- Aidez moi ! Je me suis fait mordre par un serpent !

Ah : voilà l'event que j'attendais ! Oui, c'est assez bête dit comme ça, je me doute. Hum, et vous, vous risquez de vous demander pourquoi j’attends avec autant d'impatience qu'un mec court comme un gland en gueulant qu'il va mourir devant moi, alors que je bois mon café ? Et bien, comme pour beaucoup de choses dans un jeu quand il est question de quête : pour la récompense. Sans récompense, personne ne ferais les quêtes. Qui a envie de tuer 10 des mouflons bruns tachetés qui mangent les patates du vieux Gilbert ? Personne, sauf si le vieux raque la monnaie, et un bout de stuff au passage c'est pas de refus, merci bien. En plus, je crois que je commence à envier les PNJs de ce jeu, eux ils peuvent ressusciter. Alors oui, je me permet un petit sourire goguenard en entendant le ton affolé programmé pour cette ligne de dialogue.

Je m'assure rapidement de prendre la quête, puis je vérifie que c'est bien la bonne. Le but est en soit assez simple : récupérer une dose de venin de serpent pour permettre à un alchimiste d'en faire un antidote. Une fois cela fait, donner l'antidote au PNJ et recevoir son du. Seulement, il y a deux obstacles : le premier, les serpent de roche sont des mobs rares et assez puissants pour l'étage. En soit je ne risquais pas grand-chose grâce à mon niveau, mais devoir fouiller sur le long terme risquait d'être assez peu sympathique pour mes PVs. En plus, non seulement le mob était rare, mais son loot aussi. Autant le dire, du coup : c'était une quête qui était dangereuse non pas par sa difficulté, mais par les obstacles, principalement en terme de packs de mobs intermédiaires et de temps à investir, qu'elle représentait.

J'avais passé la plupart de mon temps de jeu en solo, mais j'avais particulièrement pus apprécier la présence d'un mineur, un bonhomme avec une tête de "vieux" IRL. Ce que j'attendais de la quête était une arme, mais le serpent de roche vivait sans doute près de certains gisements qui pourraient l'intéresser, qui sait ? Après avoir vérifiées mes maigres possessions, c'est donc avec un légère pointe d'anxiété que je m'apprêtais à lui envoyer un message pour lui demander de l'aide. A bien y repenser, je n'avais rien fait de plus que répondre à sa demande de farm, j'espérais qu'il ne me snob pas ...

Le PNJ lui continuait de chouiner sans interruption, et d'autres joueurs prenaient la quête, et commençaient à partir alors que j'attendais de plus en plus fébrilement une réponse de Sneaker. Je sentais Tsukimi s'effacer au profit de John, le gamin effrayé par tout, et je grimaçai. Si Sneaker m'ignorait encore pendant 5 minutes de plus, je tenterais de m'incruster dans un groupe ou, au pire, de tenter l'aventure seul. La zone allait de toute façon se faire un minimum nettoyer, donc ce serait moins risqué. En théorie tout du moins.

Le temps s'écoulait, et je devenais de plus en plus nerveux, me mettant presque doucement à paniquer. Je vis un dernier groupe de trois joueurs partir en direction de la porte de la ville. C'était sans doute ma dernière chance de ne pas faire la quête seul ! Je jetai un énième coup d’œil à ma messagerie, sur le point de partir, inquiet de la réaction de l'homme si jamais je partais avec d'autres personnes après avoir solliciter son aide (ça ne se fait pas, quand même ...) ... quand enfin je reçu une réponse ...

Étage 10 - ville, 05h57

Je revenais de mon footing matinal dans la ville où j'avais dormi cette nuit à l'étage 10 et rentrait vers l'auberge pour prendre un copieux petit déjeuner. Je retournais dans ma chambre d'auberge un moment, en me demandant ce que je pourrais bien faire de ma journée, mais je me sentais las de bouger et l'attrait de mon lit semblait si fort que je décidais que, pour une fois, je pouvais prendre un jour de congé. Je haussais les épaules et me jetais à plat ventre sur le lit avec la ferme intention de me recoucher et fermais les yeux un long moment. Cela me sembla être une éternité, j'avais fermé les yeux pour me transporter dans un monde de songe et de rêve, là où les monstres n'étaient que d'énormes boule de paille façon Western sur lesquelles je pouvais souffler avec un éventail géant. J'étais le maître du jeu, la terreur des boule de paille, le roi de T.O... Tumbleweed Online !!! Je m'éveillais ce qui semblait être des heures plus tard et ouvrait mon inventaire pour regarder l'heure. 6h03.

- "Raaah mais je m'ennuie !!"

Je grognais et me levais du lit pour me mettre à tourner en rond dans ma chambre tel un lion en cage. Pourquoi ne pouvais-je pas faire la grasse matinée comme les centaines d'autres joueurs présents dans cet univers ? J'avais gardé ma routine malgré moi et me couchais tôt, me levais tôt, allais courir, prenais un petit déjeuner et partait ensuite miner ou m'entraîner à la faux. Il n'y avait que quelques journées un peu plus particulières où j'avais rencontré d'autres joueurs ou fait quelque chose de particulier. Le reste du temps, j'avais remplacé mon "métro-boulot-dodo" par du "minage-entraînement-dodo", le plus simplement du monde, comme si les deux vies se valait l'une l'autre.

Je soupirais et sortait de ma chambre et de l'auberge pour aller faire un tour et reçu une notification de message après plusieurs heures de marches. Je m'apprêtais à le lire quand je me rendis compte que je mourrais de faim et qu'il était presque l'heure de manger, je laissais donc ce message de côté en me disant que ce n'était probablement pas très important. Parce que je ne connaissais personne qui soit capable de se mettre dans une situation dangereuse et j'allais prendre mon repas, tentant de me persuader de cet état de fait. Cependant, je n'arrivais pas à me sortir de la tête que, peut-être, c'était un appel à l'aide et je ne pris qu'un sandwich et un verre d'eau, payais ma consommation et, tout en mangeant sur le pouce, je lu enfin le message que j'avais reçu. J'étais assez étonné de recevoir des nouvelles de Tsukimi que j'avais rencontré quelques jours auparavant et dont j'avais su apprécier la compagnie.

Je grognais en voyant qu'il avait attendu bien plus longtemps que je ne le pensais et je fonçais vers la sortie de la ville, espérant que je n'allais pas le rater. Je lui envoyais rapidement ma réponse afin qu'il ne parte pas seul et m'élançait à travers les ruelles de la ville aussi agilement que possible.

"Be there in 5"

Il n'avait rien besoin de plus que cela, j'arrivais enfin vers la sortie et reconnut les cheveux à la couleur peu commune et offrait un sourire à Tsukimi. Je m'excusais pour mon retard et bredouillait une excuse rapide pour expliquer que je n'arrive que maintenant avant d'équiper ma faux pour me préparer à sortir, même si je n'avais pris le temps de vraiment voir ce qu'il me proposait. J'attendais qu'il m'explique tout plus en détail et prit un instant pour souffler correctement et calmer mon excitation à l'idée de passer une journée en compagnie de quelqu'un d'autre que ma solitude habituelle.

Cinq minutes. Ce n'était pas long à attendre, cinq minutes, je n'en mourrais pas, et heureusement encore. Il devait simplement être en train de faire autre chose je pense, mais au moins me voilà délivré de mon immobilisation, et surtout de mon cas de conscience Johnien. Tsukimi lui aurait simplement été voir un des petits groupes de tout à l'heure, et tant pis pour Sneaker. Mais pour le coup, il était bon de ne pas trop me noyer dans mon personnage ... Tsukimi avait peut-être un peu de succès, mais je ne voulais pas me perdre en route non plus ...

- Merci d'être venu, je m'inquiétais ...

Et c'était vrai. Certes je m'étais surtout inquiété de ce que j'allais faire, mais pas seulement. Je m'en rendais mieux compte maintenant, mais j'étais soulagé. Soulagé de voir qu'il était ... et bien, en vie. Oui, normalement mon invitation ne serait simplement pas partie s'il avait été tué, mais c'était un homme sympathique que j'avais rencontré l'avant-veille, et ...

Et la mort avait une place bien trop grande dans ce monde. Sans la force de mon personnage pour me soutenir, je ne sais même pas si je serais encore sain d'esprit à l'heure qu'il est. Énormément de personnes s'étaient carrément suicidées depuis l'annonce de Kayaba, et j'aurais peut-être été de celles-là si j'avais laissée la pression psychologique l'emportée. Ou alors je serais caché au fond d'une maison, bien à l'abri, à chercher des moyens de survivre sans me mettre en danger. Mais ici, je n'étais pas John, mais Tsukimi. Et bien que mon terrible accent anglais trahisse mes origines, je réussissais à suffisamment m'immerger dans mon personnage pour tenir le coup. Mais si en plus je commence à m'inquiéter pour les autres, je ne sais pas si la façade de Tsukimi tiendra longtemps ...

- Alors du coup ... j'ai pris cette quête, il y a une arme à la clé, et potentiellement très intéressante si on a un peu de chance. Mais comme les serpents sont rares et le drop aussi, ça risque de prendre du temps et ... enfin tu sais.

Je montrais la définition de la quête par MP pour qu'il puisse y jeter un œil. Par mon "tu sais", j'entendais surtout qu'il avait vu à quel point j'étais fragile lors de notre rencontre. En soit courir derrière un serpent n'est pas gênant, mais vu la rareté de la bête, je risquais d'avoir bien d'autres combats à mener avant de faire tomber le venin. Or, vu les beignes que je prenais, c'était on ne peut plus difficile pour moi de tenir le rythme sur le long terme sans risquer gros, même en comptant ma compétence de méditation.

Ce ne serait sans doute pas beaucoup plus dangereux, pour le coup, que la journée que Sneaker et moi avions déjà passée ensemble il y a peu, mais avoir un coéquipier pour les missions de longue haleine était presque une condition sine qua non pour m'assurer de rester en vie. Un accident est très vite arrivé, trop vite. Si on avait effectivement enregistrés beaucoup de suicides, les monstres et les PKs avaient eux aussi fait des ravages. Et si je ne craignais les premiers qu'en groupe, à cet étage, les second étaient une menace bien plus effrayante, même si je n'en avais encore jamais croisés.

Tout en parlant, je jouais un peu nerveusement du pouce sur le pommeau de mon arme sans m'en rendre compte. Je refermais le poing avant de le cacher dans mon dos lorsque je m'en rendis compte. C'était ici un reste de ma vrai personnalité, un tic nerveux que j'avais pris dans les premières semaines de jeu, et qui trahissait le fait que Tsukimi n'était qu'un masque. Par voie de conséquence, c'était donc un tic dont je voulais me débarrasser, mais ce genre de choses ont la vie dure. J'attendais donc la réponse de cet homme que j'avais trouvé sympathique, espérant pour le coup qu'il accepte de m'accompagner. Sinon, j'aurais l'air un peu con ...

Je venais de rejoindre Tsukimi et j'étais plutôt content de savoir qu'il semblait bien se porter. Je le saluais rapidement et il me remercia d'être venu avant de me parler un peu de la raison de son message privé. Je l'écoutais attentivement, en profitant pour souffler. Je jetais un coup d'oeil à la quête qu'il me montrait, le temps de récupérer un peu en vitesse et hochait lentement la tête à mesure que j'enregistrais les informations. Sans plus attendre, j'ouvrais mon inventaire et envoyait une demande de groupe au jeune homme avec un sourire.

- "Je t'avoue qu'en disant que j'arrivais dans 5 minutes, c'était pour accepter la quête quelle qu'elle soit. C'est toujours mieux de ne pas se balader tout seul et là, avec le côté compliqué et long de la quête, tu as bien fait de m'appeler, j'étais pas loin, à l'auberge."

J'indique la direction d'où je viens du pouce et souris au joueur. J'attends qu'il m'envoie le partage de quête avant que nous puissions nous mettre en route ensemble et je profite de ce temps pour équiper ma faux qui aura bientôt besoin d'un petit coup de neuf. Je vérifie rapidement la quête une nouvelle fois et hausse un sourcil en constatant qu'un peu plus loin, le PNJ regarde Tsukimi avec reconnaissance. Probablement celui qui lui impose cette quête d'ailleurs, même s'il ne semble pas aussi mal en point que le laisse supposer le descriptif de quête.

Je soupire et lève les yeux au ciel en marmonnant que le créateur aurait au moins pu coder des expressions différentes pour un pauvre PNJ en train de mourir. Je soupirais et me demandais s'ils pouvaient mourir et comment ça se passait pour eux par la suite, mais je ne voulais pas y réfléchir trop longtemps. La mort ici était très différente de ce que je pensais au début. Je jetais un oeil à Tsukimi et lui tapa amicalement le dos :

- "T'es prêt ? Je suis impatient de me lancer pas toi ?"

Je me dirigeais vers la limite de la ville, juste à côté de la jungle que je scrutais d'un air suspicieux. Je me demandais ce qui pourrait bien nous attendre une fois que la zone de sécurité ne serait plus autour de nous mais bien derrière... J'attendais Tsukimi pile à la limite, ne sachant pas s'il avait une stratégie spéciale à adopter et une forme d'inquiétude me noua le ventre. Il avait subit de sérieux dommage à l'étage 6 et ici, j'avais entendu dire que nous allions avoir affaire à des araignées paralysantes. Je me tournais vers mon camarade, le regard grave.

- "Si je sens le moindre danger pour ta vie ou la mienne, je n'hésiterais pas une seconde à appeler du renfort. Et j'espère que ça te convient, parce que ce n'est pas une proposition."

Renji: