Tous les enfants ont peur du noir.
Le noir est beaucoup de choses. C’est une personne, qui vous murmure vos pires frayeurs à l’oreille, quand personne d’autre n’est là pour entendre et vous rassurer. Le noir est un habit, un vêtement dont se servent les ombres pour mieux propager le doute et la peur. Le noir, aujourd’hui, s’incarnait pour Thelos en cet instant précis où il bascula sa Traque sur Kirito. Le plus puissant saut de l’ange qu’il eut fait dans sa vie, et sans doute qu’il ferait jamais. Mais Thelos était tout sauf un enfant.
Thelos était un guerrier. Dire cela, au XXIeme siècle, pouvait faire sourire. Pourtant c’était une réalité qui lui avait toujours paru évidente. Intime tout le long de sa vie, cette certitude avait pu finalement croitre et fleurir à cause – ou grace ? – à leur enfermement dans SAO. En une magnifique fleur pourpre et meurtrière.
Thelos était un guerrier. Il se savait puissant au combat, il sentait qu’il y avait sa place, et personne dans ce monde ne le contestait. Au contraire, on l’avait plus d’une fois loué pour ce que les gens nommaient « ses capacités », et qui n’étaient en fait que l’éclatant résultat d’années de labeur intensif. Pour tout cela et bien plus encore, Thelos se faisait confiance l’épée en mains. C’était son univers, son monde, c’était ce dans quoi il excellait et ce sur quoi reposait l’ensemble de qui il était, maintenant. Contre les araignées, même innombrables, il avait une chance. Infime. Dérisoire. Irréaliste, sans doute. Mais il avait une chance.
Thelos était un guerrier. Et il ne se battait pas seul. En abandonnant sa vision sur les araignées pour se concentrer sur Kirito, il condamnait sa dernière chance de gagner le combat. Il laissait derrière lui ses certitudes, ses habitudes, ce qu’il était profondément. Ses espoirs de vaincre, mais pour s’en raccrocher à un autre. Bien plus fort.
Celui de survivre.
Au sein de ces cavernes cauchemardes, la silhouette de Kirito, embrasée de lumière due à l’effet de négatif accordé par la Traque avait des allures quasi angéliques. Kirito n’était plus seulement Kirito, il était un peu cet espoir incarné, au sens premier du terme ; un avenir vers lequel Aeterna courait pour échapper à une fin de plus en plus proche. Cet avenir lumineux courait tout autant, dansait devant lui pour lui montrer la voix. Sans jamais le distancer, pourtant.
Se serait-il abandonné ainsi pour suivre quelqu’un d’autre dans le noir, si ce quelqu’un n’avait pas été Kirito ? Sans doute pas. Heather ou les autres du dojo auraient été bien trop proches de la manière d’être du mercenaire, et se seraient battus à ses côtés plutôt que de fuir. Et en dehors de ces gens avec qui il était devenu, il y avait lui. Ce garçon, à qui il vouait un respect et une confiance absolus. Ce genre de sentiments qui ne se réfléchit pas, qui ne se représente pas. Qui se vit, simplement. Et intensément. La dernière chose qu’il sentit au fond de cette grotte fut une prise sur son poignet, et une brusque accélération. Puis la lumière. Enfin.
Thelos chancela, alors que la Traque disparaissait et que le monde reprenait ses couleurs. Le fin rideau de pluie qui tombait en gouttes délicates recommença à se perdre dans les cheveux et le long des habits du grand mercenaire, qui se tenait un genou au sol, appuyé sur sa claymore massive plantée dans l’herbe tendre. Haletant. Vaguement, Thelos eut conscience du regard de Kirito, puis que ce regard s’éteignit. Pendant une brève seconde de panique, le Bloodbearer chercha d’un regard avide et pressant à infirmer ses craintes et… Poussa un immense soupir de soulagement. A quelques points de vie près, Kirito allait rouvrir les yeux.
Il aurait aimé imiter le garçon, mais il savait que tous les deux, inconscients, se feraient achever par le premier monstre passant par là. Il fallait avancer. Encore un peu. Véritable force de la nature, Thelos se redressa lentement et pesamment sur ses jambes, mais se redressa. Sans sa grace habituelle, sans son éclat de prédateur coutumier. Mais il se redressa. Thelos eut bien plus de délicatesse en prenant l’épée des mains sans forces de Kirito pour la rengainer que pour saisir le corps inconscient de son ami et le hisser sur une épaule, comme s’il ne pesait rien. Et, pour le coup, sans doute était-ce grâce à sa Force et aux choix de tenues légères du garçon, mais Kirito ne pesait vraiment pas grand-chose.
Les premiers pas furent les plus difficiles, et Thelos les fit dents serrées et regard braqué vers l’avant. De sa main libre, il tenait son arme, sans savoir qu’elle serait inutile justement à cause de l’absence de sa dextre pour compléter sa senestre. Mais il n’y réfléchit pas. La seule chose à laquelle pensait le fauve épuisé en cet instant était de rentrer en sécurité, lui et son frère d’armes. Un fauve épuisé, mais en vie.
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- Hmpf…Thelos laissa choir Kirito sur le canapé du salon dans un grognement. Leurs points de vie avaient remonté, juste un peu. Mais le bretteur s’était refusé à boire la moindre potion de soin, comme si se soigner avant que son ami ne puisse le faire était une insulte. Une fierté mal placée, sans doute. Ce genre d’excentricité que seuls comprennent vraiment ceux qui ont le combat dans le sang. Peu importait, en réalité. Les regards surpris des passants, ceux inquiets des membres des Lames qui venaient de débarquer dans le salon pour voir deux zombis quasi morts revenir. Non, deux seules choses comptaient en réalité. La première est qu’il avait ramené Kirito et lui-même en lieu sûr. La deuxième, c’était qu’il était quand même vraiment épuisé.
- Mai…son…Comme un géant qui s’écroule, les genoux de Thelos cédèrent d’abord sous son poids, puis tout le reste suivi et il s’étala au sol, un étrange sourire sur les lèvres. Même évanoui, sa main serrait toujours la poignée de son arme.