J’étais revenue ici sur un coup de tête. J’aurais dû me faire le boss de l'étage le jour d’avant après tout ! Mais bon, travailler le jour de son anniversaire, c’était pourri, il fallait en profiter. La bonne blague. J’avais encore chialé. Depuis ma deuxième année de lycée, je ne faisais que pleurer le jour de mon anniversaire. Il se passait toujours quelque chose qui n’allait pas... Même si je me levais du bon pied en me disant que ça irait cette fois-ci. En y repensant, ça faisait maintenant quatre ans que mes parents le loupaient. Ils partaient en voyage à la place et revenaient avec des cadeaux pourri neutre comme une tasse, un bol ou encore un porte-clés. Mon père kiffait les porte-clés. Comme les gels douche. A chaque fois qu’il partait dans un autre pays, il en ramenait plein. Je me demandais s'ils étaient encore au Japon en ce moment... Ça à part, pour cette année, il y avait quand même eu les autres hier donc je l’avais pas passé totalement seule. En fait, plus je réfléchissais à ma situation, plus je me rendais compte que c’était la solitude qui était en train de me bouffer. Depuis cet événement, elle me bouffait ma raison.

Bref. Je retrouvai donc mon étage préféré, avec ses ruelles improvisées dans les arbres que je connaissais par cœur. Ce huitième palier était vraiment le meilleur… Je retournai à l’auberge qui m’avait accueillie en sautillant et en chantant dans ma barbe. Depuis que j’avais passé ces jours seule dans ma maison, je faisais des choses bizarres sans m’en rendre compte. Enfin, est-ce que ça l’était vraiment ? Chanter dans la rue sans se soucier des autres, c’était étrange ? Sautiller et zigzaguer en battant des bras comme si on était en train de voler pour se déplacer, c’était curieux ? Se parler pour se clasher seule au milieu d’un groupe, c’était inhabituel ? Je ne savais plus.

Alors que j’étais en train de regarder le sol en faisant des grands pas, les bras tendus derrière le dos, je trouvai des chaussures à l’arrêt. D'un coup, j'écrasai le talon qu’une d’elles protégeait sans y réfléchir plus longtemps. C’était un de mes coups bas et énervants favoris quand j’étais enfant. Quand une personne marchait lentement devant moi, je sautais soudainement sur une de ses chaussures comme ça, en levant sa jambe pour marcher, elle perdait sa chaussure de façon partielle ou complète et je lui râpais la cheville. Parfois, elle pouvait même manquer de tomber. Malheureusement, ce ne fut pas le cas ici. Sans pouvoir voir quel fut le résultat quant à la chaussure, je louchai sur les cheveux violets de la jeune fille et pus rapidement contempler son regard doré. Elle s’était vite retournée !

« T’es lente, je te mets un coup de boule pour te dynamiser ? »

Et je le lui mis. ... Pourquoi j'ai fait ça en fait...?

« De la place, de la PLACE ?! Tu appelles ça de la place ?! Mais avec ton gros boule, meuf, je pourrais remplir mon grand frigo ! T’imagines un peu, deux fesses, cinquante items ! Hou. Pardon. C’était trop gratuit là. »

Je savais pas ce que j’avais. J’étais tout d’un coup pleine d’énergie et d’excitation. J’avais envie de danser avec elle, de parler avec elle – et même avec les inconnus d’à côté – pendant des heures et des heures. J’avais envie de devenir l’amie de tout le monde et de bouger, bouger, et de bouger encore. Sans vraiment m’être contrôlée, je m’étais emparée de ses mains et, les serrant, je lui fis un immense sourire.

« Moi, j’adore les trucs gratuits ! Malheureusement, y en a pas beaucoup dans le Nouveau Monde. Quoique, dans l’Ancien non plus en fait… C’est sans doute parce qu’avant mes parents m’achetaient tout. Qu’est-ce que tu en penses ? »

Je lui laissai même pas le temps de parler.

« Oui, bien sûr, on a le même point de vue, c’est cool haha ! Nan, j’déconne, j’aime pas les gens qui sont d’accord avec moi, j’ai l’impression que ça fait pas du tout évoluer la situation. Et toi, tu en penses quoi ? T’aimes quoi dans la vie ? Oh, attends ! »

Spontanément, j’ouvris mon menu et changeai la couleur de mes yeux, les faisant passer du noir profond au rouge écarlate. Je m’en étais pas rendue compte d’ailleurs, mais à la base, je voulais appuyer sur la couleur bleue. Dans la précipitation, mon index était tombé sur cette couleur que je haïssais de toute mon âme, couleur de la passion pour les uns, couleur de la mort pour les autres. Ayant fermé mon menu avec la même hâte et n’ayant pas trouvé un miroir dans les alentours (ce qui était normal puisqu’on était dehors, sur un bon en bois !), je ne pouvais vérifier le résultat. Sans crier gare, je pris mes lunettes d’une main et les lançai de toutes mes forces sur le sol, les laissant s’éclater en mille morceaux. Leur sort m’était déjà sorti de la tête ; après tout, ça coûtait que dalle des lunettes, ici. J’approchais déjà mon visage très près de celui de la demoiselle en la tenant par les épaules, lui adressant toujours un immense sourire.

« Alors, alors, t’en penses quoi ?! Ça me va bien ? C’est la première fois que je change une couleur de mon avatar, je suis toute excitée ! »

Alors, je la lâchai, sautillai et mis quelques coups de poings dans les airs en sautant, pour démontrer ma joie soudaine.