Le mardi 01/08/2023
9h00

Une connaissance d’un ami d’une amie m’avait parlé d’une quête pour les Couturiers au vingtième étage. Selon elle, de nombreux joueurs l’avaient tentée mais avaient vite abandonné ou s’étaient faits virer. Pour cause, le dégoût que leur faisait ressentir le PNJ ainsi que ses attentes importantes. D’après les témoignages, il semblait impitoyable, malsain et insupportable. Il demandait toujours plein de trucs à faire rapidement et correctement, ce que les participants n’avaient pas réussi à faire.

Intéressant.

Etant toujours prêt à aider, à relever de nouveaux défis et à m'améliorer pour le compte des autres, j'avais décidé de réussir là où les autres avaient échoué. Pour remporter la gloire, la reconnaissance, le respect de tous ces sous-Hommes. Leurs remerciements et leur bonheur. Oui, la récompense de la quête m'importait peu.

Je m’étais donc téléporté au vingtième étage, un étage dont je ne connaissais par cœur que la Safe Zone. J'aimais les découvertes mais je n'étais pas idiot. Je me savais bien trop faible pour explorer les endroits habités par des monstres de ce niveau. Je disais ça mais j'irai ce soir à l'étage vingt-cinq pour vérifier une rumeur...!

Je m'étais dirigé vers le donneur de quête, un vieillard encore bien portant dans une petite boutique à l'allure modeste. Modeste seulement en apparence, d'après les discours.

J’entrai dans le magasin et vis le PNJ filer, sa langue sortie et un œil fermé. Il commença à jurer dès que je m'insérai dans son champ de vision.

« Satané fil, impossible de le passer dans le chat. C'est pas vrai tout de même d'être bloqué à ce stade de la création. Excusez-moi, pourriez-vous porter assistance à un vieil homme dont la vue et les tremblements font cruellement défaut? »

Je ne l’avais pas vu trembler le moins du monde. Mais je savais déjà qu’il voulait me refiler son boulot. Je pris le plus grand sourire que j’avais dans mon stock et m’armai de patience. Je m’étais préparé à affronter ce PNJ râleur. J’avais passé une bonne nuit, augmenté ma compétence Couture et avais évité tout individu ennuyeux depuis que je m’étais levé.

D'un doigt, j'acceptai la demande de quête tout juste apparue devant moi puis je regardai mon employeur dans les yeux. Je pris mon ton le plus enthousiaste pour débuter notre relation.

« Mais bien sûr, grand maître couturier, que puis-je faire pour vous ? »

Je m’approchai de lui et attendis ses instructions.

L'homme vous jauge d'abord d'un regard suspicieux, puis, finalement, il vous offre un sourire affable et vous propose d'entrer dans sa modeste (et surchargée de broderies) échoppe.

- Je vous explique tout, je veux un magnifique costume pour aller aux fêtes des villages alentours, mais ma vue commence à baisser et, même si j'ai toujours mon génie grandiose pour le dessin, je ne vois plus suffisamment pour m'occuper de finir le costume. Voyez-vous j'ai presque tout, il ne me manque que la veste, vous allez m'aider n'est-ce pas ? J'aurais besoin de vérifier ce que vous faites au fur et à mesure bien sûr, mais je ne doute pas de votre talent !

Et c'est donc sans la moindre pudeur que le vieux vous demande d'enfiler son joli fil dans le chas de l'aiguille... Et tant que vous y êtes, si vous pouviez lui couper deux grands morceaux de ce beaux tissus vert sombre et les coudre ensemble au moyen de ce fil vert clair...

Oh et puis si vous pouviez ajouter les manches également ? Fort heureusement, vous avez, à votre disposition, un magnifique patron de couture qui vous permettra de créer une jolie veste queue de pie.

Lorsque le vieux me sourit gentiment et m’expliqua son problème, je me dis que je ne devais finalement pas être au bon endroit : il avait l’air vachement sympa. Et ça me donnait envie de faire de même… malgré mon désir de lui crier qu’il n’avait aucun style.

Un costume vert, VERT ! Sérieux !! Pour un vieux gros, il valait mieux des fausses couleurs, du noir, du blanc, du gris. Le vert, ça allait le grossir encore plus. Enfin bon… Il avait déjà fait son choix, à quoi bon lui dire que ce serait moche sur lui ? Il ne me récompenserait pas pour ça.

J’écoutai avec attention ce qu’il me dit puis me mis au travail.

Il m’avait laissé à disposition un patron. Fort heureusement, ce dernier était de taille réelle et les marges de couture avaient été ajoutées. Je m’emparai du tissu long et vert foncé qu’il m’avait dit d’utiliser. Je n’en vis pas un de plus : je n’avais peut-être pas le droit à l’erreur.

Je posai le tissu sur la table et l’aplatis délicatement et le plus possible. J’épinglai ensuite le patron au tissu. A l’aide d’un crayon, je marquai sur ce dernier le contour du premier. Je me concentrai afin de ne pas dépasser et tracer des pointillés espacés et droits. Il y avait sept pièces à découper deux fois.

« C’est qu’il veut de la qualité pour aller danser avec les mamies du coin tous les soirs, le p'tit vieux ! »

C’est pas comme s’il allait conclure grâce à sa veste. Même si, dans ce monde de statistiques, l’habit faisait vraiment le moine. Bref.

Je délimitai donc deux fois le contour de l’avant, de l’arrière, des deux manches, de la poche extérieure et des deux revers de manches de la veste. Le tissu donné étant assez long pour ça, j’en déduisis que mon travail correspondait à l’attente du vieillard.

Les contours du patron dessinés, et les notes inscrites dessus prises en compte, je l’enlevai de la table pour me faire de la place.

Il m’avait d’abord demandé de faire les manches, j’entrepris donc de découper les deux pièces, en deux fois. Mais il me manquait quelque chose pour ça. Me rappelant qu’il voulait vérifier à chaque étape ce que j’avais fait, je lui montrai le tissu avec un air sérieux.

« Qu’en pensez-vous ? Je peux vous emprunter des ciseaux et couper les manches ? »

Lui demander son avis revenait à lui signaler que j’étais sous ses ordres et qu’il était mon supérieur, mon boss, mon chef, mon maître, mon… Patron. Cela devrait lui faire plaisir.

J’attendis sa réponse en espérant qu’il accepte de me donner des ciseaux.

L'immense sourire qui se dessine sur son visage à quelque chose de faux, mais une lueur de contentement brille dans son regard. Il hoche doucement la tête.

- Bien bien mon petit, voilà les ciseaux, mais coupez bien droit hein ! ah ma pauvre vieille vue n'est plus ce qu'elle était...

Il déblatère pendant de longues minutes sur sa jeunesse de couturier, qu'il a créé des costumes tous plus fantastiques les uns que les autres, qu'il avait cousu des robes de soirées brodées de perles, des vestes décorées de brocards dorés, des pantalons de danse pour les messieurs, des écharpes chaudes, des voiles de soies pour les mariées...

Alors qu'il s'enorgueillit d'avoir quelqu'un à son écoute, le vieux commence même à délirer en expliquant qu'il est si grand couturier qu'il a préparé ce même costume pour le roi ! Quel roi ? Ne posez pas la question petit impertinent et travaillez !! Vous êtes là pour ça !

Toujours est-il qu'il souhaite que sa veste soit la plus parfaite possible et qu'il vous regarde travailler avec un scepticisme fin, un oeil d'amateur que vous repérer immédiatement et, il faut l'avouer, une envie aussi grosse que la ville du premier étage...

Je figeai mon grand sourire avenant sur mon visage. Je n'étais ni petit ni son fils. Mais les seniors avaient pour habitude de dénigrer les juniors. Heureusement que je n'avais pas vu de gens inintéressants avant lui. J'aurais eu sinon, beaucoup de mal à cacher mon agacement.

« Nien nien nien, "et coupez droit surtout". Tocard. »

Alors que j'allais me remettre au travail avec mes nouveaux ciseaux, le ridé commença à me conter sa vie. Comme à mon habitude, je laissai tout tomber pour me concentrer sur la conversation. Je le regardais dans les yeux, hochais la tête aux bons moments, ou exprimais une syllabe pour lui signaler que je l'écoutais et que je le comprenais.

« C’est qu’il sait parfaitement faire de l’esbroufe ce PNJ. »

J’étais presque ébahi par le développement de ce donneur de quête annexe. Il puait le gros mytho. Ou en tout cas, c'était mon ressenti. J'espérais tout de même me tromper. J'aimais les personnes âgées parce qu'elles pouvaient généralement m'apprendre des tas de choses.

Continuant de sourire, je le laissai s’émerveiller sur ses soi-disant chefs d’œuvre d’autan. S’il continuait à débiter ses conneries bourrées d'égo, je n’arriverais pas à finir rapidement sa veste faute de pouvoir me concentrer pour le couper droit, son tissu vert dégueulasse.

Et pourtant, j’avais des ciseaux de qualité à disposition.

... Peut-être qu’il disait vrai au final. Comment pouvait-il avoir un atelier si bien fourni dans le cas contraire ? Peut-être que je m'étais laissé influencer par les joueurs qui m'avaient fait découvrir la quête...

« D'ailleurs, ce costume est pour le roi ! »
« Wouah, la classe ! Quel roi ? »
« Ne posez pas la question petit impertinent et travaillez !! Vous êtes là pour ça ! »

Haha, il ne fallait surtout pas gratter les mensonges des mythomanes, j'avais failli oublier. Faisant mine de comprendre, je lui rétorquai qu'il avait bien raison. Après avoir écouté ses derniers ordres, qui ressemblaient à des menaces, je serrai les lames affûtées dans ma main gauche et lui empruntai une règle.

Sans lever le tissu, je guidai mes ciseaux en me servant de la petite planche en bois posée avec précision sur les pointillés du tissu. Elle permettait aussi à ce dernier de ne pas bouger. Délicatement, je le scindai en accordant une attention particulière aux courbes. Si je me loupai ici, ce serait du travail d'amateur. Heureusement, je n'étais pas débutant.

Je décidai de découper toutes les pièces de la veste pour gagner du temps. Je commençai par les manches et finis par la poche. Guidé par le système, je ne vis pas le temps passer et trouvai le résultat de ma découpe vraiment pas mal.

J'organisai les différentes pièces sur la table pour ne pas me perdre entre elles. J'allais d'abord m'occuper des manches, puis je m'occuperai des revers que j'assemblerai aux premières. Enfin, je m'occuperai du devant et du derrière avant de tout coudre ensemble. Il faudra alors vérifier que tout soit ait été bien fait. La poche extérieure serait la touche finale.

En résumé : l'organisation était primordiale en couture. En tout cas, c'était ce que ma mère me répétait.

« Et maintenant, qu'en pensez-vous ? Est-ce que je peux commencer à coudre les manches ? »

- Quoi ? Ce n'est pas encore fait ? Et bien allez-y qu'attendez-vous ?? Les jeunes de nos jours... Tous des tires-au-flanc...

Il gromèle un moment dans sa barbe inexistante et fini par dire qu'il faut couper et coudre le dos de la veste aussi et bien réaliser la queue de pie.

Bien sûr, il vous fait confiance et vous laisse travailler en vous scrutant tel un vautour...

J’encaissai les remarques gratuites de mon client en étirant mon sourire hypocrite puis me mis au travail.

Je repris les pièces de la veste ainsi que mon plan d’actions. En me référant aux pointillés précédemment esquissés, j’alignai avec précision les tissus à relier. Comme prévu, je m’occupai des manches en premier. Le fil vert dans ma main dominante et l’aiguille dans l’autre, je me montrai généreux quant à la quantité de fil à utiliser. Il y en avait beaucoup. Après avoir enfilé le fil dans le chas, je fis le nœud et, légèrement surpris, acceptai le dé à coudre que me tendit le donneur de quête.

Il était magnifique, en métal et gravé de deux petits ciseaux entourés d’aiguilles. Je le plaçai sur mon majeur après avoir complimenté puis remercié le vieillard pour sa gentillesse inattendue. Je ne comprenais rien à ce personnage. Peut-être qu’il ne mentait pas, qu’il était vraiment malade et travaillait réellement pour un roi.

Un coup d’œil sur son visage lorsque je piquai le tissu me remis le doute. Mais je me concentrai sur ma tâche et l’oubliai instantanément.

Méthodique, régulier et précis, je piquais rapidement en m’aidant du dé à coudre. L’aiguille s’y cognait, ce qui me permettait de la repousser plus facilement dans le tissu vert, épais et de qualité.

Il était plus complexe de travailler sur ce genre de fibres. L’épaisseur de l’aiguille elle-même jouait ici. Heureusement, mon demandeur m’avait mis à disposition le matériel le plus sophistiqué pour travailler ce tissu coloré sans en détruire les fibres et trop alourdir mon travail.

Je finis donc les manches rapidement, et mis la jonction des épaules de côté pour le moment. Je reviendrai dessus après m’être occupé du buste. Aidé du système, j’ajoutai les revers de manche. Grâce aux pointillés, je savais toujours où et comment piquer. Grâce à ma compétence et, peut-être aussi, au dé à coudre et à l'aiguille utilisée, mes mouvements étaient fluides.

Je présentai avec fierté les manches aux soi-disant couturier de renom avec un grand sourire. Ses remarques n'étaient ni négatives ni positives... Donc tout sauf constructives. Je ne pris donc pas la peine de trop l'écouter et me remis à la tâche.

Je m’occupai du dos et de l’avant de la veste en accordant beaucoup de soin à la queue de pie. Avec la poche, le revers des manches et les boutons que je comptais rajouter après accord du donneur de quête, la queue de pie constituerait un des éléments clés du costume. Ils feraient, ensemble, dégouliner de classe la personne qui portera la veste… Malgré la couleur un tantinet dégoûtante de cette dernière.

Je reniflai et m'appliquai.

Non sans quelque hésitation et réflexion, je suivis à la lettre les indications que j’avais moi-même esquissées sur les tissus pour parfaire la queue de pie. Même si elles venaient du patron donné par le vieillard, je n’étais pas à l’abri d’une erreur.

Je vérifiais donc à chaque fois deux ou trois fois si tout était parfait, si je ne m’étais ni trompé de bout de fibres, ni de doublure ou que sais-je. Une fois sûr, je continuais.

Je n’osais pas vraiment demander au couturier si mon travail lui allait. Je ne sollicitais son avis que lorsque je savais que j’avais parfaitement découpé ou cousu les pièces.

Je me doutais bien qu’il me mettrait à la porte s’il sentait le moindre manque de professionnalisme de ma part. Et puis, je n’avais pas envie de l’écouter cracher sur les jeunes d’aujourd’hui ou se vanter encore une fois. Enfin, j’étais toujours dubitatif vis-à-vis de sa capacité à m’apprendre des choses. S’il y avait des choses que je voulais chez lui, c’était (pour l’instant du moins) son matériel plus que son cerveau pixelisé corrompu par son égo surdimensionné.

De nouveau confiant, je liai ensemble une partie du devant et de l’arrière de la veste avant de les assembler aux manches. La jonction des épaules était délicate à faire. Il fallait vraiment être précis dans ses gestes et piquer au bon endroit en gardant les bonnes distances. C’était un travail fastidieux qui demandait beaucoup de concentration et de temps.

Lorsque je finis l’épaule gauche, je soufflai un coup et, laissant l’aiguille et son fil en évidence sur la table, je m’étirai. Je m’agrandis, les bras en l’air en prenant une grande inspiration. Puis j'expirai tout aussi longuement en pliant les genoux afin de mettre ma tête en bas.

C’était une bonne position pour ramener le sang jusqu’au cerveau, et oxygéner ce dernier. Ça permettait de reprendre ses esprits, de diminuer la sensation de fatigue et d’améliorer sa concentration. Anticipant les remarques désobligeantes du couturier, je lui expliquai avec bienveillance et patience les bien faits des pauses et des étirements. Même si je supposais que, si c’était bénéfique dans la réalité, ce pouvait être inefficace ici. Dans tous les cas, cela fonctionnait sur moi.

L’instant bien-être au travail terminé, je m’occupai rapidement de la deuxième épaule. J’avais pris de la vitesse. Maintenant que je connaissais bien le tissu, mon aiguille, mon fil et mon dé à coudre, j’étais très à l’aise.

La veste était quasiment achevée, ce que je montrai à mon employeur du jour. J’étais particulièrement fier du col que j’avais élaboré… Même si c’était lui qui avait tout dessiné.

Il ne restait que la poche extérieure, une petite partie du buste ainsi que les boutons et autres broderies dont je ne connaissais pas encore les tenants et les aboutissants.

Je ne pouvais cependant pas dire que le plus dur avait été fait. Si le couturier voulait des broderies, cela allait me prendre beaucoup de temps et d’énergie. Je n’étais pas très doué à ça, je n’en avais pas beaucoup fait. Je perdais trop rapidement patience. C’était un travail trop fastidieux et précis pour moi, pour l’instant. Et puis, je trouvais ça chiant pour pas grand-chose.

Je terminai donc le buste en achevant de coudre la poche. Celle-ci me donna un peu de… « fil à retordre » mais je m’en sortis grâce à l’expérience que je m’étais faite. J’adorais les poches, c’était très pratique, et je trouvais stylé le fait de les dissimuler à l’intérieur des vestes. Même si, pour ce projet-ci, ce n’était pas le cas.

Je m’occupai des dernières coutures que j’avais laissées de côté à cause de la poche extérieure puis vérifiai consciencieusement toute la veste.

Au bout d’un certain temps, je jugeai mon travail plus que passable. Je me tournai vers le couturier avec un regard sérieux et une posture que je voulais pleine de respect.

« Nous sommes sur la fin. Qu’en pensez-vous ? »

Je lui demandai ensuite quels boutons il voulait que j’ajoute et s’il avait une autre demande pour parfaire la veste de son roi.

L'homme d'âge mûr analysa votre travail sous toutes les coutures (sans mauvais jeu de mots bien entendu) et d'un oeil faussement critique. À présent vous pouviez en être sûr, il vérifiait que les coutures étaient belles en regardant le mauvais côté...

- Moui moui ça ira. Mais cette veste est pour moi jeune homme, j'ai seulement fait la même il y a longtemps. Les jeunes de nos jours, ils n'écoutent rien c'est tout de même terrible...

Il finit par sortir une boîte où sont entreposé de gros boutons dorés finement ouvragés et vous indique qu'ils veut les gros pour fermer le devant de la veste. Trois uniquement, pour ne pas avoir l'air ronflant. Il en sort également quatre petits à coudre au niveau des poignets de la veste pour resserrer les manches en cas de besoin.

- J'espère pour vous que vous savez coudre des boutonnières jeunes hommes, je ne veux pas que mes boutons deviennent inutile parce que vous aurez mal fait votre travail ! Ensuite, vous pourrez brodé ce motif sur la poitrine, côté coeur. C'est l'enseigne de ma boutique. Je la veux également en fil doré et faites-moi quelque chose de délicat voulez-vous ?

A ses mots ainsi qu’à ses « vérifications », j’eus beaucoup de mal à ne pas le regarder de travers. Il me blasait. Il ne servait définitivement à rien si ce n’était qu’à saouler son monde. Heureusement, mes nombreuses années d’hypocrisie m’avaient permis de maîtriser mon faciès.

Mon sourire s’élargissait au fil de ses remarques, même si je n’avais qu’une envie : lui dire d’aller manger ses morts.

Ses remarques inutiles sur les jeunes d’aujourd’hui me faisaient perdre mon temps. Ses mensonges par rapport au porteur de la veste ainsi qu’à ses talents inexistants m’agaçaient. Enfin, ses menaces et son mépris vis-à-vis d’un travail mal fait qu’il ne pouvait même pas reconnaître ne me permettaient aucune amélioration.

En ajoutant à tout ceci la complexité de la tâche, je compris pourquoi les joueurs avaient abandonné, énervés.

Cependant, son matériel était vraiment surprenant et intéressant. Lorsqu’il me montra ses boutons et son fil dorés, je cessai de l’écouter pour me concentrer dessus. Ils étincelaient, ils étaient magnifiques. Tout comme le motif qu’il avait choisi, soit, les ciseaux entourés d’aiguilles. Enfin… Si cette boutique et cette enseigne lui appartenaient réellement.

Je commençais à me demander s’il n’avait pas dérobé l’identité d’un autre PNJ. Un homme aussi peu fiable avec du matos pareil, c’était très étrange… Je faillis lui demander des informations sur ses collègues et collaborateurs couturiers avant de me raviser. D’abord, finir la quête, empocher gloire et récompenses. Ensuite, combler la curiosité.

Il était évident que ce PNJ à l’égo surdimensionné couperait court à la discussion s’il me sentait méfiant ou insultant. Il était important qu’il croie être le centre du monde entier… Pour l’instant.

Après lui avoir assuré que ce serait du gâteau, je plaçai les boutons dorés près de la veste. Je mis devant mes yeux les revers de manche et commençai par celui de gauche. En me basant sur mes précédentes expériences, je choisis la position future des petits boutons et ouvris les brèches qui les accueilleront.

Je m’emparai ensuite d’un des quatre objets étincelants. J’avais gardé l’aiguille épaisse pour traverser le tissu doublé. J’entrai l’aiguille dans un des trous d’un des boutons et cousis celui-ci. Je fis les mêmes étapes trois fois pour parfaire les revers de manche. Puis je liai les trois gros boutons au devant de la veste en queue de pie.

Je piquai plusieurs fois le tissu pour que les boutons tiennent bien, bougent peu. Le but était que cette veste soit assez résistante pour tenir quatre générations ! De plus, connaissant la délicatesse du personnage, je l’imaginai bien victimiser ces objets magnifiques.

Quoique… Peut-être respectait-il les vêtements plus que les humains ? Après tout, il semblait tellement intéressé par mon travail, peut-être était-il passionné par la couture sans jamais avoir pu apprendre cet art ?

… Sa tête de débile me fit à nouveau douter. Je soupirai très silencieusement en arrêtant de lui chercher des excuses.

Je coupai les fils qui dépassaient avant de montrer mon travail quasiment terminé au faux couturier.

Ensuite, je posai mon regard sur le fil doré avec une tête de personnage secondaire de film d’horreur rencontrant le démon. J’allais devoir m’occuper de ça... Quel challenge...

Je m’armai de courage avant de décalquer le motif sur la veste, pile à l’endroit que le faux couturier m’avait indiqué. Ça allait le faire, j’allais m’en sortir… Je l’espérais.

Mais avant tout, il fallait revoir la théorie.

Je me retournai vers mon client et activai ma compétence Négociation. Peut-être me permettrait-elle de gagner du temps et de continuer la quête.

« Votre motif est vraiment magnifique !! En plus de votre charisme sans égal, je pense qu’il rendra votre présence inoubliable aux fêtes de village. Il va sans dire que les petits gens parleront de vos talents aux alentours grâce à cela ! Déjà que vous êtes très connu, je n’ose imaginer votre impressionnante réputation après vos visites ! C’est ce pour quoi j’aimerais vraiment faire ressortir la beauté du motif à travers mon travail. M’accorderiez-vous un peu de temps pour choisir les meilleurs techniques de broderie nécessaires pour parfaire votre veste ? »

Pour le convaincre de me laisser réviser, je sortis le livre « La broderie des Rois »* que j’avais à peine feuilleté (… Peut-être… ? Une fois… ? Au chalet…?) en gardant un ton, un air et une posture convaincants.

J’avais bien fait d’accepter cette quête. Elle m’obligeait à apprendre de nouvelles choses et me faisait m’oublier.

Cela dit, je n’eus pas besoin d’insister. Le PNJ sembla éprouver beaucoup d’intérêt vis-à-vis du livre, bien qu’il répéta plusieurs fois qu’il connaissait tous les points de broderie par cœur. Certes, il me trouvait motivé et délicat, mais il était grand temps que je remplisse ma tête de choses importantes et intéressantes plutôt que de futilités. Ah, les jeunes, leurs sornettes, leurs bêtises… Nien nien nien.

Je le laissai s’indigner un moment en gardant un grand sourire tant compréhensif que désolé ainsi qu’un regard très captivé par son discours. Puis, en retenant mes soupirs face à ses coups d’œil envieux et peu discrets sur mon bouquin, je me mis théoriquement à la page concernant la broderie.

Fil et aiguille en main, je profitai des images explicatives et de mon matériel pour faire des essais. Je choisis les points et indiquai, dans un langage improvisé, au crayon et à l’intérieur de la veste, où il fallait faire lequel. Je mémorisai les numéros de page qui m’intéressaient puis décidai de commencer par le milieu du motif : les ciseaux !

Je commençai bien... Puis je sentis le souffle du PNJ sur ma joue. Un coup d’œil sur le côté me permit de comprendre qu’il regardait ce que je faisais de très près. Je me stoppai. Il me fallait lui trouver plein d’excuses, toutes plus ou moins valables les unes que les autres pour réussir à passer cette épreuve. Je détestais ne pas réussir, et je honnissais le fait que quelqu’un me voie échouer !

En tentant de continuer, je me trompai dans le cinquième point et commençai à m’énerver.

« Excusez-moi, pourriez-vous me faire un peu de place s’il vous plaît ? C’est très important pour que je fasse un travail de qualité. »

J’avais de plus en plus de mal à garder large mon sourire hypocrite et mon ton de petit enfant passionné par son maître de classe. Sans attendre sa réponse, je retirai une partie de mon travail puis recommençai.

Faire les points passés, commencer par le centre, finir le cercle du premier ciseau… J’avais retiré le dé à coudre pour m’obliger à prendre mon temps, et bien réfléchir avant chaque mouvement pour ne pas faire d’erreurs. J’étais concentré à l’extrême. Mon regard passait du cœur de la veste au cœur du bouquin.

Pour faire le bout du premier ciseau, commencer par la pointe… Continuer avec les points passés… Le lier au cercle...

Aide à la modération :

Je finis enfin le premier ciseau. J’en avais oublié de respirer, tellement j’étais concentré. Heureusement que ça ne changeait pas grand-chose ici. Je rentrai à l’intérieur de ma bouche ma langue déshydratée dont je venais de récupérer le contrôle.

Dieu que c’était intense la broderie !

Je laissai tout mon matériel sur la table et entrepris une nouvelle séance d’étirements. Je levai les bras, allongeai mon dos progressivement, puis ma taille, à gauche, à droite, et laissai tomber ma tête ainsi que mes épaules sur le sol en expirant d’un coup.

Ça faisait du bien.

Pas autant que mes ongles s’enfonçant dans ma chair.

Mais ça faisait du bien.

Je relevai mon visage blasé plein de déprime et de haine pour cet imbécile de PNJ ignorant et menteur. J’avais envie de rentrer chez moi. Dans le vrai chez moi. J’avais envie de me piquer avec cette épaisse aiguille, de me l’enfoncer loin, plus loin, toujours plus loin dans le bras. De la bouger, de gauche à droite, de bas en haut ; même en diagonal, pour ressentir cette impression de vivre qui n’existait plus ici.

Je gratterais ensuite autour du petit trou pour l’agrandir avec mes ongles, je ferais d’autres trous à côté avec mes canines et…

Et mon visage récupéra sa lumière. Je souris à nouveau au couturier.

« C’est bientôt fini ! Encore un ciseau et quatre aiguilles, puis vous serez fin prêt pour faire la fête ! »

Faussement enthousiaste à l’excès, je sautillai jusqu’à la table de couture avant de reprendre fil doré et aiguille argentée. Je choisis la longueur puis m’occupai du nœud avant de piquer à nouveau selon mes annotations, selon mon décalquage et selon le ciseau de gauche.

Il fallait faire la même chose. Il fallait rester droit. Il fallait rester centré. Et toujours faire des points passés.

Le deuxième ciseau fut plus rapidement brodé que le premier. J’attribuai ce gain de temps à ma pause et à mon expérience acquise plus qu’à mon envie de me casser. Et plus qu’à ma faim.

Avec les discours interminables du vieux schnock, mes révisions, mes erreurs à corriger et toutes les tâches précédentes et complexes à faire, le temps avait filé. Si bien qu’il serait midi dans une demi heure. J’aurais dû me faire un en-cas vers dix heures… Mon estomac avait entrepris de communiquer avec mon client...

Je voulais finir avant l’heure de déjeuner.

Je m’activai et enchaînai les points tiges et les points de bouclettes pour former les aiguilles du motif. Piquer, enfoncer, reprendre de l’autre côté, enfoncer à nouveau, faire un point renforcé, commencer le point différent, et enchaîner encore et encore.

Dans la réalité, j’étais persuadé que faire ça pendant aussi longtemps m’aurait donné le tournis et la gerbe. La broderie, ou cet art de gros débiles prétentieux qui se torchaient les fesses avec de la soie ou des billets de 10 000 yen lustrés.    

Après quelques erreurs dues à ma mauvaise humeur ainsi qu’à ma faim et ma fatigue, je réussis tant bien que mal à rendre un motif… Passable à mon client. Certains points auraient pu être plus droits, mais bon… Qu’est-ce qu’il y connaissait ce pauvre type aussi ? Je découpai les morceaux de fil en trop puis étendis la veste sur la table. La broderie et la couleur mises à part, elle était vraiment bien.

« Je pense qu’elle est terminée. Qu’en pensez-vous ? Que puis-je faire d’autre ? »

Je n’avais que deux envies : me barrer et manger. Cependant, ma bonne réputation à tenir m’obligeait encore à sourire et à écouter les remarques – sans doute barbantes et négatives – de mon cher client. Espérons qu'il se magne le train... Et qu'il me permette de revenir vers mes amis joueurs en héros.

Le vieux soulève la veste et la tourne puis retourne dans tous les sens... pour finalement laisser un sourire doux apparaître sur son visage et l'enfiler.

- Bien bien... elle est parfaite jeune homme.

Il va s'admirer dans le miroir un moment, se tournant pour admirer le travail finement réalisé, les broderies délicates, les boutons et leurs boutonnières parfaitement cousues...

- Je vous remercie... C'est une magnifique veste.

Il trottine jusqu'à un petit meuble de mercerie en bouleau et en sortant une bobine de fil presque transparent et revient vers vous en la serrant contre lui comme un trésor. Il finit par vous la céder avec un sourire :

- Tenez... Vous l'avez bien méritée.

Surpris par le manque de critiques de la part du faux couturier, je restai ébahi devant lui. Puis le message et la récompense de la quête me ramenèrent à la réalité. J'acceptai la bobine de fil en me promettant de l'utiliser à l'avenir (peut-être avant d'aller risquer ma vie pour vérifier une rumeur, tiens !) puis je tournai les talons avant de m'arrêter net.

Il n'y avait pas de restrictions de temps quant à la quête. Ce qui voulait dire que je pouvais la faire mille fois tous les jours si je le voulais. Si je sortais d'ici manger et annoncer la bonne nouvelle aux joueurs, il était certain que je ne pourrais plus questionner le PNJ menteur ici présent.

Or, j'avais autre chose à faire de mon après-midi que de lui coudre une nouvelle veste et d'accepter sans ronchonner ses remarques impitoyables à en faire chialer les fragiles pour combler ma curiosité.

Je fis donc volte-face et activai ma compétence Négociation, au cas où elle servirait à quelque chose.

"Dites-moi... Après avoir fait tout ce travail, je me rends compte que vous avez vraiment un matériel magnifique, et de qualité ! Ces aiguilles, ces fils, ce dé à coudre, même cette table... Où les avez-vous achetés ? Sont-ils à vendre ?"

Même s'il me disait vouloir les garder parce qu'il était un grand couturier et autres conneries, je saurais au moins où il les avait récupérés et je pourrais me les procurer. Dans tous les cas, il était probable que je le traite de menteur avant de partir en lui donnant des exemples de son incompétence.

Le but serait simplement de voir sa réaction. Peut-être que, si je promettais de garder le secret et de lui faire de la pub auprès des joueurs couturiers, il m'avouerait la vérité et me présenterait à des vrais manieurs d'aiguille. Ou peut-être me donnerait-il la méthode pour voler l'identité d'un PNJ ou, même, d'un PJ ? Je ne savais pas du tout à quoi ça me servirait si tel était le cas... Mais apprendre avait le don de me faire m'oublier.

En continuant de sourire, j'attendis la réponse du vieillard avec une curiosité visible et un mépris imperceptible. J'avais faim.

Le mot "vendre" semble déclencher un dialogue annexe chez le vieux qui prend un air hautain et rabat son écharpe sur son épaule avec une moue dégoûtée à votre attention.

- Je suis un créateur moi jeune-homme, je ne "vend" pas !

Ensuite, il répétera toujours la même et unique phrase en boucle. Car après tout, ce n'est qu'un PNJ, une série de 1 et de 0 qui, mit bout à bout semble vaguement humain...

- Je vous remercie... C'est une magnifique veste.

… J’aurais dû m’en douter. J’aurais dû y faire attention.

Je faillis mettre une balayette au vieillard avant d’être rappelé à l’ordre par mon estomac bavard.

Tant pis. Soit je referai la quête, soit je demanderai à une de mes connaissances d’y aller juste pour lui poser toutes mes questions délicates.

D’un côté, j’étais soulagé d’entendre des mots gentils sortir de la bouche ridée du PNJ, de l’autre, je m’en voulais de ne pas avoir assez réfléchi avant de parler. J’aimais les mystères, j’aimais aller au bout des choses.

Heureusement, cette nuit, je devrais justement valider ou non une de mes hypothèses. Cela m’excitait pas mal, après toutes les recherches que j’avais menées pour comprendre le phénomène du 25ème étage. J’espérais qu’un nombre important de joueurs m’accompagneraient dans ma quête. Auquel cas, il était certain que je mourrais si j’osais y aller seul.

Je soupirai et décidai de me contenter de la récompense de la quête du faux couturier.

Je répétai en boucle des insultes à son égard. Avant de partir, je notai toutes les données issues du patron de la veste queue de pie. J’aimais énormément ce style de vêtement. Ça allait me servir.  

Lorsque je sortis, l'air frais me fit du bien. J’avais l’impression que cela faisait une éternité que j’étais dans l'atelier du mytho.

Je me posai sur un des bancs en pierre et sortis mon déjeuner : le Nigirizushi de saumon. Contrairement au petit pain rond, que j’avais l’habitude d’avaler à la va-vite afin que son goût peu ragoûtant ne stagne dans ma bouche, je savourai ce plat salé.

J’avais encore tout l’après-midi pour me préparer pour cette nuit.

Aide à la modération :

Nombre de ligne : 2/2
Qualité de la langue : 2/2
Avancement du RP : 1/1

Pseudo :Ari
Nombre de messages :10
Cols gagnés :1 210 cols
Cols dépensés :0 cols
Objets utilisés :Nigirizushi de saumon x1
Objets obtenus :
Bobine de fil (Ajoute +2 au bonus total d'un équipement sans influer sur la réussite de l'objet) x1
Compétences gagnant des points :
Couture +7 (dont +2 en récompense de quête)
Négociation +1
Niveau début du rp :21
Niveau(x) gagné(s) :1
Réputation :1¤ 1+
Remarques :Un excellent RP de craft ! Dans le cadre d'une quête certes, mais rondement menée. Un caractère toujours agréable à lire, et une description des étapes parfaitement claires et détaillées, j'aurai presque envie d'essayer !
Mention spéciale pour la tentative d'extorsion d'informations~ Fallait la tenter, celle-là !