Le 1er mai, étage 1, 13h56

Où est-ce que je vais ? Où je devais aller ? Pourquoi je continue de marcher ? Qu'est-ce que je fous là ?! Quelle idiote mais quelle idiote mama, j'croyions ben qu'On pouvait pas faire pire !! J'devais aller au dix-huitième pour continuer sur ma progression des paliers pairs et je me retrouvais finalement au... Au...?

"Hé. On est à quel étage là ?"
"Au premier, pourquoi ?"

Agacée, je répondis même pas à la question que le joueur venait de me poser et continuai ma marche aléatoire. J'avais été débile, comme d'habitude !! Perdue dans mes pensées car occupée à me faire des reproches à cause de la grâce matinée que je m'étais offerte sur un coup de tête, j'avais emprunté le portail pour me téléporter je-savais-maintenant-où, sans même faire gaffe à mes dires ou mes mouvements. Puis, comme une crétine profonde, j'avais marché par automatisme après le changement de paysage pour me retrouver perdue dans cette ville toute pourrie !! Gigantesque, magnifique, brillante et pleine de monde, surtout à cette heure, l'agglomération de départ était détestable. Je l'avais toujours évitée le plus possible et n'y étais retournée que pour... Pour ? Je savais même plus pour quelles raisons douteuses j'y avais reposé mes doigts de pied en vrai.

Je considérais cette ville comme faisant partie du passé, ce passé sur lequel fallait jamais revenir, ce passé qu'il fallait oublier pour détruire une peur éventuelle, ce passé qu'il fallait balayer pour avancer. Seuls les joueurs les plus incapables, les plus lâches, les plus pourris et les plus écœurants se trouvaient ici. Tous des chialeuses sans burnes, tous des taupes qui se terraient dans ces quartiers luxueux pour mener une vie "normale" dans la joie, la bonne humeur et les bisounours. Et dire qu'en-dehors, y avait des monstres dégueulasses qui tentaient de buter des gens courageux qui se voilaient pas la face. Et que cela même profitaient à ces bouseux d'mes deux !!! Je haïssais cet étage. Je haïssais ces gens. Je haïssais ces paysages qui montraient que le bon côté de Sword Art Online. Le pire pour moi dans la vie, c'était se voiler la face et vivre dans l'Illusion. Ce qui était le cas pour tous ces habitants.

Ce lieu n'était pas notre réalité et nous nous devions d'en sortir ! Le but devait être clair, net et le même pour tous : se battre pour avancer. Et pour cela, devenir quelqu'un d'autre, une personne respectable hyper badasse avec des superbes coui...! Mais je ne pus pousser plus loin ma dispute intérieure. J'avais un choix à faire : prendre les escaliers pour aller dans un endroit aux allures lugubres et menaçantes ou continuer tout droit. La deuxième option m'avait pas du tout arrangée les autres fois et la première semblait plus rigolote. Y avait pas à débattre. Mais alors que je descendais, j'entendis un bruit de lutte dans une minuscule ruelle à droite. Qu'est-ce i s'passe ? Une bagarre ? J'allais pas tarder à le savoir.

Ma petite ruelle passée s'était transformée en une immense place avec une foule à l'air plus énorme que celle du dessus. Où est-ce que j'étais tombée encore... Le combat faisait rage et les joueurs se bousculaient pour en voir une partie. Pour ma part, je restai ébahie devant tout ce beau monde. Je pensais pas qu'il y aurait une immense ville sous la gigantesque ville. Enfin, dans la réalité, on appellerait surtout ça "les bas fonds". Les gens hurlaient insultes et encouragements, les poings étaient levés et la marée humaine se mouvaient avec les déplacements de la lutte intensive. Pour ma part, la beauté du combat m'intéressait peu. Seules les raisons qui avaient causé ce chahut étaient dignes d'un débat mental !

Mais alors que j'allais utiliser Acrobatie pour mieux voir la danse et surtout les visages des combattants, une voix grave s'éleva, mettant rapidement un terme à la fête et dissipant la foule. Je pus voir alors que l'endroit dont le toit était aussi un sol – si on montait les escaliers – possédait deux grosses rues bien mises en évidence par le croisement des gens s'en allant. Personne n'emprunta la petite rue que j'avais choisie et cela me perturba. Restant figée à ma place, je contemplai lentement toute la forteresse, choquée de ne pas en avoir entendu parler avant. Mais en même temps, j'ignorais à chaque fois toutes les informations venant du première étage... Donc bon.

Soupirant, je remarquai seulement que l'endroit n'était pas totalement vide : un dernier joueur à l'allure bien pétante était resté et semblait me détailler du regard. C'était quoi son problème, il avait jamais vu d'meuf de sa vie ? Je soupirai de nouveau en croisant les bras, marchant jusqu'au carrefour. J'avais envie de visiter cette ville-sous-la-ville. Je me demandais bien ce que j'allais y trouver, mais mes à priori se limitaient à ce mot : clochards. A part des joueurs désespérés qui n'avaient plus une thune pour se payer les hotels très cool de là-haut, ainsi que quelques gens symptahiques et serviables qui tentaient de les pousser vers le haut, je pensais pas trouver autre chose.

Mais j'aimais l'aventure et... J'avais surtout pas le choix. Je savais pas où se trouvait le portail de téléportation et j'y pigeais toujours rien à cette carte de mes deux ! Bien au milieu, je regardai successivement à gauche et à droite, sans m'arrêter. Est-ce que ce type connaissait assez cette ville-sous-la-ville pour m'y guider et me montrer tout ses aspects ? Je le saurais sans doute jamais. C'était pas inscrit sur son visage et j'étais pas du genre à aborder quelqu'un. D'un coup, je décidai de partir à droite. J'étais droitière, c'était ma direction préférée ! Pis, j'avais bien remarqué que peu de gens avaient choisi celle-ci. Peut-être menait-elle là-haut du coup ? Les gens du bas se mélangeaient pas avec les gens du haut ?

« Bon... Tu vas me lâcher ? »

Ça devait faire dix minutes que j'étais dans les bas-fonds et que je marchais, marchais, marchais sans m'arrêter, sans vraiment regarder autour de moi. Baah, de toute façon, c'était mort ici et franchement laid. Y avait quelques tonneaux par-ci-par-là, quelques portes minuscules, de couleur sombre et parfois légèrement pétées en bas mais... Personne. Personne à par l'autre. Je sentais depuis ma prise de décision quant à la direction à prendre, deux yeux sur moi. Et surtout, j'entendais ces pas lourds derrière moi. Qu'est-ce i m'voulait c'mec avec ses cheveux bleus bordel de mes deux ?! J'avais quand même hésité un long moment avant d'oser me retourner pour lui dire d'arrêter de me suivre : peut-être que je prenais vraiment les ruelles menant à sa petite maison perdue de pauvre. Mais finalement, après avoir tourné, zigzagué, même après être revenue sur mes pas (enfin, c'était ce que je croyais parce que tout se ressemblait), je pouvais encore écouter ses pas réguliers.

Du coup, tout un scénario s'était formé dans ma tête. Ce mec à l'apparence innocente pouvait bien être un méchant voleur et me suivre pour l'instant sans m'attaquer parce que ses potes étaient pas encore prêts. Du coup, il me pistait calmement, patiemment dans l'attente des renforts, ces renforts qui lui permettraient d'me prendre dans une p'tite ruelle, tranquillou. Ici, voler à proprement parler n'était pas vraiment possible. Pour moi, seules des potions de soin traînaient dans les poches - et encore, hors des safe-zones - les autres items étaient correctement placés et laissés dans l'inventaire. Inventaire que personne ne pouvait ouvrir car apparaissant seulement grâce au mouvement seul du joueur. Mais ça, c'était en théorie. A un moment où j'avais vraiment vraiment besoin de fric, j'avais pensé en profondeur à ce système. Si j'arrivais à immobiliser un type et à contrôler sa main, je pourrais carrément lui voler n'importe quoi. Il suffisait seulement d'attendre que son sommeil le plaçât dans le monde des rêves ou alors d'y aller avec une potion de paralysie. Ça pouvait aller vite.

Bref, tout ça pour dire que les gens qui avaient des potes pouvaient carrément le faire. Après une énième hésitation, j'avais finalement décidé d'agir vite et de l'agresser sans me gêner. A part ça, je voyais pas du tout pourquoi il pouvait me suivre de telle sorte ! Et je comptais pas du tout attendre qu'ils me plaquassent à trois contre un mur. Surtout que, s'il vivait chez les pauvres, il devait être au courant de toutes les stratégies de vol possibles. J'avais donc fait volte-face, fait quelques pas jusqu'à lui et l'avais regardé droit dans les yeux avant de sortir ces mots d'une voix rauque accompagnée d'un regard signalant qu'aucune pitié ne lui serait admise. J'étais prête à tout moment à m'armer pour le repousser. Mais dans tous les cas, si mes préjugés quant à son lieu de vie s'avéraient vrais, j'aurais aucune chance de m'enfuir à cause de ces ruelles inconnues. Alors, qu'allait-il répondre ? Ses copains étaient-ils réellement sur le chemin ?

...
Ah le bâ...! Je savais pas pourquoi mais je m'étais mise à étirer mes lèvres pour former un incroyable sourire crispé, les sourcils froncés et les poings serrés. Le pire, c'était qu'il avait dit ça d'une petite voix très mignonne et gentille mais avec un regard dénué de réel intérêt. C'était quoi son problème ?! S'il avait vu que je galérais avec ces ruelles étroites qui se ressemblaient toutes, pourquoi s'était-il pas juste mis à ma hauteur pour me poser des questions sur mon but géographique ?! Dans tous les cas, tu sais pas vraiment où tu vas... Ouais, bon, j'aurais pas pu vraiment lui répondre, je savais même plus ce que je voulais faire ni où je voulais aller. D'accord, cet endroit me donnait l'impression d'avoir quelques secrets mais je pensais pas que c'était en y allant au pif que j'allais découvrir quoi que ce fût. J'avais une seule fois eu du bol avec ce moyen d'orientation-ci, au treizième étage.

Découvrir ce donjon caché m'avait fait tellement plaisir... Mais avait aussi failli me tuer ! Heureusement que j'étais tombé sur ce gamin au très beau manteau, sinon j'aurais vite été zigouillée par ces scorpions de mes deux ! Je me demandai alors qu'est-ce qu'il faisait celui-là, où il était et à quoi il pensait. Sans doute pas à tous les items que j'lui avais piqués en tout cas ! Sans avoir voulu réellement me renseigner, j'avais appris qu'il faisait partie des Lames d'Argent, cette guilde hyper riche et hyper forte dont tout le monde parlait, et que beaucoup de personnes s'intéressaient à lui autant qu'au maître de guilde. Si j'avais bien compris d'ailleurs, il y avait eu un tumulte par rapport à ce groupe et à ce mec rousse ce matin mais j'avais eu la flemme de foncer dans le gros tas de la marée humaine pour lire les petites annonces. J'avais à moitié écouté les conversations animées mais si je me souvenais bien, ça devait concerner le boss du vingtième ou un truc assez énorme de ce genre.

En tout cas, je pourrais vérifier tout à l'heure ou ce soir ou juste demander à untel ou unetelle si une envie soudaine de sociabilité me prenait. Mais il était clair que si c'était cet événement qui se préparait, j'allais y participer. Pas pour la gloire, pas pour me faire des camarades, pas vraiment pour le fric (menteuse !), mais surtout pour éviter de me faire chier et m'évaluer. Je combattais tous les jours depuis tellement longtemps, je me devais de savoir vraiment ce que j'valais quoi, après tout ce temps ! Pis, j'avais pas participé à la première bataille contre le premier boss parce que ça faisait trop de chiffres impairs malchanceux (c'est ça, pas juste parce que t'étais carrément trop faible !) mais là, j'avais plus d'excuse : c'était le numéro deux !! Enfin, bref, cette divagation m'aidait pas du tout dans ma situation. Je me concentrai sur mon interlocuteur, gardant mon petit ton agressif.

"Et tu me suis pour...? Parce que généralement, quand on voit une personne un peu paumée, on l'aide ou on passe son chemin, on la stalke pas."

J'avais jamais rencontré de stalkeur dans ma vie et ça me plaisait assez. J'aimais bien les regarder dans les animés mais dans la réalité, ça me faisait surtout flipper et pis, ça me faisait pitié. Comment pouvait-on être autant passionné par une seule personne sans jamais lui avoir parlé ? Comment pouvait-on être maître dans la photographie ou le piratage ou le filmage et ne pas faire des œuvres pouvant se revendre à haut prix à la Terre entière ? Les stalkeurs n'avaient juste rien compris à la vie !! Et au fric, surtout, au fric.

"Tu habites ici ? Il y a souvent des rackets ?"

Je faisais pas du tout confiance à ce mec coloré et arrogant et sans doute insupportable comme les autres, mais ma curiosité et mon besoin d'informations l'avaient remporté. Peut-être qu'il voulait vraiment m'aider à retrouver mon chemin mais dans ce cas-là, pourquoi se comporter comme quelqu'un de suspect ? Sans attendre sa réponse, je me retournai d'un coup et pris une nouvelle direction lambda. S'il était un vilain, ses potes allaient profiter de ces secondes et minutes d'attente pour arriver plus vite et me piquer mon blé, ô mon blééé ! Sans parler de mon équipement !! Et si jamais ils pensaient à retirer ma défense contre le harcèlement hein ?! ... ... ... Malgré moi, je me mis à rire, mais à rire comme jamais je n'avais ri ici. La bonne blague ! Personne ne voudrait toucher une fille comme moi voyons !

Oh, comment il me rassurait ! Si tout le monde se perdait ici, j’avais pas de honte à avoir de m’être (encore) paumée moi-même ! Pfiouh, un poids disparut et je me retournai vers lui pour l’écouter… Avant de le regarder, perplexe. Donc, si je résumais bien, ce mec était soit un bon comédien soit un incroyable boulet… Je préférais tout de même opter pour le premier titre, Prudence me collait aux basques et, il m’avait pas donné sa condition. Je trouvais bizarre qu’il ait attendu si longtemps pour me dire ça. Salut, j’ai envie de t’aider donc je te stalke depuis un moment mais mon aide va te coûter tant ! Totalement incohérent…

Le regard méfiant, j’attendis qu’il ait fini avant de le reluquer de bas en haut. Un boulet ? Hum… Il venait quand même de préciser qu’il était pas là pour me racketter alors qu’il demandait quelque chose en échange de son aide, chose qu’il omettait. S’il voulait pas me voler, ni mes items ni mon argent, alors il voulait quelque chose qui ne pouvait s’acheter dans un magasin.

« Si tu comptes me demander d’écarter les cuisses, je vais exiger bien plus que ton aide. »

Et ça, je l'avais pas encore vu en magasin. Le regard totalement froid et blasé, j’avais donc pensé à l'acte sexuel en premier. Fallait dire que le quartier semblait propice à ça et que ce mec était totalement louche. Enfin, peut-être que je me trompais ? Dans tous les cas, je ne voulais pas manquer de prudence. Sans crier gare, je lui faussai compagnie et m'en allai en courant, usant d'Acrobatie, de Sprint et de Dissimulation pour éviter qu'il me retrouve. Au bout d'un moment, je réussis enfin à retrouver le portail. Et je disais adieu à cet étage que je haïssais.