer par autre chose. J'me connaissais maintenant, je savais comment faire pour pallier mes erreurs d'orientation. Décidée à augmenter la plupart de mes compétences, je décidai d'utiliser Analyse à chaque fois que je croisais un méchant pas beau, relisant les descriptions des bêtes beiges et des Pumbaa à la moindre occasion, les apprenant par coeur, lassée par la répétition de mes mouvements. J'avais ainsi dégommé trois Aigles grâce à Acrobatie, m'aidant de mon environnement et de ma soudaine force de propulsion pour les atteindre aux ailes, au bec puis aux yeux, le tout en faisant s'embrasser les cadavres et le sol vert. Même si je me faisais aussi les monstres seuls, je préférais quand ils étaient plus nombreux. Après tout, à deux c'était bien, à trois c'était mieux et à plus... Ça faisait mal ! Et heureusement, j'étais pas la maso du jour... Mais en fait, personne l'était car je les One Shottais tous. Pour revenir à l'idée de base, j'adorais quand ils étaient plusieurs à taper sur moi car je pouvais pas contrer toutes les attaques de tous les ennemis. Du coup, Armure se voyait augmenter et ça m'faisait plaisir !

Soupirant et ronchonnant, je continuai ma route encore et toujours au hasard, ne sachant même pas si j'étais déjà passée par là... Mais en fait, vu que des mobs apparaissaient encore, j'en concluais que j'étais bel et bien sur un terrain inconnu. Détruisant deux nouveaux Lapins à plume, le premier en lui balançant un coup entre les deux yeux après avoir bondi derrière lui, le second en l'ayant fait voler par une attaque verticale vers le haut... J'eus la même pensée : je voulais rentrer !!! Même si j'avais du mal pour, j'adorais vraiment visiter de nouveaux lieux et le mieux, c'était de m'y habituer assez pour en connaître tous les recoins et y aller tranquillement, sans erreur et par automatisme. Pour ça que je vénérais les paliers trois et huit !!

"... Un lycaon."

Je restai bête pendant deux secondes. Puis je le coursai, marteau levé, sourire sadique aux lèvres !!

Fuh fuh fuh, le garnement m'avait amenée pile à un troupeau de beaux bébés Quasimodo, bien dégueulasses avec leur dos biscornu. Grâce à mon menu ouvert, à l'étouffement de mon impulsion, à l'herbe assez haute, à mon plat ventre et à Dissimulation, j'avais pu m'approcher sans les faire fuir ou attaquer. Ils savaient même pas que j'étais tout proche !! Telle un soldat, j'avais rampé comme une dératée tout en utilisant ma compétence, décidée à les prendre par derrière et par surprise. J'avais tout donné, j'avais même ranger mon arme pour pas être embêtée et pouvoir aller plus vite encore. Les Lycaons étaient mes Ennemis, avec un immense E majuscule ! Je les haïssais ces pourritures dégoûtantes aux poils colorés n'importe comment et à la gueule plus laide qu'un trou de fessier de barbu aussi obèse qu'alcoolo !

Ouaip, j'étais carrément remontée et prête à tous les déglinguer avec mon Marteau – que je comptais bien utiliser comme une tapette à mouches fuh fuh ! Et dire que j'avais utilisé Analyse tout le long pour relire encore et encore leur description d'horribles atrocités. Bon, y avait bien un des mobs qui se différenciaient des autres mais il restait comme ses cousins : tellement laid qu'à abattre. Un énième sourire sadique, une apparition de l'Arme Redoutable, une fermeture du menu et...

"HAAAAAAAAAA !!!!!"

Hurlant comme une débile mentale dans les plaines, dents et yeux sortis, je me levai d'un coup en bondissant sur le maître de la meute, frappant pile au milieu de son anus protégé par sa queue touffue d'ahuri abasourdi ! Et bim!- un Lycaon Alpha mourru, que vas-tu faire, hein que vas-tu faire ?! Je m'arrêtai pas là, évidemment ! Même avec deux loups me mâchouillant les flans, un me griffant le mollet gauche et un dernier qui avait sauté d'instinct sur mon arme abaissée, j'allais les étriper. Quant aux cinq autres méchantes bébêtes – dans tous les sens du mot "bête" – à côté, elles avaient marqué un temps d'arrêt, surprises par mon intervention et mon meurtre soudains. Sans cesser de rire et de sourire, sadique, je tournai sur moi-même, en tuant une sur le coup, en balançant une contre un arbre, dégageant du passage les monstres qui venaient de comprendre que j'étais bel et bien leur ennemie du moment.

C'était jouissif, mon Dieu, que c'était jouissif ! Je haïssais ces trucs depuis le tout début, il fallait les éradiquer, les exploser, tous les buter et les effacer de ce monde bien trop beau pour leurs sales gueules de défoncés graves. Mon Marteau et mon corps partaient dans tous les sens, la disgrâce et l'irrégularité de mes mouvements empêchaient les monstres de faible niveau de suivre mon rythme. Utilisant Acrobatie à tort et à travers pour sauter sur un arbre et bondir sur le dos d'une proie, esquivant de justesse en me baissant au dernier moment, tournant sur moi-même une fois, deux fois, allant à gauche puis à droite pour feinter, le tout avec ma vitesse impressionnante pour cet étage, je jubilais. Ça, c'était ça que j'aimais. Entendre ces couinements me réconfortait, écouter le crissement de ces os déboîtés ou tout simplement brisés par mes actes était un délice. Frapper, frapper, sentir l'air projeté par le plat de mon marteau, tout ça me produisait d'exquises sensations que je n'avais connu qu'ici.

Ce monde était tellement mieux que l'autre. Je pouvais tout y faire, même y mourir, alors que c'était qu'un jeu à la base ! Ici, je pouvais ignorer les gens que je voulais sans prendre de gants car sans risque de représailles grâce à mes stats de malade ! Ici, je pouvais bouger comme je le voulais, tout contrôler, je pouvais aussi prévoir le résultat d'un engagement grâce à ma compétence d'informatrice ! Je pouvais tout calculer, tout mesurer, c'était excitant, rassurant, ça pouvait être rageant... Ce monde était une source d'adrénaline positive !!!

... Mais avant d'avoir pu m'arrêter de rigoler, le combat était terminé.  

J’avais continué ma route en sautillant et en sifflant joyeusement, impatiente de revoir d’autres lycaons. Heureusement pour moi, je ne mis pas trop de temps avant d’en retrouver quelques-uns mais je dus d’abord affronter trois sangliers et six lapins avant de pouvoir gambader joyeusement vers eux. J’avais buté les boules de poils beiges en écrasant leur nez sur leur visage avec le plus de violence que j’avais pu donner, ce dont avait pu témoigner mon Marteau écarlate lumineux. J’avais, bien entendu, compté sur ma rapidité et sur ma bonne esquive pour éviter sans grâce leurs coups, mais pas tous, tout en en distribuant sans répit. Les trois sangliers avaient malheureusement pas tenu plus longtemps, propulsés dans les airs par des attaques circulaires les atteignant tous et les laissant d’abord abasourdis, puis K.O. Enfin, je parlais de ça d’une traite, mais j’avais pas eu à combattre tous les lapins en même temps. Et en fait, ça m’avait plus frustrée qu’autre chose : ces braves bêtes étaient sans intérêt, seuls comptaient ces lycaons de mes deux !

Comme dit, je les trouvai après une énième promenade de santé, après avoir – je le croyais – tourné en rond pendant des minutes qui ressemblèrent à des pairs d'heures. Mais malheureusement pour moi, je fus bien trop loin pour pouvoir participer au massacre de ces sept bébés… Car oui, une grognasse aux cheveux couleur pouffe trop girly étaient déjà en train de les faire disparaître avec ses mouvements lents mais lourds. Salopette d’épée à deux mains qui empêchait mon marteau de devenir encore plus rouge ! J’avais envie de lui défoncer son arme, ou alors de l’enfoncer en plein dans sa poitrine de gamine plus petite que moi !! Mais, pauvre de moi, j'avais pas la compétence pour ça !!! D’où elle me piquait mes lycaons, d’où elle volait les objets de mon nouveau but de la journée, d’où elle osait continuer d’exister ?! Mais alors que j’allais continuer à rager jusqu’à mordre mes lèvres et griffer mes paumes, je sentis derrière moi ces bonnes odeurs de fer, de saleté, des poils cuits au soleil, si propres aux bêtes que je haïssais.

Reprenant mon sourire et avec plus de fermeté mon arme, j’allais faire un pas disgracieux de danseuse pour accompagner mon geste mortel sur le monstre quand l’autre joueuse de mes deux fit de nouveau son apparition pour l’exploser avant moi en mille morceaux. MAIS C’ÉTAIT QUOI SON PROBLÈME ?!! Pendant quelques secondes, je restai stoïque devant elle. Quelques gouttes de sueur avaient eu le temps de se former sur mon visage, symbolisant mes efforts pour éviter de l’étriper. Comme une folle, elle rangea son arme, fit un geste débile qui me rappela quelques vieux films sur une époque révolue et me parla comme un grand-père de ces années pauvres. Mais… Quelque chose avait dû péter dans sa boîte crânienne, c’était pas possible ! Elle se prenait véritablement au jeu ou… ? Je vérifiai une nouvelle fois son curseur pour être sûre que c’était bel et bien une joueuse. Puis j’utilisai Analyse pour savoir si je pouvais la frapper sans me faire rétamer après… Ce qui, après réflexion, fut finalement jugé assez bête par mon intelligente personne car seuls les nuls et les paumés (moi) circulaient encore à cet étage. Je décidai de la prendre par surprise et rangeai mon arme en marchant tranquillement jusqu’à elle, manquant de la dépasser.

Sans émotion et succinctement, grâce à ma haute vitesse, je me baissai pour éviter un coup traître de sa part, telle un boxeur, et entrai en profondeur mon poing dominant dans son bidon plat. Sans m’arrêter, j’utilisai Acrobatie pour sauter sans difficulté et lui balancer dans sa tête le coup de pied le plus violent dont elle se rappellerait toute sa misérable vie. Je finis mon enchaînement en la prenant par le col, approchant son visage du mien, décidée à lui mettre un coup d’boule si elle osait répliquer la moindre chose.

« Personne. Me prend. MES. Lycaons. »

Et je la jetai dans l’herbe, énervée, avant de faire apparaître mon arme. Bon, l’ayant frappée avec mon corps, elle avait perdu aucun point de vie et j’avais pu garder mon curseur vert, mais ça m’avait quand même bien défoulée, ces petits actes gratuits, imprévisibles et dépourvus de raison. Je savais que j’allais un peu m’en vouloir au bout d’un moment, mais à cet instant, j’étais assez satisfaite de moi. Tournant les talons, je soupirai avant d’essayer d’oublier cette rencontre, me rappelant mon objectif… A moins que…

« Tu connais bien cet étage ? »

Elle avait pas eu de respect pour moi, concernant mes lycaons, pourquoi j’en aurais pour elle, pourquoi je le lui montrerais en la vouvoyant ? Surtout qu’elle était plus basse que moi niveau taille… Donc bon : à fout ! Il n’empêchait que je pourrais l’utiliser pour m’en aller d’ici. Cet étage me mettais à chaque fois mal à l’aise et m’embêtait vraiment, je l'avais donc pas vraiment arpenté. Sans doute parce que c’était ici que tout avait commencé.

J’avais pas compris le geste si spontané de ce lycaon, si bien que j’avais écouté à moitié la jeune fille avant de me mettre à éclater de rire, totalement confuse par ma surprise et mon étonnement. Le truc poilu était sorti d’un coup de derrière un arbre pour se propulser jusqu’à nous et crever tout aussi rapidement de la main de la grognasse trop sérieuse. Il avait dû nous voir de loin et gambader comme un fou jusqu’à nous, sans trop s’essouffler, la haine du massacre des siens alimentant ses membres imposants. Il n’empêchait que je m’étais pas du tout attendue à ça et que j’en pouvais plus de rire, les bras croisés autour de mon bidon tremblant en rythme, manquant d’embrasser la terre comme mes lunettes. C’est lorsque je sentis une larme d’amusement sur le point de mouiller ces dernières que je réussis à me redresser et à un peu me calmer. J’étais d’humeur vraiment sournoise, j’avais bien envie de me distraire avec la petite sainte-nitouche aux vieilles allures.

« J’en conclus que ton niveau est bien bas pour que tu sois encore ici. T’as pas du tout l’allure d’une alchimiste et les vrais forgerons doivent être en train de casser les gros cailloux plus haut. »

Je soupirai de contentement d’un coup. Aah, si j’avais été dans la réalité, mes abdominaux seraient déjà en feu, je serais aux prises avec une toux monstrueuse et encore en train de chialer de satisfaction humoristique. Ce monde sans douleur et maladie avait sans doute du bon. En fait, il n’y avait dedans que le plaisir. Le plaisir de pouvoir tout faire comme on le voulait, de pouvoir aller partout comme on le souhaitait, de parler aux gens comme on le désirait. Si j’avais envie de sauter de très haut pour avoir l’impression de voler, je pouvais le faire sans totalement risquer de mourir. Si je voulais changer de paysage, je pouvais emprunter le portail de téléportation le plus proche. Et si je voulais inventer puis tester des insultes, je pouvais toujours agresser un PNJ. Enfin, tout serait vraiment génial s’il fallait pas affronter la mort à chaque tranche de dix paliers pour avancer. Et ce serait encore plus cool si j’étais la seule personne non programmée par le jeu…

« T’as quel âge gamine ? Tu devrais commencer à te décoincer sinon tu finiras vieille fille. »

La politesse n’était bonne que pour les hypocrites, elle allait devoir l’apprendre très vite. Les gens gentils qui disaient mille fois bonjour et merci pour rien ne le faisaient que pour Ken. C’était comme les mecs, s’ils étaient sympathiques avec plus de dix minutes, c’était seulement pour mieux retourner leur naïve et débile victime. Nous étions tous des jouets remplis d’intérêt. Amour, amitié, toutes les notions de ce type, si vagues, si jolies à l’oreille, pouvaient se résumer en ce mot : intérêts. Et ce dernier pouvait trouver son existence dans une longue liste qui ne serait jamais exhaustive car il y avait autant de besoins que de personnes sur terre. Argent, pouvoir, objet, popularité, partenaire de lutte contre l’ennui. Tous des jouets qui seraient fracturés et jetés si les missions étaient pas remplies.

« Sinon, je crois qu’on s’nomme toutes les deux pareil. Tu peux m’appeler Toi. Enchantée, Toi. »

Je m’en foutais tellement de son identité et de sa vie… Tout ce que je voulais (et encore, je pouvais m’en sortir seule au pif, comme d’habitude), c’était qu’elle me ramène à un portail de téléportation.

« On fait la route ensemble, comme ça, j’éviterai de t’agresser si je vois encore ton ombre abattre mes cibles du jour. »

En effet, ce n’était pas une question.

« Aah, je devrais t'apprendre à parler normalement aussi. »

J'allais lui dégueulasser sa journée.

Oh… ? Même pas une petite remarque, rien du tout ? Eh bien, elle manquait pas de toupet. Elle qui semblait porter tant d’importance aux règles, elle finissait par snober une personne, ce qui était très vilain dans le monde des péteux dans son genre. Je me demandai ce qui lui passait par la tête pendant quelques secondes avant de la voir partir défoncer de nouveaux lycaons. On était des aimants à monstres laids et crades ou quoi… ? Généralement, fallait un peu plus se déplacer pour les trouver, surtout qu’on en avait butés tout plein dans cette zone. Peut-être qu’on avait manqué un lâche, ou un bloqué par des arbres, qui criait à chaque fois qu’il le pouvait en ramenant les autres ? Aucune idée, la seule chose certaine, c’était qu’elle cassait la tronche à mes choses à moi. Enfin… J’avais failli perdre mon intérêt pour elle quand je l’avais vue se détourner de moi sans rien dire mais finalement, j’étais sûre que ça devait un peu bouillir dans son cerveau. Encore quelques petites remarques de ma part, et elle finirait peut-être par crier, par expulser sa colère, cuite par ma présence, par la bouche ? En tout cas, les gens indifférents m’énervaient au plus haut point. Ils me faisaient penser à mon père.

Celui qui proposait à tous les membres de ma famille quelque chose, mais pas à moi. Celui qui servait tous les membres de ma famille pendant le repas, sauf moi. Celui qui se rappelait de l’anniversaire de tous les membres de ma famille, mais pas du mien. Celui qui ne me parlait que par intérêt, que d’argent, d’argent. Celui qui n’allait dans ma chambre que pour réparer une chose qui aurait dû l’être deux ans auparavant parce qu’une femme qu’il aimait le lui avait, enfin, assez répété. Celui qui ne parlait de moi qu’avec les gens auxquels il voulait plaire pour mettre en avant ma « brillante intelligence », le fait que j’irais « loin dans la vie », contrairement aux « autres jeunes feignasses d’aujourd’hui ». Aah… Tu disais que tu t’en fichais maintenant. Pourquoi tu as encore du mépris envers lui ? Tu sais bien qu’il ne remarquera même pas ta colère, même si tu la lui balances en pleine poire. Alors arrête. Arrête. Et oublie. Il valait mieux se faire punir qu’être ignoré.

Je n’avais cessé d’utiliser Sprint pour atteindre à chaque fois la demoiselle qui, elle aussi, n’arrêtait pas de courir partout. Elle semblait à l’aise avec son arme et ces bêtes, si bien que je ne pus m’empêcher de penser à nouveau qu’elle devait connaître ces plaines par cœur. Pourquoi elle ne montait pas plus haut ? Est-ce qu’elle avait peur ? Ou peut-être que son but était de l’artisanat ou de l’aide extérieure aux combattants du front ? Mais elle avait la tronche de… Ben… De rien en fait. En tout cas, à part en membre de guilde qui prônait la politesse, l’exagération vieillotte et le pouvoir de l’amitié, je la voyais en rien de très utile. Dans ma tête, elle faisait partie de ces personnages enflammés qui crevaient à la fin du premier ou deuxième épisode d’un animé fantastique.

« Finalement, tu vaux pas mieux que moi niveau politesse. Les jolis mots et les belles courbettes ne sont là que pour cacher ton manque de savoir vivre et ta lâcheté face à la vulgarité. »

Les mains dans les poches comme un wesh, j’étais sur un pied, l’autre étant posé sur ce dernier. Mes lunettes étaient tout au bout de mon nez mais j’étais tellement bien dans cette position que je les laissai, quitte à voir leur entourage scinder la meuf qui écoutait mon monologue. Apercevant deux ombres, je levai légèrement les yeux pour remarquer avec un faible sourire, la présence de deux aigles qui planaient difficilement dans notre direction.

« Oh, ils nous ont vues. »

Rebaissant le regard, je vis trois nouveaux lycaons s’approcher de nous à toute vitesse… Enfin, surtout d’elle, sans doute. Elle venait de tuer (encore) leurs potes après tout. Personnellement, j’avais joué sur mon côté lunatique après avoir pensé à mon paternel : blasée, j’étais blasée. Et j’avais rien envie de faire. J’allais la laisser danser, après tout, elle semblait beaucoup aimer ça. Au lieu de discuter avec moi. En tout cas, il allait falloir trouver ce lycaon hurleur… Ou pas ? Oh, un lycaon alpha ! Non, j'avais toujours pas envie de bouger.

« … Euh… Pardon ? »

Comment ça, « on se ressemblait au fond »… ? C’était carrément une insulte, là. Comparer deux personnes était la pire des choses à faire en ce monde. Car chacun était unique, elle avait pas appris ça à l’école, cette salopette de mes deux ? Toi-même, tu compares des gens sans t’en rendre compte ! Tu t’énerves que quand ça te concerne hein ? Je soupirai en la voyant se diriger vers les lycaons avant de remarquer, blasée, les deux gros dindons retomber sur le sol… Et prendre un peu d’élan pour sauter afin de planer à nouveau. Ils avaient l’air tellement heureux, à gambader comme des imbéciles, que cette image m’obligea à lever mon marteau pour les tabasser tous les deux. Ils furent si surpris par ma spontanéité que je les éliminai sans même craindre une réplique de leur part. Le premier se prit le sol de plein fouet en rebondissant dessus et le second me rappela que j’aurais dû essayer le baseball : j’en aurais mis des bons, des home runs ! Malheureusement, la balle que j’avais utilisée à ce moment-là stoppa sa course dans les airs, comme gelée, avant d’exploser en mille morceaux.

Un énième soupir et j’utilisai Sprint pour rejoindre l’autre grognasse insultante. A part pour notre nationalité physiquement et verbalement évidente, notre appartenance à l’espèce humaine et à ce monde fantastique, je pensais lui ressembler en rien. Elle n’était qu’une hypocrite qui approchait les gens avec des mots tout pourris. Hypocrite et superficielle, aussi, avec ses cheveux roses et ses yeux jaunes comme preuves. Pis, un peu conne également, puisqu’elle semblait vouloir se faire passer pour un chevalier servant avec ses chiantes et vieillottes mimiques. J’aimais pas les gens qui jouaient des rôles, car en vérité, on était tous des humains ternes et ennuyeux sans super pouvoir ni passé hyper cool. J’avais souvent croisé des gens pour lesquels la banalité était un mot dégueulasse qu’ils pensaient contrer avec des mensonges et des agissements qui, de mon point de vue, les tournaient juste en ridicules. Qu’est-ce qu’il y avait de mal, dans le fait d’être normal ?

« Donc, qu’est-ce qui te fait dire qu’on se ressemble, au fond ? »

Je mis à peine dix secondes pour dégoter la petite hyène bossue et lui faire sa fête. Je détalai comme une dingue après avoir aperçu ses longues et rondes oreilles et la décapitai presque en lui balançant le plat de mon marteau en plein dans sa sale face. Disparue dans une pluie bleu ciel, j’avais pris de l’élan pour bondir tout près de mon interlocutrice et lui arracher des exemples pour prouver cette connerie qu’elle avait avancée. Il n’empêchait que ce lycaon avait été étrange. Peut-être qu’il avait gagné beaucoup d’expérience en observant des joueurs, ce qui avait légèrement amélioré son intelligence et lui avait appris que c’était par le nombre que les plus faibles pouvaient vaincre les plus forts ? J’avais souvent refait le monde avec des peut-être, maintenant que j’y pensais. Enfin… Le vrai monstre ici était c’te meuf. Et j’avais très envie de savoir comment elle pensait.

Ah, je vois. Elle était comme moi, elle avait que de la gueule. Elle sortait des choses spontanément sans y réfléchir, juste pour faire chier, pis la fermait quand elle se rendait compte de sa connerie. A faire ça, elle allait finir par tomber sur une chiasse qui l'obligerait à s'expliquer. Avec violence, comme j'avais encore envie de le faire à cet instant. Cette meuf était une tête à claques pleine d'arrogance injustifiée. Enfin... Je disais ça mais ça faisait même pas une heure que je l'avais croisée. Sans oublier que, généralement, la première impression qu'on avait d'une personne était bien fausse. Maintenant que j'y pensais, j'allais un peu pousser ! Moi-même je me connaissais pas, alors comment une inconnue pouvait savoir assez qui j'étais pour se comparer à ma géniale personne ? De toute façon, la comparaison, c'était la pire des choses pourries qui existaient sur Terre... Et elle était encore là, dans ce monde.

Aah, pourquoi le créateur de Sword Art Online n'avait-il pas décidé de gommer toute la mouise de la réalité pour fabriquer le monde parfait ?! D'accord, la mort véritable existait et c'était bien parce qu'à un moment de sa longue vie, j'étais persuadée qu'on serait obligé de royalement s'ennuyer mais il aurait pu interdire l'accès aux gens chiants. Il aurait pu balayer la politesse hypocrite, les gens trop impulsifs pour penser avant d'agir ou encore le goût des oignons et l'existence des pommes de terre. Mais nan, cette grognasse de vieux geek avait voulu garder tout ce que la réalité avait de dégueulasse en elle ! Foutue "réalité virtuelle". Si tu veux faire un nouveau monde hyper original et fantastique, fais-le jusqu'au bout, bordel ! Enfin, je devais arrêter de m'énerver...

Après tout, elle allait m'amener là où je le voulais, c'était le principal nan ? Après sa question rhétorique, toute ma curiosité par rapport à ses pensées "nobles" s'en était allée, me laissant encore avec ma moi blasée de tout. Sans doute avait-elle compté sur ma facile colère pour que je lui réplique qu'elle avait détruit seule tous les lycaons sur le passage, donc qu'elle pouvait mettre son "on" dans cette grotte parfumée, étroite et sans doute hyper velue qu'elle avait dans la réalité. Mais je m'en foutais finalement. Les lycaons repoperaient et je pourrai choisir lesquels seraient miens... Non, en fait, la véritable raison était que je détestais cet endroit. Cet étage au chiffre pair. Cela dit, j'aurais bien voulu qu'elle perdre plus niveau vitalité mais bon...

"Tu as déjà fait du PvP ?"

C'était sorti d'un coup, j'avais même pas eu à me dire de lui mettre un vent, seulement à repenser à la satisfaction que j'avais ressentie quand je l'avais frappée pour penser aux duels et même aux PK. Où ils étaient cachés ceux-là d'ailleurs ? J'avais bien envie de punching-ball pour passer mes nerfs... Je me demandai en combien de coups je pourrais détruire cette meuf superficielle. Un seul. D'où venait cette voix aux dires peut-être faux ? Elle était quand même un peu habillée, je pourrais quand même pas la oneshooter. Enfin, si je faisais ça gratuitement, je finirais avec un curseur orange et je me ferais bien chier dans ma vie, à courir partout pour rester en vie... Enfin, j'avais la compétence Sprint, peut-être que j'arriverais à atteindre les portails de téléportation des villes pour passer les étages et fuir dans ceux que je connaissais bien... En partant du principe que je trouverais facilement les téléporteurs.

Bref, ça servait à rien de penser à ça. J'étais pas une meurtrière et je le serais pas dans le futur. Je resterais juste une meuf lassée de tout. Je soupirai quand je vis un groupe de quatre lapins entouré de lycaons guidés par un des leurs, imposant avec sa longue crinière touffue. Je me tournai vers la demoiselle et attendis qu'elle parte danser. Encore, elle allait mettre mille ans à tout faire, et un des Quasimodo pourrait rameuter d'autres bêtes dégueulasses... Aah... J'aimais pas ce qui était prévisible. Et si je me me mettais derrière un arbre avec Dissimulation en attendant ?

Ah. Donc elle s’était jamais fait laminer la tronche ? Je m’en doutais. En tout cas, elle se fichait vraiment de moi… Elle était déjà au courant pour ma haine envers les lycaons et elle me « laissait » les lapins. Peut-être avait-elle besoin des drops des Quasimodo ? Sans doute. Les gens qui mourraient en premier dans les films avaient généralement beaucoup d’amis. Ça m’étonnerait pas qu’elle ait un forgeron dedans, ma seule et vraie amie en était une. A croire qu’on en trouvait partout. Enfin, je la voyais bien embêter les « Grands » aussi. Je voulais dire les gens de la guilde la plus connue et les gens connus tout court. Ce sont que des présupposés basés sur son physique ça. Grave. J’aimais bien évaluer les gens sur mes impressions en vérité. Un pot-de-colle avec les gens qu’elle aimait bien ou qu’elle vénérait, je la voyais bien comme ça. Et comme elle m’aimait pas et que je préférais cette situation de toute façon… !

Enfin, je décidai qu’elle irait se faire foutre. D’accord, elle avait pas parlé à l’impératif mais j’avais aucune envie de me battre et encore moins lui mâcher le travail. Elle était mon escorte, je n’étais là que pour suivre et observer. Si elle avait pas voulu correctement poser les règles, c’était son problème. J’esquivai un lapin trop agressif en me demandant pourquoi ses congénères et lui-même étaient aussi vénères avant de remarquer une des jauges de vie entamée. Ah. « On » les avait déjà tabassés alors. D’habitude, ces lapins cherchaient pas les ennuis. Sans crier gare, j’utilisai Acrobatie pour éviter une nouvelle attaque d’un des poilus aux yeux rouges de haine et en profitai pour m’éloigner, usant de Sprint pour aller dans la zone souhaitée. Ici, je me mis sur le ventre, m’étalant de tout mon long sur le sol, profitant des hautes herbes pour me Dissimuler.

Je décidai de garder un œil sur l’autre meuf qui allait s’attirer toutes les autres bêtes, regardant sa jauge de vie baisser très, très lentement. Elle était très animée et semblait hyper motivée à détruire les mobs. Je n’avais pu entendre qu’un verbe anglais sortir de sa bouche, ainsi, je pus supposer qu’elle avait lancé un quelconque défi ou qu’elle se donnait du courage pour faire de nouvelles courbettes. J’aimais les challenges habituellement, mais je ne savais plus vraiment pourquoi, j’étais vidée de toute énergie et j’avais plus la tête à grand-chose. Je voulais rentrer et abandonner cette meuf chiante au vocabulaire emmerdant. C’était sans doute l’étage qui me mettait dans cet état ?

Dans tous les cas, j’avais même pas envie de faire des efforts pour retrouver le chemin. Je n’avais qu’à la suivre et je resterais bien à plat comme ça, si jamais elle allait trop loin dans le feu de l’action. Toujours immobile, je fixais la demoiselle, attendant qu’elle fasse des mouvements intéressants avec son épée qui me semblait lourde.

Comment elle avait su que j’étais restée à attendre ? Mystère et boule de gomme. Avait-elle une compétence d’Ecoute, de Sniff ou de Vue ? Aucune idée et je m’en foutais à vrai dire. Je devais de toute façon augmenter cette compétence. Je pensais à sa rentabilité au long terme. Plus on avancerait dans les paliers, plus les ennemis seraient puissants… Et je me voyais bien devoir fuir contre une horde, un jour. J’étais trop associable pour posséder des boucliers humains après tout. Je devais me préparer à ça. J’avais bien voulu prendre Intimidation mais… Comme à chaque fois que je me regardais dans le miroir, ma tronche de bébé me rappelait que j’avais l’air d’une babtou faible et fragile. J’avais donc préféré devenir invisible aux yeux des mobs au lieu de risquer de les voir se moquer de ma modeste personne.

En tout cas, elle avait encore bien défoncé les mobs et grand bien lui faisait. Elle devait avoir plein d’items dans son inventaire maintenant. En évitant de faire le moindre bruit, je la suivis en gardant mes distances. Enfin… Malgré mon poids plume, j’avais toujours fait du bruit dans n’importe quel environnement, qu’il soit propice au boucan ou pas, en fait. C’était comme ça, mes pieds étaient terribles. Je la suivis donc et haussai un sourcil quand je la vis ranger son arme. Vraiment arrogante, cette fille. Mais je ne fis aucune remarquer et me contentai de suivre en silence. Encore quinze minutes alors… ? J’espérais, blasée et sans trop y croire, trouver le téléporteur de la ville dès que j’y serais…