Inspirant profondément, je fixai la lumière devant moi. Il ne me resta que quelques marches à gravir pour déboucher hors de l'escalier reliant les étages quatorze et quinze. J'étais déjà venue ici, sur cette marche, il y a maintenant un peu plus de deux semaines. Mais en tentant d'apercevoir ce qui se trouvait de l'autre côté, j'avais pu voir une rue animée, à mon grand désespoir. J'avais donc décidé de faire demi-tour, retournant dans les paliers inférieurs pour m'entraîner un peu et surtout me reposer après mon combat contre le Grizzly.

Mais ce jour était le bon. J'avais attendu le début du coucher du soleil afin d'avoir un très léger avantage pour mon évasion à venir. Bloquant l'air virtuel dans mes petits poumons, je sortis en trombe de l'escalier et me stoppai au bout de quelques pas, forcée de fermer brièvement les yeux à cause de la différence de luminosité. Lorsque je parvins à rouvrir les paupières, la main en protection, je regardai rapidement autour de moi comme une bête traquée. Je me trouvai au milieu d'une rue large d'au moins trois mètres, très animée. La façade en face de moi ressemblait davantage à une caserne qu'à une maison, mais je n'eus pas le temps de m'attarder sur l'architecture environnante. J'entendis déjà des cris provenant de ma droite, apparemment la direction du centre-ville. Ces imbéciles de gardes étaient donc encore présents ici !

Activant ma compétence de [Sprint], je détalai comme un lapin sur la gauche, me faufilant grâce à ma petite corpulence parmi la foule de badauds, composé pour moitié de joueurs et de l'autre d'habitants. Les exclamations, d'abord curieuses ou en colère, se transformèrent vite en surprise et en peur, comme d'habitude. Même à cet étage, les lourdauds à mes trousses n'avaient pour eux que cette fichue invincibilité. Si seulement j'avais un moyen de m'en débarrasser, je leur montrerai de quel bois je me chauffe ! Malheureusement, je ne pouvais rien faire d'autre que m'enfuir de cet enfer inhospitalier qu'ils appelaient ville pour le moment.

Franchissant la grande porte taillée dans l'énorme muraille qui ceignait la cité, je dérapai sur le sol avant de me retourner, un regard mêlant colère et moquerie tourné vers mes poursuivants.

"Bah alors, on peut pas sortir sans l'autorisation de maman ? Bande d'idiots !"

Je leur tirai la langue tandis qu'ils retournaient à leur patrouille limitée avant de faire demi-tour d'un air courroucé, mais je stoppai mon mouvement à mi-chemin, le visage sur le côté. Un homme à l'air déprimé attendait là, sur le côté, scrutant le chemin qui longeait la défense en pierre de cette prison. Ne voyant aucun curseur, je me détendis un peu et m'approchai de lui afin d'entamer la discussion avec quelqu'un d'un minimum civilisé.

"Bonjour monsieur, est-ce que tout va bien ? Je peux vous aider ?" demandai-je avec un sourire sincère.

Récap':

L'homme à l'air déprimé vous regarde une fois que vous avez prononcé vos mots. On dirait qu'il vous juge et vous analyse. Au bout d'un court instant il commence à s'adresser à vous.

"Mmmh, votre regard... Oui... Vous pourriez peut être bien m'aider..."

Se tournant vers vous, l'homme mit un poing sur le torse avant de se présenter à vous.

"Voyageur, je me nomme Vitalis, et je suis une sentinelle. Mon devoir est de protéger la population avec mon regard, et pourtant j'échoue.
Le soir, aux remparts de la ville, on entend des murmures, certains disent que ces murmures viennent d'un géant.
Ce géant enlève de braves gens qui travaillent d'arrache pied pour faire fonctionner cette ville. Par ses murmures ou un autre subterfuge inconnu, il charme ces honnêtes citoyens et les attire je ne sais où... Malheureusement, mon regard n'arrive pas à les protéger. Je n'ai jamais réussi à voir où ils allaient, vers où ces pauvres gens disparaissaient.
Mais vous, vous avez l'air d'avoir la paire d'yeux qui pourrait m'aider. Si vous pouvez me retrouver ce soir, ici, au coucher du soleil, nous pourrons traquer ces gens, ou du moins suivre leurs pistes pour déceler le mystère de toute ces disparitions."

Il marque une pause avant de regarder à nouveau la route.
"Je vous attendrai."

Je ne savais plus depuis quand j’attendais près de la porte de sortie en regardant au loin.

Depuis qu’elle avait découvert le quinzième étage, ma princesse capricieuse voulait sans cesse y aller.

Elle avait sa technique pour me le signaler. Sans crier gare, elle se mettait par terre, les quatre pattes en l’air, louchait et sortait légèrement sa langue de travers. La première fois que je lui avais fait visiter l’étage, elle avait pris la même posture. Mon visage avait alors exprimé surprise, intérêt et dégoût : j’avais passé une nuit avec Boobies, mais jamais elle n’avait pris cette posture pour me signaler son plaisir.

Mon caméléon appréciait ce palier parce qu’il était aussi ensoleillé que le premier étage. Mais, contrairement à ce dernier, il n’y avait pas grand-monde. Elle qui détestait le bruit, les gens, et appréciait la lumière, elle trouvait son compte ici. Elle s’amusait à chasser les bêtes inoffensives des lieux, se gavait d’insectes en tout genre, et profitait du soleil pendant des heures. Elle ne se relevait que lorsque sa couleur prenait une teinte cramoisie.

D’ailleurs, encore une heure et elle devrait être satisfaite.

Alors que j’allais me redresser pour m’étirer et bâiller, un curseur orange passa à toute vitesse à ma gauche, suivi de près par les gardes de la ville. A mon grand déplaisir, aucun combat ne s’engagea : la jeune fille avait réussi à sortir de la Safe Zone.

Je me tournai vers mon familier et chuchotai.

« Viens, on va voir qui c’est. »

A contre-cœur, le caméléon s’installa sur mon pied droit et enroula sa queue autour de mon mollet.

Ainsi dans la Safe Zone, j’étais protégé des attaques éventuelles de la tueuse de joueur(s). J’allais imprimer son visage, mémoriser le pseudo qu’elle allait gentiment me donner et la ficher aux petites annonces. La société me remercierait pour ma bonne action.

… Cela dit, c’était la première fois que je rencontrais un PK.

Je me demandais bien pour quelle raison cette fille avait tué ou agressé plusieurs joueurs. Avait-elle eu à faire à des violeurs ou des voleurs desquels elle s’était défendue ? S’était-elle battue contre un joueur pour s’amuser avant l’annonce de Kayaba, gardant à vie cette couleur orange par manque de bol ? Ou alors, pensait-elle que ce jeu n’était… Qu’un jeu, et que tuer les autres les ramènerait dans le monde réel ?

Alors que le PNJ donneur de quête de l’étage s’approchait d’elle, elle lui fit un visage assez… Spécial ? Était-ce un sourire, un rictus ? L’expression d’une émotion qui lui était propre ?




Par mesure de précaution, je restai hors du champ de vision de la joueuse. Malheureusement, je n’avais pas assez augmenté ma compétence Analyse. Le niveau qu’elle m’avait révélé n’était sans aucun doute pas le bon. Cependant, il restait bas. Pourrait-elle vaincre le boss seule ?

J’attendis que sa discussion prenne fin pour l’aborder avec un immense sourire et une main en l’air.

« Salut ! Ari, couturier, enchanté ! Dis-moi, tu comptes faire cette quête toute seule ? »

Les mains dans les poches, je gardai mon visage chaleureux.

« Je vois souvent le PNJ traîner dans le coin mais il ne s’arrête pas pour moi. Askip, il faut une compétence spéciale que j’ai pas. Mais j’aimerais beaucoup faire cette quête. Est-ce qu’il serait possible que je t’accompagne ? »

Je ne savais pas comment elle allait réagir. Mais j’allais feindre une méconnaissance de l’existence des PK pour l’instant.

Aide à la modération :

Zad' :

Écoutant attentivement l'histoire du veilleur, j'essayai de retenir toutes les informations utiles. Des gens disparaissaient, envoûtées par le boss de l'étage apparemment. Mais cette fois, ce ne serait pas un simple affrontement, il fallait d'abord retrouver les personnes disparues avant d'éliminer la bête.

"Vous pouvez compter sur moi ! Je retrouverai ces personnes et ferai payer ses crimes à ce monstre !"  dis-je à voix haute avant d'accepter la quête. Enlever des gens et les priver de leur liberté, quel méfait odieux !

Le popup de quête disparut en même temps qu'une voix résonna depuis l'entrée de la ville. Je dégainai aussitôt par réflexe, les jambes fléchies, avant de regarder mon opposant avec circonspection sans le moindre sourire. Le garçon qui m'avait interpellé était un adolescent à lunettes avec une dégaine d'ikemen tout droit sorti d'un magasine pour jeunes écervelées.

Il se présenta d'un bloc, me donnant son nom et sa classe gratuitement. Soit il était stupide, soit il était très calculateur. Ayant encore des restes de politesse de mon ancienne vie, j'étais obligée de lui répondre maintenant.

"Zad'." soufflai-je en un mot sur un ton neutre. J'avais vite appris que donner mon pseudo complet comportait un risque non-négligeable, j'évitai donc de le révéler depuis. Mon regard passa brièvement sur les mains qu'il gardait dans les poches. Allait-il m'attaquer sans prévenir ? Peut-être cachait-il une arme empoisonnée ou un autre subterfuge... Ce ne serait pas la première fois après tout.

Il semblait intéressé par la quête que je venais de prendre, mais était-ce sincère ? Cela faisait une éternité que je n'avais pas fait partie d'un groupe à cause de ce maudit cristal orange. L'avait-il seulement vu ? Était-ce un piège pour m'avoir par surprise une fois arrivés au boss ? Mais en le regardant de plus près, il ne semblait pas bien fort. Il ne fallait pas se fier aux apparences ici, j'en étais la preuve vivante, mais j'étais à peu près sûre de pouvoir me défendre s'il se montrait agressif.

"Ah ? Je ne sais pas, je viens juste de la prendre. Je n'ai rien contre le fait que tu viennes, mais c'est la quête pour éliminer le boss de ce palier apparemment. Tu es sûr d'avoir le niveau ?"

Je rengainai ma faux d'une main, surveillant de près ses moindres faits et gestes. Il ne semblait pas avoir vu mon marqueur au-dessus de ma tête, mais ce n'était probablement qu'une question de temps. Je devais rester prête à réagir lorsqu'il s'en apercevrait, si ce n'était pas déjà le cas.

Récap':

Ari:

J’avais pris un air faussement surpris lorsqu’elle s’était mise en position d’attaque. Bien sûr qu’elle serait sur ses gardes ! Après sa première réponse, j’avais ri joyeusement.

« Désolé de t’avoir fait peur, Zad’. »

Pseudo ? Pseudo incomplet ? Ou nom qui n’a rien à voir ? Hmm… En tout cas, belle faux. Cette arme me faisait toujours penser à Boobies.

Je chassai immédiatement l’envie d’envoyer un message à la magnifique femme aux yeux argentés. Je devais me concentrer sur ma cible du moment : la vision du monde de cette fille.

Je commençai par détailler son visage. Comme le mien, il avait miraculeusement esquivé l’acné et ses méfaits esthétiques. Ah, quelle chance ! A part ça, elle avait modifié la couleur de ses yeux, très expressifs. Tellement expressifs qu'à ce moment-là, elle devait se dire que j’étais stupide.  

A ces pensées, j’étirai mon sourire candide : il fallait qu’elle continue sur cette voie.

« Ah, c’est bien ce que je pensais !!! »

Je m’approchai doucement de la demoiselle, en faisant des levés de genoux pour ne pas faire chuter mon familier invisible. Je lui parlai, à cet instant, à elle autant qu'à la joueuse, regardant alternativement mon pied et le regard bleu-violet de la jeune PK.

« On va pouvoir gagner plein d’items ! Coooool !!! »

Je levai soudainement les bras en l’air et les fis onduler, comme les tentacules d’un poulpe, pour signaler mon enthousiasme. Je les baissai tout aussi rapidement, regardant sur le côté d’un air fallacieusement gêné.

« …Désolé, je fais les quêtes de boss dans l’ordre et ça fait mille ans que je cherche à activer celle-ci. Donc ça me fait super plaisir d’être tombé sur toi par hasard ! C’est une chance !! »

En disant cela, j’espérais me créer un point commun avec elle.

Qu’elle soit curseur orange depuis longtemps ou pas, elle devait quand même se farcir les boss pour changer d’étage. Or, quitter fréquemment son palier lui assurait une sécurité contre les joueurs méfiants qui voulaient la mettre en prison, voire pire. Enfin, comme elle me l’avait implicitement signalé, elle savait qu’ils étaient difficiles à battre.

Je pouvais donc être une aide pour elle.

Mon comportement étrange la ferait se souvenir de moi. Elle avait mon pseudo, elle pourrait m’envoyer un message si elle avait besoin de main. Et moi, je pourrais la dénoncer et l'envoyer en prison à n’importe quel moment. Dans le cas où elle se révélait cruelle seulement.

« Je suis au niveau 30 et j’ai un bon équipement donc ça devrait pas poser de problème si tu es avec moi… Quoique… Il me reste plus beaucoup de potions, je devrais peut-être aller en acheter… Hum… Et toi ? »

Je la reluquai de haut en bas avant de lui sourire à nouveau de toutes mes dents.

« T’as pas remplacé tous tes équipements de base à c’que j’vois. »

En tant que couturier aidant les lâches et les orphelins, j'avais déjà vu ces vêtements féminins de départ de nombreuses fois. Je regardai en haut pour connaître l’heure.

« On a large le temps avant que la nuit ne tombe. Le soleil se couche vers 21h ici. »

J’étais bien placé pour le savoir à cause de mon amoureuse de la lumière.

« Pour te remercier de m’accepter pour cette quête réservée aux VIP, j’peux te confectionner un équipement avant qu’elle commence ! Enfin, si t’as des stats à augmenter et selon les trucs que j’ai à disposition. »

Je fouillai mon menu et lui avouai que je n’avais que des ingrédients d’amélioration de force et de précision. Je m’assis sur une marche en restant à la limite de la Safe Zone et en gardant un petit sourire de simplet.

« Ça me débarrassera, si t’en as besoin. »

Je décidai d’attendre sa réaction et ses réponses.

Je lui demanderais plus tard, innocemment, pourquoi son curseur avait cette teinte. Me dirait-elle la vérité ?

Dans tous les cas, je me ferais une idée de sa personnalité avant de lui fabriquer la moindre chose. J’espérais qu’elle pense que j'étais balèze... et surtout qu'elle soit en-dessous du niveau 30.

Si elle était au-dessus, elle pourrait me buter facilement.

Aide à la modération :

Tout semblait factice chez lui décidément : son rire, sa façon de tout surjouer... Le moins que l'on puisse dire, c'est que cet Ari était particulier. Il sembla m'étudier en détail, et cette sensation me mit quelque peu mal à l'aise. Un peu comme si j'étais une sorte de rat de laboratoire, prisonnière de sa cage.

Chassant ce frisson désagréable qui me parcouru la colonne, je levai un sourcil tout en le regardant avec un air légèrement... sceptique ? Sa démarche était aussi originale que lui, et il semblait parler à son propre pied. Il n'était donc ni stupide ni calculateur, juste fou...

"Y a pas de mal."

Ma voix était plus méfiante que je ne l'aurai souhaité, aussi m'empressai-je donc d'esquisser une ébauche de sourire qui retomba aussitôt. Lui, faire les boss de tous les paliers ? Pourquoi un joueur "normal" s'embêterait-il à gravir ces étages à pied quand il pouvait se téléporter n'importe où ? Est-ce qu'il était sur mes traces ?

Niveau 30 hein... Il était donc plus fort que moi, si tant est qu'il disait la vérité. Défiant son regard sans bouger tandis qu'il me regarda de la tête aux pieds, je mourrai d'envie de l'affronter. Je n'étais que 26 pour ma part, et affronter quelqu'un de plus fort était le moyen le plus rapide pour s'améliorer disait-on. Je serrai ma main droite pour contenir l'envie grandissante de reprendre ma faux, tandis que sa remarque toucha une corde sensible : mon équipement. Je ne pouvais m'équiper qu'avec les pièces que je trouvai dans mes combats, et forcément, la grosse majorité de mes pièces actuelles étaient totalement obsolètes. Contrairement aux siennes. Il pouvait donc être dangereux...

"Il me reste peu de potions également, mais je ne peux pas aller en acheter en ville... Tu aurais assez sur toi pour en prendre pour nous deux dans ce cas ?"

Bien que je répondis de façon un peu plus chaleureuse qu'au début, c'est-à-dire poliment plutôt que froidement, il était hors de question de lui révéler mon niveau ou mes compétences, en tout cas pas pour le moment. J'éludai donc la fin de sa question pour ouvrir mon interface lumineuse afin de l'inviter en groupe. S'il devait m'accompagner pour cette quête, autant faire les choses bien.

Une fois la demande validée, il me proposa de me fournir de l'équipement neuf grâce à sa compétence de Couture. Surprise, je répondis sans réfléchir.

"Je ne dis pas non ! Il me faudrait une paire de gants avec un bonus en Force dans ce cas, si c'est possible ? Quel est ton tarif ?"

Les mots avaient fusé hors de ma bouche avant même que je n'en ai conscience. Avoir un meilleur équipement était crucial pour améliorer mes performances au combat, et personne ne voudrait me vendre ou me fabriquer le moindre objet. Cette occasion était donc inespérée... Et il le savait probablement.

Frustrée de m'être ainsi laissée emporter, je pris le temps de détailler un peu plus mon premier interlocuteur non-autochtone depuis longtemps. Il était jeune, probablement pas majeur. Son visage était légèrement arrondi, et il était plutôt gringalet. Au final, seules ses lunettes se démarquaient et lui allait très bien. Je repris la parole, un sourire presque sarcastique sur les lèvres.

"Tu sembles bien méfiant pour quelqu'un d'aussi haut niveau. Pourtant, cet étage doit être assez simple pour toi, surtout si tu es bien équipé, non ?"

Le fait qu'il soit resté à un bond de la Safe Zone durant tout notre échange ne m'avait pas échappé, et j'avais décidé de le taquiner un peu sur ça. Mais s'il avait voulu m'enfermer ou me tuer, il ne m'aurait pas offert ses services d'artisan. Je détestai trop réfléchir, et décidai donc d'attendre de voir ce qu'il tenterait. J'avais confiance en ma vitesse et en ma force, à défaut de croire en d'autres gens.

Récap':

« Tu ne peux pas… ? ...Ah ! Ah, oui, t’inquiète, j’ai plein de sous. Tu me rembourseras quand tu pourras. Qu’est-ce que tu veux et en combien d’exemplaires ? »

J’avais encore joué au crétin avec un immense sourire niais. Cela eut l’effet escompté. N’ayant pas la possibilité d’entrer en ville, elle ne pouvait pas m’accompagner. Elle ne pouvait pas non plus savoir où j’allais.

La seule solution qui lui restait pour connaître ma position était la demande de groupe.

Elle n’avait sans doute pas dû en faire plein. Parce que sinon, elle aurait su que ce geste me permettrait de connaître son nom complet et le nombre total de ses points de vie.

Un coup d’œil à gauche me signala qu'elle n’en avait pas beaucoup, par rapport à moi. Pour compenser, elle devait avoir soit une bonne esquive, soit une bonne résistance. Ou alors, elle avait tout misé dans la force et la vitesse de frappe pour éliminer en quelques coups ses ennemis. Cependant, je trouvais cette stratégie suicidaire. Dans le cas où on la surprenait et qu’on l’empêchait de bouger, elle ne mettrait pas longtemps avant de mourir. Elle n’avait pas dû faire ça.

« Mon tarif ? Ton aide ! Après tout, je te le propose pour te remercier de me donner l’opportunité de faire cette quête. Tu les veux comment tes gants ? Je peux te faire des mitaines, des moufles, des gants longs, normaux… J’imagine que tu veux rester sur du blanc niveau couleur ? »

Elle sembla s’automutiler après m’avoir avoué son besoin. D’un côté, elle avait raison. Dans son cas, il ne fallait rien demander à personne sans être sûr de pouvoir faire confiance. Mais en même temps, je ne savais pas grand-chose avec ces informations. Je ne pouvais en déduire ni son niveau ni le nombre de points qu’elle avait mis dans ses statistiques.

« Je peux aller jusqu’à quel bonus en Force ? »

Elle n’avait pas le choix que de me dire un minimum la vérité. Si j’allais trop haut, elle ne pourrait pas porter son équipement.

Concernant sa dernière question, je m’y attendais. Je regardai sur le côté en faisant légèrement disparaître mon sourire avant de me gratter la tête.

« Disons que j’ai vu des gens disparaître pour des conneries. Les pièges du style guet-apens ou enfermement dans une salle empoisonnée, y en a plein dans ce jeu. En tant que combattante, j’imagine que tu as déjà dû en voir... Et que tu as déjà vu des gens mourir aussi. »

A ces mots, je lui lançai un coup d’œil rapide humidifié par des larmes de crocodile pour évaluer sa réaction avant de regarder à nouveau au loin.

« Cet étage est trop calme pour ne pas renfermer des trucs de ce genre dans la tanière du Boss. Alors je veux me préparer comme il faut, surtout si tu m’accompagnes. »

Je repris mon sourire débile à ce moment précis.

« T’imagines, je me prends un coup critique du boss pis je chiale et fuis pour sauver ma peau ? Mais j’perds toute ma fierté, toute ma dignité, tout mon ego si t’es là !! …Enfin, plus sérieusement, je pense aussi qu’on devra ramener des PNJ’s chez eux. Peut-être qu’ils seront mal en point et qu’il faudra leur filer des potions de soin. C’est un investissement, parce que c’est obligé qu’ils nous récompenseront ! Qu’est-ce t’en penses ? »

J’attendis patiemment ses réponses, prêt à noter toute information utile dans un petit coin de ma tête. J'allais voir si mon jeu d'acteur avait fait son effet.

Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il était serviable. Et probablement intéressé par quelque chose, mais quoi ? Cela restait à découvrir...

"Bien sûr, je te paie dès que tu reviens ! Il me faudrait 3 Potion de soin niveau 2 et 5 de niveau 1 s'il te plaît."

J'attendrai de voir combien il en demanderait, car je n'avais pas la moindre idée du prix réel d'une potion en ville. Même si je doutais fort que ce soit 330 cols l'unité... S'il pouvait remplacer mon contact inutile des premiers paliers, je pourrais plus facilement renouveler mon stock de consommables.

Ne pensant pas un instant dévoiler d'informations capitales à mon sujet, je répondis sans attendre afin de lui détailler ce que je voulais. C'était la première fois que je pouvais passer une commande auprès d'un joueur, et mon cœur était tout chamboulé ! Une pièce sur mesure, rien que pour moi ! Ne connaissant pas la norme pour l'équipement, je choisis la sécurité et collai à mes pièces les plus fortes.

"Mmh... Est-ce qu'un bonus de +10 est envisageable ? Quant au modèle, on peut vraiment choisir tout ça ? Euh... Des gants longs alors ? Si possible. Et la couleur, blanc serait parfait !"

Mes yeux brillaient d'excitation, c'était la première fois que je pouvais choisir ce que je voulais, j'avais l'impression d'être à Noël ! Dire que la fabrication d'objets m’intéressait depuis le début... Si seulement il existait des ateliers hors des villes, pour tout le monde.

Reprenant mon sérieux, j'écoutais sa réponse beaucoup moins fausse que les précédentes. Il semblait soudain très mature, et bien plus supportable comme cela. Pensant aux gens qui ne voulaient pas partir d'ici mais qui n'avais pas eu le choix, j’acquiesçai, un air triste sur le visage.

"Oui, c'est horrible... Je ne supporterai pas de mourir non plus, mais bon, ça fait partie du jeu ! C'est juste qu'ils n'étaient pas fait pour vivre ici, contrairement à nous !" dis-je en penchant légèrement la tête sur le côté et en souriant, la voix pleine d'encouragements.

Le jeune couturier à lunettes mentionna ensuite les éventuels pièges et autres horreurs que l'on pourrait rencontrer dans la tanière du boss. Maintenant qu'il le disait, il était vrai qu'il n'y avait aucun monstre dans les alentours, juste cette énorme prison aux faux airs de ville. Le challenge devait donc entièrement reposer sur le maître de cet étage, ce qui augmenta mon sourire d'impatience. Il serait sûrement un formidable adversaire !

Sa dernière boutade me fit rire, peut-être un peu trop brusquement. J'avais fait fi de tous mes filtres depuis que je m'étais réincarnée ici, et savoir comment j'étais perçue par les autres était le cadet de mes soucis.

"Ahahah ! Tu parles, si tu tentes de t'enfuir en me laissant seule face au boss, je te ramènerai moi-même au combat ! On est une équipe après tout, pas vrai ?"

Quoiqu'il en soit, il avait raison au moins sur un point : nous devions être prêts à toute éventualité. Et s'il pouvait assurer le ravitaillement, cela aller grandement nous aider.

"Mais tu as raison, on n'est jamais trop prudents ! Il me semble qu'il existe des potions anti altérations, il faudrait peut-être en prendre aussi ? Et c'est pas faux... Si jamais on doit les soigner sur place, il nous faudra un stock minimal de potions, même de niveau 1. Si on peut avoir une meilleure récompense, on ne va pas se priver !"

Tandis que je réfléchissais aux meilleures options, j'en arrivai à la conclusion que l'adolescent devant moi n'avait pas que l'extérieur de la tête qui était bien fait. Ce qu'elle contenait semblait d'autant plus intéressant, il semblait se soucier des habitants enlevés et ne s'était toujours pas montré hostile. Ouvrant mon inventaire, je lui envoyais une somme correcte pour les dépenses en potions et les gants à venir. S'il estimait que la quête était suffisante comme paiement, je continuais de penser que tout travail méritai salaire.



"Tiens, en guise de bonne foi. Va falloir qu'on se fasse confiance, au moins jusqu'à l'élimination de ce boss. Ravie de faire équipe avec toi, Ari."

Je tendis ma main gauche en signe de paix avec un sourire aux lèvres, la droite étant toujours serrée pour ne pas filer sur le manche de mon arme. S'il remplissait sa part du marché, alors je remplirai la mienne sans faillir. Tout le monde y gagnait.

Récap':

« Trois de deux, cinq de un : noté ! »

J’aurais même pu le prévoir, avec son nombre de points de vie. Mais ça devait la ravir de pouvoir faire une liste de courses.

Mon sourire se fit plus vrai lorsqu’elle exprima son enthousiasme vis-à-vis des gants. Dans sa condition, elle était obligée de se saper en fonction des drops des monstres. Cela expliquait son style vestimentaire proche de l’hideux. Enfin… Dormant à la belle étoile, elle ne devait pas se regarder souvent dans une glace. Je la pardonnai d’un hochement d’épaules.

« Je peux même faire de la broderie, même si ça me les brise souvent. En artisanat, tout est limité par ton imagination… Et par les ingrédients. D’ailleurs, pour le +10… »

Je fouillai une nouvelle fois mon inventaire.

« Même si ma compétence me permet de donner des bonus supérieurs à 30, il me manque des composants. Je ne peux que te faire des gants de Force +7. T’aurais un item pour l’augmenter sinon ? »

Ce problème d'ingrédient tombait à pic. Je n'avais pas besoin de mentir. Elle devait avoir au moins 20 points en attaque. C'était pas mal.

Par la suite, je réfléchis à sa réponse concernant les joueurs morts. Elle devait donc penser que mourir ici nous ferait retourner dans le monde réel. Elle avait peut-être raison d’un côté. Mais je ne voulais pas prendre de risques. Il me restait encore beaucoup de choses à découvrir, ici comme là-bas. Enfin, peut-être qu’un jour, mes stratégies pour ne pas céder face mes idées suicidaires ne seront plus efficaces…

Je jouai la surprise en ouvrant grands les yeux et la bouche avant que mes bas ne redeviennent des tentacules ondulantes. Pff... Si cette saloperie de caméléon invisible n'avait pas été sur mon pied, j'aurais pu me lever, lui prendre une main et sautiller. Ça m'aurait moins fait passer pour un débile.

« Ah, tu penses que quand on meurt, on retourne dans le monde réel ?! Moi aussi !! Y en a plein qui ont peur de mourir pour de vrai et qui veulent partir d’ici. Mes potes disparus en faisaient partie. Ils me manquent un peu… Mais bon, je suis sûr que l’intervention de Kayaba et l'absence du bouton de déconnexion font partie du jeu. J’avais entendu des rumeurs comme quoi le temps ici passe plus vite que dans le monde réel. Ce qu’on vit en ce moment doit être une sorte de test psychologique, je pense. Peut-être pour voir les différences de rôle donnés instinctivement entre les hommes et les femmes, les différentes personnalités ou autres. Peut-être même qu'on est dans un jeu télévisé au final ! Peut-être qu'il y a des faux joueurs parmi nous pour veiller à ce que tout se passe comme dans le script ? Aah, j'aimerais tellement savoir !! Tu en penses quoi toi ? »

J'avais bien envie de savoir comment elle expliquait ce coup de Kayaba.

« Ce qui est sûr, c’est qu’ici, on a de vrais challenges. Il y a plein de choses à découvrir, des règles, des surprises, de nouveaux paysages et des gens. Ça permet même de se faire un réseau d'amis pour le retour dans la vraie vie. »

Ma blague concernant ma possible lâcheté lui avait arraché un rire franc. Je n’étais pas habitué à ce comportement venant d’une Japonaise. Mes camarades de classe le faisaient généralement en mettant une main devant la bouche, et le niveau de décibels restait bas. Intéressant.

« Mais j'espère bien que, si je fais une connerie face au Boss, tu laves mon honneur en me ramenant à la réalité ! »

Peut-être saisira-t-elle le petit jeu de mots bien placé.

Je hochai la tête en la regardant sérieusement quand elle parla d’équipe : mon œil. Nous n’étions que dalle pour l’instant.

Alors qu’elle me tendait la main gauche, une fenêtre s’ouvrit. Soit elle était fauchée, soit elle était radine, soit elle venait de me donner la moitié de ce qu'elle avait. Les gens donnaient toujours la moitié de leur sous quand ils en devaient une bonne à quelqu'un. Je restai tout de même dans mon personnage serviable.

« Tu es sûre que… ? »

Je finis par sourire et accepter les cols donnés. Puis, je me relevai et m’avançai pour serrer sa main gauche.

« Tu étais scoute, c’est ça ? »

Soit elle l’était bel et bien, et connaissait la signification de cette poignée de main – et sa répétition du mot « confiance » me faisait pencher pour cela – soit elle se tenait prête à se servir de son arme. Autrement dit, soit j’avais bien joué… Soit elle savait que je savais… Mais comptait sur cette poignée de main pour me signaler qu’elle ne me tuerait pas tant que je lui serais utile.

… Ou alors, j’allais trop loin, et elle avait juste la flemme de ranger ou de mettre de côté son arme.

La pression qu’elle exercerait sur ma main ferait peut-être pencher la balance sur une des hypothèses.

Pour ma part, je décidai de la faire aussi douce que ferme.

Aide à la modération :

Je regardai le binoclard fouiller son inventaire, en attendant son verdict. Décidément, ma chance légendaire avait encore frappé : pour une fois qu'un artisan voulait bien me fabriquer quelque chose hormis un aller simple en prison, il manquait d'ingrédients.

"Désolée, j'ai pas beaucoup de chance dans les objets que je ramasse sur les monstres... Et rien qui peut servir de matériau. Mais +7 sera déjà très bien, merci beaucoup !"

C'était la première fois que quelqu'un me demandait mon avis sur ce monde et notre exil ici. Mais ma réponse ne sembla pas le déranger, il renchérit même par-dessus en disant qu'il pensait la même chose. Entre ça et le fait d'éliminer les boss de tous les étages, soit nous étions extrêmement similaires, soit il se payait ma tête... Mais il enchaîna sur des théories, toutes plus farfelues les unes que les autres, dont certaines me firent sourire. L'idée d'être observée depuis tout ce temps par des caméras me paraissait ridicule.

"Eh ben, tu as de la suite dans les idées ! Pour ma part, je pense simplement que nous sommes enfermés ici pour servir de cobayes. Une sorte de nouveau départ pour l'humanité ? Quoiqu'il en soit, je ne tiens absolument pas à retourner de l'autre côté. Ce monde est bien trop parfait pour le quitter... Comme tu viens de le dire, les règles ici sont absolues, le surplus n'existe pas et tout le monde a sa chance. N'importe qui peut aller s'entraîner, gagner sa vie simplement, et profiter du temps qu'on a ici. Il faudrait être fou pour vouloir laisser tout ça et retourner dans le quotidien morne qu'on avait de l'autre côté, non ?"

Nous discutions un moment comme ça, partageant nos avis sur le pourquoi de notre présence ici. Si pour moi, elle était totalement fortuite et salvatrice, lui semblait plus partagé, exprimant tout de même un désir de retourner de l'autre côté que je ne m'expliquai pas.

"Si jamais ton ancienne vie te manque trop, tu peux compter sur moi !" dis-je avec un sourire féroce. Il accepta les cols que je lui avais envoyé avec une expression indéchiffrable, et je me demandai si je m'étais faite arnaquer ou si au contraire, je venais de l'insulter. Mais après tout, il avait bien dit de lui-même qu'il ne voulait pas d'argent pour les gants, il n'avait donc pas de raisons de se plaindre, pensais-je.

En le voyant se lever avec difficulté, je me demandai s'il s'était blessé à la jambe ou s'il y avait une autre raison pour laquelle il se déplaçait aussi bizarrement. Préférant ne pas poser trop de questions personnelles pour le moment, je serrai sa main tendue plus fort que prévu, car je ne contrôlai jamais ma stat de Force d'habitude. Pas besoin contre des monstres.

Penchant la tête sur le côté d'un air interrogateur face à sa dernière question, je répondis négativement en ne comprenant pas ce qu'il voulait dire par là. Je n'avais jamais eu le loisir de faire quoi que ce soit à part étudier, ce n'était pas pour jouer à l'enfant parfait en plus sur mon temps libre.

Le laissant repartir vers la cité-prison pour s'occuper de nos préparatifs, je le laissai s'éloigner avant de reprendre ma faux à deux mains et de m'entraîner un peu. Dommage qu'il n'y ait pas de monstres à cet étage, j'allais devoir me contenter d'une simulation mentale.

Je projetai devant moi une demi-douzaine de Lycaons des plaines, des monstres assez faibles, mais toujours en meute. L'archétype le plus dangereux pour moi donc. Si je pouvais me débarrasser vite et bien d'une cible comme un ours, plusieurs ennemis voulait dire plusieurs attaques possibles et donc une perte de vie certaine.

Respirant profondément, j’exécutai chacune de mes attaques dans le vide, imaginant les loups combattre comme je les avais vu faire il y a de cela des semaines. Je commençai par un coup horizontal sur le plus proche à ma gauche, avant de partir à contre-pied pour trancher en deux celui de droite dans mon élan. Ma réception restait lente à mon goût, et je reçus une morsure imaginaire dans le dos avant de pouvoir me retourner.

"Tch, trop lent !"

Pestant contre moi-même, j'effectuai une rotation tout en reculant pour que ma lame transperce le flanc de mon attaquant doublement virtuel. Les trois survivants s'élancèrent en même temps vers moi, ne me laissant que quelques secondes de réflexion. J'avais déjà remarque qu'à la suite d'un Sword Skill, je me retrouvai paralysée pendant quelques précieuses secondes. Mais ça ne m'avait jamais dérangé, les voyant davantage comme des coups décisifs censés clore un combat de façon classe et impressionnante.

Mais ce Grizzly m'avait bien fait comprendre mon erreur, car après l'utilisation de Skull Breaker, cette paralysie momentanée m'avait parue plus longue. Il fallait que je vérifie ça tout de suite pour ne pas le regretter une deuxième fois.

Baissant ma faux sur le côté droit, la lame brilla immédiatement d'une lueur rouge. Je courus en avant tout en relâchant Smash, qui pulvérisa un Lycaon. A peine mon arme perdit sa teinte que je commençai à compter dans ma tête. A peine deux secondes s'écoulèrent, et je fis un bond arrière pour éviter les attaques des survivants. Respirant profondément, je levais mon arme au-dessus de ma tête pour lui donner une teinte pourpre cette fois.

Relâchant Skull Breaker sur le premier monstre me fonçant dessus, il disparut aussitôt, mais le dernier s'était glissé juste derrière lui. Ma lame perdait de son éclat, et j'imaginai la mâchoire se rapprocher de mon visage. En paniquant, je fis pivoter ma faux lame vers le haut pour la remonter de toute urgence, et une lumière jaune traça une ligne devant moi tandis que Golf Strike coupa en deux le dernier adversaire fictif.

Je comptai à nouveau, cette fois un peu plus longtemps qu'après Smash. Il semblait donc logique de croire que plus un skill était élevé, plus le temps de latence qui en découlait était long. Pourtant, je n'avais senti aucune gêne entre Skull Breaker et Golf Strike... Si je perdais la notion du temps à cause de l'adrénaline comme ça dans un simple entraînement mental, je risquai gros en combat réel. J'allais devoir m'entraîner davantage pour ne plus que ça se reproduise. Mais au moins, j'avais maintenant une idée claire du temps d'immobilisation suivant chacun de mes trois skills, pensai-je en rangeant mon arme pour me tourner vers la porte de la ville. Je croisai les bras en fixant l'entrée, attendant que mon nouveau partenaire revienne afin de commencer cette nouvelle chasse prometteuse.

Récap':

Ari:

Impecc’, elle n’avait pas la compétence Chance… Du moins, pour l’instant.

« Je récapitule : gants longs blancs Force +7, trois potions de soin de niveau 2, cinq de niveau 1. Des potions pour les futurs habitants secourus. Des potions anti-altération au cas où. »

Je la fixai avec un grand sourire.

« Les ressources à cet étage sont généralement plus chères mais je vais négocier les prix. »

Par la suite, je pus comprendre qu’elle mettait sa faux au service des joueurs qui voulaient rentrer dans le monde réel. Névrosée, pas psychotique. Elle avait une certaine logique.

Ainsi, même si sa poignée de main, gauche et forte, m’avait laissé quelque peu hésitant, je décidai de l’aider. Je n’avais pas l’impression qu’elle mentait… Et j’avais bien envie de connaître l’histoire, la vie, les stats et les compétences d’une joueuse livrée à elle-même.

Je retournai dans le centre-ville et me dirigeai immédiatement vers un alchimiste PNJ que je connaissais bien… Comme tous les autres marchands, en fait. A cause de ma princesse, j’avais dû trouver de quoi passer le temps.

« Bonjour Bob !! Comment tu vas aujourd’hui ? La forme ?! Alors, aujourd’hui, je te prendrai dix potions de soin de niveau 1, six potions de soin de niveau 2, et trois potions de soin de niveau 3. J’aimerais aussi quatre potions anti-fatigue de niveau 1 et quatre potions anti-étourdissement de niveau 1. On va aller sauver les habitants avec une connaissance. Nous avons accepté la quête de votre maire. Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour sauver tes amis. Du coup, si tu pouvais faire baisser un peu les prix pour nous aider en retour… ? »

Grâce à ma Négociation, il n’avait finalement pas trop le choix. Mais bon.

J’achetai ensuite du tissu et du fil blancs et doux à la couturière juste en face, en plus d’un fil fin et doré. J’utilisai le même procédé pour payer moins cher.

« Coucou Helena ! Et toi, comment tu te sens ? Comme tu l’as entendu, nous allons détruire le monstre qui hante le village avec une autre fille. Afin qu’elle soit plus efficace au combat, je vais lui confectionner un équipement de qualité, grâce à toi ! Indirectement, tu seras avec nous dans la tanière du Boss. »

Je m’en allai ensuite vers l’atelier de couture le plus proche. Je le connaissais moins que ceux du premier étage mais le matériel devait y être encore plus sophistiqué.

J’offris un bon au gérant qui me permit d’entrer sans payer. Je débutai immédiatement ma nouvelle œuvre.

Je démarrai par la conception du patron. Posant ma main sur une feuille, j’en fis le contour au crayon. D’un petit point, je marquai l’intersection entre chaque doigt après les avoir écartés. Je m’appliquai pour dessiner le poignet, puis tout l’avant-bras. Par un ingénieux jeu de pliage, je finis par faire le trou des pouces, et par finaliser mon modèle de gant en papier.

Je posai ensuite sur la table tous les ingrédients de couture dont j’avais besoin. Je désépaissis la crinière de lion à dent de sabre en la découpant en deux. Chaque bout, fin, léger et doux, serait destiné à l’intérieur de chaque gant.

Grâce au fil immaculé, je cousus ensemble un morceau de tissu blanc avec un morceau de crinière, en suivant mon patron. Le tissu blanc était assez opaque pour ne rien montrer de la couleur rousse de la crinière. Les gants seraient donc aussi esthétiques qu’agréables à porter pour Zadokieru.

Pour chacune des phalanges, je découpai, polis puis cousus un bout de chitine rouge et un minuscule bout de canine de troll. Avec ça, si elle avait la compétence Arts Martiaux, elle pourrait péter des gueules. La chitine et la canine étaient très dures et résistantes après tout. Heureusement que j’étais équipé pour les exploser en plusieurs fragments.

Je cousus tous les ingrédients bonus à l’intérieur des gants en m’assurant qu’ils ne seraient pas une gêne au port de ces derniers. Puis, je liai toutes les parties de l’équipement qui devaient l’être en suivant mon patron.

J’utilisai ma propre main pour contrôler les dimensions et les coutures. Je ne voulais pas qu’elles soient visibles. Le tissu blanc ne devait comprendre aucun défaut. Quant à la taille, la pièce d’équipement s’adapterait automatiquement aux proportions de sa future porteuse.

Enfin, comme à mon habitude, je m’obligeai à broder ma marque de fabrique discrète avec le fil doré : des lunettes entourées d’aiguilles. Etant stratégiquement brodées côté coude, elles seraient invisibles pour qui regarderait ces gants à l’arrache.

« C’est prêt. Allons donc nous mettre en danger, wouu !! Au cas où le Boss serait trop fort, sache que je te balancerais dans les airs. Tu feras diversion pour me sauver la vie. C'est pas une des meilleures façons de mourir pour un familier ?! »

Après avoir esquivé, avec beaucoup de mal, un nombre impressionnant de coups de langues paralysants, je retournai à la limite entre la ville et la Safe Zone. La demoiselle attendait là, les bras croisés.

« Et me revoilà ! Tiens, voilà déjà tes gants. Tu peux les essayer, me dire ce que tu en penses et leur donner un nom ? »

Je la laissai se familiariser avec son nouvel équipement avant de continuer la distribution des cadeaux.

« Avec en plus, sept potions de soin de niveau 1 dont deux destinées aux habitants, trois potions de soin de niveau 2, deux potions anti-fatigue de niveau 1 et deux potions anti-étourdissement de niveau 1. J’ai pensé que, si le Boss a pu s’emparer d’autant de gens, il n’a pu le faire qu’en les endormant ou en les étourdissant, qu’est-ce t’en penses ? »

Je préparais mon échange d’objets tout en parlant. Je me stoppai pour la regarder dans les yeux à la fin de ma question.

Puis, je levai mon regard au ciel.

« Il nous reste encore un petit peu de temps avant le coucher du soleil ! On pourrait même faire une petite sieste ! »

Enfin, avant d’envoyer tous les items, je tentai le tout pour le tout.

« En fait, je me demandais depuis tout à l’heure, pourquoi ton curseur est orange ? »

Muni de mon petit sourire innocent et de mon regard intrigué, j’avais hâte de voir sa réaction. Je me fichais un peu des cols et des équipements. C'était l'histoire et la personnalité de mes connaissances qui constituaient des récompenses.

Aide à la modération :

Zad' :

Je fus presque surprise de voir Ari revenir vers moi. Je pensai qu'il se barrerait avec mes cols en quittant le groupe, je n'aurai jamais pu remettre la main dessus, après tout. Enfin bon, il était là, et en plus, il tenait sa parole : la paire de gants blancs était sublime ! J'acceptai l'échange, sans prêter attention aux autres achats pour le moment. Trop pressée de tester mon nouvel équipement, je les mis aussitôt et bougeai mes doigts devant moi avec un grand sourire.

"Ils sont parfaits ! Quel travail... Tiens, c'est marrant ce logo, c'est le tien ?"

Je posai la question en examinant en détail le travail de qualité, apercevant par la même occasion la fine broderie dorée représentant une paire lunettes, l'accessoire phare de mon premier artisan. En voyant la fenêtre de nommage apparaître, je réfléchis un instant avant de taper "Gants de frappe" d'un air peu inspiré. Les morceaux de carapace rouge sur les phalanges me faisait penser à une sorte de gant qu'un voyou pourrait porter pour se battre à mains nues. Ça me donnait envie d'essayer ici, mais le souvenir de ma dernière tentative de lutte dans ce monde calma instantanément mes ardeurs.

"Merci beaucoup en tous cas, j'en ferai bon usage !"

Regardant le reste des objets envoyés par le couturier, mes yeux s'agrandirent un peu sous la surprise. Tout ça ? Effectivement, il avait été prévoyant... Peut-être un peu trop ? Mais en entendant son argument concernant les altérations que le boss pouvait infliger, je hochai la tête en me disant qu'il était vraiment loin d'être stupide.

"C'est bien pensé ! Effectivement, personne ne suivrait un monstre de son plein gré. J'espère simplement que ce n'est pas une altération contre laquelle on ne peut rien à notre niveau..."

Une fois ma part des objets rangés, je me demandai s'il avait aussi pris des potions pour lui. Je l'espérai, même si mon ignorance totale des prix du marché l'avait peut-être empêché d'acheter ce qu'il voulait.

Suivant son regard vers la voûte, je souris à la charmante proposition. Une sieste dans l'herbe dans un étage sans monstres, ce ne serait pas de refus ! Si je faisais abstraction des joueurs qui tenterait de m'avoir pendant mon sommeil, possiblement lui le premier, évidemment.

Bannissant l'idée d'un somme bucolique en compagnie d'un garçon dont je ne connaissais que le pseudo et son habileté à l'aiguille, j'inspirai lentement en m'asseyant par terre. Il avait posé la question fatidique, et y répondre prendrait un peu de temps. Du moins, s'il voulait m'écouter et pas s'enfuir ou m'attaquer comme les autres.

"Il est orange, car j'ai éliminé une joueuse, lors du premier jour. C'était une fille de ma classe qui voulait absolument rentrer chez elle suite à l'annonce de notre exil, je l'ai simplement aidé. Elle semblait tenir à sa vie d'avant, contrairement à moi. Depuis, il n'est jamais redevenu vert... De ce que j'ai entendu dire, le curseur peut temporairement changer de couleur en cas d'agression, mais si cela va jusqu'à la mort, alors c'est permanent. C'est pour ça que je ne peux pas entrer en ville, dès que j'y mets un orteil, j'ai toute la garde aux trousses ! Je pouvais m'amuser à les balader en courant dans les premiers paliers, mais maintenant, ils ont un niveau trop élevés pour ça."

Un sourire amer me barra le visage. Comme je donnerai cher pour pouvoir les remettre à leur place, ne serait-ce qu'une seule fois ! Ces crétins finis immortels... Reportant mon attention sur mon partenaire temporaire, je repris la parole pour en apprendre plus sur cet étrange personnage qui était encore là, arme rangée.

"Et toi, alors ? Tu fricotes souvent avec des gens louches pour leur demander de l'aide sans les connaître ? Tu dois pourtant avoir un bon réseau de clients avec une compétence pareille !"

Posant ma question d'un ton léger, j'admirai encore mes nouveaux gants tout neufs. Je les trouvai vraiment chouettes, et même si je prévoyais un partage à 50/50 du butin de boss, je comptai bien lui demander si une plus grosse part le rendrai enclin à poursuivre notre collaboration. Un tel oiseau rare, c'était précieux !

Récap':

« Oh, tu l’as remarqué ! En effet, c’est un truc que je m’oblige à faire depuis quelque temps. Je veux laisser ma trace dans ce monde. »

Et surtout, je veux que les gens ne viennent demander de l’aide qu’à moi.

Je la trouvais de plus en plus sympathique. Elle était franche, spontanée, très expressive, et son sourire était définitivement spécial. Elle avait dû souffrir de pas mal de quiproquos à cause de lui. Les gens faisaient davantage attention au langage corporel qu’à la parole après tout. Elle devait le savoir mais s’en fichait. Ce qui lui donnait un bonus en charme.

Je pris un air sérieux lorsqu’elle exprima son inquiétude vis-à-vis des altérations d’état. Je tentai de la rassurer.

« Au pire, j’ai une compétence spéciale que je peux t’enseigner avant qu’on y aille. Je t’en ai un peu parlé tout à l’heure. Ça s’appelle la fuite du gros lâche. »

Un rire plus tard, et je m’asseyais délicatement et en même temps qu’elle sur les marches de la Safe Zone pour écouter son histoire.

Ça se tenait. Zadokieru, joueuse persuadée d’être un cobaye ayant le privilège d’évoluer dans le Nouveau Monde des humains. Zadokieru, joueuse prête à tuer tout sujet d'expérience préférant retourner dans l’Ancien Monde. Chacun ses idées. Je me demandais seulement ce qui ne lui plaisait pas dans la réalité. Je lui envoyai les items.

Sa dernière remarque m’arracha un sourire en coin et un regard malicieux.

« Les gens les plus louches sont les plus intéressants. »

Je claquai bruyamment mes cuisses avant de me lever.

« Bon, j’pense pas que t'aies menti. A mon tour d’être honnête. Tout ce qu’il faut savoir sur les PK – Player Killers – se trouve dans les Informations Générales, ici. On peut aussi dénoncer des gens dans le Carnet d’Informations Communes, avec leur pseudo et leur visage. Dans c'carnet, y a plein d’autres trucs pratiques d’ailleurs. »

Je lui montrai mon menu.

« Ensuite, comme tu l’as dit, t'auras de moins en moins de facilité à sprinter dans les villes comme tu l’as fait tout à l’heure. Mais ça m’intéresse de voir si on peut piéger le système. Peut-être qu’un niveau maximum en Dissimulation pourrait suffire, qui sait ? Ou peut-être qu’un grand groupe de PK pourraient faire tout buguer. Si y en a plus qu’il n’y a de gardes, p’t-êt’ que tu pourrais faire ta vie en ville un moment. Ou alors, peut-être qu’entrer dans un bâtiment verrouillable te permettrait d’y rester ? Hmm… J’sais pas si les PNJ’s vendraient un appartement à un PK… Dans tous les cas, ce serait suicidaire sans plusieurs portes d’entrée et de sortie… Peut-être, vivre sous terre ? On peut creuser ici ? Hmm… »

Je réfléchis un moment avant de lui sourire à nouveau.

« N’empêche, tu as réussi à survivre jusqu’ici avec un curseur orange depuis le début, chapeau, respect, hommages, Ô maîtresse Zad’ !! »

Je me prosternai devant elle plusieurs fois avant de reprendre un minimum de sérieux.

« Désolé d’avoir fait l’ignorant, je voulais d’abord être sûr que tu sois pas une folle furieuse. Si tu me trouves "louche", je répondrai à toutes tes questions pour te prouver ma bonne foi. »

Je mis mes mains sur les hanches.

« Dans tous les cas, sache que mon objectif est de gravir tous les étages et de tout découvrir de ce monde avant d’en partir. Je suis persuadé que c’est en unissant les forces de tout le monde qu’on pourra réussir. Ce qui t’implique. Pis, je veux que tout le monde vive une vie un minimum épanouie et facile ici. Du coup, à partir de maintenant, tu pourras compter sur moi quand tu auras besoin, alors n’hésite pas. »

Je franchis la limite de la Safe Zone et lui tendit à nouveau la main gauche.

« Pour les scouts, une poignée de mains gauches signifie qu’on se fait mutuellement confiance. »

J’attendis qu’elle me la serre pour lui proposer de faire une vraie sieste avant de commencer la quête. Je la protégerais en cas de problème.

Je commençai à apprécier le rire de ce garçon. Il était spontané et communicatif, parfois forcé et parfois sincère. Aussi changeant que son humeur. Et en parlant de changement, je tressaillis légèrement lorsqu'il frappa ses propres cuisses pour se redresser d'un coup.

Les mots qui franchirent ses lèvres me donnèrent un frisson. Allait-il finalement m'annoncer qu'il m'avait piégée ? Qu'il comptait me vendre ?... Regardant le carnet dont je possédai un exemplaire d'un air vaguement dégoûté, mes muscles se crispèrent.

Mais il enchaîna naturellement sur un sujet plutôt insolite. Surprise, je le regardai un moment échafauder des théories de plus en plus loufoques pour... que j'entre en ville ? Une lueur d'espoir brilla de façon fugace dans mes yeux à l'idée de pouvoir berner ces boîtes de conserves pour enfin profiter tranquillement d'une ville !

"Tu es vraiment plein de ressources, c'est fascinant... En tous cas, on ne pourra pas vérifier ta première théorie tout de suite. Quant à un grand nombre de PK, la plupart sont des dégénérés qui tuent à vue ou se croient tout permis, de ce que j'ai vu. Les quelques-uns que j'ai croisé et qui sont encore en vie n'était pas vraiment du genre civilisé, si tu vois ce que je veux dire... Je les vois mal aider quelqu'un pour ça, ou alors ce serait dans l'objectif de piller une ville, mais je ne sais pas si c'est possible."

Un léger sourire amusé m'était venu naturellement tandis que j'imaginais une horde de ces barbares sans scrupules attaquait le pauvre hameau du palier 2. Si cela arrivait un jour, je voudrais vraiment pouvoir m'occuper de ces deux gardes de la dernière fois... Mais l'idée que les habitants soient blessés ne me plaisait pas beaucoup. Les natifs sont les seuls à m'avoir laissée tranquille, si j'ignorai ces imbéciles.

"Par contre, pour l'achat, je t'avoue que je donnerai cher pour avoir un toit sûr au-dessus de la tête... Je ne me suis jamais renseignée, comme je ne pouvais de toute façon pas accéder aux boutiques en ville. Mais il y a peut-être des habitations hors cité à vendre, il faudra que je me rencarde sur ça !"

Il m'avait donné une idée qui pourrait bien changer mon quotidien ici. Si jamais il était possible d'acheter une maison à l'extérieur de ces enfers urbains, je pourrai enfin être en sécurité chez moi... Dormir à la belle étoile avait son charme, si l'on faisait abstraction de la peur omniprésente d'être attaquée, mais j'avais assez donné pour l'instant.

"Sérieux, j'ai l'air d'une taupe pour toi ?!" demandai-je sur un ton faussement outré en riant.

Ses simagrées prolongèrent un peu mon sourire. Des hommages, moi ? Tout ce que je désirai, c'était de pouvoir vivre tranquillement ici et profiter de ce monde et de ses trésors. J'étais probablement l'incarnation même de l'égoïsme, mais je me sentais tellement...vivante ! Je ne laisserai personne m'enlever ça... Ari dévoilait donc son jeu, et jouait bien la comédie avant. Si j'avais déjà quelques soupçons, ils étaient désormais fondés. Ce binoclard retors était décidément bon acteur, mais je le lui passai volontiers. Je m'étais difficilement retenu de l'attaquer pour voir son niveau après tout, c'était de bonne guerre.

"Ah ça, folle, je ne sais pas, mais furieuse: si tu me traites à nouveau de taupe, ça peut s'arranger..." susurrai-je d'une voix mielleuse teintée de fausses menaces.

Prenant une pose de fermier fier de son champ, il me révéla ses objectifs personnels. Ainsi donc, il partageait une partie des miens : atteindre le dernier étage et tout découvrir de ce monde. Pour la suite, j'avais encore le temps de voir venir. Je ne serai peut-être pas obligée de l'éliminer devant le boss final après tout, il semblait assez raisonnable pour entendre mes arguments.

Et le voilà qui me surprenait de nouveau ! Quittant enfin sa Safe Zone de plus d'un pas, s'exposant ainsi à ma "folie meurtrière" aussi redoutée qu'inexistante, il me tendit de nouveau la main gauche, m'expliquant cette fois la signification de ses paroles obscures de tout à l'heure.

"Oh ! C'était donc ça... Merci pour les informations et la confiance alors. Si jamais tu as besoin de bras, n'hésite pas non plus. Je ne pourrai probablement pas faire grand-chose à part trancher dans le lard, mais ça m'a plutôt réussie jusque-là... Tâchons d'éliminer rapidement ce monstre, histoire de pouvoir rediscuter de tes plans d'attaque sur la ville, ça m'intéresse !"

Serrant la main de l'adolescent en faisant attention à ne pas trop forcer cette fois, je le pris au mot et alla m'allonger dans l'herbe à côté, les mains derrière la tête.

"C'est pas moi qui l'ai demandé ! Je te laisse le premier tour alors, réveilles moi dans une demi-heure pour échanger. Je sens que la nuit va être longue..."

Fermant les yeux, j'avais toujours ma main près du manche de ma faux, par habitude. J'écoutai les sons alentours, me concentrant sur ma respiration. C'était plus une forme de méditation qu'une sieste, mais je pouvais au moins reposer mes yeux et mon esprit tout en restant en état de réagir en cas d'urgence. Ou si mon nouveau fournisseur souhaitait continuer la discussion.

Récap':

Je trouvais la jeune femme de plus en plus impressionnante et intriguante. Peut-être avait-elle été tirée au sort pour devenir Bêta-testeur aussi ? Elle avait réussi à faire face aux monstres, aux curseurs verts, seule, avec une potion de soin et un équipement de base.

« Et en plus, t'as eu affaire à des vilains de cette envergure, mais quelle femme incroyable !… Après, peut-être qu’on pourrait piéger les barjots en lançant l'idée dans leurs troupes... »

A l’idée de m’infiltrer dans un gang de PK et réussir à les berner jusqu’à leur emprisonnement, un frisson délicieux me parcourut la nuque et le dos. Cela me tentait bien.

Ses remarques suivantes m'arrachèrent un nouveau sourire en coin. Elle n'avait en rien l'air d'une taupe, mais j'avais très envie de la titiller.

« Haha, désolé, mais t’as une tronche à vivre dans une cave alors forcément, ça induit en erreur ! Non, pas taper !… Sinon, oui, il est possible d’acheter des maisons à l’extérieur. Mais seulement des maisons, et ça coûte assez cher. »

A son regard noir, j’avais bondi dans la Safe Zone en riant. Mon caméléon s’était agrippée avec peine à mon pied, et était apparue. La colère avait rendue écarlate sa couleur. Je fis comme si de rien n’était.

« Sinon, j’ai un projet de guilde. L’objectif serait d’œuvrer tous ensemble à la montée des étages. Par "tous", j’entends les joueurs combattants comme ceux qui se terrent dans les villes. Je pense que si nous nous servions des non combattants pour fabriquer des potions, des équipements, et même de la nourriture, ça nous aiderait pas mal. On leur filerait nos drops. On épaulerait les volontaires hors Safe Zone pour qu’ils gagnent des niveaux, d’autres compétences support et de la confiance en eux… C’est qu’une idée qui m’trotte dans la tête pour le moment, mais à terme, j’aimerais obtenir un super QG ! Chaque membre aurait sa chambre et pourrait manger gratuitement dans un réfectoire. Il y aurait deux bains immenses, une salle d’entraînement, des ateliers de crafts, et même des coins de vente pour les joueurs solitaires. Je pense qu’une guilde de ce genre redonnerait de l’espoir aux plus démunis. Ça leur permettrait de se sentir utiles aussi. »

Je marquai une pause avant d’élargir mon sourire.

« Et ça offrirait un toit, des vivres, des équipements et des amis de confiance aux personnes dans ton cas. ‘fin, ‘faudra toujours que vous soyez équipés d’un cristal de téléportation pour revenir et repartir où vous voulez, mais bon, la guilde sera aussi là pour fournir ce genre d’items…. Bref ! »

Je retournai à ses côtés, mon katar en main au cas où des joueurs nous embêteraient.

Heureusement, ils passaient généralement à cet étage pour faire des emplettes. Certains profitaient aussi du calme et du soleil, mais il y avait des parcs à l'intérieur de la ville et plusieurs sorties. Je doutais qu'on croise du monde ici.

Je m'allongeai donc à mon tour en mettant mes mains derrière la tête. Ma princesse s'approcha lentement de mon visage en longeant la partie droite de mon corps.

« Tu paralyses tous ceux qui s'approchent ? »

J'avais chuchoté pour ne pas réveiller Zadokieru, et pour ne pas énerver mon familier. Pour toute réponse, elle bougea ses yeux indépendants dans tous les sens à une vitesse impressionnante et en ouvrant légèrement la gueule.

Je gardai les yeux ouverts pour profiter de la formes des quelques nuages tout en profitant de la douce brise et de la chaleur de l'étage.

Aide à la modération :

Le vent léger était plutôt agréable, et je faillis m'assoupir plus d'une fois en écoutant la voix du binoclard. Gardant les yeux fermés, j'écoutai son discours à propos de son projet de guilde, ou quelque chose dans le genre. Je n'avais jamais été très attirée par les groupes, et l'idée d'avoir des comptes à rendre à un supérieur quelconque m'était insupportable. Je rouvris les yeux, fixant un moment les nuages qui se déplaçaient paresseusement dans le ciel d'été, avant de répondre.

"Bof, les groupes, très peu pour moi. Tu te doutes de pourquoi... J'ai rien contre un coup de main réciproque de temps en temps, mais j'ai pas franchement envie de dépendre d'une organisation ou d'un chef. Sans offenses, hein."

Je tentai de transmettre dans ma voix autant de neutralité que possible. Ce n'était pas lui ou son idée qui était déplaisante, simplement mon mode de vie qui ne s'y prêtait pas trop. Enfin, jusqu'à ce que ce fourbe parle de "toit" et de "vivres". Et surtout, de "bains". Mon ventre grogna d'ailleurs, me rappelant qu'il était l'heure du petit pain habituel que je pris de mon inventaire. Me redressant en position assise, je contemplai la porte de la ville devant moi en mâchant distraitement mon repas sans goût.

"Mmh... Après, je ne dis pas non. Mais je n'y connais rien, est-ce qu'un PK peut faire partie d'une guilde officielle ? Ça me paraît compliqué, vu que les QG sont en ville et tout ça... Et puis, tu parles d'entraide c'est bien joli, mais concrètement, je serai obligée de jouer la nounou pour des froussards qui vont mal me regarder dès qu'ils verront la couleur de mon curseur, non ?"

Bizarrement, je pris son explication comme une invitation, alors qu'il n'y avait rien de tel dans ses propos. Ou en tous cas, pas explicitement. Après tout, c'était sa faute, il semblait m'inclure dans ce "tous" qu'il venait d'employer. Ayant un peu honte de m'être emballée comme ça à cause de ses fichus bains, je finis mon casse-croûte de façon expéditive avant de tourner brusquement mon visage vers lui. Agacée de m'être faite manipuler aussi facilement, j'allais reprendre la parole pour clarifier la situation quand mon regard se posa à côté de lui.

"Ari, ne bouge surtout pas. T'as un monstre juste à côté de toi..." dis-je d'une voix calme en levant lentement ma main vers la faux.

L'étrange caméléon n'avait pas de curseur rouge au-dessus de lui, mais surtout, il semblait faire le guet ? Ma main se stoppa à mi-chemin, tandis qu'un des yeux globuleux de l'animal me fixa.

"Il...est à toi ? Comment est-ce possible ?"

Je chuchotais pour ne pas brusquer la bête, la fixant avec des yeux pleins de curiosité, attendant les explications de ce gamin pleins de surprises.

Récap':

Ari:

Du coin de l'oeil, je constatais qu'elle mangeait ces choses immondes qu'étaient les petits pains ronds. Dans la guilde, il n'y aurait que des plats excellents à manger.

Je la laissais parler tout en réfléchissant. Ses remarques sur les chefs et les nounous m'avaient fait rire doucement, mais avaient soulevé des points auxquels je n'avais pas vraiment pensés.

Lorsque ses yeux s'écarquillèrent à la vue de la princesse et que sa main dominante se rapprocha de son arme, je ne fis qu'élargir mon sourire.

"Perspicace, et tu viens de rencontrer les Informations Générales !"

Je ne me redressai même pas. Par contre, je criai bien fort pour ne pas que la princesse ait une chance de me comprendre.

"Notre histoire a commencé le jour de mon anniversaire. J'avais envie de manger un caméléon. Malheureusement, ces monstres ne laissent pas de viande lorsqu'on les tue. Donc j'ai réfléchi à un plan pour feinter le système. Je me suis dit que si j'en apprivoisais un, je pourrais le ramener en Safe Zone sans qu'il ne disparaisse pour pouvoir le cuisiner et le manger. Donc j'ai récupéré celle-là. Mais en fait... J'ai tout essayé et c'est impossible. Donc maintenant, on s'utilise mutuellement."

La femelle finit quand même par me gifler avec sa langue à cause du boucan que je faisais. Elle aurait été plus violente si elle m'avait compris.
J'éclatai de rire avant de changer de sujet.

"Sinon, ça m’intéresse pas non plus, d’être derrière les autres, et encore moins qu'on m'oblige à faire telle ou telle chose. La guilde n’aurait de chefs que pour les « papiers » virtuels. En pratique, chacun ferait ce qu'il veut. Mais les membres seraient qu'des gens d'confiance. Pour y entrer, les combattants donneraient des ingrédients divers, les non combattants prouveraient qu'ils ont une ou plusieurs compétences support. S'ils n'en ont pas, une potion de vérité nous dirait s'ils veulent vraiment y entrer pour de bonnes raisons ou s'ils comptent voler la guilde."

Avec toutes ses questions, j'étais persuadé qu'elle était intéressée. Je pourrais la garder à l'oeil grâce à la guilde. Et puis...

Elle ne pourrait plus se passer de moi. Elle me remercierait, m'avouerait tout un tas de choses qu'elle n'aurait même pas confiées à sa mère, elle m'appellerait à l'aide. Elle m'appellerait à l'aide tout le temps. J'en avais des frissons de contentement rien que d'y penser.

"Ce serait une guilde basée sur la confiance des gens entre eux donc tu pourrais certainement rentrée. Les gens qui manquent de compréhension dégageront. Et puis, t'inquiète, on peut construire un QG à l'extérieur des villes. A partir de trois pièces, y a pas besoin que ce soit dedans."

Je me levai après avoir vu l'heure.

"Bref. Après toutes ces explications, il est l'heure d'y retourner !"

Je laissai ma princesse se caler à nouveau sur mon pied et attendit que la joueuse me rejoigne.

Le temps passe et enfin le coucher du soleil arrive. Et pas seul, il est accompagné par l'éclaireur qui vous a plus tôt confié la quête.

Il semble confortés par votre présence et vous indique que vous allez bientôt diriger vers la porte nord de la ville. Et qu'une fois là bas ils comptent sur vous pour discrètement suivre les pauvres habitants enchantés par ses murmures maléfiques.

Il vous attend, le regard rempli d'espoir binaire, celui d'accomplir la tâche qui lui a été assigné.

Il a vraiment voulu bouffer ce truc..? Je reconnus volontiers être friande de nouvelles expériences, mais de là à ingurgiter un monstre de ce monde, c'était fort. Relevant difficilement les yeux de cette bestiole étrangement mignonne, j'écoutai attentivement le garçon dont je m'étais rapprochée sans m'en rendre compte. La faute à son familier !

"Des potions de vérité ? Ça existe, ça ?"

Ma voix trahit toute mon incrédulité, mais je ne m'en souciai guère. La suite de son discours m'avait encore plus surprise, tout en me donnant un prétexte pour me reculer à une distance convenable.

"Moi ?! Dans une guilde ? Pffrh, t'es vraiment barré ma parole... Personne voudra de moi comme équipière...mais ok. Si jamais t'ouvres une guilde aussi ouverte que tu le prétends, j'y songerai peut-être."

Un sourire sur les lèvres, je répondis à son invitation en me levant, pile au moment où le garde de tout à l'heure revenait de la ville. Apparemment, il fallait qu'on aille à la porte nord pour suivre la piste des gens disparus. Invitant Ari à me suivre d'un signe de tête, je pris les devants et parti sur la droite pour contourner l'immense cité. Il aurait été plus rapide de la traverser, mais cela faisait partie du charme de faire équipe avec moi...

En marchant d'un bon pas, je repris la parole sans me retourner, toujours plus curieuse. Pouvoir enfin parler à quelqu'un de façon civilisé me faisait le plus grand bien.

"Sinon, niveau baston, t'utilises quoi ? Histoire de pas se gêner une fois face au boss. Perso, tu l'as sûrement vu, c'est la faux. J'espère que t'utilises pas une arme à deux mains, on risque de se mettre dans les pattes l'un de l'autre sinon..."

Je mis les mains derrière la tête, croisées, tout en continuant à longer le mur d'enceinte. Au bout de plusieurs minutes, la porte nord était en vue. Je m'arrêtai net, et fis signe au binoclard d'aller vers un petit buisson sur le côté. Je me faufilai dedans et ne bougeai plus d'une oreille, scrutant la sortie et les alentours. Même si le monstre se pointai pour enlever lui-même les habitants, il faudra d'abord le suivre jusque dans sa tanière pour retrouver les disparus. Quelle galère... Je serrai une main sur le manche de mon arme, impatiente d'en découdre.

Récap':

Comme lors de la soirée précédente, la princesse avait eu son petit effet. Je ne comprenais plus pour quelles raisons les filles étaient si intriguées par ce caméléon. Après neuf jours en sa compagnie, elle était devenue seulement lente, chiante et parfois colorée pour moi.

Il n'empêchait qu'à cet instant, j’aurais bien voulu être à la place de Zadokieru. Elle ressemblait à un bébé qui découvrait le monde. Heureusement, les combattants venaient de détruire le boss des étages suivants, ouvrant la porte à de nombreux territoires encore inexplorés ainsi qu’à des monstres aux patterns à analyser.

« Haha, t’as beaucoup de choses à apprendre Zad’. Appelle-moi Ari-Sensei, et fais cent pompes, cent abdos, cent squats et dix kilomètres de course à pied : tu obtiendras la puissance physique d’un des poings de Dieu et une connaissance totale du monde entier, HAHAHA HAHAHA HAHAHAHA !!

Je stoppai mon rire satanique pour reprendre un visage sérieux, mais souriant, tout en marchant vers la Safe Zone.

« Pour la guilde, je me dis que si tu fais partie des premiers membres, les autres risqueront pas de te chercher des noises. »

Le donneur de quête nous interrompit et je décidai de remettre ce sujet à plus tard. Chaque chose en son temps : il était possible que nous mourrions comme des idiots face au Boss après tout.

Je me dis soudain que j’aurais dû aussi acheter des cristaux de téléportation. Je n’y avais même pas pensé, tellement concentré que j’étais sur les altérations d’état qu’il pourrait nous faire ainsi que sur la tueuse de dépressifs.

Tant pis, nous étions partis pour faire le tour de la ville. Et il était certain que les victimes de cette nuit ne nous attendraient pas pour s’en aller dans l’antre du Boss. J’inspirai et expirai profondément.

La demoiselle démarra ensuite une nouvelle conversation, tout aussi intéressante que les précédentes.

« Héhé, j’utilise un katar, tu connais ? C’est une sorte de dague. Donc t’inquiète, on est fait pour combattre ensemble ! »

Elle pourrait embêter le monstre de front tandis que je lui attaquerais le derrière. La princesse se mettrait plus loin pour attaquer aussi à distance avec sa longue langue.

Arrivés à la porte Nord, nous nous dissimulèrent. J’écartai les feuilles du buisson qui masquaient ma vue afin de voir la suite de événements.

Zad' :

À travers les feuilles, l'obscurité est trop présente pour pouvoir voir quoi que ce soit correctement.

Cependant quelqu'un avec vision nocturne verrait un groupe de NPC à la démarche mollassonne se diriger encore plus loin au nord, sortant complètement du sentier battu, traversant diverses obstacles jusqu'à atteindre...
Quelqu'un avec traque verrait les traces et pourrait suivre les pas de ces NPC jusqu'à atteindre...

Bon courage !

Forçant sur mes yeux pour tenter de voir quelque chose dans la pénombre qui s'était installée, je ne distinguai que de vagues silhouettes ainsi que les bruits de pas de plusieurs personnes. Impossible de dire combien d'ici, et je me mordillai une lèvre en songeant à toutes ces compétences intéressantes que je n'avais pas encore à ma disposition. Puis le dernier en date me vint en tête dans un éclair d'illumination !

J'activai Traque, espérant ainsi pouvoir suivre les pistes des habitants voir du monstre, plutôt que leurs propriétaires eux-mêmes. Un sourire féroce se dessina sur mon visage tandis que les traces de pas lumineuses apparurent à quelques mètres devant moi. Tournant mes yeux illuminés par mon skill vers Ari, je pus voir pour la première fois la lueur qui les habitait se refléter sur les lunettes de mon partenaire.

"Au fait, j'ai jamais pu demander, mais est-ce que tu vois les traces de pas toi aussi ? Ou c'est personnel ?"

Parlant à voix basse, j'attendis quelques secondes que le futur groupe de disparus disparaissent avant de me redresser et de sortir de notre cachette de fortune.

"C'est parti ! Ma Traque est encore très basse, on ne va donc pas pouvoir s'éloigner beaucoup, et il va falloir limiter le bruit de nos déplacements autant que possible... Que la chasse commence !"

Envoyant un sourire enfantin au binoclard, je suivis la piste des victimes de notre proie légèrement penchée en avant d'un bon pas, préférant marcher sur le bas-côté du chemin principal afin de rester un minimum furtive. Heureusement, ou malheureusement plutôt, l'étage semblait dépourvu d'ennemis en dehors de notre cible. On pouvait donc avancer sans risque, en tous cas pour l'instant.

Je tournai brièvement la tête en arrière pour m'assurer qu'Ari suivait toujours malgré son familier peu adepte de la vitesse, avant de reprendre en chuchotant.

"Tu penses que le boss ressemble à quoi ? Vu l'état des gens qu'on suit, on dirait un conte, tu sais celui avec une flûte qui charme les gens ? Ou un truc dans le genre..."

J'aimais bien lire des livres provenant d'autres pays, mais les traductions étaient souvent imprécises voir complètement fausses dans la bibliothèque municipale du patelin où j'étais. Et depuis que j'étais à Sendai, je n'avais pas vraiment pris le temps de bouquiner, trop absorbée dans la découverte de cette grande ville que j'étais.

Reportant mon attention sur ma quête actuelle, j'accélérai le pas afin de ne pas perdre la piste du groupe nous devançant qui venait de prendre un virage serré. Je me stoppai net à l'angle, en les voyant plus proches que prévus afin de ne pas révéler notre présence, bloquant ma respiration. Une fois la marge de sécurité revenue, j'expirai doucement, contente de ne pas avoir tout fait capoter. Me penchant vers le sol pour examiner les traces de pas de plus près, je me redressai en faisant le compte-rendu au bouffeur de caméléon.

"Il y a trois traces de pas différentes apparemment, peut-être quatre. Impossible de dire leur sexe ou leur âge par contre, on a beau être dans un univers fantastique, on est loin d'une série policière bon marché."

J'ignorai si ma plaisanterie avait fait mouche avec cette obscurité, mais je souris amicalement, trop contente d'avoir une oreille. Peu importait qu'elle soit attentive ou juste faussement intéressée après tout, je n'étais pas du genre à m'écouter parler. Mais ne pas sombrer dans la folie était toujours un plus non-négligeable pour partir à l'aventure, n'est-ce pas ?

Récap':

Ce devait être à cause de la quête, mais je trouvai la nuit plus noire que d'habitude. Cela me rappela l'étage 25, dans lequel j'avais rencontré Boobies. Il y faisait tellement sombre que j'avais risqué de nombreuses fois de me casser la figure.

Heureusement, contrairement au palier d'Halloween, le lieu était dépourvu de racines tueuses d'hommes et de souches d'arbres morts. De plus, il était relativement plat. J'avais peu de chance de chuter dans cet endroit.

En attendant, dans la nuit, ma partenaire du jour avait l'air fou. Avec ses yeux illuminés et son sourire peu élégant, elle aurait pu faire pleurer des enfants.

"Haha, je ne vois rien du tout. Tout ça est dû à ta compétence."

Ne sachant pas si les individus s'arrêteraient en entendant du bruit, j'avais décidé d'imiter la joueuse et de chuchoter.

Curieux de savoir si j'apprendrais quelque chose sur les PNJ's à suivre, j'activai ma compétence Ecoute.

Alors, le son de la brise s'intensifia dans mes oreilles. Je pus entendre des éclats de rire venant de la ville, les battements d'ailes rapides des insectes volant juste à côté de moi, la respiration calme de la princesse et de la PK.

Soudain, tous ces sons disparurent pour laisser place à celui émis par mon pouls.

Bou-boum bou-boum.

Le volume était si fort que j'avais l'impression d'avoir atterri dans un autre monde. Dans la pénombre, j'étais seul avec cette onde qui ondulait et ondulait par vagues de plus en plus rapprochées à mesure que mon cœur s'emballait.

Je stoppai brutalement ma compétence.

"...oir limiter le bruit de nos déplacements autant que possible... Que la chasse commence !"

Première règle : ne jamais se concentrer sur soi lorsqu'on utilise Ecoute.

Je soufflai pour baisser ma pression et répondis tardivement à son enthousiasme.

"Y-yeaaah !"

Je vis ses yeux lumineux et expressifs flotter avant de disparaître. Je me levai à mon tour, vérifiant bien que mon pied droit était plus lourd que mon pied gauche. Je décidai ensuite de retenter l'expérience, en me concentrant sur la personne en face de moi.

J'entendis, comme tout à l'heure, sa respiration, les battements de son cœur mais aussi le léger affaissement de l'herbe écrasée par ses pas... Si c'était vraiment ça ?

J'entendis alors ses lèvres se séparer et eus l'impression qu'elle parlait comme une personne âgée et sourde d'oreille. Je faillis lui répondre en hurlant.

"Ah, pas bête ! J'pensais plutôt à un putois dont les gaz envoûteraient les gens, ou une fleur avec une bonne odeur... Ou, pourquoi pas... Hmmm... Oh... J'me demande si un Alchimiste pourrait faire ça, tiens ! Créer un parfum capable d'attirer les monstres ou les joueurs. Ou inversement, de les repousser."

Cela pourrait être intéressant pour les joueurs craintifs des bas niveaux.

J'avais, dans tous les cas, décidé de changer de sujet. Grâce à la taverne aux quêtes et aux autres joueurs, je savais très bien ce qui nous attendait. Mais je voulais lui laisser la surprise.

A l'instant, son pouls s'accéléra, comme sa cadence, sans doute. Puis, je n'entendis plus sa respiration.

Heureusement que j'avais ralenti ma marche à ce changement de comportement brutal parce que sinon, ma tête aurait heurté la sienne.

Après un instant, elle relâcha l'air de ses poumons pixelisés. Son expiration m'apparut brutale, et elle me sembla encore crier ses informations sur les pas des PNJ's.

"Wouah, trop fort, tu peux même voir ça, c'est génial !"

Je pris une intonation péteuse.

" Mon métier ?- donner leur pointure à mes clients et lire leur avenir dans la forme de leurs chaussures, hahaha !"

Je me demandai sérieusement s'il existait des charlatans de ce genre, dans ce monde comme dans la réalité.

"On aura donc trois personnes minimum à sauver. Peut-être qu'on pourra les empêcher d'aller dans le repère du Boss avant de devoir l'affronter ? Hmmm, dans tous les cas, il faut avancer. Est-ce que je peux te prendre le pan de ton armure s'il te plaît ? J'ai failli te rentrer dedans tout à l'heure."

Comme un enfant, je comptais récupérer un bout de tissu pour ne pas perdre mon chemin.

Aide à la modération :

Tournant la tête vers les reflets brillants des lunettes d'Ari, je souriais de toutes mes dents, même s'il ne pouvait probablement pas le voir avec l'obscurité. Son imitation m'arracha un petit rire que j'eus du mal à retenir tandis que je me redressai.

C'est alors qu'il me demanda s'il pouvait se tenir à un pan de ma tenue, afin de ne pas se heurter ou se perdre. J'aurai du demander à l'autre débile au palier 1 de me prendre une corde en plus des potions, quelle idiote ! La prochaine fois que je le verrai, je lui demanderai.

"Mmh, t'as raison, il vaut mieux ne pas se perdre. Mais garde tes mains là où elles sont, sinon je te les coupe. Et pas que les mains..."

Souriant d'un air faussement féroce une nouvelle fois, je ne savais pas s'il avait compris que je plaisantai, mais qu'importe. S'il tentait un truc bizarre, je comptais vraiment lui trancher le bras après tout.

Continuant notre route dans un silence presque absolu, je réactivai Traque dont la durée était encore très courte et gardai les yeux rivés au sol pour suivre les pas lumineux qui suivaient toujours la route, légèrement perturbée par les à-coups ponctuels du binoclard accroché à moi. C'était une sensation étrange...

Impossible de dire si nous étions déjà dans la zone du labyrinthe ou pas, l'absence totale de monstres agressifs rendant notre voyage aussi monotone qu'ennuyeux. Je commençai à perdre patience et avais envie de me battre, mes pas s'accélérant de plus en plus pour nous rapprocher du boss. Et impossible de passer mes nerfs sur les animaux pacifistes du coin, ceux-ci n'avaient même pas de curseur... Quel étage pourri !

Au bout d'une demi-heure de marche supplémentaire à travers un sentier rocailleux, la piste s'enfonçait dans une large grotte à flanc de montagne. Aucun doute, nous étions arrivés à destination.

"Bon, je pense qu'on peut dire qu'on a trouvé la tanière du monstre. Et éliminer le putois au parfum charmeur, sauf si celui-ci fait 6m de long... Il y a des traces de passage dans la végétation proche, mais vu les dégâts sur les troncs des arbres, l'animal est loin d'être petit. Une cible facile, en somme !"

Toute contente de sentir le combat approché, je quittai notre cachette de fortune, faux à la main. Mais je m'arrêtai au deuxième pas, me retournant vers le môme qui me suivait. Il nous fallait un plan pour sauver les habitants captifs avant de foncer dans le tas, je ne voulais pas que le kidnappeur les blesse ou les utilisent comme boucliers humains. J'attendis donc l'avis de mon partenaire de fortune sur la question, après le lui avoir demandé.

Récap':

Ari:

Je ne sus que répondre à sa première réplique.

Avec son ton neutre et l’obscurité ambiante, je ne savais pas si elle me taquinait ou si elle était sérieuse. Dans le doute, je ravalai ma réplique visant à détendre l’atmosphère :

« Si j’étais un pervers, je te répondrais « pas grave, ça repousse ici, et peut-être en plus long », haha ! »

Je récupérai donc, du bout des doigts, un pan de sa veste et restai silencieux en la suivant calmement.

La compétence d’Ecoute m’accompagnait, révélant la position de lucioles ou de sauterelles réveillées par notre marche, et rapidement avalées par mon familier ennuyé ; mais aussi et toujours le rythme cardiaque de la joueuse.

Je ne comprenais pas pourquoi il ne faisait qu’augmenter. Est-ce qu’elle avait peur ? Est-ce qu’elle avait progressivement le béguin pour moi ? Est-ce qu'elle était excitée pour je-ne-sais-quelle-raison ?

Notre arrivée devant la grotte ainsi que l’intervention de la PK stoppa mes interrogations.

« Oh nan, c’est dommage, je le voulais mon putois… »

Elle fit deux pas rapides, intensifiés par ma compétence sensitive, avant de revenir vers moi dans le but qu'on se synchronise.
Prudente et intelligente. Comment survivre sans ça avec un curseur orange, en même temps ?

« Hmm… On sait pas comment c’est à l’intérieur ni où sont les habitants capturés. Je pense qu’il faudrait suivre les traces de pas humains pour le moment et la jouer discrètement au début. Une fois que nous aurons mis les PNJ’s en sécurité et découvert le terrain, on pourra s’concentrer sur le Boss. S'il s'avère qu'on est obligé de rencontrer les deux en même temps, je te propose qu'on se sépare. L'un protège les habitants et attaque le Boss dès qu'il le peut, l'autre prend l'aggro et le défonce en continu. Mon caméléon pourra se poster derrière lui et attaquera dès que possible. Il faudra juste garder l'aggro parce que j'pense pas qu'elle survive à une seule attaque. En attendant de voir selon les événements, je te conseille de garder à porter de main les potions curatives. On sait toujours pas s’il peut nous envoûter aussi. Qu’est-ce t’en penses ? »

Après une rapide discussion, nous entrâmes silencieusement dans le repère du Boss, prêts à toute éventualité.

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Zad' :