Regardant en arrière, je laissai mes derniers soupçons s'évanouir au rythme de mes pas perturbant l'herbe fraîche du dix-huitième étage. Depuis son déclin progressif vers l'automne, le territoire pittoresque me paraissait un peu plus paisible chaque fois que j'y retournais. Désormais la verdure tendre de l'été avait fait place à un vermeil chaleureux et au plus près des murs extérieurs des bâtisses NPC, inchangées, on pouvait distinguer des tas de bûches grandissants pour se préparer à l'hiver.
En retrouvant cette plénitude mordorée, je fermai les yeux en inspirant la brise claire à grande goulée.

Le curseur qui me coiffait avait également fané; depuis quelques heures, les couleurs du crime que j'avais sciemment commis le marquaient comme si l'épée de Damoclès qui guettait mes actes et mes pensées avait fini par chuter de la voûte céleste jusqu'à mon avatar. Quoi de plus normal: c'était là la punition réservée aux hors-la-loi de Sword Art Online.
Je n'en éprouvais pas de regret, ni même de crainte; pourtant, un bref regard en direction du ciel me rappela que la liste de mes ennemis comptait désormais de nouveaux noms et que, paradoxalement, je les ignorais à l'exception d'un seul. Mais c'était la dernière chose possible après tout, qu'aurais-je pu faire d'autre? Si la voix de l'escrimeuse n'avait pu atteindre le coeur de son ami et si ses appels à l'aide n'avaient pu être entendus dans l'agonie...
C'était à l'épée de parler en son nom.

La jeune fille n'avait pas dit un mot depuis la sortie des quartiers généraux de Golden Hive, en parfait contraste avec la chaleur des environs, même quand je l'avais redéposée au sol et que ses pieds nus avaient retrouvé un contact longuement privé. Ayura, comme devenue le fantôme d'elle-même sans rapière pendue à sa ceinture, se contentait de suivre mes pas avec une distance prudente.
J'avais fini par m'agacer du contact visuel qu'elle cherchait à fuir. Une fois de nouveau face à elle, sa tête avait dévié une nouvelle fois.


Cette attitude, cette posture, cette crainte... Tout me criait une vérité qu'elle n'osait avouer. Ce n'était pas parce qu'elle aurait souhaité rester là-bas, non.
C'était parce qu'elle se blâmait d'avoir cru pouvoir arranger les choses à la manière douce, que j'avais fini d'enterrer après Rin à l'instant où j'avais dégainé Lady of the Night dans le crépuscule inquiétant de ses curseurs orange. Et parce qu'elle savait que c'était ainsi que j'allais réagir pour la sauver... Elle m'avait dissuadé à la manière forte.
Mes poings se serrèrent quand je plissai les sourcils, et j'expirai l'air précédemment avalé avec un plaisir non-dissimulé.


Une ombre s'apposa sur la plaine, amenant avec elle des sanglots jusqu'aux coins de ses yeux qu'elle refusait de laisser glisser quitte à déformer ses traits délicats pendant la lutte interne. Le reproche qui tomba sur elle enserra mon coeur avec force, car j'en étais le coupable.
Je fermai les yeux et fis un pas vers elle.
Elle ne recula pas.


Mais alors que ma voix résonna comme une fausse note dans le silence, je compris que j'avais tout imaginé. Mes bras se serrèrent autour de son corps frêle pour parfaire l'étreinte dont j'avais désespérément eu besoin.
Et là seulement, je me remis à respirer.

Ce contact... A chaque fois que j'avais serré la peluche en forme de chien contre moi, c'était sa chaleur que je me remémorais. Je ne rêvais pas, il était venu me chercher pour de vrai. Ses mains qui me serraient et l'air frais qui caressait mes bras en étaient des preuves plus qu'évidentes. Restant contre lui sans rien dire, je n'étais plus capable de déterminer le temps qui s'était écoulé depuis que nous avions quitté les locaux de Golden Hive. Inspirant profondément pour m'imprégner du parfum familier que je n'aurais pu oublier, je sentis mon esprit s'apaiser enfin. Quelques instants plus tard, il me déposa sur le sol et mes pieds trouvèrent l'herbe humide. Là encore, je ne pus m'empêcher de ressentir une forme de plénitude. J'avais toujours adoré marcher pieds nus, ressentir la nature sous mes pas. En avoir été privée si longtemps avait décuplé les sensations. Mais lorsque je relevais la tête vers lui pour la première fois, la vérité saisit mon coeur et manqua de le broyer. Tout était de ma faute. Kirito avait travaillé dur pour me protéger de ces PK qui avaient voulu m'emmener après la fête, il avait tout mis en œuvre pour que je reprenne confiance en moi, pour faire naître de nouveaux sourires sur mon visage. Moi, j'avais été égoïste et l'avais laissé prendre seul des risques inconsidérés. Je n'avais jamais eu l'occasion de le remercier en bonne et due forme d'ailleurs. A la place, je l'avais piégé pour m'enfuir. Vouloir régler cette histoire seule était de la folie, j'en étais consciente. Pourtant, ma main ne s'était pas stoppée lorsque j'avais empoisonné son repas. J'étais lâche.

Si je lui avais demandé de me laisser y aller, il l'aurait sûrement fait. Il a... Toujours eu confiance en moi.

En y pensant, mes mains se serrèrent ainsi que mes mâchoires tandis que je détournais les yeux une nouvelle fois. Comment pourrais-je le regarder en face après ce que j'avais fait? Je n'étais qu'une peureuse égoïste... Je l'avais trahis. Nous étions une équipe, nous comptions l'un sur l'autre mais j'avais posé tous mes problèmes sur ses épaules avant de lâcher prise. Et après ça, je l'avais quitté sans aucune délicatesse.

Il doit être en colère... Il... doit me détester.

Il aurait raison de m'en vouloir. Je l'avais laissé derrière sans crier gare. Observant son curseur orange, ma poitrine s'alourdit encore. Il n'avait pas seulement pris le risque de mourir en se jetant dans la gueule du loup comme il l'avait fait. Sa magnifique Lady of the Night avait tranché la chair d'un humain pour la première fois. Par ma faute, il avait mis un pied dans la criminalité et le système le lui faisait payer. Il y avait là un affreux pattern qui semblait me suivre. Lorsque je m'éloignais d'une personne que j'affectionnais vraiment... Non, pas lui. Je n'avais pas le droit de penser ne serait-ce qu'une seconde qu'ils étaient pareils. Rin était devenu un véritable hors la loi qui se jouait d'elle autant que de la morale. Kirito... Même coiffé d'un cristal d'automne continuait de respecter ses valeurs et de suivre sa justice.

Marchant derrière lui telle une ombre, je continuais de le fuir car je ne savais pas comment réagir autrement. Le manteau de culpabilité qui me couvrait des épaules jusqu'au pieds était si épais qu'il m'empêchait de faire le premier pas.



Sa voix raisonna dans mon esprit tandis que je sentais des larmes perler aux coin de mes yeux. Alors je baissais la tête et serrais les dents plus fort encore. Kirito m'avait percé à jour et sa voix ne cachait aucunement les reproches qu'il me faisait. Là, j'étais prête à tout encaisser. Il avait le droit de me crier dessus, il avait le droit de me hurler qu'il me détestait, que je n'étais plus rien à ses yeux et que notre collaboration s'arrêtait ici. Qu'il ne voulait plus me voir ou même entendre parler de moi. Après tout je n'avais été qu'un poids et ne lui avais apporté que des ennuis et du danger... Peut-être qu'il aurait mieux fait de me laisser là-bas... Peut-être qu'il aurait mieux fait de m'oublier...



Ses bras entouraient mon corps et me serraient comme si toute la force qu'il avait démontrée lors de mon sauvetage y était concentrée. Mes yeux s'écarquillèrent quand je réalisais que c'était la première fois qu'il m’étreignait et mes lèvres se décollèrent quand je compris qu'il ne me vouait aucune rancœur. Dans un geste peu contrôlé, mes bras passèrent autour de lui tandis que mes mains agrippèrent ses vêtements avec force. Il m'avait manqué... Terriblement manqué.



Les sanglots que je tentais de contenir jusqu'ici débordèrent. Posant mon front contre lui, je n'avais plus la force de lutter. Ainsi, de chaudes larmes roulèrent sur mes joues, imprégnant son manteau d'un peu d'humidité.



Comme si j'avais peur qu'il s'évanouisse comme un songe, je le serrais davantage tout en essayant de contrôler ma voix déformée par les émotions.



Les mots étaient douloureux, pourtant je lui devais des explications. Alors j'inspirais une nouvelle fois et fis un effort colossal pour lutter contre cette pression exercée sur ma poitrine.



Serrant les dents une dernière fois, j'enfouis mon visage contre lui.



Ne me le serais jamais pardonné.

Ma voix s'était éteinte alors que je pensais à cette éventualité qui me terrifiait depuis mon entrée dans l'horrible bâtiment qui m'avait abritée environ deux semaines.



J'avais cherché à le garder à l'écart pour le protéger mais malgré tous mes efforts et ceux de Rin pour que l'on perde ma trace, il m'avait retrouvée. A présent, nous étions réunis et j'espérais sincèrement que cette fois, plus rien ne nous éloigne l'un de l'autre. Soupirant une dernière fois, je desserrais mon emprise et redressais la tête pour chercher le contact de ses prunelles sombres. Son étreinte avait été bien plus parlante que lui. Dans tout ça, il s'était inquiété et sans aucune prétention je pouvais affirmer que je lui avais manqué, au moins un peu. Alors je voulais lui prouver que tout était fini, que je ne le fuirai plus.

Le petit corps frêle contre moi se mit à trembler. Rien à voir avec le froid ambiant, ou avec la peur de cette période à laquelle nous venions de mettre un terme. Submergé par ses propres émotions que je ne pouvais percer à jour et que je ne pourrais probablement jamais comprendre, il les laissait se déverser dans mes bras. Alors je posai ma joue contre sa tempe comme si mes doigts avaient accompagné les siens pour tourner la page.


Tout ce que je ne pouvais dévoiler resta en suspens dans notre proximité; tout ce que je ne pouvais dire transparaissait à travers ses larmes. Comme si Ayura, en se libérant de son propre fardeau, s'exprimait à ma place - ou bien en notre nom à tous les deux.


J'aurais été bien incapable de dire combien de temps elle était restée contre moi ainsi, à laisser parler la crainte de ne plus regagner les contrées étendues d'Aincrad, le remord de l'échec dans ses tentatives de fuir, la tristesse de ne pas avoir été comprise par celui qui aurait pourtant du être le plus apte à la comprendre. Mais chacun de ces mots parvenait à désamorcer mes propres angoisses.
Avait-elle cherché à quitter cet endroit?
Avait-elle voulu au contraire rester là-bas?
Avait-elle souhaité mettre un terme à notre quotidien?

Combien de fois avaient tourné ces questions dans ma tête jusqu'à éroder ma propre perception? Ce tumulte coupable l'avait momentanément emporté dans ma conscience, et ce jusqu'à imposer impitoyablement cette fausse vérité que j'avais fini par croire vraie.
Personne n'aurait pu me prouver le contraire, car les preuves manquaient - seule elle les détenait. Alors, buvant ses paroles comme un élixir mystique, je sentais mes propres épaules se soulever dans un élan de fierté. Il n'était plus question de ployer sous ce poids!


Je redressais la tête le premier, et même si ma gorge m'avait semblé brûler sous l'émotion à force de lutter contre la volonté du coeur, la sensation n'avait plus rien de désagréable. J'avais terriblement eu besoin de ce contact; maintenant qu'on me l'avait cédé, le caprice n'avait plus de raison d'être.
Je souris un instant en me redressant, et mon regard parcourut les fantômes humides sur ses joues comme si j'avais pu les estomper en le souhaitant ardemment. Mes mains se déposèrent sur ses épaules, et je me reculai doucement.


Je soupirais imperceptiblement, redoutant de libérer ces mots qui, pourtant, devaient l'atteindre.



La réponse m'éffrayait. Décider de regagner une routine paisible mettrait un terme à notre alliance - mais ce n'était pas ce que je redoutais. Me suivre sur les lignes offensives l'exposait au danger, et là encore, je ne craignais pas cette réponse.
A mes yeux, Ayura était la plus belle des épéistes. Sa voix la plus pure des bretteurs de ce monde.
Mais si j'avais eu tort... Comment pouvais-je encore espérer la regarder avec la même sincérité?


Si je voulais être sincère dans mes sentiments, je ne devais plus altérer la jeune fille et bercer mon esprit avec l'image que je m'étais faite d'elle.
Le moment était venu qu'elle me montre toute son authenticité dans un univers qui faisait tout pour ne plus être vu comme factice.

Combien de temps étions-nous restés l'un contre l'autre? Je l'ignorais, ce n'était pas important car j'aurais voulu que ce moment dure éternellement. L'aura de Kirito dégageait quelque chose de très chaleureux et de réconfortant que je ne trouvais que chez lui. Comme ce sentiment de profonde sérénité lorsque l'on regagne notre chez nous après une journée difficile. Souriant doucement, j'observais ses prunelles dans lesquelles se reflétaient le ciel nocturne. Il était définitivement fait pour porter une arme sombre au nom évoquant la voûte céleste. Comme un écho à cette pensée, sa déclaration solennelle me laissa sans voix un instant. Il était fait pour vivre dans un monde tel que celui-ci. Son arme reposant dans son dos lui donnait une prestance qu'il ne supposait probablement pas mais que j'avais décelée dès notre première rencontre. La détermination sans faille qu'il affichait à cet instant ne faisait que renforcer cette image d'épéiste, voire même de Chevalier. On pouvait bien parler de lui en ces thermes après ce qu'il avait fait pour me récupérer.



Les joues teintées de rose, je détournais les yeux puis la tête. Sa question m'avait déstabilisée, probablement parce que mon avis avait eu peu d'importance ces derniers jours. Qui étais-je au juste? Amaya Jameson était une jeune fille de bonne famille qui vivait dans une prison dorée. Elle se devait d'être belle quand on le lui demandait, d'être intelligente sans trop le montrer, de savoir se tenir en présence de gens qu'elle haïssait. Amaya devait être superficielle parce que la norme l'exigeait, et l'argent aussi. Mais la Amaya Jameson officielle n'était pas moi. L'officieuse aimait jouer du piano, dessiner, lire, regarder des séries et des films... Elle se plaisait à voyager mentalement dans des mondes qui lui étaient inaccessibles mais ne s'était jamais révoltée de sa condition. Cette Amaya avait bien trop peur de la réaction de ses parents. Et si on lui enlevait les seules choses qu'elle affectionnait vraiment? Elle était trop jeune, trop inexpérimentée. Ce n'était plus moi. Ayura... était l'héroïne d'un livre que j'adorais. Elle était aussi celle que j'avais voulu devenir et n'avait rien à voir avec une jeune fille en robe de princesse que l'on devait arracher aux griffes du dragon.



Plus déterminée que jamais et la main sur le coeur, je redressais la tête pour planter mon regard dans le sien.



Notre quotidien, voilà tout ce dont je rêvais. Ces temps avec lui avaient été mes moments les plus heureux. Je voulais les retrouver, nous créer de nouveaux souvenirs... Ne plus jamais nous séparer, du moins si c'était également sa volonté.

Son regard franc et direct, son assurance que j'avais redoutée égarée en la retrouvant, et sa détermination qui l'avait toujours faite avancer pour grimper les étages d'Aincrad.
Quand elle prononçait ces mots, mes pensées se réchauffèrent jusqu'à brûler les ultimes appréhensions; quand bien même mon esprit fatigué par les recherches désespérées de ces derniers jours aurait souhaité me faire croire que je les avais restitués exactement comme j'aurais voulu les entendre, les signes de son courage inaltérable après cette sombre histoire s'accumulaient alors que sa voix libérait sa volonté secrète.
A vrai dire, des signes plus nombreux que je n'aurais pu l'espérer ou que j'aurais pu inventer.


La réalité, si elle avait été autre, n'en aurait été que plus douloureuse; pour autant, je m'étais engagé à respecter sa décision. Je tournai la tête en direction du bout du sentier familier que nous avions commencé à emprunter. J'avais eu l'intention de la reconduire ici: qu'elle doutât de qui elle était ou ce à quoi elle appartenait, qu'elle se préférait citoyenne ou marchande que bretteuse, mon logement permanent comme de fortune resterait son foyer tant qu'elle le souhaiterait.

Mais sans doute était-ce parce que je lui vouais toute ma confiance, j'avais ardemment attendu le retour de l'escrimeuse qui s'était battue à mes côtés, et je n'avais pu accepter de considérer cette époque comme révolue à tout jamais; alors peu m'importait le temps qu'aurait duré cette attente avant de la retrouver, la rapière à la main...


Quand je revenais à elle, j'expirais mon soulagement et mes lèvres étirèrent un sourire. Je n'étais pas en droit de lui exprimer toute ma joie et lui témoigner combien je souhaitais voir les choses reprendre leur cours - pas après ce que lui avait coûté ce choix, qu'elle avait gardé intègre même quand on l'empêchait de dégainer.
Fustigeant brièvement mon esprit d'avoir égoïstement préféré cet épilogue, je considérais un instant la silhouette qui me faisait face. Vêtue d'une robe légère et pastelle comme je ne l'avais jamais vue en porter, diamétralement opposée aux équipements pratiques que nous adoptions tous quand on se battait, ses longs cheveux clairs encadrant un visage poupin et ses yeux azurés n'aidaient en rien l'apparence princière ou féérique qu'on avait tenté de lui donner pour masquer ce qu'on détestait tant d'elle. L'effort s'était avéré vain et rien de sa force d'esprit n'avait été entaché - bien au contraire. En fait, elle me semblait même plus combattive et plus droite dans ses valeurs que jamais.
Etait-ce parce que mon jugement avait évolué à son égard? Que j'en tirais une plus haute opinion d'elle encore?
Mon regard descendit un instant sur sa taille gracile et je relevais les yeux.


Mon bras balaya laconiquement l'air et l'hologramme bleuté de l'interface joueur précisa entre nous la lumière à mi-chemin entre le jour et la nuit. Je laissai mes doigts parcourir minutieusement les options, et une fois face à ce que je cherchai, ils hésitèrent un instant avant de cliquer.
J'écartais alors les phalanges et un fourreau d'une finesse remarquable apparut contre ma paume. Quand mes yeux se posèrent sur le fleuret, je sentis mes traits s'adoucir et je souris paisiblement à sa légitime propriétaire.

Bien que je n'avais eu le courage d'écouter ce message qu'une seule fois, sa voix chantante déchirant le silence et la solitude transperça ma mémoire d'une vive lumière chatoyante.
Alors même si je n'étais pas à ses côtés, ce jour-là...

Le sourire aux lèvres, je marchais à ses côtés sur un chemin que nous avions emprunté un certain nombre de fois et que je reconnaissais malgré la pénombre. Après avoir perdu l'assurance d'être en sécurité dans son appartement, nous avions dû le quitter et trouver un nouvel endroit où se reposer. C'était dans une jolie petite ferme que nous avions de nouveau trouvé la paix, bien que son occupation ne pouvait être définitive. Un peu plus loin, la lumière du perron laissait apparaître une partie du bâtiment, signe que nous étions presque arrivés à destination. Quand mon ami stoppa sa marche, j'en fis de même tout en me retournant pour lui faire face. A l'instar de mes propres sentiments, Kirito semblait plus détendu. Ses traits fins s'étaient adoucis tandis que ses lèvres étiraient un fin sourire. Sa voix en revanche semblait légèrement troublée lorsqu'il m'avoua avoir quelque chose pour moi.


Curieuse, je basculais la tête sur le côté tout en observant sa main afficher son interface. J'adorais les surprises, ce n'était pas nouveau et il le savait. En revanche, je m'y attendais d'autant moins que venir me chercher en était une déjà bien assez conséquente! J'allais le lui faire remarquer quand je vis un fourreau extrêmement fin apparaître dans sa main. Le cuir rouge de la fusée ainsi que les détails de la garde ne me trompaient pas. Le métal reflétant le clair de lune, il me fallut quelques secondes avant de comprendre que ce n'était ni un rêve ni un mirage.


Mes mains vinrent couvrir ma bouche entrouverte tandis que mes yeux s'embuèrent de larmes. Cette arme, on me l'avait arrachée avec force. J'avais hurlé, m'étais débattue, peut-être même supplié pour qu'on ne me l'enlève pas mais rien n'avait fonctionné. Et alors que j'étais déjà dévastée par sa perte, j'avais appris que le chef des Golden Hive ne s'était pas contenté de la receler. Ma précieuse rapière, cet item unique qu'il m'avait offert avait été vendu. Après ça, je n'avais plus aucune chance de la revoir... Je l'avais adorée sans jamais avoir pu la dégainer. Et comme par miracle, elle reparaissait. Sans ravaler mes émotions, j'enlaçais le cou de mon ami dans une étreinte appuyée.


Après quelques instants je me détachai de lui et récupérai le fourreau que je couvais du regard avant de le serrer entre mes bras. Puis, je relevai la tête et offris à Kirito le plus sincère des sourires. Décidément, il n'avait de cesse de me surprendre. Tout le monde comptait sur lui car il était un joueur fort, de nombreuses responsabilités alourdissait ses épaules d'adolescent... Pourtant... Malgré ce poids, il se surpassait encore. Bravant tous les dangers, il était venu me chercher là où personne n'aurait pu entrer, démontrant une force incroyable que personne ne pouvait égaler. Et maintenant, comme par magie, il me rendait... Mon âme. Tout en fixant ses prunelles sombres, je me fis le serment de le ramener dans le monde réel. Il devait vivre, retrouver les siens qui devaient profondément tenir à lui. Et en attendant, je veillerai sur lui quoi qu'il m'en coûte.

Il y avait autant d'émotions que de questions qui se bousculaient en moi. Comment avait-il retrouvé ma trace, comment avait-il pu berner tout le monde et pénétrer dans ce bâtiment trop bien gardé, combien de niveaux avait-il pris en mon absence et bien sûr... Serrant mes doigts sur l'objet qui ne me quitterait plus, je redressais la tête vers lui.

Nos regards se croisèrent mais il ne répondit pas à la question et c'était mieux ainsi. On m'avait volé cette rapière, on l'avait mise en vente dans des conditions dont j'ignorais tout. Considérant un instant son cristal orangé, je ne pus m'empêcher de penser qu'il avait été prêt à tout pour me retrouver, me sortir de cette nouvelle cage... De fait, il avait dû se salir les mains... Mais à quel point? Retrouver une arme vendue par des criminels, retrouver la trace d'une jeune fille disparue, parvenir à pénétrer dans l'antre d'une organisation douteuse aux membres aussi dangereux qu'effrayants... A ces pensées, je serrais doucement l'arme contre moi avant de lui offrir un doux sourire.


Reposer.

La lueur chaude au dessus de sa tête manqua de me brûler les yeux, si bien que je ne pus terminer ma phrase. L'espace d'un instant, j'avais oublié ce que cette couleur signifiait, et les conséquences qu'elle pouvait avoir. Pourtant, lors de notre première rencontre, c'était moi qui avait cette place. Alors, avant qu'il n'ait le temps de me dire quoi que ce soit, j'agitais mes mains devant son air embarrassé.


Je lui souris gentiment sans pour autant détacher mon regard de son visage. Mon coeur battait fort et mes joues s'empourprèrent légèrement quand je me rendis compte que là, tout de suite, j'étais la plus heureuse du monde. Kirito, malgré tout ce que j'avais pu faire, ne m'avait pas abandonnée et à présent nous étions réunis pour ne plus jamais nous quitter, je m'en fis le serment solennel.


Sur ces mots, je m'éloignais de lui pour me diriger vers l'auberge dans laquelle nous avions passé plusieurs semaines après avoir perdu son appartement. Comme pour me rassurer, je scrutais l'horizon pour vérifier qu'il était encore là avant de pénétrer dans le bâtiment pittoresque. A l'accueil, une petite dame coiffée d'un chignon bas me sourit joyeusement tout en me souhaitant la bienvenue. Cette dernière ne me demanda rien, comme si ma venue soudaine ne la surprenait pas. Avant de partir, Kirito avait dû me donner les droits d'accès à cette chambre et je le remerciais mentalement d'avoir pensé à ce détail.

Arrivée dans le petit studio que je connaissais bien, je pus constater que tout était exactement comme avant. Comme si le temps s'était arrêté à cet endroit, comme si rien ne s'était produit. Un pot de fleurs décorait la table, la lumière tamisée des bougies donnait une ambiance chaleureuse à la pièce, ce qui contrastait drastiquement avec la chambre dans laquelle j'avais été captive. Prenant une inspiration, j'ouvris l'armoire et récupérais les équipements que je m'empressais d'enfiler à la place de ma robe de princesse et, comme une touche finale, comme la cerise sur le gâteau, le bolduc sur le cadeau, j'équipais ma rapière. Sur mon flanc gauche, je sentis immédiatement don poids bien que léger et à cet instant seulement, je me sentis enfin moi-même.


Cette phrase, je la prononçais pour moi-même comme pour finir de me donner du courage. Enfin, je pris le temps de m'installer sur le lit pour vérifier ce qu'il me restait de stuff et faire le point sur mes données personnelles. Des choses qui étaient banales mais que je n'avais plus faites car, à l'instar de cet appartement, mes stats comme mes compétences avaient été figées dans le temps, à l'exception de [Cuisine], que j'avais eu la chance de pouvoir monter un peu.

Prenant conscience que tout était réellement fini, je soufflais de soulagement. Cette expérience m'avait appris plusieurs choses. La première était que ce monde que je trouvais magnifique avait pu faire perdre la notion de réalité à des gens pourtant très sensés. Un trauma qui ne pouvait être soigné qu'une fois de retour de l'autre côté, par un soutien psychologique solide. Rin en faisait partie. Je ne pouvais probablement plus rien faire pour lui outre l'envoyer en prison pour protéger la communauté, mais aussi pour le protéger de lui-même. Mon ami était une menace pour tout le monde et mon objectif à présent serait de le neutraliser lui et ses complices pour assurer la sécurité des habitants de l'Aincrad. J'avais également pris conscience que seule, je n'arriverais à rien. Pour protéger Kirito de mes erreurs et de mes ennuis, je l'avais volontairement mis à l'écart et même piégé pour être sûre qu'il ne me suivrait pas. Et au final, pour me récupérer, il avait encouru un danger plus grand encore. Enfin, j'avais décidé que je ne laisserais plus personne, dans aucun des mondes, jouer avec ma liberté. Grâce à Kirito, j'avais pu m'affirmer, être qui je voulais être et avoir la chance d'être acceptée en tant que 'moi' et non en tant qu'image recherchée de 'moi'. Je n'étais plus une gosse de riche ou une petite chose à protéger, j'étais une combattante qui avait soif d'aventures, d'entraînements et qui n'avait de cesse de vouloir progresser.

Ainsi, la dernière chose que j'avais réalisé était que cet épéiste que j'avais bien trop vite jugé à notre première rencontre était la personne qui me comprenait le mieux tout mondes confondus. Il n'avait pas cherché à me façonner, il n'avait pas cherché à m'influencer... Il n'avait fait que m'enseigner ce que j'ignorais, prendre le temps de découvrir qui j'étais, m'accepter dans sa vie sans jamais m'abandonner. Des actes qui avaient laissé une trace indélébile dans mon âme et qui avait ouvert une place de choix dans mon coeur. Kirito était de fait devenu LA personne que je souhaitais protéger et si on me demandait ce que je souhaitais faire maintenant, je répondrais sans hésiter que je le suivrais, peu importe sa destination car ma place était à ses côtés. Ce soir, ma lame était devenue sienne.


Le ramener dans le monde réel sain et sauf.

Forte de ces engagements, je sortis de notre chez nous temporaire pour le rejoindre, le sourire aux lèvres et la main gauche posée sur la fusée de ma douce rapière.