Le 3 Juin 2023, à 8h.

Assise à même le sol, le regard dans le vide, je sentais mes jambes et mes bras s'engourdirent. Pourtant, je ne bougeai pas d'un millimètre. Je restais là, regardant une scène imaginaire se dérouler sous mes yeux. Une scène où je jouais un rôle. Peut-être que je l'avais vécu, peut-être qu'elle n'était que le fruit de mon imagination. Je ne savais plus. Je ne cherchais pas à savoir, j'observais seulement.
Une petite fille d'une dizaine d'années aux longs cheveux noirs se trouvait dans un jardin. Moi. Elle fixait le haut d'un pommier déjà couverts de fruits. Sur une branche élevée à plus de cinq mètres du sol, une autre fillette, presque identique à la première, était assise. Seila. Elle balançait ses jambes à rythme régulier au-dessus du sol sans se préoccuper des quelques traces de terres et les égratignures qui les parsemaient. Elle avait toujours aimé grimper aux arbres, même si cela n'avait rien de très élégant ou gracieux. Moi aussi, j'appréciais de le faire. C'était pour cette raison que la Seila d'il y avait plus de sept ans tendait une main à la petite fille qui attendait son tour au pied de l'arbre. Cette dernière ne se fit pas prier pour accepter l'invitation silencieuse commencer à s'agripper à l'écorce de l'arbre fruitier. Il n'y avait rien de bien passionnant à la regarder faire. Même si elle se débrouillait, elle glissait parfois et manquait de chuter à plusieurs reprises. a force d'efforts, elle réussit malgré tout à s'installer aux côtés de sa jumelle, toutes deux souriantes et discutant. Pour faire cela, elles auraient tout aussi bien pu rester au pied du pommier. Mais, quand on est enfant, on cherche souvent à dépasser ses propres limites afin de voir jusqu'où nous sommes capables d'aller. Quoique que ces deux fillettes avaient simplement dû vouloir se retrouver en hauteur pour leur conversation.

Je restais là, à les observer discuter et rire, en me demandant quand est-ce que nous pourrions recommencer à le faire.

Etait-il possible de pleurer dans un jeu ? Aussi réel soit-il, je n'en étais pas sûre. Pourtant, à cet instant, j'en avais envie. Cela faisait plusieurs mois que je mettais retrouver piégée dans ce jeu, plusieurs mois que je mettais mise en tête de retrouver ma sœur. Mais rien n'avait avancé. J'en étais toujours au même point. Pas étonnant. En réalité, je ne connaissais presque rien de ce jeu. Son fonctionnement, son réel but ou encore les moyens afin de gagner en expérience plus rapidement, je n'en avais que de vagues idées, rien de concret, rien de réellement utile. J'ignorais même les limites des possibilités que j'y avais. Le fait que je sois encore en vie devait relever du miracle. Peut-être qu'au finale, celle qui aurait dû disparaître n'aurait pas dû être ma sœur mais moi. Elle, elle aurait su quoi faire, comment se rendre utile,
comment aider d'autres joueurs. Je n'étais pas son double parfait, je n'avais aucun moyen de l'être et encore moins d'agir comme elle l'aurait fait. Elle me manquait. L'espoir qu'elle soit encore en vie commençait à s'éteindre petit à petit. Je ne l'avais pas trouvé, sûrement ne le ferais-je jamais. A quoi bon retourner dans une réalité où ma jumelle n'y serait pas ? Mais d'un autre côté, pouvais-je, sur un coup de tête, la considérer comme étant morte sans preuve ?

C'est compliqué... injuste et compliqué...,murmurai-je pour moi-même.

Le sol ne m'avait jamais paru aussi confortable. Je n'avais pas souvenir d'avoir passé beaucoup de temps à cet étage par le passé pourtant il était relativement calme. Jusqu'à présent, je n'y avais vu que très peu de passage. Calée contre une roche des montagnes, je fixais toujours le vide, poursuivant la vision de cette scène fictive que j'étais la seule à pouvoir voir. Comme je restais simplement immobile, d'autres joueurs m'auraient sans doute prise pour l'une de ces personnes qui se laissent dépérir, peut-être n'auraient-ils pas eu tort, ou pour un PNJ proposant une quête. Je m'en moquais. J'entendis des pas se rapprocher. Le bruit n'avait jamais été aussi proche. Quelqu'un arrivait et, qui qu'il soit, verrait l’adolescente en peine que j'étais à ce moment.

Je relevait légèrement la tête à l'entente d'une voix et d'une demande d'aide. Encore à moitié dans la lune, je vis une autre joueuse, sûrement un peu plus jeune que moi, quoiqu'assez grande pour l'âge que je lui attribuait. Habillée d'un semblant de cuir et d'un capuchon, elle avait de longs cheveux noirs et rouges. Je penchai légèrement la tête sur le côté, cherchant durant quelques secondes quoi lui répondre.

Désolée, je... Je ne connais pas très bien l'endroit...

Réponse pathétique. Sans rien ajouter, je baissai mon regard vert à nouveau, m'attendant à ce qu'elle parte. Elle n'avait obtenu aucun renseignement, il me paraissait donc logique qu'elle ne veuille pas rester plus longtemps.  Alors, pourquoi avais-je l'impression qu'elle ne bougeait pas ? Aucun bruit de pas qui s'éloignait, pas de soupir exaspéré par mon comportement et encore moins un reproche de sa part ne venait troubler le silence qui s'était imposé entre nous.

Sans un bruit, je m'appuyai contre la roche d'une main et me relevait doucement. Tanguant un peu, je gardais appuie tout en dévisageant une autre fois la nouvelle venue. Je n'avais jamais dû la rencontrer, elle ne m'aurait pas appelée "mademoiselle" dans ce cas-là. Elle cherchait simplement une auberge dans cette ville un peu trop complexe et tordue à mon goût. Ce n'était pas si compliqué, en soi elle ne voulait qu'un renseignement. Et même cela, j'étais incapable de lui donner. J'étais réellement inutile. Je ne vis pas ma vue se brouiller mais sentis quelque chose couler sur ma joue. J'y portai alors ma main droite et réalisai que des larmes avaient commencé à y couler. Je les essuyai sans pour autant parvenir à stopper mes pleurs. Finalement, on pouvait bel et bien pleurer dans un jeu vidéo. La sensation restait différente que dans la réalité mais la tristesse et le sentiment d'impuissance ne changeaient pas. Je reniflai doucement.

Pardon. Je ne suis vraiment bonne à rien, on dirait. Mais, si tu veux, je peux t'aider à chercher. L'étage doit être assez vaste, non ?

Simplement me rendre utile, me prouver que je pouvais encore accomplir une tâche, même des plus insignifiante, voilà ce que j'essayais de faire. C'était peut-être un peu trop égoïste et présomptueux de ma part. Après tout, qui avait besoin de moi ?

Je ne répondis pas au remerciement de cette fille. Je m'étais simplement contentée d'un hochement de tête presque imperceptible. Je reniflai doucement tandis que les dernières traces de larmes s'effaçaient de mes joues avant de pencher légèrement la tête à l'entente de sa question. J'avais l'impression de marcher au ralenti, je n'avais envie de rien en particulier. Ni parler, ni marcher mais encore moins rester ici. Sûrement la déprime encore présente.

Mayu..., fis-je d'une voix plate et morne, et toi ?

Tandis qu'elle se présentait, j'observais les lieux. La ville me paraissait plutôt déserte et calme. Cela m'angoissait presque. Elle n'avait rien à voir avec l'accueillante Ville de Départ où ce jeu avait commencé. Ici, le temps semblait n'avoir aucun impact, un semblant de vent soufflait toujours, des montagnes s'élevaient et, au loin, un forêt se dessinait distinctement. Pourtant, les rares bâtiments visibles se ressemblaient et je n'en voyais point qui aurait pu servir d'auberge. Je soupirai doucement. A mes yeux, cet endroit n'avait aucun intérêt. Enfin, sauf celui d'être l'idéal lorsque l'on souhaitait s'isoler un peu. Quoiqu'on finissait tout de même par tomber sur des gens. Pour preuve, je prenais mon cas.

En pensant à l'inconnue, je reportai mon attention sur elle. Elle avait gardé sa capuche abattue sur sa tête et je doutais qu'elle ne soit prête à la soulever. Malgré cela, certaines mèches de ses cheveux en dépassaient. Ainsi, je découvris qu'ils étaient noirs et rouges à la fois. M'étant familiers, je me demandai si je n'avais pas déjà observé ce détail, quelques minutes plus tôt. N'ayant aucun moyen de le savoir, je me fis simplement la réflexion qu'ils étaient assez jolis et avaient un bon rendu. Ajoutés à ses vêtements de cuir, elle apparaissait comme discrète ou sournoise, voire intrigante. D'un coup d’œil, je vis sa main se poser sur le manche de son épée. J'haussai un sourcil. N'avait-elle pas confiance ? Pourtant, c'était elle qui m'avait abordée la première, pas l'inverse ! Peut-être qu'elle faisait cela par réflexe ou mesure de sûreté.

D'ailleurs, est-ce que tu as un objectif particulier dans le jeu ? A part chercher des auberges dans une ville complètement vide, bien sûr...

Autant essayer de faire la conversation pour en savoir plus sur ses intentions. Machinalement, je palpai le pommeau de ma propre arme, comme pour vérifier qu'elle restait bien à ma portée. Je me trouvais à environ un mètre de cette joueuse, si elle tentait quelque chose, je devrais riposter rapidement.

Rester en vie, aider d'autres joueurs mais sans faire partie d'une quelconque guilde...

C'était de beaux objectifs, un peu optimistes mais vraiment censés, je devais bien l'avouer. J'enviais presque cette Sary d'avoir des buts si bien définis et de s'y accrocher avec tellement de volonté. Une volonté sûrement inébranlable, du moins à première vue. Peut-être avait-elle quelque chose de précieux à retrouver dans le monde réel. Curieuse, j'aurais aimé lui en demander plus mais les mots ne sortaient pas. Mes interrogations restaient coincées dans le fond de ma gorge, m'étouffant presque d'un poids beaucoup trop lourd pour être libéré d'un coup. J'abandonnai l'idée de lui poser cette question qui me brûlait pourtant les lèvres en l'entendant m'expliquer qu'elle n'était pas une PK. Je soupirai doucement. Mon angoisse était-elle donc à ce point perceptible ? J'aimerais lui faire confiance, croire ses paroles à l'allure sincère. Vraiment, une part de moi tendait vers cette idée. Cependant, l'autre partie se refusait de tomber dans le piège d'un mensonge et d'une trahison. Je ne savais pas grand chose de cette fille alors pouvais-je lui faire confiance aussi facilement ? Malgré mes doutes, mon instinct me poussa à lui offrir un sourire.

Un sourire qui disparut bien vite. En fait, il disparut à l'instant même où elle me retourna ma précédente question. J'en retins mon souffle durant quelques secondes avant de serrer légèrement le poing gauche, celui longeant mon corps.

De base, je cherche principalement quelqu'un. Ma sœur, nous avons été séparé le premier jour, enfin en quelques sortes. Je cherche aussi des objets assez rares pour lui faire plaisir quand je la reverrai. Après, bien sûr je veux rester en vie. Je n'ai rien à faire dans ce jeu, il faut dire que je n'y connais vraiment rien en MMORPG.

Je me tus ensuite durant quelques instants. En balayant la zone du regard, je remarquai que nous venions d'arriver dans une zone beaucoup plus animée que celle où je m'étais initialement réfugiée. Je relâchai la pression exercé par mon poing en lissant machinalement l'un des pans de mon short. Geste inutile mais incontrôlable. Je posai à nouveau mon regard sur Sary.

Dis, comment fais-tu pour aider les gens ici ? Je veux dire, en général, les joueurs préfèrent se regrouper en guilde pour se battre ensemble, trouver des informations plus facilement ou faire je ne sais pas trop quoi en groupe. Mais toi, tu veux rester seule. Comment fais-tu pour aider alors ?

Je me mordis l'intérieur de la lèvre avant de me dire que j'en avais trop dit pour m'arrêter en si bon chemin. Avant même qu'elle n'ait pu ouvrir la bouche pour me répondre, je poursuivis.

Tu crois vraiment qu'on peut aider en restant seul ? Moi, je ne suis pas spécialement forte mais j'aimerais aussi aider pourtant, seule, c'est plus que compliqué ! Voire impossible !

Etrangement, sa réponse m'arracha l'ombre d'un sourire. Elle paraissait presque un peu idéaliste. Sûrement comme beaucoup aux débuts du jeu, elle voulait aller de l'avant et ne pas abandonner. Je soupirai doucement. En réalité, au vue du temps qui avait passé depuis l'annonce de Kayaba le premier jour, seuls les joueurs qui avaient cette volonté de se battre devaient encore être en vie. J'imaginais mal qu'une personne totalement abattue ait pu trouver sa place si son état d'esprit n'avait pas changé.

Tu sais, il y en de moins en moins, des personnes désespérées ou au bord du vide, je veux dire. S'il n'y en a plus, qu'est-ce que tu feras ?

En posant ma question, je laissai ma main retomber le long de mon corps, délaissant entièrement le pan de mon short blanc. J'avisai rapidement les alentours. Il y avait nettement plus de personnes que ce que j'aurais cru. Je n'avais pas été isolée si loin, si ? Etais-je réellement si mal au point que je ne les avais pas entendu ou alors avions-nous parcouru une distance plus grande que celle que j'estimais ? Au fond, peu importe. Certains joueurs, ou peut-être s'agissait-il de PNJ, s'arrêtaient en chemin et fixaient distraitement Sary. Il fallait dire qu'avec sa tenue et ses cheveux descendant plus bas que ses reins, elle dégageait quelque chose de quelque peu intimidant. Je me demandai si elle avait toujours été comme cela.

Sary ? En vrai, pourquoi est-ce que tu ne veux pas intégrer de guilde ? Si tu étais vraiment quelqu'un de si solitaire que tu le prétends, je doute que tu irais vers les joueurs aussi facilement que tu l'as fait avec moi. Ce n'est pas cohérent !

En terminant ma phrase, je reposai mon regard émeraude sur la jeune fille. Je ne comprenais pas son comportement et ses intentions me restaient flous. Ça m'agaçait. Pourtant, en y réfléchissant bien, rien de ce qu'elle pourrait dire ne m'avancerait vraiment. Mais j'étais prête à tout pour obtenir une réponse de sa part, aussi insignifiante et inutile soit-elle.

Je m'emballai peut-être un peu trop. Après tout, elle avait le droit de ne pas vouloir intégrer de guilde. Quoique ça lui serait sûrement profitable. Personne ne pouvait prédire combien de temps nous allions encore rester coincé dans cet univers virtuel et fantaisiste. Cela pouvait aussi bien se compter en mois qu'en années ! Et cette fille affirmait qu'elle préférait rester seule tout en aidant les autres ! Je ne voyais pas de logique à cela. Aider les autres alors que l'on vit en permanence dans la solitude, ça me dépassait. Et quand bien même cela était possible, pourquoi n'y arrivais-je pas ? Pourquoi ne parvenais-je pas à réaliser quoique se soit qui puisse avantager d'autres joueurs, ici ? Si elle, elle avait réussi à trouver comment le faire, je voulais qu'elle me l'explique. J'avais bien le droit de savoir, non ?

J'écoutai ses réponses calmement. Elles ne m'étonnaient pas réellement. Elles étaient un peu classiques mais restaient un véritable problème pour encore certains joueurs prisonniers dans ce monde. Pourtant, notre entrée dans ce jeu remontait à plusieurs mois. Beaucoup avaient choisis d'aller de l'avant. Sary, elle, me paraissait presque vivre dans le passé. Elle disait avoir peur. Dans les premiers temps, c'était normal. Cependant, à la vitesse où les étages se débloquaient et où les bosses se faisaient battre, si elle n'arrivait pas à laisser cette peur de côté, j'avais du mal à concevoir qu'elle puisse poursuivre son aventure solitaire.

Ce n'est pas simplement se faire des amis. Bien sûr, c'est le mieux et dans ce jeu, c'est important. Mais rien que pour réussir à progresser ou pour battre des monstres plus puissants que d'habitude. Tu n'es pas forcée d'intégrer une guilde pour ça.

Suite à cette pseudo-leçon de morale, je pris une grande inspiration. L'air était vrai et vivifiant. Aussi réel que celui des montagnes du véritable monde, il paraissait apporter pureté et calme. Peut-être était-ce pour cela que je me sentis quelque peu apaisée.

Je ne quittai pas la jeune fille aux cheveux bicolores du regard. Je m'arrêtai même de marcher à quelques pas d'une immense bâtisse de bois peint. L'enseigne tombait à une dizaine de centimètres au-dessus de la porte mais était retenue par deux épaisses cordes tressées. Je ne perdis pas de temps à lire ce qu'il y avait d'écrit dessus. Ce n'était pas ma priorité, quoiqu'il me semblait chercher quelque chose dans cette ville... Je chassai cette idée d'un bref mouvement de main. Non, ne pas se laisser déconcentrer.

Ecoute, je ne vais dire que ce n'est pas bien d'aider d'autres joueurs parce que ce ne serait pas vrai. Au contraire, je trouve que c'est vraiment gentil de ta part. Simplement, il ne faut pas que ça passe au-dessus de tout ! Le jeu a évolué, tous les joueurs ont évolué ! Plus personne ne mourra aussi facilement qu'au début ! Si tu penses le contraire, tu sous-estimes plusieurs personnes et en plus tu rates des opportunités. En plus, certains refuseront certainement ta pitié.

Puis, alors que je parlais, une petite idée s’immisça dans ma tête. Sa volonté d'aider les gens résultait-elle d'une certaine forme de pitié envers eux ? Je n'aimais pas être prise de haut ou par pitié. Ça m'agaçait tout comme penser que Sary avait accepté mon aide pour cette raison le faisait. instinctivement, je martelais nerveusement le bout de mon épée d'un doigt. Si mon ongle avait été réel, cela aurait sûrement fait longtemps qu'il se serait fissuré tant je tapotai de plus en plus fort. Je n'arrivai plus à me débarrasser de cette idée. Elle me tourmentait presque.

Dit, tu n'as pas accepté que je t'aide parce que tu avais pitié de moi quand même ?

Une main plaquée sur la hanche, je regardais Sary. Je tapotai légèrement le sol du pied, d'une jambe mi-pliée. Cet appui souple que j'avais contrastait un peu avec mon dos droit et mes doigts si crispés que de pâles phalanges auraient pu se laisser entrevoir si je n'étais pas seulement faite de données numériques. Machinalement, je lâchai un soupir d’exaspération en entendant sa dernière réponse. Sa voix n'avait pas eu cette ombre d'assurance qu'elle avait gardé jusque là. Lorsqu'elle m'avait raconté toutes ces choses sur ses motivations ou ses objectifs, il n'avait pas été compliqué de déceler cette part de persévérance et de confiance en soi qu'elle avait eu. Là, je n'entrevoyais que de la surprise et l'incompréhension.

Pour quelles autres raisons sinon ? On ne se connaissait pas avant cela...

Je sentis un frisson me parcourir le corps. Je pensais que cette sensation allait se défaire d'elle-même pourtant elle perdurait. Je mis ainsi plusieurs secondes à me rendre compte que, en réalité, je ne frissonnais pas. Non, je tremblais. Je réalisai soudain l'énorme poids de ma faiblesse. Je ne pouvais m'empêcher de sympathiser avec les gens. Je leur parlais, les écoutais et tout se passait comme si je ne les avais pas rencontré quelques minutes plus tôt. Cela ne me posait pas problème. En soi, être sociale ne formait un handicape. Malheureusement, j'avais sans cesse l'impression qu'une affreuse réalité me rattrapait. Les gens me cachaient sans cesse des choses. Ils agissaient toujours en partant du principe que sans eux, sans leurs actions, sans leur pitié, je ne pourrais jamais me débrouiller. Ça me dégoûtait.

Oui, j'avais des moments de faiblesse. Oui, j'étais malheureuse, seule dans cet univers. J'en gardais tous les droits ! Ça ne signifiait pas pour autant que j'étais faible ou que je ne pouvais me débrouiller sans l'aide permanente d'autrui. Jusqu'à maintenant, je m'en étais assez bien sortie, du moins telle était la manière dont je percevais mon avancée actuelle. Je n'aimais pas être prise pour inutile, fragile ou impuissante. C'était un principe, en résumé de cause, je n'avais rien contre elle.

Je croisai les bras, d'un air lasse, avant de m'approcher de quelques pas de la joueuse. Je me plaçai à environ un mètre d'elle, toujours en attente d'un réponse satisfaisante. De là, j'aurais facilement pu la menacer avec mon épée ou la retenir par le bras si elle tentait quelque chose. Pourtant, nous n'en étions pas non plus arrivées à de telles extrémités, non ?

Alors ?

Autour de nous plusieurs PNJ s'étaient regroupés. Je n'y faisais pas plus attention que cela. Pas que j'ai l'habitude me retrouver au centre d'une telle attention. Simplement, j'étais plus concentrée sur Sary et ses réponses que sur eux. Et puis, à l'heure actuelle, même s'ils formaient foule, je voyais mal comment ils pourraient intervenir. Il ne me semblait pas avoir déjà entendu une histoire dans laquelle un PNJ se serait vu attribué le rôle d'un pseudo-policier. De plus, je ne faisais rien de mal ! J'essayais juste d'obtenir une vérité. D'ailleurs, elle mit un certain temps à me répondre. Cela me fit froncer les sourcils. Pourquoi avait-elle besoin de chercher ses mots si elle n'avait rien à cacher ?

Même si sa réponse finit par arriver, je ne l'écoutai qu'à moitié, comme prise dans un étau. Je me maudissais intérieurement de toujours croire aux premières belles paroles des gens et ne comprenais pas pourquoi ils devaient forcément juger que j'étais faible. J'avouerais volontiers que je ne croyais pas un traître mot de ce que la jeune joueuse aux cheveux rouges et noirs venait de me dire.

Mais ça ne te donne pas le droit de décider si je suis pitoyable ou non ! Je ne suis pas une petite fille fragile complètement inutile quand même !

En laissant éclater cette dernière phrase, je décroisai brusquement les bras. Sans que je ne m'en rende compte, le droit heurta l'épée de Sary. Enfin, il dut plus le frôler que réellement le heurter puisque je ne crus d'abord sentir que le frottement de l'air. En vérité, je ne m'en rendis compte que lorsque j'entendis le bras du métal cogner contre le sol de pierre grise. Machinalement, je me baissai pour la ramasser. Elle était d'ailleurs plus lourde que je ne l'aurais cru. Elle devait être adaptée pour n'être tenue qu'à une seule main puisque je pouvais la saisir sans recevoir un quelconque message d'erreur. A mon goût, elle restait pourtant très jolie.

Je tenais toujours sa lame d'une main quand je relevai à nouveau la tête vers Sary, me redressant complètement par la même occasion. J'attendais. Quoi ? Je ne savais pas vraiment. Peut-être une réponse ou un acte de sa part. Peut-être que j'en faisais trop après tout. Peut-être que je ne devais pas m'emporter de la sorte. Mais c'était elle qui avait commencé !

Récapitulatif:

Sans répondre, je baissai mon regard émeraude vers cette épée qui ne m'appartenait pas mais que je tenais malgré tout. Machinalement, je resserrai mon emprise sur celle-ci. Mes yeux en parcouraient la lame sans réellement s'y attarder. Ils la voyaient mais ne l'observaient pas le moins du monde. Cette arme servait juste d'appui à mes réflexions et, surtout, d’échappatoire aux iris de la jeune fille face à moi.

Intérieurement, je bouillais de rage. Fierté de mise, je n'arrivais pas à concevoir qu'elle ait pu me juger aussi pitoyablement. Justifiés ou non, cet acte m'agaçait. Pire, je ne le supportais pas. "Inutile de s'énerver pour si peu " qu'on m'aurait dit. Mais pourquoi devrais-je accepter ce genre de choses ? Elle était en tort, du moins, j'en avais la conviction. De quoi serais-je coupable puisque c'était moi qui me retrouvait faussement jugée ? Rien ne pourrait me porter préjudice dans cette histoire. Je ne perdrais pas.

Je relevai finalement la tête avant de la pencher doucement sur le côté en dévisageant Sary. Toujours silencieuse, j'admis mentalement que je ne voulais pas vraiment me battre contre elle. Avant cela, elle ne m'avait pas particulièrement paru méchante. Je l'avais même plutôt bien appréciée. Allais-je alors laisser passer cet écart ? Je soupirai doucement en faisant tourner l'épée de la jeune joueuse aux cheveux bicolores dans ma main droite. Vraiment, je me sentais complètement prise en étau entre les deux aspects que j'avais d'elle. J'aurais presque préféré qu'elle soit entièrement et fondamentalement mauvaise, tiens ! Cela m'aurait facilité le choix ! Actuellement, ma tête se remplissait de contradictions, de suppositions et de monceaux de phrases sans queue ni tête.

Est-ce que c'est vraiment une demande ou plutôt un ordre ? soufflais-je doucement en levant les yeux vers un nuage qui s'élevait derrière Sary.

D'accord, j'essayais bien de gagner un minimum de temps afin de me remettre. Mais j'étais perdue. Je me sentais dépassée par la situation. Je perdais le contrôle de ce que je pensais acquis : ma condition mentale. Je ne savais plus quoi faire.

Pour si peu. Oui, pour si peu, je me retrouvais à peser le pour et le contre. Pour si peu, je m'emportais. Pour si peu, je voulais envoyer cette épée valdinguer le plus loin possible de ma vue. Pour si peu, j'hésitais à tout laisser tomber et à partir, faire comme si je n'avais jamais croisé le chemin de cette joueuse et compter sur ma chance pour oublier cette journée. Pourtant je ne bougeais pas d'ici.