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Cela faisait combien de temps que je n'avais pas monté ce chemin, déjà ? Un bon mois, il me semble. C'est sans doute pour cela que, contrairement à mon habitude, mes pas sont plus lents. Moins avides de voir le paysage défiler pour être au plus vite arrivé. J'aurais en revanche pouvoir distinguer la raison qui me poussait à cette lenteur peu coutumière. Hésitation, ou désir de savourer le moment ?

Cela va donc faire un mois que je n'ai pas remis les pieds à l'Oppidum. Chez moi. Un mois qui me paraît encore aujourd'hui être une éternité au vue de mon existence. A raison sans doute, car ces quelques semaines furent plus denses en évènements que bien des mois de mon existence. D'ailleurs, deux des causes de cette densité marchaient légèrement derrière moi. Un petit coup d'oeil par dessus mon épaule, suffisant pour trahir que je pensais justement à eux, me fit voir un instant ces fameuses causes. A gauche, un jeune homme aux cheveux rouges, quoique plus clairs que les miens qui figuraient le sang, transportait dans son dos un lourd bouclier qui le désignait clairement comme membre de la classe des Paladins. Il ne semblait pas se départir de son entrain naturel et contagieux, et bavassait avec sa voisine de droite. Une voisine dont la longue chevelure noire et lisse caressait de temps en temps une épaule, et dont les yeux fouillaient machinalement le paysage à intervalles réguliers. Aiichiro et Ethana. Deux nouvelles Lames, à qui j'avais expliqué l'histoire de la guilde et pourquoi je n'en étais plus officiellement à la tête. Est ce que je faisais bien de les embarquer dans toute cette histoire ?

Pour la énième fois, la même question me transporta dans ce même débat intérieur. Exposer au danger de nouvelles personnes n'était en rien pour me plaire, toutefois, je devais reconnaître que le plus gros du danger avait été à la fois encaissé et défait cette fameuse nuit. Les principaux sbires de Akihide, une fois morts, avaient forcé le sabreur à reformer son gang et actuellement, ses quelques meilleures troupes étaient au niveau des Lames les plus vulnérables et n'avaient du qu'à une embuscade de me mettre en grosse difficulté. Qui plus est, les plus vulnérables des Lames restaient de bons joueurs pour le cadre moyen des guerriers de SAO. S'inquiéter pour eux était inutile et superflus,je le savais pertinemment, et pourtant...Et pourtant, je ne pouvais pas m'empêcher d'avoir peur pour eux, mais également de craindre de les salir en les laissant m'approcher de moi. Ignorer mes derniers agissements m'étaient impossible. Ignorer que j'avais traqué, lutté et tué m'était impossible. Etais-je toujours digne de diriger cette guilde ?

Parce que c'était ça, la vraie question. Alors que j'avais expressément demandé aux combattants les plus redoutables de la guilde et surtout à Milena de se tenir tranquille à ce niveau là, j'avais fait tout le contraire. Et avec succès. Maintenant, j'avais une petite idée de l'endroit où se cachait Akihide et sa bande. Mais même basculer avec succès dans l'extermination pure et dure de ces ordures, je n'avais pas réussi. Bien qu'encore incertain sur l'issue d'un duel entre Akihide et moi, je me savais toutefois assez rapide pour décimer ses troupes et battre en retraite ensuite. J'aurais pu le faire. Et peut-être aurais-je du le faire, en lieu et place de l'avertissement que je m'étais contenté de leur faire parvenir. Pourtant, il m'avait bel et bien semblé que les premiers PK  qui se sont heurtés à nos forces au début de cette guerre n'étaient vraiment pas au courant de qui ils attaquaient. Je ne me dédouanais pas de mes propres responsabilités et de ma propre colère, mais jamais les tueurs de Lal n'auraient dû être aussi surpris de se retrouver en face de mes capacités. Ils n'avaient clairement ni le niveau ni l'équipement pour pouvoir arrêter un lvl 45, encore moins un lvl 45 habitué à l'épée. Au moins, les nouveaux adeptes de la secte de l'autre étaient au courant. Se réveiller dans une clairière encerclée du drapeau sang et argent des Lames avait du leur faire tout drôle.

Soudainnement, je me rendis compte que le QG était juste en face de moi. Il s'était pas un peu rapproché, des fois ? Je ne me souvenais pas avoir si peu de temps pour réfléchir, d'habitude. Enfin. D'une longue inspiration, je rangeais dans un coin de mon esprit toute les interrogations qui me trottaient dans la tête et je poussais la porte de l'Oppidum, entrant directement dans le salon rempli des membres de la guilde au grand complet. Quelques secondes de silence s'éternisèrent, secondes pendant lesquelles je me fis la réflexion qu'il aurait peut-être été utile de prévenir de mon retour. Vite. Un truc avec de l'esprit.

- Je viens pour l'annonce, il paraît que vous cherchez un maître de guilde. Je peux déposer mon CV ?

Elle avait accepté de suivre Thelos pour accéder au QG de la guilde qu’elle avait choisi de rejoindre et une excitation vibrante tremblaient en elle. Elle était à la fois réjouie et stressée de rencontrer les autres membres des Lames, et espérait être capable d’utiliser la sociabilité qu’elle avait laissée dans la réalité pour établir des relations correctes. Heureusement, elle n’était pas la seule à suivre le mercenaire rouge, et un autre guerrier rougeoyant les accompagnaient. Parler la détressait, et les deux nouvelles recrues avaient rapidement entamé la conversation sur des sujets légers. Cependant, comme c’était plus fort qu’elle, elle n’avait pu s’empêcher de scruter l’horizon avec attention. Cela lui avait permis de voir le QG s’approcher lentement et de se préparer mentalement.

Alors qu’ils y entraient, elle avait perçu des bruits, et quand ils furent enfin face aux autres membres de la guilde l’atmosphère s’était faite lourde. Certains étaient en posture de combat, et une partie d’elle voulait se préparer à se défendre, mais un regard en direction de Thelos lui avait montré que ce n’était pas nécessaire, il était détendu. Au point qu’il tenta même un trait d’humour. Les retrouvailles entre lui et ses anciens camarades reprennant en cours plus calme, elle les avait observé quelques instants avec attention. Elle était persuadée que la personne qui l’avait sauvé des PKs pendant qu’elle dormait se trouvait parmi eux, et les quelques indices qu’elle avait ainsi que l’analyse des personnes et de son sauvetage lui permirent rapidement d’identifier qui.

Mais avant toutes choses, il fallait quand même qu’elle se présente à ses nouveaux compagnons et elle prit dont la parole d’une voix, qu’elle espérait, assurée.

“Je suis Ethana. Thelos m’a proposé de vous rejoindre. Je crois qu’il se disait qu’avoir une informatrice sous la main pourrait être utile...Alors me voilà.”

Que dire d’autre de toutes façons ? Qu’il lui avait promis de la protéger parce que des PK’s s’en étaient pris à elle ? Hors de question, pour l’instant, ils devraient se contenter de ça. Mais, comme elle avait l’occasion de prouver, au moins à une personne, qu’elle n’était pas trop mauvaise dans ce qu’elle faisait, elle décida de la saisir. Faisant mine de vouloir aller s’asseoir, ces pas la menèrent volontairement devant une de personnes présentes, une jeune femme à la chevelure blonde et à la posture désinvolte. Puis, lui adressant un sourire un coin, elle ajouta.

“Tu sais, c’est mal d’abuser du corps des autres pendant leur sommeil.”

Elle aurait pu commencer par des remerciements, et sans doute qu’elle en devait à la jeune femme, mais elle était comme elle était, et elle n’avait pu s’en empêcher. Pourtant, elle reprit la parole sur un ton très bas et chargée de sincérité.

“Merci pour le service que tu m’as rendu.”

Elle espérait que la Lionne, comme elle se faisait appeler, ne divulguerait pas aux autres ce qui s’était passé, elle n’avait pas envie qu’on la prenne en pitié ou qu’on la pense incapable de se défendre.

Thelos s'était attendu à un accueil difficile, composé de jets de meuble sur sa personne et d'une charge frontale en bonne et due forme. A vrai dire, il fut même surpris de voir les Lames ranger si vite leurs armes et ne pas lui sauter dessus. Cependant, force est de constater que Shade ne l'épargnait pas. Et à raison. Le mercenaire avait bien conscience qu'il aurait du prévenir et envoyer régulièrement des signaux pour informer les Lames qu'il allait bien, comme il avait conscience que son absence avait du couter cher à tous ceux qui avaient placé leur confiance en lui...c'est à dire toute sa guilde. C'est donc très naturellement que le meneur un brin touriste des Lames d'Argent senti un poids quitter sa poitrine en voyant que celle qui était devenue sa seconde ne lui en voulait pas assez pour bouder son retour. Et chez Shade, ça voulait dire énormément.

Le jeune homme fit un petit sourire à ses deux invités pour les convier à entrer et à s'installer dans ce qui était leur nouveau foyer. Il espérait que l'accueil ne les avait pas refroidis, mais de toutes façons, ils finiraient bien par en voir des pires au cours de leur existence dans ce groupe singulier que formait la guilde. Thelos s'avança, se mouvant avec un naturel parfait au milieu du seul endroit de l'Aincrad qu'il considérait comme son foyer, et serra brièvement l'épaule de Shade sur son passage. Avec son caractère taciturne, beaucoup de la communication de Shade était non verbale et à force, le Bloodbearer s'était peu à peu adapté. Il espérait que ce geste suffise à lui faire comprendre ce qu'il ressentait, mais pour elle et pour les autres, il ne pouvait pas en rester là. Il devait leur parler, il le savait. Dans toute autre occasion, s'il avait du parler à autant de gens, il se serait juché sur un promontoir. Ici, il n'en fit rien, surement parce qu'il considérait toutes les Lames comme ses égaux et ses frères et sœurs d'arme. En lieu et place, il rejoignit ceux qui étaient attablés en laissant le salon à Heather, Ethana et Milena, et s'assit à sa place habituelle. Ses yeux se portèrent naturellement sur la seule personne de la pièce qu'il ne connaissait pas : un guerrier aux cheveux noirs. Facile de deviner qu'il s'agissait de Shukuro, puisque c'était le seul nom sur lequel Thelos ne pouvait mettre de visage. Jusqu'à maintenant. Il lui sourit aimablement, l'examina quelques secondes puis toussota un peu pour prendre la parole, sans trop savoir comment il allait s'y prendre pour tout leur expliquer. Lui même ne savait toujours pas vraiment ce qu'il y avait à expliquer, d'ailleurs. Ceci dit, la présence d'Ethana et de Aiichiro lui offraient un prétexte tout trouvé. Il chercha d'ailleurs cette dernière du regard, et la trouva en pleine discussion avec Heather. D'ailleurs, comme par instinct, la Lionne jeta un coup d'oeil vers son ami et tous deux lurent l'un en l'autre pendant quelques secondes. Ce problème là aussi, il allait devoir le régler. Mais chaque chose en son temps.

- Les amis, je vous présente Aiichiro, un Paladin débordant d'énergie et qui n'hésite jamais face à des ennemis en surnombre ; ainsi que Ethana, une informatrice et excellente éclaireuse. J'ai hâte d'entendre ce que vous avez fait pendant un mois mais je suppose que je vais finir noyé dans la baignoire si jamais je ne me justifie pas avant de mes propres occupations, alors...par où commencer... Il inspira un peu, puis continua, sans vraiment d'organisation. Je suis désolé de vous avoir laissés sans nouvelles. Je crois que je ressentais un peu comme une évidence que ne pouvais pas aller trop mal tout en me coupant de vous, car vous priver de la possibilité de m'aider serait absurde en tant que chef de guilde. Ceci dit...eh bien, j'avais quand même besoin d'être seul pour digérer ce qu'il s'était passé. Je ne pouvais pas décemment rester le pilier que tout meneur doit être en étant fissuré. Dans un premier temps, j'ai cru que traquer les responsables pour les massacrer m'aiderait, mais ça a pas vraiment été le cas. Au final je leur ai fichu la trouille de leur vie et je pense que ça va leur suffire pour au moins six mois. Ce qui a mis plus de temps à se décider, ça a été mon retour. La personne qui a tué Lal, eh bien...il s'agit d'un...d'un ami. Je suppose que ce n'est plus un gros mystère pour ceux qui me connaissent, mais dans l'autre monde je suis inscrit dans un dojo d'armes depuis que je suis petit, et Akihide, celui qui dirige le groupe de PK, est inscrit avec moi. Je ne comprends pas ce qui le pousse à faire tout ça… Enfin. Tout ça pour dire que j'ai longuement hésité, craignant d'apporter des ennuis à la guilde. Au final je me suis dit que si l'un de vous hésitait à partir de la guilde pour ne pas attirer des ennuis aux autres, je lui expliquerais justement qu'une guilde n'est pas là que pour décorer et que si il part pour ça, je lui mets une droite. Du coup...eh bien, me voilà. Mais si jamais l'un d'entre vous à des objections à ma présence, j'accepterais toutes les critiques et ce que ça implique, alors...n'hésitez pas.

Dire tout cela lui avait couté énormément, mais maintenant, il ne pouvait plus vraiment reculer. Il avait besoin de faire ce travail de sincérité auprès de ceux qui lui étaient chers pour être sûr de pouvoir revenir, ou bien de devoir partir de son foyer.

Apparemment, pas de protestations. Et ce fut pour moi comme si une chape lourde se desserrait autour de mon torse et m'autorisait enfin à respirer pleinement. A quel moment avais-je oublié à quel point mes mains étaient crispées comme ça ? Avec un léger sourire, j'ai fermé les yeux. Pour prendre un peu de hauteur, un peu de recul. Pour ne pas qu'ils voient à quel point j'avais eu peur d'être rejeté par eux, et à quel point je me sentais de nouveau complet en étant ici. Et puisque tout le monde semblait attendre un discours alors que je n'avais rien demandé...Soit. Après tout, je leur devais bien ça au vu de ma manière de les rejoindre. J'inspirais alors longuement, furetant du regard pour me donner un peu d'esprit et un peu d'idées. Pas facile, et ça me rappelait douloureusement cette toute première expérience de prise de parole en public, lors de la fondation de la guilde. Combien d'éternités cela faisait, déjà ?

- Un discours, hein… Je te dois bien ça.

Je fis un sourire à Shade puis soufflais une dernière fois avant de me lancer. Je n'avais aucune idée de ce que je pouvais bien dire, pour moi tout était déjà dit. Mais je savais en revanche que si je ne parlais pas maintenant, si je réfléchissais ; alors je ne parlerai jamais car trop embourbé dans mes hésitations. Principe de base de l'aikido : ne pas penser. Un raclement de gorge plus tard, j'y étais.

- Je n'ai pas fondé de guilde pour la déserter. Et je n'ai pas non plus galvanisé les gens pour disparaître ensuite en fuyant mes responsabilités. Je vais pas vous mentir, je déteste ce mot. Et j'ai clairement pas envie de me laisser écraser par cette dernière. Dans cette guilde, la première des règles est que nous sommes tous libres, les un vis à vis des autres mais aussi nous tous, en tant que groupe, face à toute cette masse de gens qui pourraient commencer à compter sur nous. Et croyez moi, la graine est déjà là. Et dans peu de temps, quand on l'arrosera du sang du boss du 20eme, où je compte bien faire en sorte d'imprimer clairement dans l'esprit de tous que chez les Lames, l'excellence est la routine ; alors cette graine germera et grandira. Et je ne vous parle même pas des PK, des étages qui seront de plus en plus difficiles et des tensions sociales engendrées tôt ou tard. Oui, des défis m'attendent, vous attendent. Nous attendent. Et c'est parce que je ne me sens jamais aussi irrésistiblement puissant que quand nous guerroyons ensemble, mes frères et sœurs, que je sais que c'est ici, dans cette place-forte, à vos côtés, que j'ai envie de les affronter. L'impossible nous tend les bras, grands ouverts, et je vois clairement qu'il ne nous pense pas à la hauteur. C'est à coup d'acier que nous le ferons ployer le genou et contempler d'en bas la grandeur de notre guilde et de ses membres!

HRP: