20 mars, 17h02, palier 1

Même en tentant violemment de me remémorer cette journée en détail, j’arrivais pas à me souvenir de pourquoi j’étais retournée à ce premier étage. Tout y était magnifique : les bâtiments immenses étaient nombreux et majestueux, le soleil et la nature formaient les premières choses que l’on pouvait admirer et il y avait tant de statues merveilleuses à contempler !... Et pourtant, revoir toute cette splendeur ne me plaisait pas. Oui, cette gigantesque ville puait la richesse et ses PNJ schlinguaient l’arnaque (tout l’était pour moi), mais j’avais l’impression que ces derniers n’étaient qu’ironie. Ils semblaient si gentils, si accueillants et chaleureux. Alors que leur but n’était que de nous faire oublier la réalité et finir par nous enfermer dans une cage virtuelle avec notre consentement différé.

Sans m’en rendre compte, j’étais revenue à la place où tout avait commencé. Je me demandai combien de lâches étaient restés à ce niveau, terrés, effrayés, et accompagnés de leur vie dénuée de sens. Quoique…Si les PNJ sympathiques faisaient bien leur travail, la peur n’existait plus par ici. Et dire que des braves joueurs se démenaient comme des fous, risquant vie, honneur et dignité, pour ces enfoirés sans couilles sans doute ingrats. Je soupirai. C’était incroyable comme je détestais cet endroit. D’accord, l’annonce ne m’avait pas empêchée d’aimer ce monde et ce que j’étais devenue, j’adorais toujours autant les jeux vidéo. Mais, même si c’était pour me montrer un meilleur univers que celui qui m’avait vu naître, je haïssais être limitée dans mes mouvements et devoir répondre aveuglément à ce qu’on me disait de faire. Ah ces Hommes, jamais contents !

Je fixai l’immense stèle au centre de la place et remarquai l’heure. Haha, bientôt, les minutes de ce jour et celles de la précédente annonce correspondraient. Mais je ne perdis pas autant de temps pour me rappeler l’Événement. Ça faisait combien de temps maintenant ? Deux mois, trois mois ? Si l’heure et la date n’avaient pas été inscrites dans le menu, j’aurais vite perdu toute notion du temps. Déjà que mon sens de l’orientation était à chier… Sans m’arrêter de marcher, j’étais allée au bord de l’Aincrad pour contempler les nuages. Si je pouvais compter le nombre de lâches cachés dans les auberges, les chopper et les menacer un par un, je pourrais jamais rencontrer les suicidés de ce monde. Heureusement que j’étais une vraie geek, sinon j’aurais sans doute décidé d’être raisonnable et aurais tenté de me déconnecter comme ça. En sautant dans le vide.

Je me stoppai net en m’appuyant sur la rambarde pour faire de nouveau face à la colonne longue et verticale. Il n’y avait plus beaucoup de monde par ici… Et pourtant, mes souvenirs du lieu étaient loin d'être dépourvus d'une masse de gens. J’eus alors une vue d’ensemble de tout ce qu’il s’était passé ce jour-là. La téléportation obligatoire, le gros attroupement de joueurs abasourdis, les véritables physiques dévoilés, la déclaration de Kayaba, les informations vagues de Kayaba, le récapitulatif du nombre de morts de Kayaba… Puis les cris, les bousculades, les hurlements d’incompréhension, les sauts vers la mort, les pleurs et…

J’avais complètement oublié. Mon instinct de futur médecin avait failli prendre le dessus ce jour-là : bien que tout le monde fût saisi d’effroi, j’avais vite remarqué une demoiselle non loin de là où je me tenais. Tremblante, hurlante, la respiration saccadée, la sueur dégoulinante, elle n’avait pu se contrôler et un joueur avait dû l’emmener hors de la place. La tête de l’intéressée me revenait pas en mémoire, mais en même temps j’en avais rien à battre, seul un diagnostic partiel avait envahi mes pensées. Elle avait fait une attaque de panique.

Alors que je m’interrogeai sur la possibilité d’une origine phobique (d’après l’ampleur de la crise, il y avait peut-être quelque chose derrière ? J’aimais bien m’arrêter sur des cas que je pourrais jamais résoudre !), une ombre s’arrêta devant la stèle et entreprit de me gâcher la vue pour satisfaire la sienne.

« Meuf, ta mère est pas vitrière. »

Avais-je murmuré, la dépeçant du regard.
Cheveux roses, elle était plus grande que moi et semblait porter un très beau costume. Bah !- ici, ce n’était pas l’habit que faisait le moine mais bien le niveau ! Elle se retourna alors et je pus voir son visage plein de taches de rousseur. M’avait-elle entendue ?! Impossible ! Mais… Je lui fis d’énormes yeux en la dévisageant. Oh my God !- je me dis immédiatement de mémoriser la date : je venais de reconnaître quelqu’un !! Ah, ça n’arrivait pas souvent, c’était même une première ! Où j’l’avais croisée cette sans-gêne-là ? AH. C’était le jour de l’annonce ! Elle était juste à côté de moi et j’avais pu voir sa transformation après sa contemplation dans le miroir. J’avais alors cru qu’elle était une amie victime d’une acné persistante comme moi… Et finalement, elle m’avait déçue : ce n’était QUE des taches pigmentaires. Je l’avais alors mentalement insultée de tous les noms avant de reporter mon attention sur Kayaba, puis sur l’attaque de panique de l’autre joueuse terrifiée. Comme quoi, les choses les plus bêtes étaient celles que je retenais le mieux !

En tout cas, elle s'était tournée vers moi, comme pour me poser une question de loin. Elle m'voulait quoi l'emmerdeuse...?

Bouh ! Hop, il est l'heure de se lever... Euh... Mais c'est quelle heure au fait ? Lisbeth regarda dans son menu d'affichage en l'ouvrant l'heure qu'il était : quasiment 14 heures. Elle avait bien dormit et fait la grasse matinée, mais en même temps elle s'était couchée très tard, donc la grasse matinée, en fait, c'était une nuit normal mais où on se réveille vers midi voir plus. Donc, elle pensa tout de suite que tout le monde faisait en quelques sortes la grasse matinée, mais pas en se réveillant à midi en fait. Ou du moins presque tout le monde... Bon, que faire de cette journée qui s'annonce prometteuse rien qu'à l'humeur de la forgeron ? Beh du coup, puisque c'est quatorze heures, pourquoi pas manger un de ces petits casse croûte ? Un petit pain rond pour tenir un petit peu l'estomac. Elle alla donc s'asseoir sur un muret. Elle avait dormi à la belle étoile pour cette fois dans un coin peu fréquenté de joueur et pas fréquenté de monstre. Elle sortit donc un de ces pain rond de son inventaire et le mangea tout doucement, pas presser du tout. Elle le finit, bon... Elle ouvra son menu et... Quoi ?! Il était déjà 14 heures 15... Mais comment elle avait fait pour manger si doucement ?

Oh, elle y repensait, pendant une minute même pas elle s'était perdu dans ses pensées.. Mais alors, c'était plus qu'une minute puisqu'on mange pas un petit pain en un quart d'heure, mais plutôt en même pas cinq minutes. Bon, toute façon, elle n'avait rien de prévu pour la journée, donc ça change quoi ? Mais du coup, elle pourrait faire quoi ? Hum... Si elle allait un peu se promener, puis qu'elle allait miner une bonne heure pour faire passer le temps, avec une pause entre chaque demie heure. Et bien voilà qui règle l'affaire, et puis le soir, elle irait au centre de la ville pour faire deux trois trucs.

Alors, nous sommes au pallier un, au bord de la ville, 14 heures 25, Lisbeth, celle-ci se dirige alors vers les magasins pour voir s'il n'y a pas quelques trucs intéressant à voir. Elle regarde à droite à gauche rentrant dans des magasins quand elle voit des trucs qui peuvent l'intéresser. Elle fait ça pendant facilement une heure et demie, puisqu'il est presque seize heures. Bon, c'est pas tout mais il est temps !

Temps de quoi ? D'aller miner, bien sûr, elle se dirige donc vers la mine assez rapidement, et y arrive à seize heures et cinq minutes. Elle entre, et voit au bout de même pas deux minutes de marche dans la mine un bon endroit pour miner. Elle s'y arrête donc, sort son matériel et commence son travail qui est de miner pendant un quart d'heure sans s'arrêter, vu qu'elle ne le peux pas tant que ça. Une fois ce quart d'heure fini, elle change d'endroit pour aller quelques mètres plus loin où l'endroit à l'air aussi intéressant et prometteur. Elle mine alors de nouveau un quart d'heure. Après ce quart d'heure, elle voit juste à côté un bon endroit pour miner, elle se décale vers lui alors. Elle en oublie même sa pause, et elle repart à travers son travail pour une troisième fois. Ça n'en a peut-être pas l'air, mais c'est long et à force, c'est un peu ennuyant aussi. Lisbeth n'est pas le genre de personne qui pourrait passer une journée complète dans une mine, ça non. Et voilà, troisième fois finie, elle en profite pour souffler un bon coup et hop, on repart dans un autre endroit pas très loin de sa position pour miner une toute dernière fois, même si peut-être pas la dernière de la journée. Elle se remet donc à miner, se concentrant pleinement dans la tache qu'elle accomplit. Un quart d'heures plus tard elle peut de nouveau respirer, et elle range donc son matériel et sort de la mine, en plus, il y avait assez de monde donc pas beaucoup de monstre qu'on voyait.

Elle prend alors le chemin de la ville en chantonnant légèrement. Tout le long du trajet, elle fait ça, son arme à la main en cas, elle ne pense à pas grand chose, et ce à quoi elle pense n'est pas du tout important. Piouf, arrivée à la ville. Elle regarde alors instinctivement l'heure et découvre qu'il est cinq heures. Elle va alors au centre de la ville en quelques minutes. Elle s'arrête alors qu'elle est sur la place. Elle contemple l'avant de la place, et se remémore ce jour avec exactement l'endroit où elle était. Ça la rend nostalgique un peu. Puis, elle croit entendre quelque chose, alors, elle se retourne, et voit quelqu'un peu loin d'elle, elle comprend alors qu'elle l'a peut-être gênée dans la vue. Elle s'approche alors un peu d'elle, lui disant un salut, et lui dit pour entamer la conversation que la vue est belle. Elle se demande bien aussi comment elle va réagir...

Hou !!- quel début de conversation banal et inintéressant ! On pouvait pas faire plus à chier, haha. Je la fixai sans expression et sans bouger puis, d'un coup... Un immense soupir agacé sortit du plus profond de moi. Cheveux roses, beaux habits, discussion merdique, mais oui : c'était une vraie fille ! Voilà une meuf qui j'allais tenter d'esquiver le pus vite possible ! D'ailleurs, c'était incroyable comme la reconnaissance d'une personne ne tenait qu'à un détail insignifiant. Seules ses taches de rousseur m'avaient interpellée, je venais seulement de remarquer que la couleur de ses mèches avait été changée. Les nuances colorées de ses yeux aussi nan ? En effet Rikka... Ritcha, les gonzesses aux mirettes trop pinky ne parcouraient pas les rues de Tokyo comme ça. Ou alors, elles pratiquaient le cosplay intensément et constamment. Ah, ça me rappelait les essais merdiques que j'avais faits au collège. Je n'avais tenté le cosplay que deux fois, j'avais vite trouvé ça ringard. Le travestissement était chouette... Mais pour une fille aussi minuscule que moi, ça passait pas... Bref ! Au vue de la gentillesse avec laquelle elle s'était adressée à moi, cette demoiselle ne pouvait qu'être ce qu'on appelait "l'héroïne cul-cul, gentille et emmerdante du manga". Quoique... Généralement, les héroïnes avaient les cheveux longs et mieux coiffés... Mmm... Ou alors, elle était celle qui se faisait recaler par le héros ? Je remis mes lunettes tombantes sur mon nez et croisai les bras. J'savais pas quoi faire ce jour-ci mais aucune chance que je répondisse positivement à la demande d'effort social de ma soudaine interlocutrice. Les sourcils froncés, je regardai succinctement ses yeux si "mignons" avant de la contourner pour m'en aller.

"La prochaine fois, trouve une phrase plus accrocheuse, Barbie."

Pff, si prochaine fois il y aurait ! Les mains sur les hanches, j'avais de nouveau murmuré cette phrase pour moi sans m'arrêter de marcher. On était pas encore assez vieilles pour parler de la pluie et du beau temps, nan ? Qu'est-ce j'en avais à foutre de la vue ?! C'était le premier étage, la place du commencement du malheur et elle, elle voulait parler de sa beauté ?! D'accord, je l'admettais, le charme des ces bâtiments était énorme... Mais uniquement superficiel ! Avec son apparence aussi colorée, j'étais persuadée que cette meuf avait chialé pendant des jours et des jours dans une auberge, au début de l'aventure. D'ailleurs... C'était peut-être une des multiples lâches qui avaient décidé de vivre ici ?! Je haussai les épaules. Rien à battre en fait. Rien qu'en tentant de reconstituer sa vie, ses pensées et ses actes, je donnais à cette gamine le peu d'importance qu'elle ne méritait pas. Ah, Ritcha... Tout ça parce qu'elle t'avait accostée en répétant une mauvaise technique de drague !

"Oh... Plus que quinze minutes."

J'avais fini par poser mes yeux sur le minuscule cadran du menu. Et si jamais tout se répétait mais dans le "bon" sens cette fois-ci ? Et si jamais, à la demie, tout le monde était de nouveau téléporté ici, angoissé et appréhendant la prochaine annonce ? Et si jamais Kayaba réapparaissait, pour nous dire cette fois qu'on pouvait se déconnecter quand on le voulait ? Je repensai à mes sœurs et à mes parents. Me manquaient-ils vraiment ? Est-ce que revenir dans la réalité me réjouirait vraiment ? Je pensai que rien ne changerait pour moi... A part le fait de reprendre les études à donf... Ouais. Après tout, que ce fut ici ou là-bas, j'avais pas d'ami, j'étais pas moins muette mais je m'éclatais quand même. Pis, si je partais, les Lycaons en 3D du VRMMO se transformeraient seulement en Lycaons 2D des MMO. Ah. Je crus bien que j'étais blasée d'la vie. Mais avant d'avoir pu me reprendre, parler de l'excitation que procurait la menace de la mort (que je pourrais aussi ressentir en allant à pied sur une autoroute de la réalité), une ombre masquée fit son entrée en courant, me percuta au passage et se stoppa devant moi, immobile. Ben, j'attirais les gens ou quoi ? Ça m'arrivait pas souvent, je devais le noter ! Je faillis prendre la personne par les épaules pour lui relever sa tête encapuchonnée, détaillé son visage puis l'insulter... mais depuis quand toucher les gens était naturel chez moi ? Je remarquai alors qu'elle tremblait de tous ses membres et respirai virtuellement bruyamment. Me retournant vers ma précédente interlocutrice, je lui dis d'une voix indifférente.

"Je crois qu'il a un problème."

Fille ou garçon ? On s'en foutait : c'était un joueur avant tout. Qu'est-ce qu'il avait bien pu voir pour vibrer comme un portable d'avocat ?

Quatre mois….

Cela faisait quatre mois que ma sœur m’avait convaincu que plonger dans ce monde pourrait m’aider à surmonter mon ochlophobie ;  quatre mois que j’avais atterri avec son copain sur la place centrale de la ville de départ ; quatre mois que j’avais découvert et m’était extasié devant la splendeur de ce monde ; quatre mois que l’administrateur avait annoncé la dure réalité de ce monde… Cela faisait près de quatre mois que ce jeu morbide avait démarré et que je n’avais jamais remis les pieds sur cette place, et seulement quatre heures depuis ma dernière crise d’angoisse…

Isolée du reste du monde, sur un toit bien dégagé, je contemple le ciel me demandant combien de temps encore je vais devoir rester ici. Cela faisait un moment que je n’avais pas eu de crise, presque quatre semaines. Je sais bien que ma présence dans ce monde est volontaire et que je dois prendre cela comme une épreuve pour aller de l’avant, mais c’est tellement dur…  Revenir dans la ville de départ n’était peut-être pas une bonne idée après tout…  Mais il le faut.... Je dois aller voir la stèle portant les noms des personnes disparues… Ne serait-ce qu’aujourd’hui…

- Tenryuu…

Il a tant fait pour moi durant le premier mois… Et aujourd’hui c’est son anniversaire… Je dois lui rendre hommage… Mais pour cela il faut que je me rende sur la « Place Maudite »…. C’est comme ça que j’ai décidé d’appeler la « Place centrale de la Ville de Départ », c’est moins long et ça lui correspond mieux je trouve.

Rabattant ma capuche, je me lève et observe la place de loin. Apparemment, je garde quand même de plus en plus le contrôle lors de mes crises. Je ne me serai jamais autant éloigné il y a encore peu de temps. Quelques personnes semblent être présente sur cette maudite place qui ne m’inspire vraiment pas. Rien que de la regarder, je sens déjà mon pouls commencer à grimper et ma vision se brouiller. Instinctivement je me recroqueville et ferme les yeux, essayant de calmer ma respiration qui commence à hyper-ventiler.

Quelques minutes me suffisent pour me rappeler que je suis toute seule sur un toit et que rien ni personne ne viendra à ma rencontre, et cela suffit à me calmer suffisamment pour retrouver un rythme cardiaque décent. Je me redresse une nouvelle fois, me concentrant sur ma respiration pour la ramener à un état « stable » et ainsi ne pas trop attiré l’attention des gens que je pourrais croiser.

J’ouvre les yeux et entreprends de descendre de mon perchoir. J’emprunte la route principale en vérifiant presque compulsivement que ma cape est bien mise. M’étant assuré d’être bien coupé du monde,  j’ouvre mon menu pour vérifier l’heure.

- 17h10… Je n’ai plus beaucoup de temps…

Je relève la tête juste à temps pour m’apercevoir que je viens d’arriver à l’entrée de la Place Maudite. Respirant calmement, j’avance un pas après l’autre à un rythme un peu lent mais qui ne semble alerter personne. Je n’ai même pas fait un tiers du trajet lorsque j’entends un cri. Mon corps se fige dans la seconde et je sens mon pouls repartir. Me forçant à balayer la place du regard pour essayer de voir d’où vient ce cri, je ne vois personne à part deux demoiselles qui fixe la stèle, mais aucune d’elle ne semble réagir au stimulus sonore que je viens de percevoir…

Malheureusement pour moi, balayer la place n’était pas une bonne idée. A peine mes yeux se posent sur l’endroit où trôner Kayaba lors de son annonce, qu’un torrent d’images et de sons assaillent mes sens. Je revois clairement la forme encapuchonnée flottant au dessus de moi, la masse de gens rassemblée sur cette place, la tension et la panique s’emparant peu à peu d’eux. Des cris d’effroi et de rage résonnent dans ma tête. Je sens mon corps commencer à trembler, la sueur commencer à perler sur mon corps, le sang pulser sur mes temps, tandis que ma vision rougit un peu plus chaque seconde et que mon souffle se perd peu à peu. Je n’ai qu’une chose qui arrive encore à percer dans mon esprit : FUIR !... Je dois quitter cet endroit au plus vite et me mettre en sécurité…

Complètement déconnectée de mon environnement, je me mets à « courir »… Le terme est un peu exagéré parce que quand ton propre corps ne réagit pas aux ordres que ton cerveau lui donne, on ne peut pas appeler ça « une course ». Tant est si bien que j’arrive à franchir quelques mètres en titubant avant de percuter quelque chose. … C’était bien la dernière chose dont j’avais besoin… Un contact physique… Dans un sens c'est peut-être pas plus mal, ça mettra fin à la crise...

Sentant ma conscience me lâcher petit à petit, j’ai juste le temps de me retourner pour distinguée une ombre prête à m’insulter… Puis le blackout tombe, suivi de mon corps qui s’affale lourdement sur le sol de la place.

Ah… Le nouveau joueur venu s’était affalé par terre, repris succinctement par la meuf cul-cul qui semblait m’avoir emboîté le pas. Bon bon… Qu’est-ce que je devais faire ? La demoiselle aux cheveux roses me lança un regard plein d’inquiétude et je faillis souffler d’agacement face à ses remarques ennuyeuses. Bon, j’allais devoir prendre le tout en main. Je m’accroupis devant le corps inconscient pour retirer la capuche qui masquait son visage. Ouais, même si je détestais les gens et me rappelais pas de leur visage, je restai tout de même d’une nature assez curieuse. Bon, c’était une nouvelle fille… Génial. Et une sans-âme pour le coup ! Je me rappelai en avoir déjà croisée une. C’était la même ? Alors là… Y avait que le semblant d’héroïne trop girly que j’avais reconnue ici !

« Faut peut-être la déplacer… »

Me dis-je en me relevant, un index sur la bouche. Sa respiration avait repris sa vitesse normale, son corps ne tremblait plus. Je me demandai de nouveau ce qu’il avait bien pu lui arriver. Ça pouvait pas être un problème de points de vie puisqu’on était en ville et de toute façon, il était impossible qu’on s’évanouît à cause de ça nan ? Avoir une jauge vide s’apparentait à se transformer en une pluie de triangles immaculés, pas à tomber par terre les yeux fermés. Ah. Peut-être qu’on l’avait changé d’hôpital ? Ça, c’était plus probable. Mais pourquoi ? Tout le monde avait subi ces périodes de mal-être au tout début du jeu, pourquoi les médecins décideraient-ils de l’amener autre part. Hum… Peut-être qu’elle avait une maladie grave dans la réalité ? Mais pourquoi avoir attendu trois mois ? Argh ! J’avais qu’à demander à l’intéressée ! J’allais pas la laisser au final. Où je pouvais bien la transporter ? Je jetai un coup d’œil à mon interlocutrice aux beaux habits.

« Je prends les pieds. »

J’avais dit sans animosité et sans vraiment hausser le ton. Je fis deux pas en arrière et me baissai pour attraper les deux membres inférieurs de l’évanouie que je n’allais pas tarder à questionner sans m’arrêter. Sans attendre que la fille aux conversations terriblement « intéressantes » ne s’emparât des bras de la presque morte, je retournai le corps et avançai pour le traîner sur quelques mètres… Bon… Il fallait l’avouer, la rousse était lourde. Elle avait la tête contre le sol et je me dis que, si on avait été dans la vraie vie, elle aurait été râpée de toute part. Aïe… Je me rappelai des images de grands brûlés au visage et fut partiellement saisie de stupeur. Est-ce qu’on pouvait mourir brûlé ici ? J’avais pas encore rencontré de dragon cracheur de feu. Mais ça devait bien exister nan ? C’était la base de tout jeu vidéo après tout.

« Mourir brûlé, ça doit être la pire des morts… »

… Mais comme on souffrait pas ici, ça devait être la plus classe des morts ouais ! Je notai dans un petit coin de ma caboche aux souvenirs faciaux imprécis : « pour crever dignement, s’attaquer à des dragons ». J’énumérai toutes les pires façons de mourir : brûlé, noyé, dépecé, tué par l’acide, un poison dégradant les tissus de l’intérieur ? Puis je revins dans la réalité. Je comptais emmener la meuf évanouie à l’auberge la plus proche mais le bâtiment était déjà trop loin pour mes petits bras. Elle était trop lourde et j’avais pas l’impression que mon interlocutrice de tout à l’heure était en train de m’aider à la porter. Je réussis néanmoins à la traîner assez loin de la stèle de l’annonce et j’en fus assez fière. Je lâchai le tout d’un coup et posai mes fesses sur les sol, au plus près de l’évanouie. Quand est-ce qu’elle allait se réveiller ? Qu’est-ce qu’elle allait bien dire ? Est-ce qu’elle était folle ? Est-ce qu’elle se souviendrait de ce qu’il s’était passé. En soupirant sans regarder la meuf aux cheveux roses, j’attendis patiemment. Plus que cinq minutes avant que l’heure de ce Jour-là ne sonne.

Ma conscience s’éveille alors que mes yeux sont encore clos. Je sens un sol pavé dur et froid sous mon dos, mais étrangement le peu de chaleur que devrait me procurer le soleil à cette période de l’année semble avoir disparu. Sentant une présence à une distance assez proche, je me décide à ouvrir les yeux… La lumière du soleil couchant agresse mes pupilles qui se rétractent illico, réduisant le flux lumineux à un niveau acceptable pour ma rétine. Mes cristallins font plusieurs essais d’autofocus pour faire la meilleure mise au point possible et arriver à fournir une image nette à ma rétine. Cette dernière retranscrit l’image en signaux électriques qui sont véhiculés à mon cortex visuel qui analyse ses signaux pour en refaire une image et la redresse.

Cette image que je « vois » est un ciel orange en arrière plan, encadré par des bâtiments, au second plan, surement des maisons d’ailleurs. Je parle de second plan, car ma vision périphérique me fait percevoir un mouvement qui semble être au premier plan.  Je me redresse difficilement et oriente mon regard vers la silhouette qui a mouftée. Apparemment, il s’agit d’une jeune femme aux cheveux noirs, yeux noirs et lunettes à cadre noir…. Enfin pour les yeux, je ne peux que l’estimer vu qu’elle semble perdue dans ses pensées, le regard fixant le ciel.

Au même instant, une deuxième silhouette entre dans mon champ de vision. Ce qui attire tout de suite mon regard est la couleur de ces cheveux, rose.

- Ah ! Elle est réveillée !

- Ouh…

L’intervention de « Rosie » semble avoir sortie « Blackie » de sa rêverie et elle tourne la tête vers moi, tandis que de mon côté c’est ma tête qui se met à tourner. Son regard plonge dans le mien l’espace de quelques secondes puis balaye la moindre surface de mon corps. Vu comme la vitesse de réaction des deux joueuses présentes, elles ont du être présentes et veiller sur moi durant mon « absence ». Et avant même que je ne puisse les remercier, « Blackie » m’inonde de questions.

- Hum… Pas de traumatisme apparent… Tu te sens comment ? Qu’est-ce qui s’est passé ? C’est la première fois ?

L’absence d’affolement dans la voix de la jeune femme me surprend d’autant plus que « Rosie » semble un peu paniquée quand même, ce qui est une réaction normale quand quelqu’un s’évanouit sous ses yeux… Je ferme d’ailleurs les miens pour essayer de stabiliser mon oreille interne, en même temps que je fais le point sur les derniers événements.

Retour dans la vile de départ, pour « fêter » l’anniversaire d’une connaissance disparue… Première approche de la grande place… Crise… Nouvel essai… Crise plus violente… Evanouissement alors que je fuyais la place… Réveil en compagnie de « Blackie » et « Rosie » hors de la place…

- Tout va bien ?

L’intervention de « Rosie » me ramène à la réalité actuelle.

- Oh… Excusez-moi… J’essayais de me souvenir de ce qui s’était passé… Oui, oui, ça va mieux… Ce n’est pas la première fois que j’ai un « blackout »… Et malheureusement je pense que ce ne sera pas la dernière… Cela m’arrive lorsque je fais une crise d’angoisse… Je suis sincèrement désolé de vous avoir inquiété…

Ma vision étant à nouveau stabilisée, je me relève lentement en m’appuyant sur un mur à proximité et me retourne en me forçant à sourire, surement encore aussi blanche qu’une crème fouettée.

-… Magpïe… Heureuse de vous rencontrer… dis-je en leur tendant la main. Et merci d’être rester à côté de moi durant mon « absence »…

Alors que j'admirais le ciel aux nuances orangées, me demandant combien de temps j'allais encore devoir poireauter à côté de cette meuf rose agitée, la Sans-Âme se réveilla lentement, sous les exclamations de l'autre. Aah, ferme ta bouche, t'as pas besoin d'le faire remarquer, j'ai des yeux bordel et j'en ai pas deux : j'en ai quatre ! Je dégageai les insultes à propos des binoclards que j'avais en réserve d'un mouvement de tête, pour me lever et m'approcher plus près de la belle au bois dormant. Je la reluquai en détail, passant par son visage et ses membres, regardant intensément son regard, sa tête, ses pieds... Elle semblait tout à fait normale, même si ses yeux violets et ses cheveux orange sortaient carrément de l'ordinaire. Ah bah i m'semblait ben qu'j'étais entourée de filles superficielles ! Je soupirai pour m'approcher plus encore, arrêtant in extremis un geste impulsif. J'avais eu envie de prendre son pouls et de regarder la réaction de ses yeux face à la lumière mais je n'en fis rien : le jeu prônait-il assez le réalisme pour aller aussi loin ? Au lieu de ça, j'ouvris ma bouche et tentai de parler assez audiblement, les premiers mots murmurés échappant à ma pensée.

"Hum... Pas de traumatisme apparent... Tu te sens comment ? Qu'est-ce qui s'est passé ? C'est la première fois ?"

Argh !- pourquoi j'm'emportais comme ça ?! Fallait laisser parler les patients, fallait pas les brusquer, surtout qu'celle-là venait tout juste de se réveiller ! Mais malgré ma rapidité interrogative, la demoiselle me répondit avec beaucoup de précisions. Donc, crise d'angoisse intense, violente et régulière – si j'avais bien interprété ses paroles. Bah, c'était plutôt un psychologue qu'il lui faudrait ici, il valait mieux trouver son problème de base pour calmer ce mal. Qu'est-ce qui avait bien pu se passer dans sa vie ? Quel type de crise d'angoisse était-ce ? J'étais déjà retournée dans mes pensées et ce fut la main tendue de la patiente qui m'en sortie. Magupii ? Magueupii ? Magpie ? Magpy ? C'était quoi ce pseudonyme tout pourri ?! J'arrivais même pas à trouver un autre mot qui pourrait me le rappeler. Magpïe... J'eus pas le temps de répondre pour lui poser une énième question, la demoiselle en rose se présenta à son tour, pimpante, souriante et encore... Enervante. Mais au moins, j'avais la possibilité de me souvenir de son nom à elle ! Lisbeth, comme le personnage féminin hyper cool de ce livre trop bien ! Ouais, j'avais réussi à me souvenir du prénom du personnage mais pas du titre du livre. Pourquoi ? Parce que le nom d'une héroïne s'écrivait en boucle dans un bouquin. Or, c'était pas le cas de son titre !

Par automatisme, je me pris à attraper la main de la demoiselle assise pour la repousser vers moi, dans le but de la relever. Mais elle était toujours aussi lourde la garce et je faillis bien tomber vers elle. Heureusement, j'abandonnai hyper vite après deux secondes de lutte, en réalisant un peu gênée qu'elle me tendait ses doigts surtout pour respecter les règles de la présentation. Eh oui, ma grosse, un nom, un serrement d'main, c'est bien connu ! Ah ces normes à la con !

"J'imagine que tu connais bien ta maladie. Elle est causée par quel événement ? Est-ce que tu es traitée pour dans la réalité ? C'est écrit dans ton dossier médical ? Depuis combien de temps ça te fait ça ? Ça t'est déjà arrivé plusieurs fois ici ? Est-ce que tu as vu une différence par rapport à la réalité ?"

... Tout ça pour dégager ton embarras face à cette prise de main ! Ben, j'aimais pas le contact de base alors si en plus, il avait été sans réelle raison ! La parlote, c'était un outil génial pour éviter de penser...

Bon… Apparemment mon sourire à l’air naturel et la pâleur de mon visage n’a pas l’air si dérangeante vu qu’aucune des deux demoiselles ne semble en faire état. D’après la réaction de « Blackie », elle semble avoir des connaissances médicales…. Ça peut toujours servir dans les relations ça… Mais qu’est-ce que je raconte… On est bloqués dans un monde virtuel… un JEU… la médecine n’a pas sa place en ce monde… enfin pas la médecine classique…

« Rosie » me tire de mes divagations en réagissant à mes propos précédents et se fend d’un petit rire pour clôturer sa présentation…. « Lisbeth »… Houlà… Elle a pas l’air d’avoir inventé l’eau chaude… ne puis-je m’empêcher de penser. Enfin bon, on ne peut pas vraiment juger un livre à sa couverture dit-on… En tout cas, son nom n’est pas très compliqué à retenir… C’est le diminutif de Tata Elisabeth… Ça fait longtemps que je ne l’ai pas vu d’ailleurs… enfin… sans compter les quelques mois derniers…

Je sens une larme perler au coin de l’œil droit alors qu’au même moment, une pluie d’étoiles vient danser dans mon champ de visions, suivies de très près par un affaiblissement brutale de mes jambes entraînement la rencontre un peu douloureuse de mon dos avec le mur, puis au moment où je me suis sentie glisser vers le sol à nouveau, j’ai le réflexe de tendre une main pour essayer de garder un semblant d’équilibre… Main que « Blackie » saisit au vol.

Je manque de la faire chuter avec moi, mais cette main salvatrice me permet de retrouver un équilibre précaire, et me permet de faire illusion quand au fait que je ne sois pas encore parfaitement remise de mon black out.

-J'imagine que tu connais bien ta maladie. Elle est causée par quel événement ? Est-ce que tu es traitée pour dans la réalité ? C'est écrit dans ton dossier médical ? Depuis combien de temps ça te fait ça ? Ça t'est déjà arrivé plusieurs fois ici ? Est-ce que tu as vu une différence par rapport à la réalité ?

…. C’est quoi ça ?... Un interrogatoire ?.... Une visite aux Urgences ? est une réaction normale dans cette situation non ?... Mais cette situation n’est pas normale et donc ma réaction n’est pas plus normale.

-Euh… répondis-je un peu prise au dépourvu.

Bon… en tout cas, cela confirme l’impression que j’ai eue quant à « Blackie » et son expertise médicale. Cela semble être un réflexe de sa part face à un phénomène qu’elle ne connaît ou ne maîtrise pas… Je ferme les yeux et calme ma respiration pour retrouver une contenance un peu plus digne. Et, espérant que mon visage n’est plus blafard, faute de miroir, je plonge mes améthystes dans les deux perles d’onyx de la jeune fille en face de moi.

- Ce n’est pas comme si je pouvais faire semblant de rien après tout… dis-je avant de soupirer et de reprendre. Alors, oui je connais bien ma maladie, il s’agit d’une variante de l’oclophobie, qui la phobie de l’oppression par la foule. Cependant, comme je l’ai dit, il s’agit d’une variante. Normalement, la personne est sujette à une crise dans le cas où elle se sent oppresser par la foule dans un petit espace, généralement en tout cas. Pour ma part, non seulement ces conditions sont vérifiées, mais en plus je peux déclencher mes crises simplement en imaginant cette oppression… En fait, l’imaginer me la fait ressentir plutôt. Et certains lieux sont malheureusement imprégnés de cette oppression, pour moi… La place centrale par exemple…

Une petite pause s’impose… Histoire de lui laisser digérer les informations que je viens de lui donner…

- Concernant les autres questions que vous m’avez posées, mademoiselle dont je ne connais toujours pas le nom, je vais y répondre sobrement si cela ne vous dérange pas… Donc non, je ne suis pas traitée de manière médicamenteuse dans la réalité, mais je vois quelqu’un et pour le moment ça n’a rien changé. Pour le dossier médical, aucune idée. Concernant le temps, mon traumatisme dure depuis plus de la moitié de ma vie. Et pour finir, oui j’ai déjà eu une bonne vingtaine de crises depuis mon arrivée en ce monde et j’avoue ne pas avoir cherché les différences entre ici et dans la réalité… Ai-je satisfait votre soif d’informations ?

Ayant complètement zappé Rosie à cause des questions de Blackie, je m’excuse auprès d’elle et en profite pour lui demander ce qu’elle était venue faire en ce lieu.

La jeune fille aux cheveux assez noirs posa beaucoup de questions d'un coup à la jeune femme qui s'était réveillé très peu de temps avant de sa "maladie", dont notamment des questions qui pouvaient attendre un peu du point de vue de la forgeronne. Mais, ça passé, Magpïe, la joueuse qui était à terre il y a peu répondit à quasiment toutes ses questions... Enfin, Lisbeth n’analysait que les réponses données, ayant quasiment oublié toutes les questions posées exactement. Et la joueuse avait l'aire de se débrouiller pour répondre à toutes ces questions, la joueuse aux cheveux roses ne savait pas si elle, elle y serait arrivé aussi facilement. Donc, en résumé, la joueuse qui avait son malaise connaissait sa maladie, celle-ci était incontrôlable, mais elle se faisait suivre par un médecin ? C'est du moins tout ce que la forgeronne avait pu comprendre de la réponse.

Magpïe venait de s'excuser à la jeune fille de l'avoir oublié pour répondre aux questions de "l'inconnue de nom". A ceci, Lisbeth fait un non de la tête en guise de "ce n'est rien". La forgeronne répondit ensuite à la questionnait qu'elle enchaînait :

Personnellement, j'étais allé miner tout à l'heure, puis j'allais m'occuper en ville comme possible. Et toutes les deux, vous étiez venues faire quoi ?

Demanda-t-elle à son tour curieusement en souriant. Après leur réponse intéressante, Lisbeth réfléchit assez rapidement puis eu une idée, qu'elle s'empressa de partager :

Est-ce que ça vous dirait qu'on fasse quelque chose ensemble... ? Comme par exemple combattre, ou alors de manger... Ou encore autre, selon ce que vous préférez et si ça vous va.

Wouah. Quelle pathologie bien pourrie ma fille ! Mais bon, elle montrait par sa présence sans cause matérielle que la meuf au pseudo étrangement moche avait une imagination bien développée. Donc qu’elle était intéressante. J’avais pas vu les causes de cette maladie, seulement ses symptômes (et encore, à la va-vite), et je me demandais qu’est-ce qui avait bien pu la provoquer. Personnellement, je m’étais jamais sentie « oppressée » par la foule. Par contre, énervée, oui. Énervée, irritée, agacée au point d’avoir des envies de meurtre, au point de m’arracher la peau avec les ongles jusqu’à me faire saigner pour m'en empêcher. Qu’est-ce que les gens étaient cons. A tous s’entasser au même endroit, à tous parler, parler, parler, sans s’arrêter, à tous se suivre comme des moutons jusqu’à finir collés serrés, au lieu d’attendre moins d’une minute ou de juste se mettre un peu plus loin pour éviter la création d'un amas révoltant. Mais nan, les gens regardaient pas le monde qui les entourait, ils ne faisaient que se conformer. Et bousculer et écraser les plus petits.

« Hurlons à la révolte. »

N’avais-je pu m’abstenir de murmurer, en levant brièvement un poing, mes sourcils se fronçant pour former mon regard déterminé. ‘fin bref, il n’empêchait que c’était la peur de l’oppression qui jouait ici, pas vraiment l’oppression réelle. C’était vraiment intriguant… Même si ça devait être un malaise profond et déroutant, j’aurais bien aimé ressentir ses sensations, au moins quelques secondes. Mais c’était impossible hein ! On pouvait gambader dans un monde virtuel mais pas pénétrer le corps de ses collègues joueurs ici, pff. C’était quand même bizarre qu’elle eût encore des problèmes : plus de la moitié d’une vie avec cette phobie toute pourrie, avec un psychologue pour la soigner, et elle se tapait vingt crises en cinq mois ?! Pauvre bichette quoi !

En tout cas, j’avais bien compris le fait qu’elle voulût mon nom mais j’avais décidé de l’ignorer avec perfection, relevant mes lunettes et hochant compendieusement la tête pour répondre à sa question finale. Je trouvais ça bizarre qu’elle me vouvoyât ainsi, j’étais habituée à ce qu’on me prît pour une petite fille incapable de comprendre une phrase à son encontre sans être tutoyée. En conclusion, sa façon de parler était bizarre certes, mais décidément agréable à l’oreille. La voix fluette de mon ex copine faussement boutonneuse m’avait sortie de mes naïves pensées pour me raconter sa vie… Qui finalement m’apparut profitable. Sa question me concernant n’aurait aucune réponse mais… Alors comme ça, la demoiselle minait ?

« Tu es forgeronne du coup ? T’es bonne ? Tu peux aller jusqu’à quel bonus ? Tu as choisi le marteau ? »

Pas de vouvoiement avec elle, il était claire qu’elle était plus jeune, elle n’avait donc pas le droit au respect linguistique réservé aux « grandes personnes ». Pis sérieux, quelle fille saine d’esprit connaissant en minimum l’adjectif « sérieux » se teindrait les cheveux en rose ? C’était continuer avec les préjugés sexistes que de donner aux filles cette couleur pétante que le monde leur attribuait depuis toutes ces ann… Attends. J’ai bien entendu ce que t’as dit ? « T’es bonne » ?… « T’es bonne » ?! Mais vas-y, demande-lui la couleur de ses sous-vêtements aussi! Ah, la ferme… ! Y avait que moi pour sortir les phrases de leur contexte nan ? Je posais juste des questions au niveau de son métier, bordel ! Soupirant bruyamment, je secouai la tête en m’ébouriffant mes cheveux ébourriffés avant de me retourner vers la sans-âme.

« Il y a des choses qui changent dans le déroulement ou les sensations que tu as pendant tes crises par rapport à la réalité ? Enfin… Peut-être que ce serait mieux de parler de ça à l’intérieur. »

Sans m’en être rendue compte, je venais indirectement d’inviter les deux joueuses à s’installer dans un endroit pour discuter plus longuement. Mais t’as quoi dans la tronche ?! Bah. Si je m’étais retrouvée ici par hasard en me « baladant », c’était bien parce que j’avais rien d’autre d’important à foutre nan ? Pis, avec un peu de chance, je ressortirais de là avec un nouvel équipement gratuit, des nouvelles idées d’attaque (si Barbie avait bien choisi le marteau, comme moi) et des informations sur une pathologie très intrigante. Que demander de plus ?

- Personnellement, j’étais allé miner tout à l’heure, puis j’allais m’occuper en ville comme possible. Et toutes les deux vous étiez venues faire quoi ?

- Tu es forgeronne du coup ? T’es bonne ? Tu peux aller jusqu’à quel bonus ? Tu as choisi le marteau ?

J’ouvre la bouche pour répondre à la question de « Rosie » mais aucun son ne sort. Je reste bloqué sur le « T’es bonne ? » que « Blackie » vient de nous sortir. Je la regarde pendant une demi-seconde essayant de voir si elle vraiment fait attention à ce qu’elle disait. Et au vu de son soupir et de son air blasé, elle s’est rendu compte.  Je soupire également, relâchant momentanément la concentration qui me permet encore de tenir debout. De par le fait, je vacille légèrement et me retrouve à nouveau contre le mur. J’essaye encore une fois de paraître mieux que j’en ais l’air. Je relève la tête vers les deux jeunes femmes.

- Pour ma part, ma présence ici est due au fait que la date d'aujourd’hui correspond à l’anniversaire d’une personne qui m’est chère et qui a vu son nom apparaître sur la stèle de la grand place…. Malheureusement je n’ai pas réussi à l’atteindre. Je voulais essayer de m’y recueillir.

Snobant complètement le fille aux cheveux rose qui vient de nous demandé si l’on est tenté pour faire quelque chose ensuite toutes les trois, « Blackie » se tourne vers moi et enchaîne.

-  Il y a des choses qui changent dans le déroulement ou les sensations que tu as pendant tes crises par rapport à la réalité ? Enfin… Peut-être que ce serait mieux de parler de ça à l’intérieur.

Encore une question… Non mais c’est quoi cette fille ? Comment elle fait pour poser autant de question à la minute ? Elle me donne vraiment l’impression d’être un puits de science asséché qui cherche à se remplir à nouveau…. Enfin en tout cas, j’apprécie son offre d’aller se poser quelque part pour manger ou discuter. Je devrais peut-être accepter son offre, vu que comme j’ai les crocs comme après chaque crise.

- Je suis d’accord pour t’en parler, mais je suis encore plus d’accord pour le faire dans une auberge autour d’un petit en-cas. J’ai besoin de manger quelque chose après chaque crise. D’habitude, je prends un morceau de sucre, mais ici je peux presque manger de tout pour compenser. Mais je dois avouer que je préfère quand même me faire un petit plaisir sucré. On y va ?

Je m’écarte du mur et essaye de tenir sur mes jambes le plus élégamment possible. Puis je suis les deux jeunes filles vers le bouge qu’elles ont choisies…

Suite à la question retour de Lisbeth qui demandait aux filles ce qu'elles étaient venues faire ici, la fille aux cheveux noirs répondit à la forgeronne... Mais pas avec une affirmation, mais encore plusieurs questions, c'était plutôt une preuve de curiosité. Bien que Lisbeth n'appréciât pas trop qu'elle ne lui réponde pas, elle répliqua à sa suite de questions après avoir eu un petit moment de surprise, ou de "bug" plutôt :

Je suis bien forgeronne, oui. Eh bah je peux aller jusqu'à du +20 avec du 100% pour l'instant parce qu'on a que des minerais avec un bonus de 4 maximum et on peut en mettre que 5 dans un lingot, ce qui est dommage. Et oui j'ai choisi le marteau bien que j'aie actuellement une massue.

C'est ensuite l'autre joueuse qui répondit à la question, et avec une affirmation. Et après qu'elle ait parlé je leur ai proposé de faire quelque chose mais aucune d'elle n'a montré de signe, celle aux cheveux noirs a même répondu à Magpïe en lui posant encore des questions. Cela rappela à la forgeronne que la seule personne qui n'avait pas donné son pseudo était celle qui posait énormément de questions. La combattante n'allait pas la forcer à donner son pseudo à tout prix bien qu'elle aurait aimé pouvoir l'interpeller autrement qu'en attirant son attention en la regardant. Mais après ça, elle proposa à son tour de rentrer dans un endroit et tout le monde fut d'accord, proposant les deux d'aller manger un petit quelque chose, Lisbeth répondit alors en souriant, ayant hâte de manger sa petite chose sucrée :

Ça me va, allons-y alors !

Et Lisbeth marcha devant juste à côté de la jeune fille au pseudo inconnu avec Magpïe derrière en direction de la pâtisserie, ou auberge, ou quelque chose du genre, le plus proche.

Partie à la conquête d’un restaurant parfait pour le goûter, je décidai de soutenir la Sans-Âme de façon gratuite. Elle m’apparaissait encore un peu faible, j'avais pas envie qu'elle se pète les dents sur l'trottoir (même si trottoirs il n'y avait pas). Pis surtout, moins je serais radine, plus elle éprouverait de la sympathie pour moi et ouvrirait sa bouche, non ? J’avais soif de connaissances et de compréhension, je ferais tout pour les obtenir après tout ! En attendant, elle me fit vraiment me rendre compte que ce jeu était dangereux. J’étais venue avec personne ici, aucune de mes connaissances n’était morte. Enfin… En vérité… Même si un camarade avait perdu la vie ici, je le saurais même pas. Accepter et envoyer des demandes d’ami n’était pas du tout dans mes habitudes, comme visiter la pierre tombale du premier étage et me rappeler le nom des gens. D’ailleurs…

« En fait, c’est quoi ton pseudo déjà ? Euh hum, je m’appelle Ritcha. »

Quand j’avais vu la meuf trop girly froncer les sourcils à ma question, je lui avais donné précipitamment mon nom en échange. J’allais avoir besoin de forgerons pour me forger des supers armes pour pas cher, il me fallait donc leur nom pour leur envoyer un futur message de lèche-cul. Devenir un laveur de fesses était primordial pour baisser les prix au tout début de la conversation. Après, il fallait juste être un bon négociateur. Et comme je préférais écrire que parler, c’était tout vu : ma langue était poilue d’avance. Je notai son pseudo dans un traitement de texte.

Dans ce premier étage, il y avait tellement de restaurants différents aux allures très chics que je décidai de choisir lequel accueillerait mes fesses radines. Ne cédant pas à la tronche pâle de la Sans-Âme, je tournai en rond avec elle, main dans la main, tout en la coupant quand je sentais qu’elle voulait se plaindre. Il me fallut tout de même moins de dix minutes pour les faire entrer dans une pâtisserie originale. Assez miteuse pour avoir un éclairage semblable à celui d’une cave d’assassin mais assez cool pour nous proposer de nous asseoir. Il y avait un immense éventail de gâteaux variés à l’air savoureux et pour ça, j’y reviendrais sans doute (pas, car je détestais cet étage) mais j’étais pas vraiment là pour bouffer. Même si j’surkiffais le sucre, écouter les gens parler de trucs intéressants était plus important.

Nous échangions ainsi pas mal de temps et je m’ennuyai bizarrement jamais. Mais mon caractère associable me rattrapa bien vite et je tentai de me barrer comme une voleuse, comme à mon habitude. Il n’empêchait que ces filles m’avaient bien plu. Même l’autre en rose, même si elle m’avait trahi avec ses grains de beauté, même si elle faisait clairement pouffe. Mon esprit avait décidé de la considérer comme une amie, sans doute parce qu’elle était forgeronne. Aah, catégoriser les gens, ça simplifiait vraiment la vie !