Ça fait belle lurette que je n'étais pas venue ici. Les bois morts qui entourent le village ne m'ont pas vraiment manqué, pas plus que les nuits froides que j'ai dû y passer. Aujourd'hui, si je suis redescendue, ce n'est pas pour un achat quelconque hors de prix, non. C'est pour devenir plus forte.

Ce dernier affrontement avec Ari contre le cyclope du 15ème m'a clairement montré que je n'étais plus de taille seule. Ça me fait mal de l'admettre, mais sans son aide et celle de sa bestiole trop mignonne, je serai déjà retournée à l'école. C'est pour ça que je m'entraîne comme une folle depuis des semaines. Mais seule et dans des étages si bas, ma progression est plutôt lente.

C'est à ce moment-là que je me suis rappelée d'une rumeur parlant d'une quête particulière ici. A ce qu'on raconte, on pourrait obtenir une compétence de combat spéciale en récompense. Après avoir sillonné ce village miteux pendant des heures en courant pour échapper aux débiles qui le protègent, j'en ai déduit que le donneur de quête ne s'y trouvait pas.

Et me voilà en train d'arpenter les bois au hasard depuis déjà deux bonnes heures. Je suis partie à l'est du hameau, histoire d'au moins profiter du faible soleil levant durant mes recherches, mais toujours rien.

Mes pas sont secs et rapides, et je commence déjà à avoir les nerfs en pelote. Il me faut un truc à frapper, mais rien à part des arbres morts. Jusqu'à ce que deux stupides piafs se pointent, tentant de m'embrocher dans le dos.

Le premier parvient à m'érafler l'épaule, m'ôtant quelques points de vie, mais a vite fait de le payer. Je pivote tout en dégainant la faux de mon dos, tranchant le volatile en deux tandis que son comparse préfère ralentir son approche pour ne pas subir le même sort. En vain, car un simple bond suivi d'un coup ascendant l'envoie rejoindre son partenaire de crime.

"Bande de saloperies ! Même pas foutu d'attaquer de face !"

Cet accrochage, couplé à l'injure, m'a au moins permis de vider un peu de ma frustration. Il faut dire que ces Horned Crow m'ont causé bien des soucis à l'époque, avec leur manie de prendre à revers. Cette victoire aussi rapide que facile apaisa donc un peu la déprime qui me guettait.

Posant les mains sur les hanches, les pieds écartés, je regarde à gauche puis à droite. Après une bonne demi-heure de marche rapide en ligne droite, mes recherches m'ont amené jusqu'au bord du palier. Choisissant au pif, je pivote exagérément vers ma droite, croisant mes mains derrière ma nuque et reprenant ma quête de pouvoir.

J'espère juste que toute cette histoire n'est pas du flan, sinon le prochain qui parle de cette quête, je l'étripe et le pends à un arbre.

Récap':

Je décide de longer le bord de l'étage, suivant une lente et pénible courbe tout en regardant autour de moi afin de ne rien rater. Des souvenirs me reviennent, plus ou moins désagréables, notamment à propos de mes vieilles chasses pour gagner des niveaux. C'était plutôt marrant, si je faisais abstraction de ces espèces de débiles qui m'ont collé au train pendant deux jours en voulant jouer les justiciers. Mais chacun son délire ici, et je n'allais pas leur en tenir rigueur.

"Aaaaah!"

Alors que cette petite saleté de Flying Frog qui m'avait sauté au visage, elle, n'allait pas voir le soleil se lever. La tenant fermement dans ma main gauche, je la jette par terre tout en dégainant de la droite pour l'empaler dans la terre meuble et noircie de l'étage, la regardant exploser avec un sourire vengeur.

"Non mais. C'est vraiment un étage rempli de gens sans savoir-vivre, c'est dingue !"

Ma colère accélère mon pas, et je poursuis ma route en slalomant à travers la marée de troncs morts qui s'étend sur une grande partie du palier. Je n'aime ni le décor, ni les monstres qui l'habitent. Si je ne trouve pas rapidement ce foutu donneur de quête, je crois que je vais-

Mes pieds se figent en même temps que mon flot de pensées. Je suis arrivée dans une clairière au centre de laquelle trône une petite hutte minable qui a l'air abandonnée. Scrutant les alentours en plissant les yeux, je ne vois pas âme qui vive et décide donc de m'approcher de la cabane précautionneusement. De près, elle paraît encore plus délabrée et insalubre, au point que je me demande si c'est un endroit de quête ou un simple morceau de décor censé appuyer le reste.

Mais la présence de nombreux rochers plus ou moins grands autour du taudis me laisse croire que je suis au bon endroit. D'après les détails que j'ai pu entendre, je suis censée trouver un vieil ermite par ici. Ne voyant personne, je décide de l'attendre plutôt que de crapahuter sans but dans l'étage et risquer de le rater. Il devra bien rentrer chez lui à un moment, non ?

Je me laisse tomber sans aucune grâce en tailleur sur le sol dur et peu confortable, posant une main sous mon menton et le coude sur mon genou en guise d'appui. Au moment où un soupir d'ennui franchit mes lèvres, un coup de tonnerre se fait entendre et des fines gouttes glacées commencent à tomber dans un rideau assez compact pour cacher la lisière du bois mort par lequel je suis arrivée.

"Purée... manquait plus que ça."

Je soupirais à nouveau, levant un œil rageur vers les nuages sombrent qui m'assuraient que la journée ne faisait que commencer.

Récap':

L'homme d'ordinaire matinal a du prévoir le mauvais temps, car il attend quelques minutes de plus avant de sortir de sa chaume. En apercevant la joueuse, il avance vers elle d'une démarche paisible, feignant l'averse estivale fraîche qui s'abat sur eux. Malgré son âge apparent trahi par quelques premières rides, sa posture est impeccable. Observant celle qui est venue braver les intempéries, il hoche faiblement la tête, puis attendant qu'elle se relève, il entame le dialogue en premier.

" Alors comme ça... Tu as eu vent de ce rude entraînement ? Tu tiens à déposer les armes et devenir plus forte par toi-même ? Tu abandonnes cette alliée si puissante pour ne compter que sur tes propres moyens ? Mais en es-tu seulement digne ? D'abord tu apprendras la patience, tu apprendras l'ennui, tu apprendras l'épuisement. Mais tu apprendras aussi ce qu'est la force. Ton entraînement repose sur une seule tâche. Fends donc cette pierre en te servant de tes poings. Si tu y parviens, je t'enseignerai toutes mes techniques. "

A ces mots, il désigne du doigt la fameuse roche impressionnante, à la gauche de la faucheuse, dont la solidité est évidente. Puis devant la joueuse apparaît une fenêtre holographique.



" Tant que tu n'auras pas brisé ce rocher, tu ne seras pas autorisée à quitter cette montagne. Tu en porteras la preuve sur toi. "

Avant que ne lui vienne l'envie de fuir face à ce robuste adversaire, l'ancêtre sort des manches de son Dôgi un pot d'encre noire et un pinceau, et se met à gribouiller le visage de son disciple à toute allure.

La porte derrière moi grince soudainement, et je me redresse d'un bond pour voir un vieux sage digne des anciens films d'arts martiaux sortir de sa cahute. J'aurai vraiment dû frapper, quelle débile ! Je réponds à son hochement de tête tout en écoutant ce qu'il baragouine. Il se tenait parfaitement droit, et si l'on faisait abstraction de ses rides ainsi que de ses cheveux blancs, rien ne trahissait son âge.

Il était hors de question que je laisse ma faux de côté, mais ajouter une arme à mon arsenal sera toujours une bonne chose. Suivant son index des yeux, mon regard croise celui d'une énorme pierre, deux fois plus haute que moi et bien plus large.

"Sérieux ? Vous voulez que je pète ça à mains nues ?!"

Je pointe du doigt le même rocher en regardant à nouveau le vieil ermite, juste à temps pour voir la fenêtre apparaître devant moi. Soupirant lourdement, je glisse mon index déjà levé vers le bouton bleu, acceptant cette quête ridicule.

Je m'approche de ma cible, perplexe, et pose ma faux debout sur le côté. Je ne la toucherai pas tant que je n'aurai pas terminé d'éclater ce caillou, foi de Rin ! Je tapote la pierre avec une phalange, m'assurant de sa solidité. C'était un rocher, aussi dur que l'on pouvait s'y attendre. Soupirant à nouveau, je mets un petit coup de poing sur la surface dure, peu convaincue. Aucune douleur ne traverse ma main, et je recommence un peu plus fort pour voir. Un sourire se dessine sur mes lèvres, tandis que je frappe la pierre franchement une troisième fois.

Non seulement, je ne sens pas de douleur, mais en plus, je ne m'abîme pas la main. J'écarte donc les jambes pour avoir des appuis stables, et je commence à battre la roche de façon régulière.

"Yah ! Ha ! Ha !"

Gauche, droite, gauche, droite... Je garde ce rythme, me servant de mes hanches pour propulser correctement mes petits poings serrés de toutes mes forces contre le granit. Je ponctue chacun de mes coups par un bref cri provenant du ventre, expulsant l'air de mes poumons à chaque fois. La pluie drue rend le rocher brillant, et je me penche légèrement en avant pour ancrer davantage mes pieds dans le sol.

Au bout d'une dizaine de minutes, je me rends compte que la fatigue n'a pas sa place durant cet exercice et la routine commence déjà à s'installer. Mon corps ayant pris l'habitude des gestes que je sort tout droit des films avec des moines shaolin, je laisse mon esprit se promener un peu.

En y repensant, la première fois que je suis venue à ce palier aussi, il pleuvait. Je m'entraînais tranquillement contre ces foutus Horned Crow, quand une fille avait crié à l'aide. La petite était en mauvaise posture contre un Snake Mole, et j'étais intervenue pour éliminer la bestiole. Mais au lieu de me remercier, elle a hurlé de plus belle en voyant mon curseur, et un groupe de mômes en pleine découverte de testostérone a cru que je l'attaquais... J'ai eu beau leur répéter que c'était un malentendu, ils s'étaient mis en tête de briller devant la petiote en terrassant le vil criminel que j'étais à leurs yeux. Ah ! Le premier faisait moins le fier, quand je l'ai envoyé s'écraser dans la boue en lui foutant le manche de ma faux dans le pif. Mais à 4 contre 1, c'était dangereux, et j'ai préféré m'enfuir dans les bois. Je me disais que les monstres les décourageraient, mais j'ai oublié que l'on était stupide à cet âge-là: ils m'ont suivie pendant près de deux jours ! A croire qu'ils n'avaient rien de mieux à faire...

Déversant ma colère dans mes poings verrouillés en position fermée, je frappe de plus belle le rocher qui ne bronche pas d'un poil. Je souffle en détendant mes muscles crispés par l'effort et la concentration, posant les mains sur les hanches pour m'accorder une petite pause. J'incline la tête sur les côtés pour étirer mon cou, et finis par la lever vers le ciel gris qui déverse toujours sa tristesse sur moi.

"...Ça va vraiment être une longue journée."

Je plie exagérément mes jointures comme pour les faire craquer, et me remets en position. J'écarte les pieds et me tourne pour me retrouver pratiquement de profil. Je lève les deux mains en garde, et commence à enchaîner des coups moins forts mais plus rapide, tentant de viser toujours le même point d'impact. Gauche, gauche, droite. Gauche, gauche, droite... Je répète cette série dans des gestes rapides et de plus en plus fluides, m'imaginant boxer la tête de cet adolescent au gros nez que j'avais étalé.

Après ce qui semble être une éternité, je m'arrête, totalement essoufflée, pour regarder l'heure.

"Bientôt midi, et pas le moindre éclat ni la moindre fissure... On dirait que je suis là pour un bon moment."

La frustration bloquant ma faim, je ferme mon interface et recommence à tambouriner comme une machine sur la pierre, essayant d'atteindre au mieux le petit coin de mousse que je vise depuis deux heures maintenant.

Récap':

Sans surprise, la surface de la roche dure est aussi intacte au bout de quelques heures que lorsque la faucheuse a commencé à la frapper.

Le souffle court, je frappe une dernière fois la pierre du plat de la main, avant de m'écrouler à genoux devant ce qui constituait à ce jour mon plus solide adversaire. Le contact froid et lisse de la roche avec ma paume me procure une tranquillité d'esprit bien plus forte que ces séances de yoga que j'ai déjà tenté de faire à la maison. J'inspire lentement et profondément, basculant la tête en arrière pour accompagner l'air qui circule dans mes poumons. Je retiens ma respiration, laissant la pluie dégouliner le long de mes cheveux et de mon nez.

"...Quelle heure il est ?"

Ouvrant mon interface en expirant, hagarde, je constate qu'il est déjà 19h passées. Je ne sens ni la faim, ni la fatigue physique alors que j'ai passé plus de 7 heures à marteler ce foutu caillou. J'ai l'impression d'être hors de mon corps, ce qui est assez perturbant quand on sait que ce n'est même pas un vrai. Je me laisse tomber en arrière, dans un bruit mat d'herbe détrempée, en étoile de mer.

La solitude ne me dérange pas, mais ne pas avoir ma faux sous la main me laisse nerveuse. Je croise les bras sous la nuque et passe ma jambe droite par-dessus la gauche, prenant une pause pour la première fois de la journée. Même un temps aussi déprimant reste plus beau ici, et je finis par sourire tranquillement en écoutant le déluge. J'agite mon pied en fredonnant une mélodie d'un célèbre animé pour enfant, avant de remarquer que le vieil ermite n'est plus là. Une faible lueur visible à la fenêtre du taudis indique qu'il est rentré chez lui, probablement pour la soirée.

"Tu parles d'un mentor ! Feignasse..."

Revigorée par cette soudaine injustice, je me relève d'un bond avant de m'étirer. Je sors un petit pain de mon inventaire et le mâchouille distraitement, tout en marchant un peu pour me dégourdir les jambes. Mes pas s'arrêtent devant l'enceinte, hésitants. Je ne préfère pas risquer une balade improvisée, surtout désarmée, au risque que le vieux ne considère ça comme un abandon. Je longe donc le périmètre, finissant mon repas d'une main, l'autre dans le dos. J'avance à grandes enjambées exagérées, plus pour tromper l'ennui que par besoin, avant de revenir devant ma cible. Mon regard coulisse alors vers mon arme, fidèlement plantée là où je l'ai laissée ce matin.

"Désolée, je fais au plus vite...Faut bien que je sois à ta hauteur, pas vrai ?"

Je tends une main pour caresser le manche sobre et brillant à la lumière de la lune, mais arrête mon geste à quelques centimètres. Je ne suis pas certaine de pouvoir toucher mon arme avant d'avoir réalisé l'objectif, et je serre le poing avec regret avant de me tourner rageusement vers le rocher moussu.

Je distribue une volée de coups au hasard, expulsant ma frustration à travers chacun d'eux. Si cette pierre ne voulait pas se briser, je ne pourrais pas reprendre ma faux. Et ça, c'était hors de question!

"Raaaaaah ! Dépêche-toi de te briser, saleté !"

Mes cris et l'impact sourds de mes frappes résonnent dans la nuit, ne dérangeant apparemment ni le donneur de quête, ni les monstres alentours. Seule ma faux, coiffée d'un reflet légèrement bleu, me regardait fièrement.

Récap':

"Déjà fatiguée, disciple?"

La voix grave et presque amusée du vieil homme me fait sursauter tandis que je me relève d'un bond, la main dans le dos cherchant vainement le manche de ma faux. Je cille plusieurs fois des yeux avant que mon esprit ne se remette en marche, passant ma main gauche devant mon visage pour bloquer les rayons du soleil qui était encore bas. Réassemblant les morceaux du puzzle, je réponds d'un grognement avant de gonfler les joues.

"Vous manquez pas d'air, j'ai pas dormi dans un lit, moi !"

L'ermite resta silencieux une poignée de secondes avant de réagir, à ma grande surprise.

"Tu peux emprunter la seconde chambre de mon humble demeure pour la nuit, si tu le désires."

Mon visage se décompose tandis qu'une succession d'émotions diverses et variées passent dessus. J'inspire profondément avant de souffler bruyamment, les mains tombantes.

"Vous auriez pu le dire plus tôt, bon sang..."

Prise d'un pauvre rire moqueur envers moi-même, je m'étire avant de me tourner vers le rocher, déterminée à laisser une marque visible avant ce soir. Motivée par l'idée de dormir au chaud cette nuit, je me remets en position en plantant solidement mes pieds dans le sol meuble, écartés, tandis que j'alterne les coups de poings sur la surface dure et toujours intacte. Mais plus pour longtemps !

Mon corps reprenant rapidement le rythme mécanique de l'exercice, je laisse de nouveau mon esprit vagabonder. Je m'imagine déjà enchaîner rapidement des coups de poings et de pieds tout en maniant mon arme, essayant de chorégraphier le tout de manière à être le plus efficace possible. Un sourire se dessine sur mes lèvres, tandis que la hâte d'acquérir cette compétence ne fait que croître. Si les Sword Skills ont le défaut d'avoir des temps morts, je me demande s'il en sera de même pour les compétences de combat à mains nues. Ou même s'il existe de telles compétences. Il me tarde d'essayer tout ça sur ces corbeaux de malheur de l'étage, et je redouble d'ardeur dans chacun de mes coups, poussant toujours un cri bref pour m'encourager.

N'ayant pas particulièrement faim, je préfère m'acharner à frapper ce caillou plutôt que de manger. De toute façon, les pains immondes qui composent tous mes repas me sortent par les yeux, et je n'ai pas le loisir de faire les courses en ville. A l'idée de manger un bon plat chaud, mon ventre se met à gargouiller et je secoue la tête pour me reconcentrer sur ma cible, les joues légèrement roses. Quelle idiote ! Mais qu'est-ce que ça me manque...

"Graaah !"

Je ferme les yeux pour chasser la farandole de pâtisseries qui menacent ma détermination, accélérant la vitesse de mes coups comme si je frappais ma propre gourmandise au moins aussi grosse que cette pierre.

Récap':

Haletante, j'essuie la sueur qui perle de mon menton. Il m'arrive de courir pendant des heures sans trop me fatiguer et surtout sans transpirer, mais cet exercice est tellement prenant que j'ai l'impression que mon cerveau m'ordonne de suer, quoiqu'il arrive. Je lève les yeux et parcours la pierre de haut en bas, sans la moindre trace de changement à sa surface.

"Dites, vous êtes sûr que c'est possible comme exo au moins..?"

Un croassement lointain me répond, et je tourne la tête intrigué vers mon maître autoproclamé. Ou ce qu'il en reste, car il est déjà rentré bien au chaud dans sa cabane. Marmonnant quelques noms d'oiseaux, je m'étire et me laisse tomber en tailleur, sortant un pain ignoble de mon inventaire.

"Pff...Faut vraiment que je m'entraîne à la pêche et à la cuisine, je vais mourir de dégoût sinon."

Mes dents se stoppent à quelques centimètres de mon repas, quand je finis par craquet et jeter cette immondice par terre d'un geste colérique. Si je mange encore une fois de ce machin, je meurs! Parcourant mes maigres items, je m'arrête sur la viande d'aigle et le saumon rose que j'ai récupéré lors de mon passage au 14ème. Je sors les deux morceaux crus et luisants et les pose par terre délicatement, avant de me prendre le menton pour réfléchir. Pas longtemps.

"Gnnn... Raaah! Tant pis, ça peut pas être plus dégueu que ces pains de toute façon !"

D'un geste rageur et désespéré, je saisis le morceau de saumon cru et mords dedans à pleine dedans dans un bruit flasque peu ragoûtant. Je tire de toutes mes forces avec mes dents, et finit par détacher un petit bout de chair que je mastique un moment, hésitante. J'avale cette première bouchée peu orthodoxe, tandis que le goût qui reste dans ma bouche est loin des sashimis... Mais au moins, ça a un goût.

Haussant les épaules, je range la viande de piaf et continue mon repas d'ours mal léché, finissant par m'habituer à la saveur forte et particulière. Une fois ce dîner fini, je tends mes jambes devant moi, et tapote mon ventre d'une main en soupirant. Ce n'est pas le grand luxe, mais ça reste de loin mon meilleur repas depuis des jours!

Satisfaite et sans remords pour le pain gâché, je me relève d'un bon et me remets en position d'attaque, tambourinant à nouveau dans un rythme régulier mon inébranlable adversaire. Au moins, ce soir, il ne pleut pas et j'ai le ventre plein. Cette fois sera la bonne!

Redoublant d'ardeur dans chacun de mes coups, j'imagine la roche se fissurer et mon petit poing la traverser à chaque coup, comme si ma volonté pouvait renforcer mes coups. Mais au bout de deux heures intensives, je me rends compte de ma naïveté: aucun impact, pas le moindre petit éclat, ne vient récompenser mes efforts...

Ca fait déjà une journée et demie que je frappe ce truc, et toujours rien... Dire qu'avec ma faux, ce serait vite réglé...

Je secoue la tête de droite à gauche rapidement, pour chasser cette idée saugrenue. Si je suis venue jusqu'ici pour cette quête débile, c'est justement pour devenir plus forte! Hors de question de renoncer, si ça me permet de tenir à carreau des crétins en vert ou d'aider ceux qui en ont besoin!

Serrant le poing pour ancrer mon petit serment intérieur, je décide d'être plus sage que la veille et pénètre timidement dans l'antre de mon maître.

"Euh...Excusez-moi..."

"Le lit est par ici, derrière. Ta présence ne me dérange pas, tu es là pour endurcir ton corps et ton esprit après tout."

Le regardant avec deux yeux ronds, je me demande si j'ai l'air si fatiguée que ça et le remercie avant de prendre congé dans la pièce indiquée. En refermant la porte, une étrange sensation d'insécurité me prend. Je n'ai pas dormi avec un toit sur la tête depuis mon arrivée ici au final, si l'on fait exception des quelques grottes lugubres que j'ai trouvé ici et là...

Mon regard balaie la pièce, et je me rapproche instinctivement du grand miroir posé contre un mur.

"Eh..?"

Ahurie, je frotte la surface déjà propre, comme pour m'assurer que je ne rêvais pas, et pose le bout de mes doigts sur mes joues. Des moustaches de chat complétement clichées me barrent le visage. Je ressors aussitôt, mais le vieux scribouillard me coupe la parole avant même que je ne la prenne.

"Ceci est la marque de ton apprentissage. Échoue, et tu les garderas pour toujours."

La bouche ouverte comme un poisson mort, je ne réponds même pas et retourne dans la chambre. J'éteins la lumière et me jette dans les draps, simples mais doux. Les premiers depuis des lustres! Je me roule dedans jusqu'au cou, gardant pour moi qu'une toute petite voix à l'intérieur les trouvaient trop choutes et espérait bien les garder de toute façon.

Récap':

Sur le bloc de roche apparemment inébranlable qui lui sert d'adversaire, une rainure distincte a commencé à se former.

"Mmmmhh..."

Je grogne doucement tandis que la lumière du soleil filtre à travers les carreaux de la fenêtre. On pourrait imaginer sans mal les oiseaux chanter et les gens de bonne humeur. J'ouvre un œil pour regarder dehors le temps dégagé et souris avant de me rend-

"Aaaah! Quelle heure il est?!"

Je me redresse d'un coup, m'entortille dans la couette et tombe lamentablement par terre dans un grand bruit. Après quelques secondes de lutte acharnée avec les draps, je parviens enfin à émerger victorieuse avant de recoller les deux bouts. Je m'étais endormie rapidement, au chaud et en sécurité dans un lit. Je n'ai pas eu ce luxe depuis des semaines, au point que des larmes me montent rapidement aux yeux.

J'essuie les perles au coin de mes yeux avant de me frapper le visage des deux mains. Equipant ma tenue, je sors directement vers le rocher en faisant tourner mon bras droit, une main sur l'épaule.

"Cette fois, prépare-toi à morfler, espèce de sale cai-"

Je me coupe dans mon élan et me colle à quelques centimètres de la surface autrefois lisse et dure de la pierre. Mais aujourd'hui, une fine rainure est apparue là où j'ai frappé pendant des heures hier. Mes efforts portent enfin leurs fruits!

"Eh, vous avez vu ça, maître?! J'ai réussi à le fêler, votre maudit caillou! Ah ah! Ce soir, c'est plus qu'un tas de gravier, vous allez voir!"

Débordante d'entrain et d'énergie suite à cette découverte, je me remets en position et recommence à frapper la pierre, concentrant mes efforts sur la zébrure à peine visible. Si je l'ai fissuré, je peux le briser. Il suffit d'y croire!

Injectant mes pensées et ma joie à mes petits poings fermement serrés, j'alterne les gauche-droite en continuant à pousser un petit cri à chaque fois que ma peau rencontre la roche. J'ai hâte, tellement hâte! Pouvoir me battre librement avec mon corps et ma faux, enfin! Mon impatience se transmet à mes bras, et j'accélère mon rythme sans m'en rendre compte, tapant de bon cœur et de toutes mes forces avant de me rendre compte que je suis en train de rire en même temps. A croire que cette nuit avait réveillé une force cachée inconnue en moi, à moins que ce ne soit le saumon cru?

Au bout d'une heure à ce rythme effréné, je commence à ralentir, le souffle court et décide de m'accorder une petite pause. Je me dirige vers la fontaine sur le côté de la maison pour me rafraîchir le visage, et me passe plusieurs fois de l'eau fraîche pour effacer les traces que mon corps tenait absolument à retranscrire. Je m'arrête un instant pour contempler mon propre reflet dans l'eau.

Un visage banal, pas forcément très joli, mais que les conditions ont rendu légèrement sauvage. Un aspect bien renforcé par les moustaches dessinées par ce vieux grigou, ma foi. Mais la détermination que je peux voir dans mes propres yeux me rassure, et malgré une nuit agréable, je ne me suis pas ramollie, bien au contraire. C'est donc ragaillardie que je secoue mes mains trempées et ajuste mes gants avant de démarrer le 4ème round.

Je me demande s'il existe des armes de pugilat ici. Des poings américains, ou des gants de combat peut-être? Tout comme je ne sais pas quoi faire de tous ces composants que je ramasse à chaque combat. A part les donner en échange de potions à ce crétin qui me sert de ravitailleur. Et encore, je ne sais même pas si je me fais rouler!

Ce manque d'infos commence sérieusement à me peser de plus en plus, et je me rends compte que la force brute à ses limites dans ce monde aussi. Si je veux pouvoir continuer à arpenter ces contrées sauvages et dangereuses, je dois m'approprier ce système et m'améliorer suffisamment pour ne plus être inquiétée par rien ni personne. C'était l'objectif que je m'étais inconsciemment fixé mais qui avait toujours guidé mes pas jusqu'à maintenant.

Un croassement non loin me fait sursauter et je cligne des yeux avant de me rendre que la luminosité à changer. Le soleil couchant baigne la pierre et la bâtisse d'une teinte rouge orangée sublime, surtout après la pluie. Je m'aperçois que mon souffle est court, et je décide d'arrêter l'entraînement pour l'instant avant de m'asseoir par terre et de poser une main sur mon ventre qui gargouille. Autant garder la viande d'aigle pour un cas d'urgence...

Adossée à mon adversaire pas si inébranlable que ça, je contemple la lisière du bois alentour s'enflammer et éclipser petit à petit la lumière diurne. Je pose ma tête en arrière un instant, fermant les yeux et profitant de la température idéale.

"Quel calme... Ca fait un moment que je ne m'étais pas sentie aussi bien. Faut dire que ça fait un moment que je n'ai pas pu profiter d'un endroit sûr sans être chassée ou insultée par tout le monde."

Je ricane en ouvrant les yeux sur la voie lactée désormais visible. Tendant une main les doigts écartés, j'admire le contraste entre ma peau blanche et le ciel nocturne avant de resserrer ma prise et de me relever.

"Finalement, c'est pas plus mal si tu ne te brises pas tout de suite, tu sais..."

Je pose une main légèrement mélancolique sur la pierre, avant d'inspirer profondément et de recommencer à frapper, perturbant toujours le silence ambiant par mes cris et mes impacts. J'espère, au fond de moi, que cette quête ne se termine jamais même si une autre part de moi a hâte d'obtenir cette compétence. Cette dualité me maintient suffisamment éveillée pour continuer mon combat pendant encore quelques heures au moins...

Récap':

Malgré les nouveaux efforts fournis, la fente reste identique à sa découverte du matin.

Le soleil se lève à peine, mais je profite de la fraîcheur matinale pour faire quelques exercices avant de me remettre à ma tâche. J'étire longuement mes bras derrière ma tête, les mains jointes, avant de me pencher plusieurs fois de chaque côté. Je passe ensuite à mes jambes, appuyant une main sur chaque genou avant de tendre celle de gauche, puis celle de droite.

Une fois mes étirements finis, je fais mine de craquer mes phalanges avant de me remettre en position devant mon ennemi, un grand sourire sur les lèvres.

"Yo, la forme ? J'espère que t'as bien dormi, parce que moi oui!"

Je frappe le plat de ma main avec mon poing pour donner le signal du combat unilatéral, avant de fléchir mes jambes et recommencer à taper la pierre dans un rythme soutenu. Mon corps commence à prendre des habitudes, et mes enchaînements se font de plus en plus naturellement, comme si de l'eau parcourait mes membres et dirigeait mes muscles dans un torrent de coups rapides et précis.

Mes yeux fixent la petite rainure qui parcourt le rocher, semblable à une balise que je me dois d'atteindre. Mon but n'est plus de briser cet obstacle, mais d'agrandir cette faille, même un tout petit peu. Avancer un peu plus vers mon objectif, chaque jour, sans penser à rien d'autre.

Après un temps indéfinissable, mon maître sort de sa cabane et s'assoit en tailleur sur le pas de la porte, observant mes faits et gestes sans le moindre commentaire. Je m'arrête à son arrivée et me redresse, presque comme pour le saluer, avant de me rendre compte que je ne respirais même plus. J'avale d'un coup une bouffée d'air en faisant le bruit d'une carpe hors de l'eau, me rendant compte par la même occasion que j'avais arrêté de crier à chacun de mes coups. Je halète de façon saccadée pendant un petit moment avant de parvenir à reprendre un réflexe pourtant vital, courbée en avant et appuyée sur la mousse du rocher inébranlable.

J'inspire une grande quantité d'air frais, me redressant en même temps pour accompagner le mouvement, avant de regarder l'heure de mon interface. Il n'est que 11h à peine, et je n'ai toujours rien avalé. Pas étonnant en même temps, j'ai envie d'un bon toast tiède plein de confiture, pas d'un pain sec et sans goût...

Repoussant au maximum mon prochain repas qui relève plus du calvaire, je reporte mon attention sur le rocher géant devant moi. Je compte bien continuer jusqu'à ce que ce maudit malus de faim ne se manifeste!

Récap':

"Ah ! Une baleine !"

Les mains croisées derrière la tête, je balance mon pied droit dans le vide, tandis que ma jambe passe par-dessus sur sa voisine de gauche. Le rocher dur et froid me sert de support dans ma pause d'après-repas, à l'exception près que je n'ai rien avalé, me permettant de regarder les gros nuages blancs et cotonneux qui défilent dans le ciel. La pluie a enfin battu en retraite, et c'est un soleil tout palot qui accompagne cette nouvelle journée d'efforts.

Enfin, façon de parler... Ma faux me manque de plus en plus, mais le calme de l'endroit ainsi qu'avoir un toit sur ma tête me donne sérieusement envie de rester ici. C'est peut-être pour ça que mes coups manquent de force, une histoire de conviction...

"Comme dans tout les shõnen, quoi..."

Je laisse échapper un soupir, avant de me redresser d'un petit bond et de tapoter ma jupe pour en enlever la poussière inexistante. Je me retourne ensuite vers mon fidèle ami-ennemi, le poing fermé et tendu dans sa direction.

"Allez, il paraît que toutes les bonnes choses ont une fin. Finissons-en dans la bonne humeur!"

Je me place d'un rapide pas en avant, m'imaginant infiltrer la garde d'un ennemi invisible, avant de marteler rapidement le même point fissuré de la pierre. Mes coups sont désormais complétement instinctifs, et mon corps bouge de lui-même pour me permettre d'enchaîner efficacement mes frappes.

Direct du droit, deux directs du gauche, esquive sur la droite, uppercut droit en me replaçant...

Au bout d'un temps indéfinissable, je me rends compte que mes mâchoires sont crispées sur un sourire aussi féroce que rempli de joie, m'imprégnant du rôle de boxeur que je me donnais. Me forcer à esquiver comme si cet adversaire était empli d'une volonté propre n'apportait rien à ma quête, et me ralentissait sûrement dans mon objectif. Mais ce simulacre de combat booste mes sens, et je ressens chaque impact traverser tout mon corps tandis que les sons résonnent dans la demeure silencieuse de mon maître.

"Eheh..."

C'est plutôt marrant comme pratique en fait. Profitant de mes capacités désormais surhumaines, j'accélère le rythme dans une cascade de coups qui se font de plus en plus précis et puissants.

"AhAhAh !"

Oubliant totalement de respirer, je me contente de rire ouvertement, mes cheveux et ma jupe virevoltants dans tous les sens tandis que je me bats frénétiquement contre un ennemi statique. Je ne sais pas si c'est l'effet du soleil, du nuage en forme de baleine qui m'a rappelé ma première visite à l'aquarium, ou simplement ces fantômes que j'affronte en même temps que le rocher. Toujours est-il que mon euphorie perdura un moment, bien après que l'astre flamboyant ne se soit couché.

Récap':

Il semblerait que cette technique commence à porter ses fruits, car lorsque la frénésie cesse, la rainure au creux de la roche s'est renforcée là où on la martelait quelques instants plus tôt.

J'ouvre tout doucement la porte de la petite maison dans laquelle je passe désormais mes nuits afin de ne pas réveiller le vieil ermite qui me sert de maître et me faufile à l'extérieur. Une fois dehors, je repousse prudemment la porte probablement aussi âgée que l'habitant et me tourne vers le rocher.

Ma faux est posée à côté, et la lame brille d'une douce lueur bleutée, éclairée par la demi-lune assez haute dans le ciel. L'air recommençait à devenir frais à cette période de l'année, et la brise légère mordait ma peau nue tandis que je m'avance vers mon arme délaissée depuis plusieurs jours déjà. Je tends la main sans m'en rendre compte et arrête mon geste à mi-chemin, hésitante. Et si le fait de reprendre son arme sans avoir fini la quête entraînait son échec ?

Mordillant ma lèvre inférieure, je finis par sourire et empoigne le manche avant de la tenir à nouveau dans mes deux mains, pleine d'appréhension. Au pire, je n'aurai plus qu'à tout recommencer. Mais aucune alarme ou popup ne vint briser le silence nocturne, et je pousse un petit soupir soulagé avant de me mettre en position. J'ai eu peur d'oublier tout le maniement de ma faux ces derniers temps, mais mes bras sont plus qu'habitués à son poids et à son contact, me laissant fendre l'air de quelques coups amples et lents.

Je me mets en position, les jambes écartées et l'arme devant moi, avant d'inspirer lentement. Le signal de départ imaginaire bloque ma respiration, et je fais un rapide pas en avant tout en assénant un large coup horizontal à mi-hauteur. Profitant de mon inertie, je lève ma jambe à hauteur de tête pour asséner un coup de pied au visage de mon adversaire fictif avant de bondir en arrière. A peine mes appuis stabilisés, je me propulse à l'aide de Sprint et plante la tête de mon arme dans le sol comme appui, me permettant un saut en hauteur digne des athlètes olympiques. Je laisse mes mains glisser le long du manche pour finalement le lâcher, et je réattérit sur le dos de ma victime poings serrés sur le haut de son crâne.

Fière de moi, je me redresse et écarte les bras avant de m'incliner et de faire une pirouette, posant les poings sur mes hanches. J'ignore encore quelle liberté permet cette compétence d'Art Martial, mais les idées ne manquent pas! Et malgré ces 4 jours de non-combats, mes réflexes semblent toujours aussi affûtés heureusement.

A peine essoufflée et avec un poids en moins sur le cœur, je ramasse ma partenaire que j'ai laissée dans l'herbe avant de la reposer à côté du rocher couvert de mousse. Après une dernière caresse sur mon arme, je lève le regard sur la fissure désormais bien visible et affiche un sourire déterminé.

"Repose-toi bien, demain je ne te ferai pas de cadeaux!"

Sur cette promesse à moi-même chuchotée dans l'obscurité, je retourne me coucher sur la pointe des pieds. Mon maître est peut-être vieux, mais je n'ai pas vraiment envie de me faire gronder par lui...

Récap':

"Debout, le soleil est déjà haut..."

"Désolée, maître!"

Je me dépêche d'enfiler mes gants et cours vers le rocher, en retard. J'ai remarqué que le vieil homme se levait tous les jours à 6h précises, et généralement, je suivais son rythme volontiers. Il n'y a que le premier matin où j'ai pu entendre cette même phrase prononcée exactement à la même heure. Mais mon écart nocturne se faisait sentir, et les quelques nuits passées dans le confort d'un vrai lit ne m'aidaient pas beaucoup.

"Fuwaaaah"

Je baille en m'étirant sur les côtés devant mon adversaire immuable. Je passe ensuite à l'échauffement de mes jambes, souriant en repensant à la veille. J'avais pris la liberté de m'exercer un peu à la faux, mais surtout j'avais passé une partie de la nuit à imaginer des enchaînements efficaces entre mon arme et mes futures aptitudes. Si la force impactait les coups autant que ceux donnés avec une arme, je m'imaginais déjà pulvériser un monstre dans le sol d'un simple coup de poing.

Des étoiles plein les yeux, je sautille plusieurs fois sur place avant de me mettre en garde et de reprendre mon exercice quotidien sous l'œil attentif de mon mentor. S'il ne parlait presque pas, sa simple présence suffisait à me mettre à l'aise. Et au moins, il ne se plaignait pas des cris que je poussais à chaque impact sur la pierre désormais bien fissurée.

Tout en répétant les mêmes enchaînements de façon mécanique, je fixe le nouvel icône à côté de ma barre de vie d'un air boudeur. Le malus de faim se fait désormais sentir, et une sensation désagréable de vide remplit mon estomac. Je ne sais pas si cette famine est réelle ou fictive, mais ça reste assez embêtant. J'ai vu une fois que ce malus entraînait une baisse des statistiques alors que j'affrontais un sanglier bien dodu, mais je ne le sentais pas à cet instant comme je n'étais pas vraiment en combat.

Fronçant les sourcils, je redouble d'ardeur dans mes coups, espérant en finir plus rapidement pour aller chasser de quoi me nourrir. La viande crue n'était pas forcément agréable, et mes réserves de nourriture étaient désormais épuisées. Je suppose que la meilleure solution serait de retourner à l'étage 14 pour tuer des saumons en espérant récupérer leur viande proche de sashimis...

Mon ventre émet alors un bruit pas féminin pour deux sous, et je pousse un cri plus fort pour tenter de le masquer aux oreilles de mon maître qui ne semble pas le remarquer, heureusement. Pas plus que le rose qui teinte désormais mes joues.


"J'ai faim...."

Vautrée par terre en étoile de mer, je reprends mon souffle après avoir tenté de noyer ma faim en buvant un peu d'eau fraîche, sans résultat. Mon interface affiche 12h02, et je paierai cher pour un bon bol de riz blanc. C'est le meilleur repas au monde lorsque l'on a vraiment faim, du riz blanc sortant tout droit de l'autocuiseur... Encore fumant...

"Graaaah!"

Je martèle ma tête de mes petits poings en espérant chasser ces images qui flottent devant mes yeux, et me redresse d'un bond pour reprendre mon exercice. Plus vite j'éclaterai ce caillou en miettes, plus vite je pourrai aller chercher à manger !

Récap':

La rainure s'est désormais transformée en une large fissure aux veines saillantes çà et là dans la pierre. Un léger craquement lorsque l'un des coups s'abattit renforça l'entaille la plus visible, scindant verticalement la pierre sur près de vingt-cinq centimètres.

"Whoa!"

Surprise par l'impact clairement visible et le craquement sonore qui se fait entendre après mon coup, j'écarquille les yeux sur la fissure béante qui parcourt la pierre verticalement sur une longueur légèrement plus grande que mon avant-bras. La blessure principale s'étend en plusieurs petites fissures latérales, et j'admire un instant le résultat de mon long entraînement.

"Vous avez vu, maître ?! J'y suis presque... Enfin!"

Riant de plus belle, je recommence à taper, plus lourdement cette fois. Espérant à chaque mouvement que mon poing s'enfonce dans le rocher, je m'aide de mes hanches pour envoyer chaque coup aussi fort que possible. Les vibrations se répercutent dans tout mon corps, comme si mon adversaire contre-attaquait à chaque fois. C'était à qui cédera le premier, lui ou ma détermination!

Je ne sens plus ni la faim ni la fatigue de ce matin, comme si cette étape que je venais de franchir suffisait à m'alimenter. Mes rêves de cette nuit me paraissent encore un peu plus proches, et je pensais déjà à ma prochaine chasse.

"Ah! Au fait, combien d'autres personnes sont venues faire cette quête ?"

Le vieil ermite ne réagit même pas à ma question, je ne sais pas si c'est dû à son grand âge ou s'il ne veut pas répondre... Je penche quand même pour la seconde option, un maître d'arts martiaux sourd, ça ne me semble pas cohérent après tout. Tout en réfléchissant toute seule à cette question, le rythme ralenti de mes coups de poings continuent de résonner.

C'est impossible que je sois la seule à la faire. Mais je me demande si ceux du front ont pris le temps de la mener à bien, vu la longueur. Ils se sont sûrement tous précipités sur les zones remplies de monstres ou d'objets rares pour en être là aujourd'hui...

Souriant bêtement, je m'imagine déjà leur rabattre leur caquet en repoussant des monstres à mains nues. Ca leur apprendrait à vouloir aller trop vite sans profiter de tout ce qu'on a à disposition ici !

Voyant l'heure sur mon interface et le malus dans mon champ de vision, mon ventre refais parler de lui à l'approche du goûter. Je donnerai cher pour un bol de glace pillée à la fraise avec tous ces exercices...

Récap':

« Wouah, mais t’es sur la fin ! »

Après avoir reçu le message de Zadokieru, j’avais décidé de ne pas y répondre et de la rejoindre par moi-même. L’ayant dans mes contacts, j’avais pu retrouver sa trace en quelques minutes. Il m’avait seulement fallu me téléporter deux fois pour découvrir sa trace sur l’une de mes cartes pixellisées ; et de nombreux sprints pour la rejoindre près de son rocher fissuré. Voir ce dernier ainsi m’avait véritablement surpris.

Sur le trajet, mon familier m’avait suivi malgré ses envies incoercibles de rappeler qui faisait la loi dans ce deuxième étage. J’avais tout de même été obligé de lui demander gentiment la supplier pour qu’elle cessât de nous faire perdre du temps en défonçant tous les serpents et les oiseaux que nous trouvions sur notre chemin.

Je fis un signe de la main à la PK en arrivant tandis que la Princesse marchait à mes côtés, ses yeux menaçants fouillant le décor à la recherche de proies à victimiser.

« T’es balèze, ma vieille, avec tes p’tites moustaches ! J’avais déjà tenté cette quête mais… J’en ai retenu qu’une chose : j’ai aucune patience. »

Je n’avais même pas tenu la journée, le caillou m’avait trop saoulé. S’il m’était simple de garder mon sang-froid face à des cas soc’, je pouvais très facilement péter un câble quand je ne parvenais pas à faire quelque chose rapidement. Habitué depuis petit à apprendre et réaliser en un tour de main, je devenais un enfant capricieux intolérant à la frustration lorsque je ne réussissais pas aussi vite que je le voulais.

« Pour te récompenser d’en être au moins à la moitié du chemin… Tu as le choix entre… ! »

Je laissai planer un rapide suspense, un petit sourire aux lèvres. Elle avait l’air de crever la dalle, la pauvre. J’entendais ses bruits d’estomac décuplés par mon Ecoute. C’était si désagréable que je décidai immédiatement d’arrêter d’utiliser ma compétence. Je n'avais pas envie d'en faire des cauchemars cette nuit. Même s’il était possible qu’on cherchât des noises à son curseur orange, nous restions dans une Safe Zone : la prudence était-elle vraiment appropriée ?

« Hmm… Comme il est quasiment quatre heures, j’imagine que tu préfères goûter ? J’ai du chocolat, des clémentines, des marrons glacés et un gros Shotto keeki qu’on peut essayer de manger entièrement à trois. J’ai aussi sorti des mochis de mon frigo, parce que je suis un mec merveilleux ! D’ailleurs, pour le prouver à nouveau… ! »

Je roulai des yeux jusqu’à ceux de mon familier, dont l’un regardait méchamment les environs tandis que l’autre me jugeait.

« Tiens, Princesse ~ ! »

Je lui présentai de façon théâtrale deux criquets croquants que j’avais sortis en même temps que les autres mets, mais cachés dans ma main. Elle en récupéra un d’un coup de langue agressif, comme s’il lui revenait de droit, et l’écrasa tranquillement à l’aide de son palais.

Je soupirai avant de me retourner vers mon interlocutrice.

« Alors dis-moi, pourquoi t’être lancée dans cette longue quête chiante ? »

Assis en tailleur avec un grand sourire, j’attends des nouvelles de la demoiselle avec une curiosité grandissante. Il restait encore plein de choses que je voulais savoir à son sujet !

Aide à la modération :

Après avoir envoyé un message à Ari, je m'étais remise à frapper la pierre d'un geste mécanique. Si je lui ai écrit, c'est uniquement parce qu'il est le seul contact de ma liste depuis que mon fournisseur de potions m'a lâché. Et aussi parce que le courant passe bien.

« Wouah, mais t’es sur la fin ! »

Sa voix forte me surprend et ma main dérape sur le rocher tandis que mon coup termine dans le vide. En me retournant, le sourire niais facilement visible de loin sur la face du Beast Tamer m'arrache un soupir. Inutile de s'énerver pour rien, je n'ai pas d'énergie à gâcher pour ça...

"Yo! J'espère bien, après 4 jours entiers à cogner dessus!"

Les mains sur les hanches, j'attends qu'il arrive à ma hauteur pour ne plus avoir à crier. Mon maître ne semble pas lui prêter attention, mais je m'incline quand même devant lui pour lui signifier que je prends une pause.

"Heh, t'es jaloux, c'est tout. Et ça m'étonne pas trop, bizarrement! Je te vois mal cogner sur quoi que ce soit avec tes mains de fillette."

Un sourire narquois signalant que je plaisante au moins à moitié fond rapidement quand Ari reprend le dessus en étalant plusieurs douceurs devant mes yeux affamés.

"Carrément! Mais t'étais pas obligé de venir jusqu'ici, tu t'ennuies à ce point ?"

Ca me manquait de ne pas pouvoir balancer de piques à quelqu'un. Me posant en tailleur en face de lui et de sa bestiole qui dévorait déjà son encas, je ne me fais pas prier et attrape un mochi. Tirant dessus jusqu'à l'éloigner d'une dizaine de centimètres, la pâte de riz caoutchouteuse finit par céder tandis que je mâchonne un de mes desserts préférés.

"Mmh~ cha oui, t'es le meilleur!"

Le remerciant à nouveau en finissant ma pâtisserie d'une bouchée, je lui demande si les 300 cols que je lui ai envoyés valent vraiment ce buffet. Un peu dubitative, je jauge du regard ma prochaine cible: le gâteau spongieux et conséquent qu'il a proposé de partager. Mes yeux glissent sur le caméléon qui mâchouille lentement son insecte, et je me dis que je m'en ferai bien la moitié facilement.

"On se le partage comme t'as dit ? Ca fait des siècles que j'en ai pas mangé un!"

Tandis que je le regarde couper le gâteau avec sa dague, je tapote mes lèvres du bout de l'index en réfléchissant à sa question.

"Et pourquoi pas, après tout ? Ya tellement de choses cachées dans ce monde, ça serait bête de passer à côté! Il ne va pas s'envoler, on a le temps. Et j'étais curieuse de voir ce que l'on pouvait faire avec cette compétence... T'imagines les possibilités d'enchaînements en combat?! En plus, je pense que beaucoup ont réagi comme toi et ont laissé tomber, ça me permettrait de me démarquer encore plus. Et de casser des monstres à mains nues!"

J'attrape ma part du butin en le remerciant et en mords un gros morceau en lâchant un petit cri de contentement. Il était délicieux, ou en tous cas il le paraissait après autant de temps sans manger ou à ronger des pains sans goût. Au moins, la texture était différente, et en fermant les yeux, je pouvais facilement me rappeler la myriade de saveurs que je pouvais sentir de l'autre côté.

"Et toi alors, qu'est-ce que tu deviens depuis le cyclope ?"

Il était hors de question que je dise à voix haute que c'est en partie à cause de ce combat que j'étais ici aujourd'hui. Je serai sûrement morte seule contre ce dernier boss, et je comptais bien que ça ne se reproduise plus. La prochaine fois, c'est moi qui lui sauverai les miches!

Récap':

« Jaloux ? Moi ? Avec ce corps de rêve et mon merveilleux cerveau ? »

Je récupérai quelques mèches de mes cheveux ébouriffés avant de les envoyer en arrière d’un geste sec et arrogant délibérément exagéré.  Mon sourire espiègle et mon ton inhabituellement péteux ne laissaient aucun doute sur le manque de sérieux de mes répliques.

« Et puis, n’oubliez pas que mes mains de fillettes vous permettent de ne pas finir à poil, Madame ! »

Même si pour le moment, tu ne lui as fabriqué que des gants.

Equipement qu’elle portait toujours d’ailleurs. Cette vision, de mes créations portées par des joueurs, me faisait toujours ressentir une pointe de fierté et d’insolence. C’était grâce à moi qu’ils pouvaient se défendre chaque jour, grâce à mes talents qu’ils ne se faisaient pas défoncer par les monstres des étages. Ils me devaient tous tellement… Mais j’étais gentil, je me montrais clément : je ne leur demandais que de m’aider à sortir d’ici le plus vite possible.

Je laissai en suspens sa question sur mon ennui. Elle ne pouvait être plus proche de la vérité : c'était bien dans le but qu’elle me divertît que j’étais venu la nourrir. Je la regardai manger son mochi avec un air joyeux et sincère. Elle avait l’air véritablement heureux. Quelle chance elle avait de pouvoir se satisfaire d’un simple gâteau !

Etrangement, le fait qu’elle l’avalât rapidement me rappela la fois où je m’avais failli m’étouffer avec un bout de viande trop gras et trop gros pour ma gorge. Il s’y était coincé et j’avais dû le récupérer à la main en suffoquant, le bruit de mes haut-le-cœur couverts par le rire de mes camarades. Ce jour-là, personne ne s’était avancé d’un millimètre pour m’aider, et j’avais bien cru que j’allais y rester.

Malgré moi, je rougis de honte autant que de désir. Je n’avais pas voulu mourir d’une façon aussi stupide, néanmoins cela avait provoqué en moi une certaine jouissance. La douleur causée par la recherche d’air, mes ongles déchirant mes muqueuses en manquant le morceau de viande glissant, mon corps qui se contractait pour me faire vomir…

« On se le partage comme t'as dit ? Ça fait des siècles que j'en ai pas mangé un! »
« Haha, oui, bien sûr ! D'ailleurs, faudrait que je t'envoie régulièrement des trucs du genre. Ca doit être dur de pas pouvoir aller dans la boulangerie ou au restau du coin pour te péter le bide. »

Je fis tournoyer habilement mon katar avant de découper le gâteau crémeux. Tout en écoutant la jeune fille, je le divisai aisément en huit parts peu égales. Même dans la réalité, je n’aurais pas eu à forcer, ni réussi à en faire quelque chose de parfaitement symétrique. Mon interlocutrice répondit à ma dernière question avant de se fourrer à nouveau un gros morceau de gâteau dans la gorge. Son action me ramena encore dans le passé.

Après l’événement, j’avais réessayé de m’étouffer avec d’autres aliments. Je les mettais tous dans ma bouche avant de les avaler sans les mâcher mais… L’expérience n’avait pas du tout été concluante. Soit cela avait été la faute de mon cerveau qui, malgré ma volonté, s’était préparé et défendu immédiatement par réflexe. Soit je n’avais pas avalé les bonnes choses. Dans tous les cas, après plusieurs essais, je m’étais résigné, me disant qu’il m’était impossible de me sentir vivre par ce procédé sans être pris dedans par surprise.

Elle rouvrit les yeux comme la bouche et je me retrouvai à nouveau dans ma prison pixellisée, à devoir réagir à ses dires.  

« Hmm, qu’est-ce que je deviens… ? Déjà, le nouvel ami d’un autre PK. Il s’appelle Night, ça t’dit quelque chose ? Il a l’allure d’un assassin « super dark ». Tellement qu’j’ai pas pu voir sa tête, il a toujours une capuche. Aaah, j’aime tellement pas les gens à capuche ! J’me d’mande toujours comment ils font pour y voir quelque chose. Qui sait, peut-être qu’avec ta vitesse et un haut niveau d’Art Martial, tu pourras frapper assez vite l’air pour créer un gros courant d’air et la leur enlever… Ou des Kame Hame Ha invisibles et tout ! Haha, j’déconne, c’est pas probable, mais pour revenir à c'que tu dis, j’te comprends, ça a l’air super stylé d’allier le combat à mains nues à l'utilisation de ta faux. Après tout, le problème de ton arme est son besoin d’espace. Ça doit être galère dans les tunnels étroits, et l'Art Martial peut y pallier. »

Je me rappelai alors que j’avais moi aussi un gâteau à manger, mais lançai tout de même ma récente idée avant d’en savourer la crème.

« Ça t’dit, on s’fait un duel amical quand t’auras ta compétence ? »

Je ne doutais pas qu’avec sa vitesse, son agilité et son côté très bourrin, ce combat serait très intéressant.

Je termine d'avaler ma part avant de répondre, légèrement amusée.

"Nan, connais pas ce coco-là. Mais un type aussi dark est soit un type qui n'a pas quitté l'adolescence, soit un vrai danger... Et t'as pu me ramener à bouffer alors je penche plus pour la première option!"

Je reprends une part, en remerciant encore une fois le génie qui a créé ce monde pour me permettre de m'empiffrer sans conséquence fâcheuse. J'acquiesce farouchement lorsqu'Ari évoque les inconvénients de mon arme imposante, des étoiles dans les yeux tant je suis heureuse d'être comprise. Ou en tout cas d'en avoir l'air.

"Mais carrément! Comme en plus, la compétence est rare, c'est parfait pour prendre l'ennemi par surprise!"

J'écarquille un peu les yeux à sa proposition suivante. Il était déjà rare d'interagir avec des gens aux cristaux comme le mien, mais leur proposer un duel... C'est la première fois qu'on m'en propose un, et je laisse paraître mon excitation et ma joie comme une enfant.

"Avec plaisir! Tu seras le premier informé dès que j'aurai éclaté ce rocher, compte sur moi! Et viens pas te plaindre après ta fessée, hein!"

Le sourire sur mes lèvres flotte encore un moment à cette perspective nouvelle et motivante. J'ai appris ici que j'adorais me battre, surtout dans ce monde où l'inégalité n'est pas injuste. Quelqu'un qui monte son niveau et cherche de l'équipement rare sera fort, les autres non. Pas de biais basé sur la naissance, le sexe, la taille, l'argent...

Le regard un peu perdu dans le vague, je termine mon repas composé essentiellement de sucre et remercie une dernière fois Ari qui plie bagage, prétextant une affaire à régler. Je range soigneusement les denrées qu'il m'a laissé avant de le saluer et de reprendre mon exercice. J'ai un caillou à achever, et un duel a remporté après tout!

Je me place devant mon adversaire à nouveau, les poings fermés à hauteur de hanche tout en me concentrant sur ma respiration. Je ralentis mon souffle exprès, le rendant plus lent et plus profond, tandis que mes yeux fixent la fissure bien apparente en face de moi. Décidant du point d'impact, je verrouille mentalement mes jambes dans le sol et balance mon bassin pour donner de l'élan au premier coup.

"YAH!"

Mon poing frappe la roche dans un bruit sourd plutôt impressionnant, et je recommence en envoyant un crochet du gauche cette fois.

"HAH!"

Comme si mon moteur venait de redémarrer, mon rythme s'accélère jusqu'à atteindre un rythme de croisière satisfaisant, ponctué par mes cris emplis d'entrain et de hargne. Il me reste moins de trois jours, surtout si je veux m'entraîner avant d'aller relever le défi du couturier. Pas de temps à perdre!

Récap':

L'entaille précédemment formée sembla à peine se creuser davantage ; seules les rainures çà et là se précisèrent.

"Quelle quête à la con, c'est pas vrai !"

J'assène un coup de poing rageur sur la fissure identique à ce matin avant de m'écrouler à genoux face à mon adversaire victorieux, le souffle court. J'ai eu beau le frapper comme un beau diable toute la journée après avoir fait le plein de sucres, ça n'a rien changé. Il faut peut-être que je mange mon poids en viande pour être à bloc et l'exploser d'une seule attaque, comme un certain pirate...

Je souris face à ma propre bêtise avant de mettre un petit coup de tête sur la pierre, vidée. Je ferme les yeux et tente de me concentrer sur la sensation de froid qui émane de la roche afin de me calmer un peu.

"Plus que deux jours..."

Il n'y avait aucune raison à cette limite de temps, hormis ma fierté. Je voulais terminer cette quête et apprendre cette compétence spéciale en une semaine maximum. Ce cyclope m'a montré mes limites actuelles, et je devais à tout prix les dépasser. Devenir plus forte...

Inspirant profondément, je serre la main droite et frappe le caillou avant de me redresser lentement. Je veux devenir plus forte que quiconque ici afin de garder ma place dans ce monde, quoiqu'il arrive. Et pour ça, je dois d'abord éclater ce maudit rocher.

"Pas le temps de se morfondre, pas vrai ?"

Aucune réponse ne se fit entendre dans la nuit noire, et je carre les épaules en étirant ma nuque. Il me restait à peine 48 heures désormais. Quitte à ne pas dormir, je jure de réussir mon défi. Il le faut.

Expulsant lentement l'air que je bloquai dans mes poumons, je me remets en position de frappe, les poings serrés au niveau des hanches et les jambes écartées à hauteur d'épaules. Une fois vide, je verrouille mes abdos avant de reprendre ma routine de ces derniers jours répétant inlassablement les mêmes gestes devenus plus précis qu'au début.

Je concentre mes attaques sur la fissure qui me nargue, profonde mais encore insuffisante. Je repense à ce boss, à Ari, à son familier, à ses joueurs verts qui se croient tout permis sous prétexte que mon cristal est différent... M'efforçant de focaliser toutes ces notions dans la faille devant moi, je fronce les sourcils en faisant tout mon possible pour les détruire de mes propres mains, littéralement, sans faire attention à l'heure. Le repos viendrait une fois ma quête accomplie.

Récap':

Un craquèlement d'abord léger, puis tonitruant rugit dans l'air tandis que la crevasse se creuse. Aussi impensable que ce soit, il semblerait que cette roche soit prête à se briser. Encore un effort !