Le 2 Juin 2023,
le matin

J’avais passé ces derniers mois aux étages inférieurs, j’avais affronté plusieurs monstres pour améliorer ma technique à la lance. Ce n’était toujours pas parfait mais je me sentais plus confiant. Un bon matin je me suis senti l’âme d’un grand aventurier et je suis monté d’étage en étage. Je suis tout de même passé par la boutique où j’ai acheté deux potions de soin niveau 1 et une de niveau 2. De temps en temps j’essayais de discuter avec les PNJ, j’apprenais quelques histoires intéressantes et parfois ils avaient également des quêtes à donner. Il était difficile pour moi de les considérer comme des objets programmés sans intelligence. Avoir une intelligence artificielle ressemblant aux humains était le rêve de toutes les personnes qui travaillaient dans la robotique.

J’étais perdu dans mes pensées, je repensais à mon ancienne vie et spécialement à ma fille. J’éprouvais des sentiments contradictoires, j’adorais ce monde mais elle était la raison de mon hésitation d’enchaîner ou non les étages. Au moment de retrouver mes esprits je me suis rendu compte que j’étais arrivé à l’étage numéro dix-sept. C’était la première fois que je m’aventurais aussi haut mais j’avais confiance. Je ne savais pas à quoi m’attendre mais j’étais niveau vingt et un après tout.

J’ouvris mon carnet d’information pour me renseigner sur les monstres présents dans cette zone. Je n’avais qu’une petite description, aucune statistique ou autre caractéristique qui pouvait m’aider à me rendre compte de leur niveau. Ce genre de moment où toutes les variables étaient inconnues était ce que je détestais le plus. Mes doigts commençaient à s’agiter sur ma lance, mon corps commençait à devenir lourd. Saleté de stress, je pensais être confiant mais le simple fait de ne pas avoir toutes les informations nécessaires me faisait perdre tous mes moyens. Souviens-toi cet après-midi au parc avec Miki, il faisait beau et l’air était agréable. Nous avons mangé une crêpe, elle adorait les pâtisseries tout comme moi. On faisait souvent ce genre de sorties, on refaisait le monde à nous deux.

Le calme s’installa peu à peu en moi. Je pouvais enfin me déplacer tranquillement, je saisis ma lance avec force et me dirigeai en dehors de la ville. Il pleuvait ce jour-là, les arbres étaient couverts de mousses. Ce marais n’était pas un lieu qui imposait la tranquillité, il était inquiétant. La visibilité n’était pas au rendez-vous, je ne voyais pas grand-chose et chaque bruit me faisait sursauter. J’étais un adulte mais je ne pouvais pas me décrire comme étant quelqu’un de courageux.

De drôle de grognement se firent entendre tout autour de moi. J’ouvris mon inventaire pour prendre un cristal de téléportation, mes membres se mirent à trembler quand je me suis aperçu qu’en réalité je n’en avais pas. J’avais préféré prendre une potion de soin en plus plutôt que l’autre. Je n’avais plus le choix, il fallait que je me prépare. Les bruits se rapprochaient de plus en plus. J’étais encerclé, j’avais encore une chance de m’échapper mais mes jambes ne voulaient pas bouger. J’offrais un spectacle pitoyable, je pensais que dans cette vie je pouvais échapper au stress mais il me rattrapait toujours.

Malgré mes tremblements, je me faisais une lutte intérieure pour attaquer. Je réussi à lever ma lance in extremis pour parer le coup d’un monstre. Malheureusement les dégâts étaient quand même reçus et j’ai pu apercevoir mes trois agresseurs, des Araignée-Crânes. Je parvins à utiliser une technique spécialement conçue pour les combats contre plusieurs ennemis. Je fis tournoyer ma lance au-dessus de ma tête, je blessai un ennemi et repoussai les deux autres avec l’extrémité non tranchante.

Je n’étais pas habitué à me battre dans les marais, mes appuies n’étaient pas solide et mes attaques ne touchaient pas à tous les coups. J’essayais de lutter mais plus le temps avançait et plus j’étais paniqué. Mon champ de vision diminuait, mon temps de réaction augmentait et mon choix de compétences devenait limité.  Je n’avais pas le temps de prendre une potion, j’étais constamment sous pression. Je voyais mes points de vies baisser, une seule attaque et je disparaissais. Je n’arrivais pas à me concentrer, je ne savais pas combien de dégâts j’avais infligé mais il était trop tard. Il était impossible pour moi d’éviter leurs attaques.

Mes jambes me lâchèrent, j’étais sur les genoux dans l’incapacité de me déplacer. C’était la fin, il n’y avait aucun moyen pour moi de m’échapper. J’abandonnais tout espoir, j’allais prononcer mes derniers mots sur Sword Art Online.

« Je suis désolé Miki, papa ne rentrera pas à la maison »

Recap' achat:

Qu'étais-je venue faire ici déjà ? De la boue partout, une atmosphère un peu lourde digne d'un film d'horreur... Pourquoi est-ce que je tenais tant à continuer si tout me rebutait sur ce palier ? Etais-je devenue un peu masochiste ? Ou alors... Cet endroit respirait le challenge. C'était ça qui me faisait rester. J'avais envie de battre des monstres seule, chose qui ne m'arrivait pas avant. L'entraînement que j'avais suivi avec mon maître d'arme m'avait fait prendre confiance en moi, en plus de m'avoir fait gagner quelques niveaux. Maintenant, je me sentais capable de tout affronter, dans la limite du raisonnable bien entendu. Ce que je voulais, c'était pouvoir compter sur moi-même, me prouver que j'étais capable de m'entraîner seule, de prendre encore et toujours plus d'expérience, et ainsi devenir plus forte. C'était mon but, ressembler à mon ami, à mes amis tous plus forts que moi. Je ne voulais être un boulet pour personne, au contraire. Aider les autres, me battre aux côtés de joueurs pour défaire des boss et enchaîner les étages était mon destin, je le sentais, non, je le voulais. A présent, j'étais entièrement maîtresse de moi-même, libre comme l'air.

A l'affût, j'observais le paysage autour de moi, cherchant une proie à attaquer par surprise. Derrière un buisson, du mouvement attira mon attention. Sans bruit, je m'avançais vers ma cible, écartant délicatement les branches pour mieux voir. Alors que je pensais traquer un animal, c'était un homme que j'aperçus. Les yeux écarquillés et la bouche légèrement entre-ouverte, j'encaissais la surprise. Quelqu'un ici ? Alors que j'avais choisi un palier peu fréquenté pour ne croiser personne ? Pour ne pas le gêner, mieux valait que je m'éloigne, pensais-je. Cependant, un pressentiment me hurlait d'observer la scène encore quelques instants. Pourquoi ? Qu'est-ce qui clochait dans cette scène si habituelle ? Un homme se battant contre des monstres... C'était là tout le but du jeu, non ? Oui mais ce n'était plus tout à fait un jeu. Par curiosité, j'analysais alors la scène. L'homme armé d'une lance donnait des coups à ces horribles choses hideuses aux pâtes velues... Ces coups... Ils étaient désordonnés. De plus, il était encerclé. Ca, c'était mauvais. Où étaient ses camarades ? Pourquoi ne l'aidaient-ils pas ? A moins que... Etait-il seul ? Si oui, alors il allait peut-être avoir besoin d'aide...

La main sur le manche de ma rapière, les sourcils froncés, je me tenais prête à intervenir au moindre signe de faiblesse de la part de l'inconnu. Et ce signe ne tarda pas à arriver. Dépassé par les événements, il venait de tomber à genoux, se laissant totalement en proie aux araignées. L'espace d'une seconde, je me revoyais dans une situation similaire, poursuivie par des loups enragés, seule au milieu d'un désert glacé... S'il n'avait pas été là, alors je serai morte ce jour-là... Cette fois les rôles étaient inversés. Je devais le tirer ce mauvais pas, et vite. Ses points de vie venaient de chuter drastiquement suite aux attaques des monstres qui l'entouraient. Serrant les dents, je m'élançais d'un bond.

Mon regard quasi turquoise fixa un monstre en face de moi, il était devenu ma cible. En courant, je dégainai ma rapière, la tenant fermement entre mes doigts. Dans ma course, mes longs cheveux blonds noués en queue de cheval voletaient derrière moi si énergiquement qu'on aurait pu imaginer qu'ils me soutenaient tels des cheer leaders. Si je ne faisais que courir, alors je n'arriverai jamais à temps. Mon esprit tournait à plein régime pour trouver une solution, puis elle me sauta aux yeux. Je cherchai donc à gagner un maximum de vitesse, puis, je me stoppai net. C'est alors que je me mis à glisser à toute allure sur la boue, rapière tendue. Une fois à la hauteur du monstre, je lui assénais trois coups d'estoc dans le dos, ce qui avait suffit à le faire disparaître. Non, j'étais loin d'être assez forte pour que ce soit uniquement mes coups qui l'aient tué, le joueur avait déjà bien fait baisser sa jauge de vie.

Celui-ci était tout près à présent, mais nous étions encore encerclés. Jamais je ne pourrais tous les tuer sans qu'il ne prenne de dégâts dans ces conditions. Mon esprits ne cessait tourner, me remémorant tous les conseils de mon maître d'arme pour nous sortir tous les deux en vie de ce pétrin. Règle numéro 1 : ne jamais se laisser encercler. Dans cette optique, la décision fut rapide à prendre. Sans perdre mon élan, je m'avançais vers le joueur, rengainant mon arme dans le même temps. Une fois à sa hauteur, je lui attrapai le poignet avec vigueur pour le relever. Le monstre derrière lui allait attaquer, mon coeur manqua un battement alors que j'échangeais nos positions instinctivement, encaissant le coup à sa place. Le tintement de mes Pvs m'indiquait que je venais d'en perdre, cependant je restais encore dans un vert des plus rassurant. Lui en revanche, c'était une autre histoire.

En tuant l'une des bêtes, j'avais crée notre porte de sortie, pensais-je en saisissant de nouveau le poignet du joueur avant de me mettre à courir en priant pour que l'on ait le temps de sortir de ce cercle avant que l'une d'entre elles ne lance une nouvelle attaque. Le sol glissant ne facilitait pas les choses, mais la chance semblait être de notre côté, ainsi que le timing. Cependant, nous ne nous étions pas éloigné très loin, et elles allaient probablement nous suivre, car une fois pris pour cible, à moins de rejoindre une safe zone, ou un village, les monstres avaient une fâcheuses tendance à être tenaces.

- Reste derrière moi et prends ça !

Mes doigts parcoururent à toute allure les touches de mon inventaire. J'en sortis une potion de soin que je lui donnais avant de me tourner vers les bêtes qui avançaient dangereusement vers nous. Je dégainai alors de nouveau, concentrée, et m'élança vers eux . Il en restait deux. Pour lui laisser le temps de se remettre, j'attaquais de front la totalité des monstres, en espérant avoir un niveau assez élevé pour arriver à les tuer seule. Malgré l'expérience que j'avais gagné, j'ignorais combien de coups je devrais donner pour en venir à bout, pour la simple et bonne raison que je ne venais jamais à cet étage. J'ignorais donc tout des monstres qui y vivaient. Combattre des araignées était pour moi une grande première. D'ailleurs, si j'avais mieux lu le bestiaire de l'étage, je n'y serais probablement jamais allé. Ces monstres, beaucoup plus petits de l'autre côté, me faisaient déjà peur alors qu'ils ne mesuraient pas plus de cinq centimètres... Leurs grosses pattes, leurs yeux, leur aspect général était à vomir. C'étaient des erreurs de la nature. Si Dieu existait, alors c'était après une cuite qu'il les avaient inventé, ce n'était pas possible autrement !

Ravalant ce dégoût, je frappais la première qui avait une jauge de vie pleine. Un coup précis, porté avec vitesse sur son flanc. Alors que celle-ci allait riposter, j'activai ma compétence [Armure] pour la parer, la frappant ensuite de deux coups d'estoc consécutifs. La bête lâcha un râle de douleur et disparut, à ma grande surprise. J'avais eu peur de ne pas être à la hauteur, alors qu'en réalité j'avais pris assez de niveaux pour battre ces bêtes en seulement trois coups. Poussant un soupir de soulagement, je me détendis un peu. Il ne manquait que trois à porter à la dernière.
Avec rapidité, je me déplaçai dans leur dos, activant cette fois la compétence [Stratège], frappant une fois celle-ci avant de passer à la dernière. Alors que j'allais porter le dernier coup, la bête se retourna et me frappa si rapidement que je n'eu pas le temps d'esquiver. Trop sûre de moi, j'avais sous-estimé ces monstres. En d'autres circonstances, cela aurait pu être très dangereux, pensais-je en donnant le coup final. Ma lame transperça la bête de part en part, avant que celle-ci ne se mette à briller et à exploser en un millier de pixels multicolores.

Cette fois, c'était bel et bien fini, le danger était écarté. Tout en rengainant, je m'approchais du joueur imprudent. A présent, je pouvais l'observer plus en détail. La première chose qui me frappa, c'était sa taille. A côté de lui, je ressemblais à un petit enfant, alors que j'approchais de l'adolescence à grands pas, remarquais-je en souriant intérieurement. Le sport m'avait volé quelques centimètres de taille, ce que je regrettais parfois. Contrairement à beaucoup de joueurs, celui-ci ne semblait pas être adolescent, non, c'était un adulte, un vrai, un comme on en croisait pas souvent sur Sword Art Online. Décidément, cet homme piquait ma curiosité au vif.

- Est-ce que ça va ?

Je lui avais offert un joli sourire, espérant le détendre un peu. Passer proche de la mort était vraiment terrifiant, alors qu'il soit sous le choc serait une conséquence logique des événements.

- Je m'appelle Ayura, et toi ?

Tout autour de moi était sombre, étrangement je me sentais apaisé, le stress disparaissait car je savais que j’allais mourir. Qu’avais-je fait jusqu’à maintenant ? J’ai monté mon expérience, je me suis entraîné à maitriser mon arme et j’ai tué des monstres. J’ai exploré les étages inférieurs avec l’idée de récupérer des informations, mais je n’avais rien fait. Toutes mes analyses étaient gardées bien précieusement dans un carnet personnel, qu’est-ce que j’attendais pour le rendre public ?  Il y avait toujours quelqu’un qui le faisait avant moi alors à quoi bon ? J’ai laissé tomber en me disant que forcément une bonne personne allait faire la même chose.

J’ai fréquenté des nouveaux joueurs, joueurs ? Depuis quand pensais-je que ce monde était un jeu ? Qu’est-ce qu’il signifiait pour moi ? Je n’avais plus le temps, mes pensées étaient brouillonnes mais le visage de ma fille apparut dans ma mémoire. C’est la fin Miki, peut-être que je ne vais pas réellement mourir, si ça se trouve je vais me réveiller dans mon lit au Japon. Qui pouvait savoir ? On avait peut-être été manipulé pour une expérience, j’allais très vite le savoir. J’attendais mon heure quand des bruits de pas m’interpellèrent, un autre monstre voulait m’attaquer ?

J’ouvris lentement les yeux, une lueur jaune passa à côté de moi. Je mis quelques instants avant de comprendre qu’une personne était là avec moi. Une des trois araignées disparut dans une gerbe d’étincelle. Je regardais la rapière puis mes yeux se déplaçaient vers la silhouette de mon allié. Sa couleur de cheveux était dans les mêmes teintes que Miki, quand elle s’approcha je fus surpris de constater son jeune âge. Elle me prit le poignet et échangea instantanément nos places pour me protéger. Par ma faute elle avait encaissé une attaque, j’essayais de reprendre rapidement mes esprits pour l’aider mais j’en étais incapable. La première chose que je remarquai était la couleur de ma jauge de points de vies, d’un rouge alarmant.

Je l’avais eu sous les yeux, je savais que mon état était catastrophique mais j’en pris réellement conscience à ce moment. Je n’eus pas le temps de réagir que la jeune fille m’attrapa le poignet une nouvelle fois pour s’enfuir. Nous les avions quelques peu distancer mais tout le monde savait qu’une fois chasser il n’y avait pas beaucoup de moyens pour s’échapper. Elle m’ordonna de rester derrière elle et me donna une potion de soin. Cette action me rappela qu’un peu plus tôt j’étais passé à une boutique pour refaire le plein. Je gardais celle qu’elle m’avait donnée de côté et je bus l’une des miennes.

Ces objets étaient très importants, je ne voulais pas qu’elle soit en danger car elle m’en avait donné une. Le combat ne dura pas longtemps, elle avait réussi à les éliminer. Elle s’était pris quelques coups mais à première vue ce n’était pas dramatique. A mesure qu’elle s’approchait je pouvais la détailler un peu plus. Elle devait se trouver dans la même tranche d’âge que Miki, mais j’étais incapable de dire si elle était plus jeune ou plus vieille. Son sourire était agréable à regarder et chaleureux, ses traits fins et ses cheveux me firent penser à ma fille.

J’étais assis, ma lance posé à côté de moi. Voir Ayura me faisait remonter d’agréable souvenir, ce qui se traduisait par un léger sourire en coin. Ces événements ne pouvaient pas être un hasard, j’avais sauvé Miki en venant dans ce monde à sa place et c’était une jeune fille qui venait me sauver ? J’étais persuadé que c’était le destin, quelque part dans l’autre monde elle devait penser très fort à moi, c’était la réponse à mes sentiments. Je ne douterai plus, papa n’abandonnera plus et fera tout pour aider. Je commençais à me lever péniblement en m’aidant de ma lance. Je croisais le regard turquoise d’Ayura et lui rendit son sourire, peut-être un peu forcé.

« Je m’appelle Seitaro … »

Ce nom sonnait faux dans mes oreilles, c’était la première fois que je le prononçais depuis que j’étais ici. C’était un mensonge, je n’étais plus cet homme qui se faisait appeler Seitaro. Il n’était qu’à présent qu’une toute petite partie de moi. Aussitôt après avoir prononcé cette phrase je me rectifiais.

« … Non désolé, je suis Hina, je te remercie de m’avoir sauvé. Sans toi je serais mort, je te dois la vie. » Lui avais-je répondu en affichant un vrai sourire.

Je lui rendis sa potion en la remerciant de nouveau et en lui montrant quand j’en avais d’autre. Je lui disais également qu’il s’agissait d’un objet trop précieux pour que je puisse l’accepter. Mon corps allait bien, je n’avais pas récupéré tous mes PV mais je n’étais plus en danger. Néanmoins je ressentais une grosse fatigue, comme si j’avais couru un marathon sauf que cet état était purement psychologique. Il me fallait surement quelques temps pour m’en remettre complètement, j’étais passé à deux doigts de la mort après tout.

Je demandais à la jeune fille si elle acceptait de m’accompagner jusqu’au village. Je voulais retourner en zone sécurisée le temps de récupérer. Durant le trajet nous parlions de choses et d’autres, je lui avais raconté que j’étais cuisinier et pêcheur mais que mes compétences n’étaient pas assez haut niveau pour que je puisse m’en servir à cet étage. Parler avec elle était simple, c’était une habitude qui était plaisante à retrouver. Je me mis à rire en pensant à notre situation.

« En temps normal c’est plutôt aux plus vieux d’aider les plus jeunes ahahah Mais bon pourquoi faire comme tout le monde hein »

J’avais retrouvé ma bonne humeur, Miki me disait souvent que j’avais un humour décalé. Je suspectais que ça puisse venir du choc des générations mais ça pouvait surement venir de moi. Je marchais toujours en m’aidant de ma lance, nous étions entré dans le village que midi était passé.

« Laisse-moi t’inviter à déjeuner, c’est la moindre des choses »

J’avais repéré en arrivant une petite auberge non loin de là. En entrant l’ambiance était chaleureuse et pleine de vie. Le contraste entre l’environnement de l’étage et l’intérieur du bâtiment était surprenant. Plusieurs personnes mangeaient ou buvaient, d’autre encore s’occupaient de faire de la musique. Le volume sonore n’était pas très haut, on pouvait s’entendre normalement. Un PNJ arriva pour prendre notre commande.

« Je vais prendre une tomate farcie, et toi ? »

Après avoir laissé le temps à la jeune fille de faire son choix, j’avais envie de la connaitre un peu plus.

« Tu es forte, tu pourrais facilement rejoindre une guilde, que fais-tu toute seule ici ? »

Récap':

Une fois devant lui, l'homme me rendit ma potion que je rangeai immédiatement dans mon inventaire. Un coup d'oeil à sa jauge de vie m'avait suffit pour voir qu'il en avait pris une. L'inconnu avait maintenant un nom, Seitaro. Je le répétais en boucle dans ma tête pour ne pas l'oublier avant qu'il ne se reprenne. C'était Hina. Alors l'autre nom... Un autre nom pour un autre monde, pensais-je. Le plus étrange, c'était qu'il n'avait pas perdu l'habitude de le donner. Depuis combien de temps répondre au prénom d'Ayura ne me faisait plus de sensations étranges ? Cette sensation de nouveauté s'était estompée au fil du temps, comme un souvenir peu marquant qui s'étiole à mesure que l'on prend de l'âge. Amaya... Est-ce que, si nous étions bloqués toute notre vie, je finirai par oublier cette personne ? Ce corps ? Sa... Famille ? Cette vie ? J'espérais que ce ne soit pas le cas, car même si j'avais rarement pu être moi-même de l'autre côté, cette partie de ma vie était importante, c'était ce qui avait forgé mon caractère, ma personnalité. Je ne voulais pas oublier, mais je ne voulais pas non plus y retourner.
Sans un mot, je hochai la tête, signe que je comprenais. S'il avait fait cette erreur, c'était sans doute que lui souhaitait rentrer plus que tout. Avait-il une vie qu'il chérissait là-bas ? Sans doute ne pourrais-je jamais satisfaire ma curiosité, car poser des questions sur l'autre côté serait mal vu. Après tout, c'était un sujet tabou de nos jours.

Je lui avais souri, observant tout de même les alentours dans le cas où d'autres monstres feraient leur apparition. A sa demande, je l'avais accompagné jusqu'au village le plus proche, parlant avec lui distraitement. C'était un homme gentil, pensais-je. Comme j'aimais le faire en découvrant de nouvelles têtes, j'essayais d'imaginer quel type de vie il pouvait avoir là-bas. Cet homme, je l'imaginais avoir une femme, des enfants, et un métier qui lui plaise. Il semblait cultivé, alors j'aurais opté pour professeur, mais je n'aurais pu déterminer quelle matière il aurait enseigner, ni à quel niveau.

- C'est vrai que c'est pas commun !

S'il ne me l'avait pas demandé, je l'aurais escorté de moi-même au village, car dans son état c'était plus prudent. Encore épuisé, sa lance lui servait d'appui pour avancer, je ne l'imaginais définitivement pas se battre à nouveau dans cet état.
J'avais accepté sa proposition avec plaisir, et une fois au village, nous nous installions dans une auberge visiblement plutôt fréquentée. Beaucoup de gens parlaient et riaient, l'ambiance semblait bonne enfant. Confortablement assise sur ma chaise, je me détachais les cheveux. Ceux-ci tombèrent en vague sur mon visage que je dégageai d'un revers de main. Leur pointe dessinaient une cascade jusqu'au milieu de mon dos.
Une PNJ à l'allure sympathique vint vers nous. Sa bouille adorable me força à sourire tandis que je lui répondais.

- Bonjour, je voudrais un plat de nouille aux épices s'il vous plaît !

Le PNJ acquiesça avant de partir vers le bar.

- Hum... J'ai bien un ami qui essaie de toutes ses forces de me recruter dans sa guilde mais... Ca ne m'intéresse pas. Je ne veux pas suivre d'ordre, non... Je préfère me dire que je trouverai des amis, et que nous formerons une petite équipe soudée, plutôt que de rentrer dans une institution. Et toi, qu'est-ce que tu faisais tout seul dans ce marais ? C'est plutôt dangereux, ça aurait pu mal finir, tu sais ?

Je le regardai sérieusement, mes traits d'enfant se dissipaient sans doute un peu quand je me montrais mature. C'était du moins ce que j'espérais, car ici, à moins d'être vraiment jeune et gardé dans un orphelinat à l'abri du danger, il valait mieux grandir vite. Nombreuses étaient les personnes malhonnêtes prêtes à dépouiller les autres, à leur tendre des pièges, ou trop peureuses pour intervenir et aider ceux en mauvaises positions. J'avais appris à ne pas craindre les monstres, mais j'avais également appris à garder mon sang froid en présence d'une menace humaine. Je n'avais que treize ans, et pourtant, j'avais l'impression d'être déjà majeure dans ma tête.

- ... Moi, je mettais en pratique quelques conseils que j'ai reçu en matière de combat. Du coup, je suis descendue à un étage qui ne semblait pas trop risqué pour m'entraîner un peu. Après avoir pris quelques niveaux grâce à un ami, je voulais continuer sur cette lancée. Mon but serait de combattre une nouvelle fois au front mais... Je voudrais être plus utile... Pas seulement me battre contre les sbires, mais contre le boss lui-même... Alors pour ça, je dois m'entraîner dur !

Le PNJ revint avec nos commandes qu'il déposa sur la table, nous souhaitant un bon appétit avant de s'en aller. Mes yeux se posèrent sur le plat fumant qui donnait vraiment envie de le dévorer. Sans attendre, je remerciais Hina pour le repas, et goûtai le contenu du bol. Même si le goût était amoindri dans ce monde, les plats n'en restaient pas moins très bons, pensais-je en avalant la première bouchée. Un sourire enfantin s'était dessiné alors sur mon visage poupin. La chaleur du plat avait fait rougir mes joues habituellement pâles, ce qui contrastait beaucoup avec la couleur de mes yeux.

Ayura n’était qu’une adolescente mais elle pouvait se montrer très mature. Je ne savais si la cause était ce monde ou si elle était comme ça de nature mais j’étais surpris. Ainsi elle ne voulait pas entrer dans une guilde mais préférait une petite équipe, je la comprenais. Il est vrai qu’une guilde n’est pas aussi rose qu’on pourrait le croire. Il y a des obligations, des supérieurs et plus ou moins de liberté. En revanche avoir un petit groupe était avantageux sur de nombreux points, seules les ressources et l’argent étaient plus difficiles à avoir en comparaison. Sa manière de me demander ce que je faisais dans cet étage ne me faisait pas penser à une jeune fille, c’était plutôt une mère qui voulait faire la leçon à son enfant. Cette image me fit sourire malgré moi, c’était à se demander qui était l’adulte à cette table.

Un étage pas trop risqué ? Mais quel niveau pouvait-elle avoir ? Pour qu’elle dise cela à l’étage numéro dix-sept elle devait avoir au moins une dizaine de niveaux au-dessus. Elle était beaucoup plus jeune que moi mais dans cette situation, j’étais la demoiselle en détresse. J’appris également qu’elle avait déjà combattu au front et qu’elle espérait combattre une nouvelle fois. Elle avait de l’ambition, elle ne voulait pas se contenter des sbires mais carrément du boss de l’étage lui-même. Je me demandai ce qu’elle pensait de ce monde, que cherchait-elle à accomplir ?

Je fus coupé dans ma réflexion par le PNJ, il déposa nos plats sur la table et nous quitta. Il n’y avait rien à dire sur le visuel, que ce soit ma tomate farcie ou ses nouilles, ça donnait envie rien qu’à les regarder. Etant moi-même cuisinier, je savais qu’un plat préparé par une personne et par un PNJ était différent. Celui de l’Homme avait plus de goûts, enfin tout dépendait du niveau de la compétence en question. J’avalais ma première bouchée quand j’aperçus le visage d’Ayura. Son discours était mature mais il ne fallait pas oublier qu’elle restait une jeune fille.

« Tu as été au front ? J’aurais aimé participé également mais je n’avais pas le niveau à l’époque. J’ai longtemps erré dans les bas étages avec un objectif bien précis que j’ai fini par laisser tomber. Je dois avouer que j’ai pris la grosse tête et j’ai voulu tester mes compétences ici, vu mon niveau je ne devais théoriquement pas avoir de problèmes. »

Je fis une pause pour prendre une autre bouchée, en repensant à mon état d’un peu plus tôt je me trouvais pathétique. Une vague pensée de l’époque où j’avais fait ma dépression me revint en mémoire ce qui me boosta. Il était hors de questions que je laisse cette situation se reproduire.

« Malheureusement j’ai perdu tous mes moyens. Notre plus grand ennemi n’est personne d’autre que nous même. Grâce à toi, je sais sur quoi je dois travailler et je peux encore le faire aujourd’hui. »

Je devais me concentrer sur mon état d’esprit, le sang-froid était important et encore plus dans ce monde. Je savais que je pouvais me battre à cet étage, en analysant le combat précédent j’avais remarqué que les araignées m’avaient mis beaucoup de dégâts avant de me faire tomber dans le rouge.  Comme à mon habitude j’avais englouti rapidement mon assiette, dans mon ancienne vie j’avais à peine le temps de déjeuner. Cinq minutes pouvaient largement me suffire. Un seul plat remplissait bien l’estomac mais je proposai toute de même un dessert à mon invitée.

Une fois le repas terminé et payé, nous étions toujours sur la même table. Nous avions tous les deux le même objectif en arrivant à ce palier, nous entraîner. Passer du temps avec une adolescente sans que ce soit sa fille était très mal vu dans l’ancien monde mais ce n’était pas le cas ici. Je voulais en savoir davantage sur Ayura, inconsciemment je voyais en elle ce qu’aurait pu devenir Miki si elle était apparue dans Sword Art Online.

« Est-ce que ça t’intéresse qu’on groupe ensemble pour la journée ? Je ne serais plus un boulet ! » Avais-je dis avec un clin d’œil complice.

Tout en lui demandant, je parcourais les options et lui envoya une demande de groupe. J’avais envie qu’elle accepte mais d’un autre côté je ne voulais pas qu’elle se sente obligée ou qu’elle prenne le rôle de protecteur.

Tout en dégustant mes nouilles, j'écoutais son histoire avec attention. S'il était resté dans les bas étages pendant tout ce temps, c'était qu'il avait des choses à perdre s'il mourrait. Ma théorie se confirmait quant au fait qu'il ait une famille de l'autre côté. A en juger par sa façon de s'adresser à moi, il devait être un bon père. Cet homme était à la fois calme, doux et attentionné. J'aurais tout donné pour avoir un père comme lui pensais-je en l'observant quelques instants. Dans mon imaginaire, je le voyais en train de jouer avec ses enfants comme si lui-même était retombé à cet âge d'innocence, ou encore parler à ses collègues de sa petites famille jusqu'à ce qu'ils en aient plus qu'assez de l'entendre. Je l'imaginais fier d'eux et protecteur. Mais tout cela était peut-être faux. Ce que je voyais en lui pouvait être le reflet de ma propre frustration. Ce que j'aurais voulu mais que je n'obtiendrais jamais. Après tout, il était plus âgé que la plupart des joueurs, alors... Peut-être qu'il était célibataire ou divorcé, qu'il vivait seul et qu'il mangeait des nouilles en boîtes tous les soirs pour ne pas avoir à cuisiner lui-même. Dans ce cas, qu'aurait-il eu à perdre ?

- C'est vrai qu'il faut pouvoir compter sur soi ici... Manquer de confiance ou en avoir un peu trop est dangereux. C'est pour ça qu'il ne faut pas s'engager seul dans une voie qui pourrait potentiellement être dangereuse. On peut compter sur soi dans une certaine limite, car on reste des humains, et un humain seul n'est pas objectif. Les décisions que l'on prend sont le fruit de notre jugement. En prendre  à deux, c'est faire une moyenne de deux jugements subjectifs. Dans ce cas, on a davantage de chances d'obtenir quelque chose d'objectif, et donc de courir moins de risques.

Je lui avais souri gentiment, l'observant encore un peu. Ce genres de remontrances, je les avais subies aussi, mais il fallait croire que cette fois, les rôles étaient inversés. J'étais le maître et c'était mon élève. J'espérais cependant qu'il ne le prenne pas mal, car la plupart des gens n'aimaient pas se faire sermonner par des enfants, et j'en étais encore une aux yeux de mes aînés.

Hina avait rapidement avalé son repas alors qu'il me restait encore la moitié de mon bol de nouilles à manger. Je pris tout de même mon temps car être invitée à manger un bon repas n'arrivait pas tous les jours. Mes baguettes en mains, j'attrapais encore une bouchée quand mon ami proposa que l'on fasse équipe pour la journée. Le sourire aux lèvres, j'appuyais sur le bouton "valider". Nous étions à présent une équipe. Sachant cela, je me dépêchai de terminer mon bol. L'entraînement ne devait pas attendre plus longtemps. Une fois les nouilles bien au chaud dans mon ventre, je me levai de la chaise, saluai les PNJ avant de sortir.

- Encore merci pour le repas !

Ma main se posa distraitement sur mon ventre. Il n'y avait rien de mieux que de m'offrir à manger pour m'avoir dans sa poche, pensais-je en souriant. J'étais très gourmande, que ce soit pour du sucré comme du salé.

- Qu'est-ce qui t'a fait changer d'avis ? Pourquoi est-ce que tu ne veux plus suivre ton premier objectif ?

Curieuse, j'avais posé mes prunelles presque turquoises sur lui, levant la tête pour pouvoir le regarder en entier. Cette question était détournée, car au fond, j'espérais qu'il me dise ce qu'était son objectif à la base. La curiosité étant parfois mal placée, je m'étais abstenue de le demander ainsi. D'ailleurs, s'il ne me le disait pas de lui-même, je n'insisterais pas là-dessus, pensais-je. Tout le monde avait le droit d'avoir des secrets.

Mon ventre était bien rempli, c’était agréable de pouvoir manger tranquillement dans une auberge. Ce n’était pas souvent alors quand ce genre de moment arrivait il fallait en profiter. J’écoutais attentivement les paroles de mon invitée et je fus choqué par ce que j’entendis. Ce n’était en aucun cas des mots et des pensées qu’une jeune fille d’environ quinze ans pouvait prétendre. J’en avais, pour un court instant, presque oublié son âge. Elle avait raison, parcourir ce monde en groupe était beaucoup moins risqué mais l’Homme attache beaucoup d’importance à sa fierté. Même inconsciemment on aura plus tendance à choisir une situation où on n’aura pas à la ravaler. Est-ce que s’en détacher signifiait être mature ? Je n’en savais rien mais ses paroles me firent réfléchir.

« Merci pour tes sages paroles, il est bon parfois de se faire remonter les bretelles ! Tu as tout à fait raison, toutefois tu oublies des cas extrêmes. Si ton binôme te veut secrètement du mal, le risque que tu vas encourir sera décuplé.»

Je savais pertinemment qu’elle ne le disait pas dans ce sens-là, mais il m’était impossible de ne pas y penser.

« Désolé, j’avais l’habitude d’étudier tous les cas possibles pour une situation donnée. C’est mon défaut professionnel de voir les cas les plus extrêmes» Avais-je dis avec un air nostalgique.

J’étais heureux quand elle avait accepté mon invitation, elle me remercia pour le repas et d’un geste commun nous avions décidé de sortir du bâtiment. Nous nous dirigeâmes à l’extérieur de la ville, mes points de vies étaient complets et je me sentais mieux que jamais. La question d’Ayura me fit remonter des pensées dont je n’étais pas fier, j’avais honte d’avoir agis ainsi mais je ne pouvais pas le changer.

« Si j’ai abandonné c’est par pur égoïsme. »

Il n’y avait aucun mal à penser d’abord à soi avant les autres, mais j’ai pris conscience que ce n’est pas ce que je voulais. Miki non plus n’aurait pas apprécié et c’était sans doute pour cela que le destin avait choisi de placer Ayura avec moi.

« J’ai croisé beaucoup d’aventuriers qui avaient peur de quitter la ville de départ. Je voulais les aider en étant informateur et leur dire où il pouvait aller en ayant le moins de risque possible. J’avais vu que quelqu’un faisait la même chose que moi en deux fois moins de temps, ses données étaient moins détaillées que les miennes mais j’arrivais toujours en retard. Je pensais qu’il allait forcément y avoir une personne pour continuer alors j’ai laissé tomber.»

En expliquant ma décision je me suis rendu compte que j’étais dans le faux, quelques jours auparavant j’avais racheté un carnet en notant par écris mes observations. J’avais abandonné l’idée de publier mais j’avais gardé ce reflexe.

« Ta rencontre m’a remis les idées en place, j’aime analyser et comprendre les comportements étranges. En rentrant je trouverai quelqu’un pour publier mes données et je continuerai en cherchant plus en profondeur. »

Ce n’était pas des paroles en l’air, j’avais envie de lui raconter mes découvertes avec les Marsupiales Tueurs mais elle n’allait pas être intéressée par ce genre de choses. Tout en continuant à discuter en marchant, un monstre apparu devant nous. Mon premier réflexe fut de l’analyser, je me concentrais sur lui et je pus déchiffrer quelques chiffres. Il s’agissait d’un crocodile nain, je m’armais de ma lance et fis un geste à Ayura pour lui faire comprendre que j’allais m’en occuper seul. Cette décision n’était pas désespérée ou suicidaire, je voulais lui prouver que j’avais ma place à cet étage. Je voulais également me prouver à moi-même que je pouvais le faire.

Je n’étais plus seul, je savais qu’à la moindre difficulté elle allait agir pour me sauver. Elle surveillait mes arrières et je pouvais compter sur elle. Après trois grandes respirations je mis mon arme en avant, je pliais mes jambes et activai une technique d’arme. Elle me permettait de foncer vers l’ennemi lance en avant. J’avais un combo en tête qui pouvait s’exécuter quand l’adversaire était seul. Après l’avoir touché, je le frappai violemment avec la pointe de ma lance dans un mouvement vertical puis je la fis tourner pour lui donner un coup l’extrémité non pointue. Ce dernier ne lui infligea aucun dégât mais l’envoya dans les airs, ma dernière attaque le transperça avant d’exploser en une gerbe d’étincelle.

Mon combo n’était pas parfait, la fluidité n’était pas au rendez-vous et je ne l’avais pas propulsé suffisamment en l’air. J’avais eu de la chance de réussir mais j’étais fixé, je pouvais me battre. Je n’eus pas le temps d’apprécier ma victoire, mon combat avait réveillé d’autres monstres qui attendaient patiemment.

Récap':

Après ce délicieux repas, nous avions entamé une discussion tout en marchant. La réponse d'Hina me fit réfléchir. C'était une vision très pessimiste des choses, mais tellement vraie... Un souvenir me revint en mémoire à cette pensée. Je me rappelais avoir fait équipe avec une personne alors que mon level était encore faible. Celui-ci m'avait proposé d'aller me battre à ses côtés afin de gagner des points d'expérience, et ainsi devenir plus forte. Cette proposition était particulièrement alléchante, mais étant inexpérimentée en terme de jeux vidéo, je n'avais pas vu le danger que cela pouvait représenter de m'allier à une personne qui m'était tout à fait inconnue. J'avais accepté, et c'était à un palier enneigé que nous avions choisi de nous rendre. Des loups nous avaient repéré, ils étaient trois. Autrement dit, ils étaient trop nombreux au vu du niveau que nous avions. Mon partenaire avait pris son courage à deux mains, et avait fui. Moi, je n'avais pas de cristaux de téléportation sur moi... Alors j'avais tenté de m'enfuir mais... Si cet autre joueur n'avait pas été là pour me sauver la mise, je ne m'en serais pas sortie vivante. Oui, le choix de son partenaire était très important, surtout dans un contexte comme celui-ci.

- C'est une excellente idée. Si tu aimes analyser les choses, alors en faire profiter les autres serait une très belle action. Ici, il vaut mieux privilégier l'entraide que le 'chacun pour soi'...

J'aurais voulu continuer ma phrase, mais un monstre venait d'apparaître devant nous. Comme si j'avais été conditionnée tel un chien par son maître Pavlov, ma main droite saisit la garde de ma rapière, mais je me stoppais dans mon geste. Hina venait de me faire comprendre qu'il souhaitait le battre seul. Je lui avais répondu d'un signe de tête entendu avant de laisser mon bras droit retomber. Cependant, je préférais rester sur mes gardes. Si les choses tournaient mal, je serais là pour intervenir. L'élève était devenu le maître, pensais-je en songeant à celui qui m'avait formée dans des circonstances un peu similaires.

Je n'étais pas encore une experte en combat, loin de là, mais le savoir que j'avais acquis, je pouvais le transmettre à d'autres joueurs. Alors j'observais chacun de ses gestes, espérant pouvoir l'aider au mieux. Le combat s'était bien déroulé, seulement ses gestes n'étaient pas tous assurés, ce qui avait un impact sur le résultat obtenu, à savoir qu'il semblait avoir asséné moins de dégâts qu'il aurait pu. Cela pouvait poser problème dans un combat contre un monstre plus puissant. Peut-être devait-il revoir ses appuis ? S'il était plus stable, alors ses coups pourraient peut-être devenir plus puissants, moins tremblants ? C'était une chose que je gardais dans un coin de mon esprit. D'autres monstres s'étaient réveillés à la mort du premier. S'il pouvait en battre un ou deux seul, quatre à lui tout seul serait plutôt difficile.

- Je prends ceux de droite !

Sans un mot de plus, je dégainais ma lame et m'élança vers le plus éloigné. Le croco ouvrit grand sa gueule dans l'espoir de me mordre. Pour l'éviter, j'utilisais ma compétence [Acrobatie], qui me permit de faire un bond en arrière. Ce n'était pas un salto comme j'aurais souhaité le faire car les stats de ma compétence ne le permettaient pas encore. Pour beaucoup de gens, les avatars étaient bien plus maniables que leurs corps habituels. Pour moi, ce corps était parfois une gêne. Trop lent, pas assez rapide, ou pas assez souple... Mes habitudes de gymnaste étaient complètement bouleversées. J'avais dû m'entraîner dur pour parvenir à me débrouiller en combat avec un corps moins réactif que le mien.
Mon regard se posa sur la bête à environ un mètre de moi. Serrant ma rapière, je m'élançais de nouveau vers lui, donnant deux coups d'estocs successifs, avant de passer dans son dos pour en donner un troisième. Le monstre vola en éclats, mais je préférais ne pas m'attarder sur cette nuée. Une autre bête m'attendait. D'ailleurs, elle ne s'était pas faite prier pour s'élancer vers moi. Je fut trop lente pour esquiver cette fois, mais les dégâts que j'avais subit n'étaient pas très importants. Ne lui laissant pas le temps de lancer une seconde attaque, je passais dans son dos, activant ma compétence [stratège], et lui asséna un coup d'estoc rapide et précis près de sa colonne vertébrale. Dans un cri, le monstre fit volte face, et j'enchaînais avec deux coups d'estocs rapides au niveau de son cou. La gueule ouverte, un cri étouffé avait pu s'échapper avant qu'une nuée de pixel ne remplace le corps du monstre.
Satisfaite, je me tournai vers mon partenaire afin de m'assurer qu'il s'en sortait, seul contre ces deux crocodiles.